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et de sa solidité. La Fayette ne perdit pas le souvenir de ces leçons données en action.

Ce fut dans les grandes manoeuvres de Potzdam qu'il vit, pour la première fois, l'emploi de l'artillerie à cheval: il se promit de l'introduire en France à la première occasion.

Le code philanthropique d'un homme tel que lui devait compter parmi ses chapitres les plus importans ceux qui concernent les classes proscrites de la société. Le vertueux évêque Grégoire s'est fait l'avocat des Juifs et des Nègres; mais dans le patronage de ces derniers, il a eu, dans La Fayette, un devancier et un rival. Dès 1786, après s'être long-temps occupé avec Malesherbes du sort des protestans, il avait tourné tous ses soucis vers l'affranchissement et l'amélioration des Noirs. Nous le verrons bientôt demander que les uns soient réintégrés dans leurs droits civils qu'ils n'auraient jamais dû perdre; et, quant aux autres, il avait, de l'aveu du maréchal de Castries, consacré des sommes considérables à leur affranchissement graduel, à leur amélioration physique et morale. Ce n'est en effet que par des voies douces, lentes et successives qu'on eût pu rappeler aux bienfaits de la civilisation des êtres qui n'en avaient connu que les malheurs. Aux cruels effets du crime qui obscurcissait leur intelligence, en mutilant leurs membres, il fallait substituer une lueur progressive et des soins ménagés qui fissent rentrer à la fois la santé, la vigueur dans leurs corps, la raison expérimentale dans leurs têtes, et

surtout dans leurs âmes, la consolation, l'espérance et la certitude d'un mieux toujours croissant. Ce que j'indique bien sommairement, La Fayette se plaisait à le pratiquer avec les détails que l'humanité inspire; et, quand on saura qu'il fut secondé dans cette œuvre ingénieuse et sublime par une femme à laquelle nulle vertu ne manqua (c'est nommer madame de La Fayette), on ne s'étonnera pas de l'attendrissement qu'on éprouve à ces touchans souvenirs, et que j'éprouve moi-même en les retraçant. Pourquoi faut-il ajouter qu'à la suite des proscriptions du 10 août 1792, la faction qui triompha dans cette journée de La Fayette et de la constitution, remit aux fers et vendit comme esclaves les infortunés qu'il avait achetés à Cayenne pour les appeler à la liberté!

De bonnes actions ou des projets sublimes marquèrent jusqu'en 1786, le noviciat politique du disciple de Franklin, de l'élève de Washington. On croirait qu'il fut inspiré par eux, en formant, sous les auspices de l'ambassadeur américain Jefferson, une ligue contre les Barbaresques; mais, par un renversement de toutes les idées morales, comme de toutes les convenances politiques, les cours de Londres et de Versailles prirent sous leur protection ces pirates, que Louis xiv n'avaient pas craint de châtier, et qui depuis ne furent que trop ménagés par l'amiral Exmouth et par Sydney Smith. (*)

(*) Quoique l'association anti-pirate, fondée par ce com

Ce n'est pas notre faute si une biographie, où la malice et même la curiosité demandent la piquante variété que pourraient y introduire les scènes du vice ou les récits du crime, ne présente que la narration monotone des actions honorables : nous varierons bientôt cette monotonie par la diversité des objets que la révolution française fera passer sous nos yeux. Elle s'annonçait en tout et partout, cette révolution qui devait avoir sur la vie de La Fayette une influence si déterminative. Déjà celles que le patriotisme opérait en Hollande et que la maladresse tentait dans les Pays-Bas, préludaient à la grande catastrophe qui, du centre de la France, devait, en ébranlant l'Europe, changer la face du monde. Afin d'étayer d'un grand nom la rénovation dont ils prenaient l'initiative, les Bataves avaient convoqué La Fayette : c'est ce qu'on peut voir dans une lettre qui lui fut adressée par M. de Saint-Priest (*). Mais le libérateur, qui s'était essayé sur un peuple neuf et dans un pays vierge, allait bientôt être appelé à de plus épineuses destinées : il s'agissait de régénérer une nation vieillie dans ses abus, et d'acclimater à la pure, mais àpre

modore à Paris, en 1815, ait, en 1816, délivré cent cinquante-trois Grecs et trois Autrichiens captifs en Alger, depuis elle n'a rien fait ; et je ne sais même si elle existe encore.

