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du crime. La lutte engagée dure long-temps. Mais la multitude qui, au dehors, frémissait de fureur et d'impatience; cette multitude, que des apôtres de l'anarchie excitaient à continuer la révolte, et que toute la prudente fermeté de La Fayette et de la garde parisienne contenait difficilement; cette multitude ne consent à retourner aux lieux d'où elle fut amenée, qu'après avoir entendu le roi promettre, du balcon de la cour de marbre, d'aller, ce jour même, fixer sa résidence à Paris. « Aussitôt, ajoute l'auteur de la Revue chronologique, cette abjecte populace fait retentir les airs de ses acclamations. Elle commence à s'éloigner, mais emportant, comme trophées de son expédition, les têtes sanglantes des deux défenseurs de la reine. >> Notons ici, pour l'honneur du peuple de Paris auquel d'ailleurs reste le reproche de la sédition ; notons qu'étranger à cet horrible assassinat, il ne le fut pas moins au triomphe cannibale qui le suivit. Les têtes des nobles victimes partirent quelques heures avant le cortége royal: elles n'étaient entourées que d'un petit groupe de forcenés, vers lesquels la curiosité attirait d'abord les voyageurs et les passans, aussitôt repoussés par une horreur mêlée de pitié et par l'effroi.

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Nous croyons La Fayette, non seulement exempt de tout blame dans une circonstance si critique, mais digne des plus grands éloges. Comme nous l'avons établi plus haut, il fallait peut-être qu'armé d'une défiance plus sévère et plus tenace, il ne

cédât point aux vœux de la multitude et n'autorisât pas, en marchant à sa suite, le voyage de Versailles. Resterait pourtant à examiner si ces vœux, qui se manifestaient sous la forme et par les cris d'une fureur impérative, pouvaient être conjurés, refusés même durant plus de huit heures : car autant dura la résistance. Quant aux deux heures de sommeil, qu'une haine aussi stupide qu'opiniâtre a tant reprochées à La Fayette, l'histoire l'en absout. De la veille, dès le matin, il était à cheval: il il y avait passé toute la journée à circuler dans les groupes des séditieux, dans les rangs de la garde nationale, à les calmer, à les haranguer: Il venait de faire le voyage le plus pénible, et dans un chemin assez court, le trajet le plus long. C'est ici qu'éclatent la mauvaise foi, l'ingratitude, la déraison obstinée de ses adversaires : ils ne le louent point, ils comptent pour rien d'avoir, par d'héroïques efforts, arraché vingt victimes aux bourreaux; ils ne le louent point d'avoir rétabli l'ordre inté rieur du château, où le désordre avait pénétré avec l'épouvante; ils ne le louent pas d'avoir distribué à la garde parisienne les postes délaissés de l'exté→ rieur, où la mort pouvait être le prix d'un dévouement gratuit; ils ne le louent point d'avoir rassuré le roi, calmé ses conseillers, protégé, sauvé la reine, et garanti la famille royale, non seulement du dernier attentat, mais de toute atteinte personnelle; mais ils le blâment d'avoir cédé durant deux heures à la nature épuisée par tant de longues fati

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gues réunies; ils le blâment d'avoir été chercher, à l'hôtel de Noailles, le lit sur lequel il reposa tout habillé, et que l'étiquette (qu'elle est dérisoire dans une telle crise!) lui fit refuser dans l'antichambre du roi. Qui ne voit que si La Fayette eût occupé ce poste, dû à sa fidélité autant qu'à son rang; qui ne voit que si ceux de l'intérieur eussent été remplis par la milice citoyenne, jamais le 6 octobre n'eût vu de scènes sanglantes? Cependant naguère, l'insigne mauvaise foi imprimait encore, en lui reprochant cette lamentable époque : Où était La Fayette? il dormait !

Louis XVI fut plus juste, et la postérité répétera les témoignages de satisfaction que ce prince donna au général. La reine aussi s'exprimait à cette occasion avec une juste reconnaissance. Malgré des préventions postérieures, pouvait-elle avoir oublié que dans la plus grande violence de la tourmente populaire, ayant été appelée impérativement sur le balcon, elle y parut, d'abord avec ses enfans et avec dignité, puis sans ses enfans et pleine d'un trouble mal déguisé? Ce fut à cette minute décisive (et ici minute est le mot propre), que La Fayette se présenta immédiatement après elle; qu'au milieu des clameurs, qui des vociférations insultantes commençaient à se tourner en applaudissemens, il prit la main de la reine, et avec un sourire qui acheva de désarmer la foule, il baisa respectueusement cette main tremblante dans la sienne. C'était à la fois le signal et le gage de la réconciliation. Les

battemens de main, les trépignemens de la joie éclatèrent de toutes parts, mêlés à des cris de bénédictions. La reine tourna vers le général ses yeux baignés de larmes : il y put lire, avec une profonde émotion, une sincère reconnaissance. Dans madame Élisabeth, cette reconnaissance a survécu à l'événement. Au Temple même, cette bonne princesse répéta plus d'une fois que la famille royale devait la vie à M. de La Fayette. (Voyez les Pièces justificatives, deuxième série.)

Après la translation du roi à Paris, la commune ordonna des recherches contre les auteurs de l'attentat des 5 et 6 octobre. Le Châtelet informa. Le nom de Mirabeau, celui du duc d'Orléans furent singulièrement compromis; et ce ne fut qu'un an après, qu'à la suite du rapport apporté à la barre de l'Assemblée nationale par le procureur du roi Boucher d'Argis, l'Assemblée entendit celui de Chabroud, l'un de ses membres, relatif à ce grand événement. On n'a pas oublié que les deux dénoncés furent renvoyés de toute accusation. Mais, sur le moment même, « La Fayette, dit M. de Ségur, dans une conférence très impérieuse d'une part, très timide de l'autre, fit entendre au duc d'Orléans qu'il devait s'éloigner du royaume. »

Par un concours singulier, ce fut le 6 octobre même que se tint la première séance de cette société à jamais fameuse, qui, sous le nom de Club des Jacobins, envahit peu à peu d'abord toute l'influence populaire, puis toutes les autorités politi

ques, et enfin toute la puissance nationale. Elle eut pour noyau le Club Breton formé à Versailles par les députés de la Bretagne, lesquels, après avoir lu et médité les gazettes du jour, se rassemblaient pour préparer les travaux du lendemain. Le principal mobile de cette association fut la Propagande, c'est-à-dire ce système de correspondance, d'affiliation, de prosélytisme et d'apostolat, qui de Paris, son chef-lieu, s'étendait, non seulement dans toutes les villes du royaume, mais envahissait jusqu'au plus petit hameau. Chaque localité avait son club appelé société populaire, au moyen de laquelle la doctrine révolutionnaire pénétrait partout. C'est de ces sociétés que sortirent aussi, durant près de quatre années, toutes les autorités administratives, judiciaires et extraordinaires. Collectivement, la Propagande prit ou reçut le nom de Club des Jacobins, du local que la société mère occupait rue Saint-Honoré : (maintenant le marché de ce nom). Jadis, ce même local avait retenti des prédications fanatiques des Ligueurs ; et ce n'était la première fois qué les voûtes de Saint-Dominique répétaient les clameurs de l'anarchie et les appels au régicide.

pas

Ce ne fut que le 12 mai suivant que La Fayette et Bailly, effrayés du développement des jacobins, et plus encore de leur doctrine éversive de toute èxistence sociale, tentèrent de leur opposer une société rivale. Sous le titre de Club des Feuillans, cette réunion composée d'hommes modérés par ca

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