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et les moyens. Ce sont des politiques qui font peu de cas de la bonne foi, et qui n'auraient pas voulu que la vertu isolée, et conséquemment inutile, selon eux, se commit avec les crimes audacieux et coalisés; mais quand La Fayette osa seul, et le premier, opposer à ces crimes effrontés la sainteté des sermens, pouvait-il soupçonner qu'il serait abandonné par ceux mêmes en faveur desquels il les réclamait?

Voici sa lettre à l'Assemblée, monument qui caractérise l'homme et l'époque, et qui, après s'être montré comme l'avant-scène du 20 juin, semble en avoir décidé les conséquences. Ainsi, par la singularité de sa position, l'homme le plus consciencieusement constitutionnel devint le véhicule du premier choc positif qui ait ébranlé la constitution, et l'occasion prochaine du tremblement populaire qui la renversa.

A L'ASSEMBLÉE NATIONALE.

« MESSIEURS,

<< Au moment, trop différé peut-être, où j'allais appeler votre attention sur de grands intérêts publics, et désigner, parmi nos dangers, la conduite d'un ministère que ma correspondance accusait depuis long-temps, j'apprends que, démasqué par ses divisions, il a succombé sous ses propres intrigues; car sans doute ce n'est pas en sacrifiant trois collègues, asservis par leur insignifiance à son

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pouvoir, que le moins excusable, que le plus noté de ces ministres (*), aura cimenté dans le conseil du roi son équivoque et scandaleuse existence. (**)

« Ce n'est pas assez néanmoins que cette branche du gouvernement soit délivrée d'une funeste in

(*) Dumouriez, qui avait fait renvoyer Roland, Clavière et Servan, après une querelle scandaleuse sur l'emploi secret de 6,000,000, venait aussi de recevoir son congé.

(**) Dumouriez était le commencement d'un grand homme: ardent à concevoir, prompt à entreprendre, rapide dans l'exécution, il savait tout voir à une certaine distance; mais ne savait pas prévoir. Il est des hommes qui ne peuvent être les premiers qu'autant qu'ils ont des seconds. Né roi, Dumouriez aurait été suppléé par des ministres qui eussent fait ce qu'il eût oublié. Il avait plutôt des éclairs de génie, qu'un talent mûri et achevé, Trop prompt pour tout voir, et surtout pour voir tout bien, les seuls avantages d'un plan lui sautaient aux yeux : il dédaignait ou n'apercevait pas les inconvéniens. Confiant dans ses ressources, il changeait un plan mili. taire ou un plan politique, toujours se croyant sûr de maîtriser les difficultés. En six mois, il fut homme à projets, ministre, royaliste, constitutionnel, girondin, jacobin, républicain, général, vainqueur, conquérant, fugitif et proscrit, sans trop se souvenir du rôle de la veille, ni s'occuper beaucoup du rôle du lendemain. En ne lui donnant pas le même rôle à jouer long-temps, la nature et la fortune l'avaient mis à sa place. Il se la marqua parmi les généraux du premier ordre, par sa campagne de l'Argonne, dans laquelle, au milieu d'une combinaison de la plus haute portée, il eut le naïf héroïsme d'avouer une faute. Je ne sais si ce dernier trait ne doit pas lui valoir les titres de grand homme au complet. (M de Toulongeon, et l'auteur de ces Mémoires.)

fluence. La chose publique est en péril; le sort de la France repose principalement sur ses représentans. La nation attend d'eux son salut; mais, en se donnant une Constitution, elle leur a prescrit l'unique route par laquelle ils peuvent la sauver.

« Persuadés, messieurs, qu'ainsi que les droits de l'homme sont la loi de toute Assemblée constituante, une constitution devient la loi des législateurs qu'elle a établis; c'est à vous-mêmes que je dois dénoncer les efforts trop puissans que l'on fait pour vous écarter de cette règle que vous avez promis de suivre.

