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les sommations, quand même ces violences auraient permis de les faire. On répond qu'à la suite de la première sommation, tentée par simulacre, la municipalité et le commandant ne répondirent d'abord qu'en tirant à poudre, ce qui, après avoir étourdi un instant les révoltés, redoubla bientôt leur audace. On répond qu'avertis par cette décharge comminatoire, les pétitionnaires qui s'opiniâtrèrent à demeurer autour de l'autel, centre de la sédition et son mobile apparent, devinrent à leur tour aussi répréhensibles, et durent subir la chance désastreuse de leur imprudence. Comment distinguer, dans une rébellion flagrante, ceux qui la partagent d'avec ceux qui y sont étrangers, quand la communauté de leur réunion suppose et prouve même, pour le moment, la communauté de leurs intérêts? Il est affreux que des imprudens aient péri; mais il est des cas où l'imprudence, qui pourtant n'est qu'un malheur, doit s'expier comme un crime. Dans celui-ci, la loi, dont on peut blâmer la rigueur, était bien connue; elle se montrait dans tout son appareil terrible: pourquoi avoir continué à la braver? fallait-il qu'elle cédât? fallait-il que ses organes devinssent muets, que ses instrumens fussent paralysés? que M. Bailly, que M. de La Fayette se retirassent? Supposez-le, et calculez, si vous l'osez, les conséquences de l'événement. Il est clair qu'enhardi par un succès qui lui eût rallié les indifférens et les timides, le parti républicain aurait poussé sa première victoire; il est clair qu'il

les en

en eût demandé, qu'il en eût obtenu le prix. Or, ce prix était la chute du trône, ou du moins le procès de Louis XVI. Voilà sans doute ce que voulait l'Etranger, dont les républicains n'étaient que les instrumens, dont les jacobins n'étaient que fans perdus. Voilà ce que ne pouvaient ni ne devaient vouloir un magistrat légal, un général constitutionnel; voilà ce qu'ils ont repoussé en usant, mais en n'abusant pas d'une loi formidable, que les troubles de 1789 avaient provoquée, et qui, quoique déplorable lors de son application dans la funeste journée du 17 juillet (*), n'a été que trop justifiée par les horreurs de 1793, qu'elle eût prévenues si elle avait subsisté.

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N'omettons pas, en finissant le récit de cet événement cruel, la réflexion qu'il fait naître à quiconque suivit la marche de ceux qui ont caractérisé les phases de notre révolution. Elle semblait toucher à son terme, puisque l'Assemblée, occupée à rassembler, dans un ordre systématique, ses lois fondamentales, n'attendait, pour en présenter le code à l'acceptation du roi, que le rapport qui devait déclarer ce prince, sinon étranger à son évasion, du moins irresponsable des suites qu'elle aurait pu avoir. C'était pour la première fois qu'on

(*) Le nombre des victimes, exagéré jusqu'à quatre cents par Ferrières, est réduit par Bailly à celui de dix à douze. Prud'homme et Wéber l'ont porté plus vraisemblablement à quarante.

agitait à fond la question de cette sublime fiction politique, l'inviolabilité royale, pivot nécessaire du gouvernement représentatif, dont la responsabilité ministérielle est la garantie obligée; et, dans cette discussion, où Barnave et les Lameth ouvraient des aperçus nouveaux, Duport établissait des principes incontestables, qu'appuyait d'exemples récens le général La Fayette. Ainsi l'on touchait au cœur de l'organisation sociale. La faction de l'Étranger avait besoin qu'elle se terminât sous de funestes auspices et dans des jours d'orage, afin de s'en prévaloir dans la suite contre elle. C'est la pensée de M. de Toulongeon, qui ajoute : « Le caractère de M. de La Fayette le tenait si peu en garde contre les ruses et les menées étrangères, et Bailly était si simplement l'homme de la loi, que l'un et l'autre, peut-être, ont été les instrumens de leurs ennemis secrets, qui se ménageaient d'avance contre eux des moyens de vengeance et d'accusation. >>

Pendant cette dernière rédaction de l'acte constitutionnel, La Fayette combattit le projet qui interdisait pour trente ans à la nation le droit de modifier ses lois fondamentales; cette faculté que, dans le système admis de la souveraineté nationale, on ne saurait contester au peuple, fut seulement soumise à une organisation légale qui en prévenait l'abus en en réglant l'exercice. (Voyez le titre de la Constitution de 1791.)

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Tandis que l'Assemblée continuait d'imprimer un mouvement d'unité et d'égalité à tous les res

sorts du nouvel ordre qu'elle avait créé, ses comités de constitution et de révision achevaient de coordonner les différentes parties de ce magnifique édifice, qui, malgré ses imperfections inévitables, nous assurait à jamais le bienfait d'un gouvernement représentatif. Ce ne sera pas même un hors-d'oeuvre de remarquer ici que, malgré la tourmente des factions, malgré l'ambition ou les projets rêveurs des partis, malgré cette brillante période de despotisme et de gloire qui, comme un météore, a illuminé la terre des Français affranchis; il est à remarquer, dis-je, que ce système de représentation publique, qui garantit toutes les libertés, n'a pas cessé un instant d'être l'objet de nos efforts, comme il en sera le terme et la récompense. Je regarde comme une école expérimentale les trente années qui viennent de s'écouler : durant leur cours, quelquefois si lent, quelquefois si précipité, le pouvoir et la liberté ont toujours été en présence; et c'est au spectacle de leur lutte, plus ou moins heureuse, que nous avons commencé notre éducation politique. Elle est loin, sans doute, d'être terminée; mais de 1649, époque du premier réveil de l'Angleterre à l'indépendance, jusqu'à l'adoption régulière de son gouvernement constitutionnel, il s'est écoulé près d'un demi-siècle : nous consommerons moins d'années que nos devanciers, et nous deviendrons plus libres qu'eux. C'est ce que sentirent vivement et, en quelque sorte, ce que prophétisèrent Thouret et La Fayette, le premier en

faisant, au 5 août 1791, la lecture de l'Acte constitutionnel; le second, en proposant de le soumettre à l'acceptation du roi.

« Messieurs, disait Thouret, la nuit dernière était l'anniversaire de l'époque à jamais mémorable où tant d'abus furent renversés; la séance actuelle est l'anniversaire de celle où vous commençâtes à poser les premières bases de l'édifice qui s'achève; c'est à l'expiration juste de la seconde année de votre session que votre comité vient vous présenter le produit de vos travaux (*). Ils sont imparfaits, sans doute, c'est le caractère de toute œuvre humaine; mais aussi son avantage est de recevoir du temps et de l'expérience l'achèvement qui lui manque. La vôtre est confiée à la fidélité du corps législatif, du roi et des juges, à la vigilance des pères de famille, aux épouses et aux mères, à l'affection des jeunes. citoyens, au courage de tous les Français. » (**) La Fayette, à la suite de cette lecture, écoutée dans un silence religieux, s'exprimait ainsi :

<< Depuis long-temps, messieurs, les vœux du peuple appellent cet Acte constitutionnel qui, formé d'après la mesure des lumières actuelles, n'admet plus de délais utiles, et que tout nous invite à fixer. C'est lorsque tant de passions combinées s'agitent autour de nous, qu'il convient de proclamer ces

(*) Choix de Rapports et Opinions prononcés à la Tribune nationale, et recueillis par M. Lallement, tom. v. (**) Acte constitutionnel de 1791.

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