(*) Lettre du comte de Saint-Priest, ambassadeur de France en Hollande, au marquis de La Fayette. Anvers, 26 septembre 1787. (Règne de F. Guillaume, par M. de Ségur, tome Ier.)

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température de la liberté, des hommes étiolés sous la tiède atmosphère d'une civilisation trop avancée. Arrêtons-nous.un instant ici; et, avant d'esquisser ces scènes imposantes, que nos passions ont léguées à l'histoire pour qu'elle en rajeunisse ses tableaux, copions celui qu'une main, qui n'est point sans habileté, quoique souvent elle soit sans justesse, traçait de la situation actuelle des choses. Pour le circonscrire à l'objet qui nous occupe dans ce moment, nous réduirons ce tableau à la personne même du général La Fayette. Dans le jugement qu'en porte un observateur passionné, on démêlera sans peine un avenir que chaque jour, que chaque événement rapproche, et qui, dans sa vélocité, semble n'avoir pas attendu l'existence prophétisée pour vivre dès aujourd'hui.

Après avoir représenté dans la France, heureuse dans son intérieur, puissante au dehors, l'arbitre de l'Europe, le peintre détaille ses couleurs, en particularisant leur objet. « La paix arriva, dit-il, couronnée en apparence de tous les succès qu'on avait pu se promettre de la guerre. Le pavillon français avait maintenu l'égalité; l'armée de terre avait remporté l'avantage. Il n'y avait plus de commissaire étranger à Dunkerque ; la France pouvait fortifier ses places à sa volonté, et les colonies anglaises existaient en république.

Mais, ajoute l'écrivain, auquel, en accordant un talent remarquable et souvent une manière originale, nous ne pouvons toujours accorder l'impar

tialité et le sang-froid; mais cette république était formée par les sujets d'un roi, qu'un autre roi avait aidé dans leur révolte (*). Mais ces armées de terre et de mer, en mêlant leurs drapeaux avec ceux du congrès américain, avaient entendu un langage nouveau, et avaient appris à se parler eux-mêmes. Bientôt le conseil de marine, qui fut tenu à Lorient pour juger les officiers de la flotte commandée par le comte de Grasse, déclara ceux qu'il voulait mettre à l'abri de tout reproche, dignes de l'estime de la nation: formule qu'on peut trouver très simple en elle-même, mais qui cependant était nouvelle en France. Tous ces guerriers, à la fleur de l'âge, qui avaient couru se battre dans le Nouveau-Monde

(*) Est-il bien vrai que les habitans des colonies anglaises fussent sujets du roi d'Angleterre? S'ils l'étaient tous de fait, le plus grand nombre, conquis à une sujétion légale, était-il soumis à une sujétion légitime? N'existe-t-il aucune différence entre les naturels de la métropole, que leurs intérêts ont fait sujets volontaires et profitans, et les colons que l'intérêt de la métropole a fait sujets forcés et souffrans? En d'autres termes, quelles sont, quelles doivent être les relations de la mèrepatrie avec ses filles-colonies; et, s'il arrivait que celles-ci fussent opprimées par une marâtre, quel serait le point qui séparerait la rebellion de l'obéissance, et dans quel jour, pour se légitimer, la révolte recevrait-elle, ou prendrait-elle le nom de révolution? On conçoit qu'il serait intempestif de traiter ici ces questions; il ne l'est peut-être pas de les reproduire; et le lecteur, auquel le sort de l'humanité et l'amélioration de l'espèce ne sont pas indifférens, trouvera quelque plaisir à les agiter entre sa conscience et son jugement.

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