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figures, à leur costume, à leur langage, et des femmes, la lie et la honte de leur sexe, prennent la route de cette résidence royale. Toute la journée, Paris jette sur Versailles des masses de prolétaires, furieux et déguenillés. ›

La Fayette, requis par la commune, rassemble la garde nationale; il la harangue, il la fait manœuvrer. C'est vainement qu'il parcourt les rangs pressés, ou plutôt les groupes tumultueux de la horde qui forme l'émeute; des clameurs homicides, les cris à Versailles! des menaces personnelles répondent à ses exhortations. Vers quatre heures, il sollicite, il reçoit de la commune l'ordre de marcher, et part avant la nuit. Le poste du danger était sans doute le sien, et il l'occupa avec dévouement, comme sans ostentation.

On a reproché à ce général des erreurs systéma→ tiques; et chacun des partis qui, en prétendant qu'il aime le mieux la France, semble se disputer à qui la troublera, l'agitera davantage, chacun de ces partis lui impute, l'un les malheurs du roi, l'autre ceux des patriotes. La Fayette, jusqu'ici, n'a répondu à aucune incrimination; et, méritées ou non, c'est à sa conduite, c'est aux faits exposés de bonne foi et accueillis sans prévention, qu'il en appelle. Cette noble attitude laisse à son historien. une entière liberté d'opinion et de jugement. J'en ai usé pour le louer en conscience; et c'est aussi selon ma conscience, que quelquefois j'en pourrai parler autrement; par là, du moins, j'aurai quelque

ressemblance avec Tacite, qui, parmi les nombreuses vertus d'Agricola, n'a pas craint de montrer quelques ombres.

Dans cette circonstance, par exemple, La Fayette, pénétré de l'importance de ses fonctions, de l'influence de sa popularité, du nombre et des intentions de la garde nationale, ne part (tout le manifeste ostensiblement) qu'avec la presque certitude de contenir la malveillance, de redresser le faux zèle, de diriger le zèle aveugle, de prévenir les attentats, et, par la conservation des jours les plus précieux et les plus sacrés, de soustraire la nation au crime médité par une de ses fractions en délire. Il y a beaucoup à louer dans ce calcul : il y aurait peu à blâmer dans la conduite qui en fut la suite; mais les intentions les plus honnêtes sontelles toujours les plus avantageuses? et manquer de pénétration, peut-être même de fermeté, dans une occasion où elles sont toutes la fortune, n'estce pas mériter que, parmi ses faveurs, elle mêle quelques disgrâces?

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Tout, dans les résultats des 5 et 6 octobre, proclame La Fayette le libérateur de la famille royale, le sauveur du roi, le conservateur de l'honneur national et de la tranquillité publique. Toutefois l'histoire, qui ne juge pas toujours des faits par leur forme, pourrait, sans trop de sévérité peutêtre, proposer quelques doutes sur la confiance montra le général à des bandits qui la méritaient si peu.

que

Elle pourrait, en thèse générale, lui faire observer que plus cette confiance dût être en apparence sans réserve, moins elle devait l'être en réalité. Si jamais dissimulation fut permise; que disje! si elle fut prescrite, n'est-ce pas avec ces masses sensibles et inintelligentes, sur lesquelles la moralité a peu d'action, et qui confondent si aisément ce que la justice permet avec ce que leur passion

commande?

L'histoire dirait au général des 5 et 6 octobre, que l'importance de son poste ne devait point se mesurer à sa propre renommée et à ses talens personnels, mais à l'influence réelle qu'ils exerçaient sur les hommes soumis à son commandement. Or, cette influence avait produit son immense popularité; mais, n'ayant pas jusqu'alors métamorphosé en vaillans soldats de paisibles bourgeois, elle ne pouvait obtenir d'eux que d'excellentes intentions, trop souvent contrariées par beaucoup d'incapacité. Moins d'abandon, causant, par l'effet contraire, plus de fermeté dans le général, eût-il aussi produit plus de retenue dans les insurgés ? je l'ignore; mais, pour que cette retenue eût été véritablement efficace, il me semble qu'il aurait fallu que, par elle, l'insurrection, ou plutôt l'émeute, fût neutralisée, fût dispersée, fût anéantie. Quel devait être le seul but du général, son but unique, exclusif? d'empêcher le voyage de Versailles. Ne le put-il point, ou ne le pouvait-il que par une sévérité, périlleuse pour la circonstance, et sur

tout disparate, tant avec son caractère qu'avec le terme auquel marchait la révolution? Il n'a pas mal fait d'agir comme il a agi: on voit, et il reste prouvé qu'il a fait ce qu'il y avait de mieux et surtout ce qui était possible. Les censeurs ont donc tort contre celui qu'absolvent à la fois le patriotisme et la raison.

Tandis que les premiers flots de la populace inondent la grande avenue de Versailles, Louis XVI, quoique prévenu dès le matin, chassait. A la nouvelle de cette irruption, qu'on lui dit être formée par des femmes, et qu'il ne peut croire dangereuse, il ordonne, il se hâte d'ordonner à ses gardes et aux autres corps rangés en avant du château, de se replier et de se retirer dans leurs quartiers. Ces ménagemens qui, de la part de la force, auraient pu être admirés comme généreux, sont, dans la situation actuelle de la cour, attribués à la faiblesse : ils enhardissent l'insolence des séditieux, et bientôt les encouragent aux atrocités. Assaillis par eux, les gardes du corps leur échappent avec peine, et ne peuvent dégager des mains meurtrières dix à douze d'entre eux qui sont immolés.

La Fayette n'arrive que vers dix heures du soir, et ne pouvait arriver avant. Après avoir disposé des postes abandonnés de l'extérieur du château, il éprouve, de la part des commandans des gardes du corps, le refus de céder, ou du moins de partager avec la garde nationale les postes de l'intérieur. Et quelle objection, dans un péril si immi

nent, oppose-t-on au dévouement de la milice citoyenne? l'étiquette!

La nuit semble avoir suspendu la fureur des forcenés : ils paraissent se livrer au repos. Tout est tranquille, tout dort ou feint de dormir. Le crime veillait cependant.

Quelques scélérats d'élite, ont écrit des historiens qui se disent instruits, étaient loin de s'abandonner au sommeil. Des guides travestis (*) les introduisent avant le jour dans le château. D'autres annalistes ont assuré, qu'ayant franchi les jardins, ils étaient entrés par une porte non gardée (**). Quoi qu'il en soit, ils se répandent dans les vestibules, en proférant des imprécations contre la reine. Deux gardes du corps, en faction près de son appartement (Varicourt et d'Assas), sont égorgés; la résistance de quelques autres lui laisse le temps d'échapper à demi vêtue au poignard des assassins, qui parviennent jusqu'à son lit. Madame Campan, témoin oculaire, atteste que ce lit ne fut point percé de coups de pique, comme on l'avait assuré. A ce tumulte, que la garde nationale ne pouvait empêcher (puisqu'elle occupait les postes extérieurs jadis tenus par les gardes françaises); que La Fayette ne pouvait prévenir, ils accourent; et, avec une ardeur digne du souvenir reconnaissant de la postérité, ils repoussent les émissaires

(*) Revue chronologique, pag. 53.

(**) M. de Ségur, Histoire de Frédéric-Guillaume.

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