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« Considérant que l'abolition du régime féodal exclut pour l'avenir les aliénations à titre d'accensement, que, d'après ce principe, le Corps législatif ne doit plus autoriser, dans les actes translatifs de propriété, la stipulation d'aucuns droits ou profits de mutation, ni d'aucunes clauses qui présentent l'aspect des anciennes conditions et charges féodales;

«Considérant que, dans ces circonstances, il est nécessaire de statuer sur le mode d'exécution des lettres patentes de 1784, quant aux objets restant à aliéner, et de déterminer les conditions que le prince imposera aux acquéreurs, tant pour tenir lieu de la rente censuelle que pour compenser les profits casuels qui ne pourront plus être réservés, décrète ce qui suit:

« Art. 1er. Louis-Philippe-Joseph, prince français, pourra continuer les aliénations qu'il a été autorisé de faire par les lettres patentes du mois d'août 1784, et la loi du 20 mars 1791, sous le titre de ventes pures et simples, en imposant aux acquéreurs l'obligation d'une rente foncière et apagnère de 7 1. 19 s. par toise de terrain, exempte de toute retenue et imposition prévue ou imprévue, rachetable au denier 20.

« Art. 2. Au moyen de ce que l'indemnité ou remplacement du produit des droits casuels se trouvent confondus dans la rente fixée par le précédent article, les acquéreurs ne pourront être assujettis à aucuns droits de mutation, et il ne sera fait réserve d'aucune directe, tenure, ou mouvance quelconque.

« Art. 3. Lorsque les acquéreurs voudront s'affranchir desdites rentes, ils seront tenus d'en verser le capital sur le pied fixé par l'article 1er du présent décret, entre les mains des commissaires du roi, régisseurs des domaines nationaux, conformément aux lois rendues sur les rachats et amortissement des rentes dues à la nation.

«Art. 4. En cas d'amortissement, la nation demeurera chargée des rentes envers le prince et ses descendants, et elle les acquittera sur le même pied que les acquéreurs auraient été tenus de le faire, tant que l'effet de la loi du 20 mars 1791 subsistera.

Art. 5. Les conditions portées par les précédents articles seront énoncées dans tous les contrats passés en exécution du présent décret, afin que les droits hypothécaires de la nation demeurent expressément conservés.

«Art. 6. Le prince sera tenu de remettre aux Archives nationales une expédition en forme de chaque contrat, au plus tard dans le mois de sa date.

Art. 7. Il déposera également aux Archives dans trois mois, à compter de la publication du présent décret, des expéditions en bonne forme de tous les contrats d'aliénation qui ont été faits jusqu'à ce jour en vertu des lettres patentes de 1784, et de la loi du 20 mars 1791.

« Art. 8. Seront au surplus les lettres patentes de 1784 exécutées selon leur forme et teneur, en tout ce qui n'est pas contraire au présent décret. » (L'Assemblée ordonne l'impression du rapport et du projet de décret et ajourne la seconde lecture à huitaine.)

M. Jacob Dupont présente des articles additionnels (1) à la loi des patentes.

(L'Assemblée en ordonne l'impression et ajourne la seconde lecture à huitaine.)

(1) Malgré nos recherches, nous n'avons pu découvrir les articles additionnels de M. Jacob Dupont.

Une députation de la municipalité de Paris, à la tête de laquelle se trouve M. Pétion, est admise à la barre.

M. le Président lui donne communication de la lettre des administrateurs de la police de Paris et, après que ce dernier en a reconnu l'écriture, l'invite à s'expliquer pour qu'on sache si les inquiétudes qu'on a eues sur son compte sont fondées.

M. PÉTION. Je viens de recevoir dans ce moment le décret que vient de rendre l'Assemblée nationale me concernant; je me rends à ses ordres. J'oublie très facilement tout ce qui m'est personnel; j'ai bien entendu quelques propos qui m'ont été tenus, ils auraient pu fâcher quelqu'un qui aurait pu croire qu'il n'a pas d'ennemis, mais à ma place on en a beaucoup. Je me suis rendu au château, parce que les rapports qui nous avaient été faits pouvaient faire craindre quelque mouvement ensuite différents bruits m'ont mis dans un état d'incertitude, ne recevant pas de renseignements certains. Un commandant de bataillon nous a dit que les commissaires de sections affirmaient que tout paraissait tranquille; les nouvelles postérieures nous ont alarmés; on voit les choses de différentes couleurs. Quant aux différentes mesures qui ont été prises, elles sont très bonnes. Il y a beaucoup de gardes nationales dans le château, le commandant assure qu'il n'a pas la moindre inquiétude.

