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paye; enfin il arrête la désertion en parlant à l'honneur et à l'affection des soldats, et en faisant de leur renvoi la plus mortifiante punition.

Bientôt il gagne à marches forcées Richmond, capitale de la Virginie, où étaient les magasins, et où il arrive quelques heures avant l'ennemi. Lord Cornwallis, très supérieur en nombre, et maître de la navigation intérieure, venait d'écrire à Londres que l'enfant ne pouvait lui échapper; mais, après cinq mois d'une campagne qu'il faut bien se garder de juger par comparaison avec celles dont nous avons été témoins, l'enfant échappa. Le résultat de celle-ci, dont l'adresse, la patience et le temps composent les élémens déterminatifs, fut d'éviter une bataille, de former des jonctions, de garantir les magasins, et, après une suite de manoeuvres et quelques actions partielles, d'enfermer lord Cornwallis et son armée dans une position calculée d'avance avec une assurance qui demandait à être justifiée par l'événement pour ne pas être taxée de témérité. Cette position était en effet la plus favorable pour que le comte de Grasse, à son arrivée des îles, pût la bloquer par iner; tandis que La Fayette, renforcé par trois mille Français débarqués sous les ordres du marquis de Saint-Simon, prenait à Williamsbourg une position que lord Cornwallis réputait inattaquable. Grasse et Saint-Simon pressèrent La Fayette d'attaquer; mais, ajoutent les notes dont nous tirons ces documens, sûr que son adversaire ne pouvait échapper, il voulut épargner le sang, et attendit

Washington qui amenait le corps de Rochambeau et la division de Lincoln. Une redoute ennemie fut alors attaquée par La Fayette et enlevée à la baïonnette par son artillerie légère; tandis que les grenadiers français en prenaient une autre sous les ordres du baron de Viosménil. La capitulation de York-Town (octobre 1781) décida le sort de la guerre.

Nous continuerons à extraire des renseignemens de nos notes confidentielles. Revenu en France sur une frégate américaine, La Fayette est associé à la grande expédition de Cadix, où il conduit de Brest huit mille hommes. Le comte d'Estaing, commandant les troupes et la marine de France et d'Espagne, doit attaquer la Jamaïque avec soixante-six vaisseaux et vingt-quatre mille hommes La Fayette est nommé chef de l'état-major des armées combinées. De la Jamaïque, il devait se porter devant NewYork; et, avec six mille hommes, aurait entrepris, par le fleuve Saint-Laurent, la révolution du Canada. La paix, en suspendant ce projet, arrêta le départ. La Fayette en envoya les premières nouvelles au congrès, et partit lui-même pour Madrid, où il était appelé par le chargé d'affaires américaines, et où huit jours suffirent pour renouer des relations politiques trop long-temps interrompues.

Quelque temps après, il se décida à visiter, comme le meilleur de leurs amis, ces États-Unis qu'il avait défendus comme le plus vaillant de leurs généraux. Partout, son arrivée excita l'enthou

siasme, et sa présence provoqua des fêtes. Son nom, donné à plusieurs forts et à deux comtés, était répété par toutes les bouches, et imposé, sur les fonts baptismaux, à une foule d'enfans qui naissaient libres par lui. Celui du grand Washington fut donné, comme en échange, à Georges La Fayette, fils aîné du général et filleul du premier président des Etats-Unis; et la première fille de La Fayette reçut la douce appellation de Virginie. C'est ainsi que ce peuple neuf et sensible ne craint pas d'amollir la langue politique par le dialecte du sentiment.

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Il assista à un traité avec les sauvages des quatre nations, et l'influence de celui que, sous le nom de KAYEWLA, ils révéraient comme un père, en hâta la conclusion. (Voyez la re série des Pièces justificatives). Reçu en cérémonie dans la salle du congrès, il répondit par un discours dont on a conservé les derniers mots : « Puissent la prospérité et le bonheur des États-Unis faire connaître les avantages de leur gouvernement ! puisse ce temple immense que nous venons d'élever à la Liberté présenter à jamais une leçon aux oppresseurs, exemple aux opprimés, un refuge pour les droits du genre humain, et un objet de jouissance pour les mânes de ses fondateurs! » Après avoir refusé une dotation territoriale, assise dans les cantons les plus fertiles, il fut contraint de permettre que son buste fût inauguré au capitole de l'État de Virginie : depuis, cette même image, offerte par le même État à la ville de Paris, fut placée dans la salle des

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électeurs de 1789, devenue aussi le premier temple de notre liberté. (Pièces justificatives.)

De retour en Europe, cet homme dont la réputation militaire remplissait les deux mondes, comprend que son éducation politique est à peine ébauchée. Qu'a-t-il vu en Amérique? de l'industrie, et avec le petit nombre de torts qui l'accompagnent, presque toutes les qualités qui l'honorent ; l'opiniàtreté de l'indépendance, premier fruit de la propriété, et les vertus de famille, résultat de l'isolement. Qu'aura-t-il à voir sur ce vieux continent que la civilisation, qui commence par polir, a fini par corrompre et par user? Il y trouvera tous les crimes que la cupidité enfante, tous les vices que la politesse farde, tous les ridicules moqués l'un par l'autre et excusés par tous. Il y trouvera des princes dévorés de passions bourgeoises, des citadins orgueilleux comme des seigneurs, des prélats qui visent à la pourpre, des curés de villages qui rêvent aux évêchés. Il y trouvera la multitude qui travaille, qui souffre et qui maudit; la minorité qui s'ennuie en jouissant, et qui, pour se désennuyer, se donne le spectacle des infortunes qu'elle cause. Enfin, il y trouvera que tous sont mécontens, parce qu'en effet personne n'est à sa place, et que de ce malaise général résulte un désir de le voir terminer, désir bien voisin de la fermentation qui en amenerait le changement. Pourtant, malgré cette inquiétude vague qui travaille les sociétés, elles cheminent à travers les âges, et voyent se développer,

avec une population toujours croissante, la prospérité dont elle est l'instrument. C'est qu'en effet, quoiqu'à la veille d'une explosion, jamais la société n'a renfermé plus d'élémens actifs; jamais la science sociale ne les a employés avec plus d'art et de profit. Heureuses les nations, si, au lieu de favoriser les passions sensuelles, cette économie n'eût été employée qu'à les diriger!

C'était le noble but que se proposaient Joseph II et le grand Frédéric, lorsque La Fayette leur fut présenté (1785). Il était recommandé à ces princes par des actions contraires peut-être à leurs intérêts, mais analogues à leurs sentimens ; et les opinions républicaines qui singularisaient l'élève de Washington, et qui avaient fait sourire à la cour de France, ne pouvaient blesser deux souverains qui allaient à la république par le despotisme. En effet, quel spectacle offrait la Prusse à cette époque? celui d'une démocratie militaire, dominée par un génie politique; et celui d'une partie des États autrichiens ne présentait-il pas la lutte des principes contre les préjugés? Mais Frédéric et Joseph, qui livraient à ceux de leurs nations une guerre sans relâche n'étaient-ils pas gouvernés eux-mêmes par les préjugés d'une réforme intempestive? L'un ne pensait qu'au triomphe de sa philosophie novatrice; l'autre semblait avoir oublié qu'il lui fallût un successeur. Aussi, du premier choc, sa monarchie artificielle est tombée; et quant à celle que voulait constituer Joseph, les événemens ont décidé de sa consistance

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