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des prisonniers. Il demanda à La Fayette de lui parler seul. C'était pour lui montrer un projet de lettre qu'on allait, disait-il, écrire à leurs altesses royales, la gouvernante des Pays-Bas, et le duc de Saxe. On y parlait des opinions de La Fayette d'une manière inexacte; et particulièrement, on lui supposait des regrets sur l'abolition de la noblesse. « Je vous sais gré de vos intentions, dit-il «‹ à M. de Chasteler; mais je dois vous déclarer que, << si vous travestissiez ainsi mes principes et mes << sentimens, je serais obligé de démentir hautement « les assertions que votre bienveillance vous a in«< spirées. >>

Les prisonniers furent conduits à Nivelle, où l'on commença à les resserrer de plus près. Là ils recurent la visite d'un conseiller d'État, avec lequel La Fayette, Latour-Maubourg, Alexandre Lameth et Bureau-de-Puzy, tous quatre constituans, s'expliquèrent dans les termes francs et patriotiques qui leur convenaient. C'est là, c'est à Nivelle qu'il y eut une tentative pour assassiner La Fayette; elle avait été précédée d'un pamphlet de Rivarol, portant pour épigraphe : Et dubitamus adhuc mercedem extendere factis.

Quelques jours après, vint un major autrichien, chargé de recevoir le trésor qu'on supposait emporté par La Fayette, et qui, disait-on, devait être séquestré pour sa majesté très-chrétienne. « Tout «< ce que je comprends à cette étrange commission, répondit énergiquement La Fayette au major,

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« c'est qu'à ma place, M. le duc de Saxe aurait « volé le trésor de l'armée (*). » On visita cependant, non sans beaucoup de honte de la part des Autrichiens, et quelques plaisanteries des prisonniers, les porte-manteaux qu'ils avaient avec eux, et où il se trouvait moins de deux mois pour chaque grade.

Enfin l'on apporta l'ordre de séparer les prisonniers. Ils étaient au nombre de vingt-deux : les constituans seuls furent réservés ; les autres, traités comme prisonniers de guerre, et successivement mis en liberté.

Tandis que la haine des puissances contre le vétéran de la liberté s'assujettissait, pour mieux s'assouvir, à des combinaisons méthodiques, voyons comment éclatait contre le même homme, celle des tyrans populaires qui, sur les débris ensanglantés du trône, venaient de commencer la terreur et de proclamer l'anarchie. Le décret d'accusation rejeté le 7, comme nous l'avons dit, avait de nouveau été sollicité, et venait d'être prononcé la veille de son départ. «< Ceux qui avaient acquité La Fayette quelques jours avant, étaient encore les mêmes; mais, juges la veille du danger, ils furent hommes le lendemain. (**) »

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Dès qu'on eut reçu les ordres de la cour de Vienne, qui décidait du sort des prisonniers, et

(*) Histoire de France, par Toulongeon. (**) Ibid.

les livrait au roi de Prusse, ils furent tous trois conduits et enfermés à Wesel, où ils étaient gardés à vue par des bas-officiers, dont la consigne était de fixer constamment leurs regards sur eux, et de ne rien répondre à leurs questions.

La Fayette étant tombé dangereusement malade, on refusa à Maubourg la permission de voir son ami prêt à expirer. Une crise salutaire le tira des portes du tombeau : ce fut alors que le roi de Prusse, croyant pouvoir profiter de son abattement et de son infortune, lui fit proposer de l'adoucir, s'il voulait donner des plans contre la France. Une réponse énergique montra son mépris pour une pareille proposition. Alors on redoubla de rigueur envers lui; et bientôt on jeta les prisonniers dans une charrette, et on les transféra à Magdebourg. On leur refusait d'ailleurs tout renseignement sur l'existence de leurs familles, exposées aux proscriptions de France, et qui leur causaient les plus vives inquiétudes.

Il paraît qu'en les promenant ainsi, on croyait aggraver leur malheur, et exciter l'indignation publiqué; mais cette charitable intention fut loin d'être remplie. Partout, les captifs reçurent des marques de l'intérêt qu'excitait l'injustice de leur détention, et la constance de leur courage.

C'est de Magdebourg qu'il écrivait au chevalier d'Archenholz la lettre que nous avons rapportée dans les pièces justificatives. (Voyez à la fin du deuxième vol., n° 25.)

- Les constituans restèrent une année dans cette forteresse. Ils y occupaient un souterrain humide, obscur, entouré de hautes palissades, et fermé pár quatre portes successives, garnies de barres de fer et de cadenas. Cependant leur sort leur semblait plus doux, parce qu'on leur permettait quelquefois de se voir, et qu'on les promenait une heure par jour dans un bastion.

Tout à coup le roi de Prusse envoya l'ordre de transférer La Fayette en Silésie. Maubourg sollicita et obtint d'y être enfermé avec lui. On les conduisit à Glatz, où bientôt après on amena Bureaude-Puzy.

Alexandre Lameth, dangereusement malade, ne put être transporté avec ses compagnons. Sa mère, qui jouissait d'une considération méritée par ses vertus, obtint de Frédéric - Guillaume, après de vives sollicitations, qu'il restât en prison dans ses États. Quelque temps après la paix conclue entre ce monarque et les Français, elle parvint à lui faire rendre sa liberté. Remarquons que le roi de Prusse s'y prêta, parce qu'il ne se croyait plus obligé à garder les mêmes ménagemens pour la cour de Vienne, aigrie contre lui depuis qu'il avait quitté la coalition.

Les trois autres prisonniers furent transportés à Neiss; et, quoique le cachot qu'ils y habitèrent fût encore plus sombre et plus mal sain que tous les autres, ce changement leur parut heureux, car on y laissait ensemble jouir de la présence de ma

les

dame de Maisonneuve, qui était venue courageusement y partager les chaînes de Maubourg, son frère.

Le roi de Prusse qui ne voulait pas, en faisant la paix avec la France, être forcé par la justice à relâcher ses victimes, s'était décidé à envoyer ses prisonniers en Autriche on les conduisit à Olmütz. (*)

En y arrivant, on les dépouilla de ce que les Prussiens leur avaient laissé, ce qui se réduisait à leurs montres et à leurs boucles. On leur confisqua quelques livres dans lesquels se trouvaient les mots de république ou de liberté, et nommément L'Esprit (d'Helvétius) et Le Sens-commun (de Th. Payne); sur quoi La Fayette demanda si on les regardait comme objet de contrebande.

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En renfermant chacun d'eux séparément dans une cellule, on déclara à tous, « qu'ils ne ver<< raient plus à l'avenir que leurs quatre murailles; « qu'ils n'auraient de nouvelles ni des choses ni des « personnes; qu'il était défendu de prononcer leurs « noms, même entre geoliers, et dans les dépêches «‹ à la cour, où ils ne seraient désignés que par leurs « numéros; qu'ils ne seraient jamais rassurés sur «<le sort de leurs familles, ni sur leur existence réciproque; et que cette situation portant naturel«lement à se détruire, on leur interdisait couteau,

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(*) Histoire de Frédéric-Guillaume, par M. de Ségur. (Pièces officielles du Tome m.).

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