Un officier municipal: Je dois éclairer l'Assemblée sur un fait le corps municipal assemblé, inquiet de ce que M. le maire ne revenait point, avait député plusieurs de ses membres pour se rendre au château et se concerter avec M. le maire. J'ai été envoyé au château, et là nous avons exposé que nous avions à parler à M. Pétion et, que nous étions envoyés par le conseil général de la commune on nous a répondu que M. le maire ne sortirait point.

M. le Président. L'Assemblée applaudit à votre zèle; elle vous invite à la séance, si vos fonctions vous le permettent.

M. PÉTION. Je vous remercie, Monsieur le Président, je retourne à mon poste.

Un membre: Je demande la parole pour un fait. J'arrive du faubourg Saint-Antoine. Jusqu'à onze heures, les bataillons de gardes nationales s'étaient bornés à de simples appels. Mais, à minuit, un coup de canon qui s'est fait entendre a déterminé la générale. On a sonné le tocsin au faubourg Saint-Antoine. Je m'y suis transporté. Les citoyens s'assemblaient sans savoir pourquoi; les citoyens paisibles étaient tous sortis pour aller au rassemblement. Je n'ai pu être instruit de son objet. Je me suis retiré.

Un membre présente un projet de décret pour l'abolition de la prime accordée pour la traite des nègres. (1).

La discussion est entamée; un membre demande le renvoi au comité de commerce, qui doit faire un rapport sur l'abolition de la traite. On insite pour que ce projet soit décrété sur-lechamp.

(L'Assemblée suspend la discussion jusqu'au moment ou elle sera composée du nombre de députés nécessaire pour délibérer.)

(1) Malgré nos recherches, nous n'avons pu découvrir le texte de ce projet de décret.

M. François (de Neufchâteau). Je demande la permission à l'Assemblée de lui donner lecture d'un acte d'abandon de terre que se propose de faire un citoyen en faveur de deux soldats citoyens et de deux soldats étrangers, qui, se rangeant sous nos drapeaux, auront combattu pour la liberté. Voici cet acte:

Extrait du registre des délibérations du directoire du district d'Argenton.

« Fut présent Pierre-François Boncerf, ancien officier municipal et administrateur de la municipalité de Paris, des sociétés d'agriculture et économique de Paris, y demeurant, au Palais-Royal, paroisse Saint-Augustin, de présent en cette ville d'Argenton; lequel a déclaré qu'étant privé, à cause de son âge, de l'honneur d'aller défendre la cause de la liberté, il regarde comme une dette sacrée de contribuer à récompenser ceux qui nous l'auront assurée par leur courage; que l'Assemblée nationale ayant décrété qu'elle procurerait des établissements à ceux des soldats étrangers qui viendraient se ranger sous les drapeaux de la liberté, les citoyens zélès trouvent aussi leur devoir tracé dans cette loi. Pour concourir par le comparant autant qu'il est en lui à la conservation de la liberté, à récompenser ses défenseurs, lui assurer des prosélytes, et lui conquérir des sectateurs, mondit sieur Boncerf s'engage, et soumet par ces présentes, sous la foi et religion du serment qu'il a fait de vivre libre ou mourir, de, sitôt après la paix et la reconnaissance de notre Constitution par les princes confédérés pour la détruire, de livrer seize arpents de terre en valeur, à la mesure de vingt pieds la perche, et cent perches pour l'arpent, dans ses domaines de Chezeau-Chrétien, de SaintCyrau et la Rouline, situées au département de l'indre, paroisses de Chitray et de Saint-Michel; savoir, quatre arpents à chacun de deux soldats français qui lui seront désignés par qui l'Assemblée nationale l'ordonnera; et quatre arpents à chacun de deux soldats étrangers qui auront passé et servi honorablement sous les drapeaux français (Applaudissements); pour, par lesdits quatre défenseurs de la liberté, en jouir pendant leur vie durant, sans aucunes charges ni redevances envers le comparant, qui affecte et hypothèque sesdits domaines pour sûreté du présent engagement et soumission, qu'il s'oblige de réitérér, et d'en passer tous actes nécessaires lors de l'indication qui lui sera faite des soldats citoyens, et des nouveaux citoyens français, au profit desquels il devra les passer.

Fait à Argenton, le 6 août 1792, l'an quatrième de la liberté, par nous, administrateurs au directoire du district d'Argenton, qui avons signé avec le sieur Boncerf, le substitut du procureur syndic et notre secrétaire.

"Ainsi signé : BONCERF, DELACOUR, DUPERTUIS, BOTINAL, substitut du procureur syndic, et BRUNET, secrétaire.

Certifié conforme :

<< A Argenton, le 6 août 1792, l'an quatrième de la liberté. Signé BRUNET, secrétaire. »

(1) Bibliothèque nationale Assemblée législative. Le n° 118,

(L'Assemblée décrète la mention honorable et l'insertion de cet acte au procès-verbal.)