«Rien ne m'empêchera d'exercer ce droit d'un homme libre, de remplir ce devoir d'un citoyen: ni les égaremens momentanés de l'opinion; car, que sont des opinions qui s'écartent des principes? ni mon respect pour les représentans du peuple; car je respecte encore plus le peuple dont la Constitution est la volonté suprême; ni la bienveillance que vous m'avez constamment témoignée; car je veux la conserver comme je l'ai obtenue, par un inflexible amour pour la liberté.

<< Vos circonstances sont difficiles; la France est menacée au dehors et agitée au dedans. Tandis que des cours étrangères annoncent l'intolérable projet d'attenter à notre souveraineté nationale, et se déclarent les ennemies de la France; des ennemis intérieurs, ivres de fanatisme ou d'orgueil, entretiennent un chimérique espoir, et nous fatiguent encore de leur insolente malveillance.

<< Vous devez, messieurs, les réprimer; mais vous n'en aurez la puissance qu'autant que vous serez constitutionnels et justes.

«Vous le voulez sans doute; mais portez vos regards sur ce qui se passe dans votre sein et autour de vous.

« Pouvez-vous vous dissimuler qu'une faction, et pour éviter les dénominations vagues, que la faction jacobite a causé tous les désordres? c'est elle que j'en accuse hautement. Organisée comme un empire à part dans sa métropole et dans ses affiliations, aveuglément dirigée par quelques chefs ambitieux, cette secte forme une corporation distincte au milieu du peuple français, dont elle usurpe les pouvoirs en subjuguant ses représentans et ses mandataires.

C'est là que, dans les séances publiques, l'amour des lois se nomme aristocratie, et leur infraction, patriotisme : là, les assassins de Desilles trouvent des triomphes (*), les crimes de Jourdan des panégyristes (**); là, le récit de l'assassinat qui a souillé la ville de Metz (***), vient encore d'exci

(*) Quarante soldats du régiment suisse de Châteauvieux, condamnés aux galères pour révolte à main armée, dans laquelle avait péri Desilles, à la bouche d'un canon dont il voulait prévenir la détonnation, furent mis en liberté par décret, et portés en triomphe par les Jacobins.

(**) Chef des assassins de la glacière d'Avignon, et surnommé Coupe-Téte.

(***) A Étampes, le maire Simonneau, voulant faire exé

ter d'infernales acclamations. Croira-t-on échapper à ces reproches, en se targuant d'un manifeste où ces sectaires sont nommés? Sont-ils devenus sacrés, parce que Léopold a prononcé leur nom? Et parce que nous devons combattre les étrangers qui s'immiscent dans nos querelles, sommes-nous dispensés de délivrer notre patrie d'une tyrannie domestique? Qu'importent à ce devoir et les projets des étrangers, et leur connivence avec des contre-révolutionnaires, et leur influence sur des amis tièdes de la liberté ? C'est moi qui vous dénonce cette secte: moi, qui, sans parler de ma vie passée, puis répondre à ceux qui feindraient de me suspecter: "Approchez dans ce moment de crise où le carac«tère de chacun va être connu, et voyons qui de << nous, plus inflexible dans ses principes, plus opi«niâtre dans sa résistance, bravera mieux ces ob<< stacles et ces dangers, que des traîtres dissimu«lent à leur patrie, et que les vrais citoyens savent «< calculer et affronter pour elle.

«Et comment tarderai-je plus long-temps à remplir ce devoir, lorsque chaque jour affaiblit les autorités constituées, substitue l'esprit d'un parti à la volonté du peuple? Lorsque l'audace des agitateurs impose silence aux citoyens paisibles, écarte les hommes utiles, et lorsque le dévouement sec

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cuter la loi sur la libre circulation des blés, fut assassiné dans une émeute. Les constitutionnels lui décernèrent une fête funèbre il fut honní aux Jacobins.

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