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étaient partis Français et revenaient Américains. Ils n'avaient été chercher que des périls et de la gloire militaire; ils rapportaient des systèmes et de l'enthousiasme patriotique. Ils reparurent au milieu de la cour, offrant sur leur poitrine les cicatrices des blessures reçues pour la cause de la liberté, et sur leurs vêtemens le signe extérieur d'une décoration républicaine.

La Fayette, qui s'était fait l'allié des Américains avant que son roi le fût devenu; qui, avec l'ardeur et la prodigalité de toute passion forte, mais avec un mystère et une persévérance incompréhensibles à son âge, avait armé un vaisseau pour la cause des États-Unis, l'avait chargé de munitions de toute espèce jusqu'à la valeur d'un million, et s'était dérobé à sa famille pour aller s'y embarquer, sans que personne eût pénétré son secret; La Fayette, qui avait commandé une armée d'insurgens, qui avait vaincu avec elle, que les États-Unis avaient adopté pour citoyen, et que Washington, pendant six ans, avait appelé du nom de fils; La Fayette rentra dans son pays natal, plein du désir brûlant et des illusions d'une liberté exotique, qui, transportée en France, devait y produire des fruits si différens de ceux qu'il en attendait. Il eut, dit-on, dans son arrière-cabinet, à Paris, un carton renfermé dans un cadre brillant, et partagé en deux colonnes sur l'une on lisait la Déclaration des Droits, proclamée par les Anglo-Américains; l'autre était restée en blanc, et paraissait attendre la

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même déclaration émanée des Français. Son ivresse était bien moins étonnante encore que celle qu'il excitait. La monarchie n'avait ni assez de voix pour célébrer, ni assez de faveur pour récompenser ce jeune champion de la liberté républicaine. Cette fameuse bataille de Beaugé, dans laquelle le maréchal de La Fayette avait vaincu et tué le père de Henri v et sauvé la couronne à Charles VII, ne fut pas plus célébrée autrefois que ne l'était aujourd'hui la bataille de Brandiwine, où son jeune descendant avait ramené les bandes américaines, et avait été renversé à leur tête de deux coups de feu (*). Depuis le rang le plus élevé, jusqu'aux simples citoyens, on se disputait à qui lui porterait le suffrage le plus flatteur, à qui lui exprimerait la plus tendre bienveillance. Si la reine se faisait peindre en pied pour le général Washington, c'était à la demande du marquis de La Fayette (**). Le roi le faisait passer par-dessus tous ses anciens sur le tableau militaire, pour lui donner un grade égal à

(*) Cette particularité remarquable a déjà été citée page 7. (**) Bien différente en cela de son frère Joseph, dont pourtant les opinions tendaient à la liberté, mais y tendaient par le despotisme, et qui, sur une question assez inconvenante au sujet de ses sentimens sur la révolution américaine, alarma par sa réponse ceux des partisans de cette révolution, qui craignaient l'influence de l'empereur sur Louis xvi. Et vous, monsieur le comte, lui avait-on demandé, de quel parti êtes-vous? - Mon métier, à moi, avait répondu l'auguste voyageur, est d'étre royaliste.

celui qu'il avait eu en Amérique. Des ministres désiraient l'avoir pour adjoint; et on lui montrait d'autant plus d'égards, qu'il témoignait plus de répugnance pour ce qu'il appelait des places de cour. Son buste était inauguré dans la salle de l'hôtel-deville de Paris. Sa femme se trouvait à une audience de la grand'chambre, le même jour que le comte du Nord; et l'avocat-général de la cour de Paris complimentait l'épouse du marquis de La Fayette en même temps que le fils de l'impératrice Catherine. Quel âge, quelle raison eussent été à l'abri d'une séduction dont tout le monde se rendait ainsi complice? Enfin, et c'était là sans doute le dernier caractère de cet enthousiasme si étrange, comme c'était le plus frappant symptôme de la contagion qui menaçait; on vit la jeune et bouillante magistrature des Enquêtes du parlement de Paris rechercher le compagnon d'armes et le disciple chéri de Washington, rêver même aux moyens de se l'associer. Il est constant qu'il y eut des démarches faites pour que le marquis de La Fayette fût conseiller d'honneur au parlement de Paris. Sans doute l'idée antique de revêtir la toge sénatoriale après avoir déposé la cuirasse; le charme nouveau de défendre la liberté par la parole dans le sanctuaire des lois et sur les rives de la Seine, après l'avoir défendue par l'épée sur les bords de l'Ohio, étaient des traits dignes d'entrer dans le roman. La Fayette dut être tenté; mais encore frappé des délibérations flegmatiques du congrès américain, il craignit un

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ridicule s'il se mêlait à la cohue des Enquêtes parisiennes. Il refusa donc d'être conseiller au parlement; mais il se lia dès lors avec quelques uns de ces magistrats, qui, depuis, lui ont reproché d'être moins hardi qu'eux dans la carrière révolutionnaire. Il y eut des conférences. On se formait aux discussions; on rédigeait un corps de doctrine; on dressait des batteries contre les débris de la féodalité qui étaient encore debout. Peu de temps après que la grand'chambre avait condamné au feu l'écrit de Boncerf contre les droits féodaux, les membres influens des Enquêtes se liguaient entre eux pour donner toujours gain de cause aux vassaux dans leurs procès contre les seigneurs. Le marquis de La Fayette avait peu de dispositions à sacrifier la noblesse (*); sa généalogie était belle, et il le savait.... >>

(*) Fausseté, sans parler de la contradiction que ce passage implique avec l'esprit, et même la lettre du morceau. Nous verrons quelle part le général La Fayette prit dans la célèbre discussion des 17 et 19 juin 1790, sur l'abolition de la noblesse.

DEUXIÈME ÉPOQUE.

RÉVOLUTION ET CONSTITUTION FRANÇAISES.

J'EMPRUNTE à un écrivain qui a enrichi de quelques pages remarquables un livre aussi injustement pensé que grossièrement écrit (*); je me plais, dis-je, à lui dérober quelques unes de ces touches profondes et saillantes par lesquelles son génie explorateur et son pinceau brillant ont énergiquement caractérisé la révolution. «< Elle fut si vaste et si longue, dit-il; elle a renfermé une telle complication d'événemens et de personnages; tant de passions dangereuses quoique nobles, ou terribles quoique infàmes, y ont déployé leur enthousiasme et leur frénésie, s'y sont tantôt combattues et tantôt entr'aidées, qu'en s'abandonnant aux spéculations et à la métaphysique, trente écrivains différens peuvent assigner trente causes diverses à cette secousse qu'a éprouvée le monde; et chacun rendra son système plausible.

«La vérité est qu'il y a beaucoup de ces causes dont on peut dire « Sans celle-là la révolution n'eût pas eu lieu; » mais il n'y en a pas une seule l'on puisse soutenir avoir fait à elle seule la révolution.

que

« J'ai observé les événemens avec toute l'attention dont mon esprit est susceptible; j'ai lu tout ce qui

(*) Les Mémoires de WEBER.

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