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mieux dire derrière eux, se grouppaient, non de rustiques pasteurs vivant habituellement sous le chaume, parlant le langage qu'on y parle, et connaissant les misères qu'on y éprouve, mais des prélats fastueux qui soupiraient au souvenir de leurs grasses et nombreuses abbayes; non de vieux guerriers cicatrisés à Minden et à Fontenoy, mais de jeunes colonels dont une partie de billard, ou l'adresse au tir, avaient décoré la poitrine efféminée; non des sénateurs héritiers du talent, de la conscience, du courage des De Thou, des Molé, des Du Harlay, mais des conseillers imberbes, mais des criminalistes opiniâtres, dont les uns, machines dociles sous la main des autres, croyant rappeler l'ordre, invoquaient les préjugés. Aux clameurs de cette opposition, nulle par le nombre, remarquée par l'importance qu'elle se donnait, l'émotion de la France, de profonde, de concentrée qu'elle était, devint immense, turbulente, prête à passer aux effets. Imaginez un amas de combustibles : l'imprudente, la coupable main du despotisme assailli, prétend repousser l'attaque en y mettant le feu. Mais la France périra, mais l'État sera renversé ! qu'importe ! pourvu que les intérêts froissés, que l'orgueil qu'on humilie, que les abus dont on a commencé la ruine, pourvu qu'ils soient vengés !... Un mouvement général opéré dans les camps qui dominent, qui menacent Paris, ne laisse aucun doute sur la perversité de ces intentions. L'Étranger, sans doute, en échauffait, en attisait l'ardeur. Nous le retrouvons partout où

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y eut un crime à commettre. Celui-ci, le plus énorme de tous, comme il en était le plus décisif, ne fut que projeté. La Providence, dont les rois se disent les lieutenans, mais qui ne seconde pas toujours les desseins des rois, la Providence favorise quelquefois les efforts des peuples. Ne leur doit-elle pas son secours, lorsqu'ils tentent de reconquérir le premier des biens dont elle les a dotés, la liberté?

Les faits s'accumulent, les événemens se pressent, et les sentimens avec eux. Dans ce chapitre, où nous avons d'abord déposé le germe des uns et des autres, il faut maintenant devenir succinct en relatant les premiers, et sobres dans le commentaire qu'ils provoquent. Réservons pour la suite l'intérêt des développemens. Celui qu'il est juste d'exciter ici ne doit plus concerner que M. de La Fayette.

Je viens de rappeler que des troupes nombreuses menaçaient Paris. Mirabeau, dans une éloquente philippique, demande leur renvoi à l'Assemblée; il le prescrit aux ministres dans l'immortelle adresse par laquelle il le sollicite du roi. L'Assemblée, remuée, n'avait pourtant point porté le décret. Le plus grand de ses orateurs l'avait provoqué; elle voulait l'accorder au plus vertueux de ses membres La Fayette parla et l'obtint.

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C'est ici que nous regrettons la concision que nous venons de nous prescrire. Comme nous, nos lecteurs voudraient connaître en détail tout ce qui concerne la Déclaration des Droits : il faut ajour

ner nos explications et leur curiosité. Un chapitre spécialement consacré à cette matière importante pourra bientôt les satisfaire. Qu'il leur suffise de savoir que, dès le 11 juillet (1789), La Fayette proposa à la France, qui se régénérait, une Déclaration des Droits analogue à celle de l'Amérique régénérée; ce fut la première et la plus simple. (Voyez les Pièces justificatives de la 2o série.) Nous en examinerons le mérite, l'application et l'à-propos.

Les dangers croissaient pour l'Assemblée nationale, et le courage de l'Assemblée nationale croissait avec eux. Nommé vice-président durant cette crise violente, où, sous l'oeil et malgré les efforts du despotisme, la patrie enfantait la liberté, La Fayette présida pendant les nuits terribles des 13 et 14 juillet. Ce fut, pour ainsi dire, au bruit de la Bastille croulant sous le canon des Parisiens, qu'il fit décréter la responsabilité des ministres : signalant, par cette innovation introduite dans nos institutions constitutionnelles, l'existence du système représentatif, qui reçoit d'elle sa garantie et sa perpétuité.

Aux périls d'une crise décisive, venaient de succéder les troubles causés par les partis en présence, Dans celui des vainqueurs se glissaient les hommes de proie et de sang auxquels l'étranger avait commandé ces excès qui souillèrent les premières palmes de la liberté. Ils voulaient la déshonorer, afin d'en dégoûter un peuple fier et délicat. Chef d'une dé

putation de soixante députés, La Fayette se transporta à Paris le 15 juillet. A la multitude frémissante encore de ses périls récens et de son triomphe inattendu, il fit entendre la voix sévère du reproche, tempérée par des accens plus doux. C'était apporter la lumière et l'ordre au sein du chaos. La turbulence s'apaise avec l'irritation. Les mouvemens prennent comme d'eux-mêmes une direction et un objet. Celui de conquérir la liberté dut être le premier; on sentit, l'on comprit qu'il y en avait un second, plus important peut-être, ou du moins plus sérieux et plus durable, celui de la conserver. Dans cette foule bizarrement armée, il y avait tous les élémens d'une garde régulière. Cette pensée illumina cent mille hommes à la fois; et l'on peut assurer, qu'animés par une seule volonté comme par un seul besoin, la garde nationale se créa d'ellemême.

Un maire n'avait pu être élu, il venait d'être proclamé ce fut le sage Bailly, depuis si infortuné. La puissance civile avait un chef et un organe; il s'agissait d'en donner aussi à l'autorité militaire. Il fallait plus : il fallait lui imprimer une direction, lui indiquer un centre, la douer d'une âme. D'abord, le marquis de La Salle fut proposé; mais des soupçons, bien injustes toutefois, avaient laissé sur lui je ne sais quelles idées louches. En révolution, non seulement il faut être pur, mais il le faut paraître. Dans l'anxiété que donnait cette circonstance à la nouvelle commune, elle délibérait,

et les minutes, si précieuses dans les crises, se consumaient à trouver, à analyser les inconvéniens. Cependant, en cherchant les moyens d'y parer, ils augmentaient. Un buste, placé dans un angle de la salle, offrit au spirituel et courageux Moreau de Saint-Méry l'expédient le plus naturel, le plus heureux à-propos. Ce buste était l'image du vainqueur de Cornwalis, du pacificateur d'York-Town, de l'élève, de l'émule, de l'ami de Washington. Moreau l'indique du doigt : tous les yeux se lèvent sur lui; il fut proclamé par toutes les voix. C'est du 15 juillet que date son élection : elle était légitime, puisque le peuple, rentré dans ses droits, l'avait faite; elle devint légale, dès que le roi, éclairé sur ses vrais intérêts, l'eut confirmée.

De ce moment commencèrent, avec la fondation de cette célèbre garde nationale, l'organisation, la régularité, la discipline que lui donna son chef. Nous aurons occasion de l'examiner dans ses divers rapports; celui sous lequel elle dut être principalement envisagée l'honorera à jamais. Elle venait de conquérir la liberté sur le pouvoir; elle fut instituée pour défendre le pouvoir contre la licence, et les droits du peuple contre l'usurpation. La prise de possession du commandant général fut l'ordre de démolir la Bastille dès le 16, cet ordre fut expédié et son exécution commencée.

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Le réveil du peuple épouvantait la cour. Déjà fuyaient les ministres prévaricateurs, les favoris déprédateurs, les princes effrayés; et pourtant ce

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