M. François (de Neufchâteau). Voici maintenant une lettre d'une société allemande relative à notre Etat politique (1):

« De Mannheim, le 2 août 1792.

« Messieurs,

« Nous sommes Allemands, sujets de l'Electeur Palatin. Nous formons entre nous une société paisible, amie des Droits de l'homme et des principes sacrés de votre Constitution. Permetteznous de vous adresser notre respectueux hommage et l'expression de nos vœux. Nous observons avec le plus vif intérêt la marche de votre révolution; c'est avec attendrissement que nous tournons sans cesse nos regards inquiets vers la France. Nos cœurs l'ont depuis longtemps adoptée pour patrie. Tout ce qui l'intéresse, tout ce qui nous en rappelle le nom, réveille en nous des sentiments d'amour et dé tendresse. Nous désirons la voir libre et heureuse. Nous lisons avec soin et intérêt tous les détails de vos travaux. Nous applaudissons à votre courage, à votre fermeté, à votre énergie. Nous admirons la prudence avec laquelle vous dirigez le vaisseau de l'Etat, au milieu des écueils qui vous environnent de toutes parts. Cependant, permettez-nous de vous le dire, il est un sentiment pénible qui afflige nos cœurs. Nous voyons avec douleur que l'heureuse harmonie, qui devrait toujours régner entre vous, est quelquefois altérée; du moins, le tableau de vos séances nous offre trop souvent des convulsions et des orages. Ah! Messieurs, au nom de votre patrie, au nom de la liberté, abjurez vos querelles, réunissez-vous sincèrement, et sauvez la France. Chargés de ses destinées, dans un temps où toute l'Europe s'élève contre elle, pour quoi vous aigrir encore les uns contre les autres? Nous le sentons, votre position est pénible et affligeante; mais si votre Constitution doit courir des dangers, si même elle devait périr au milieu de ces orages, ah! laissez du moins à vos concitoyens la douce consolation de penser que vous avez fait tous vos efforts pour la sauver, et que c'est en vous tenant embrassés que vous avez vu luire le dernier jour de la liberté. Telle est aujourd'hui la situation des Polonais. Aussi, voyez quel intérêt ils inspirent à tous les peuples de la terre. Il n'est personne qui, dans son cœur, ne voulut écraser le monstre du despotisme, qui s'est précipité sur eux pour les dévorer.

«Nous sentons, Messieurs, que vous ne pouvez pas tous penser de même. Cette uniformité n'est pas dans la nature, et peut-être la diversité des opinions est-elle nécessaire au maintien de l'équi libre de votre gouvernement; mais sur le danger de la patrie, il ne doit y avoir qu'une seule opinion; mais pour son salut, il faut des efforts unanimes; mais, du moins, la raison, qui a sans doute de l'empire sur des légistateurs, peut commander des sacrifices à l'amour-propre et vous réunir pour le même but. Amis de la liberté comme vous, les anciens Grecs et Romains oubliaient leurs querelles et volaient aux combats, quand ils voyaient les peuples voisins se coaliser entre eux et menacer leur liberté. Aristide se réconciliait avec Thémistocle. Seriez

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Pétitions, tome 1, no 80.

vous donc moins sages, vous, Messieurs, à qui l'histoire fournit une expérience de 2,000 ans de plus; vous, Français, qui marchez à la tête de tous les peuples du monde? Que servirait à un parti de l'Assemblée de triompher de l'autre, puisque cette victoire serait fatale à tous? Soyez bien convaincus, bien persuadés que les princes ligués contre la France haïssent également, et les constitutionnels, et les feuillants, et les jacobins, et que s'ils parviennent à triompher des armées françaises, ils écraseront indistinctement tous les partis, déchireront votre Constitution, comme les barbares ont jadis déchiré et brûlé la bibliothèque d'Alexandrie, fouleront aux pieds le génie de la liberté et placeront sur la base le colosse effrayant du despotisme. Jugez-en par le ton insolent du manifeste du duc de Brunswick, qui vous déclare formellement qu'il regarde comme nuls et non avenus tous les monuments de votre régénération. Observez aussi qu'il est le seul qui ait signé ce manifeste et que, par cette ruse, l'empereur et le roi de Prusse se réservent le droit de démembrer le royaume à leur gré, quoique le texte semble dire qu'ils n'ont aucune vie de conquêtes. Nous vous annonçons aussi, et nous sommes à portée de le savoir, qu'on se propose d'enchaîner la nation française, de manière que de cent ans elle ne pourra remuer ni les pieds ni les mains. Soyez donc les sauveurs de la France et de l'Europe entière, et faites triompher la philosophie. Estil une plus belle destinée sur la terre? Ah! si vous sentez tout le prix, toute la sublimité de votre destination, vous vous éleverez au-dessus de l'humanité. Daignez écouter les conseils de bons et de loyaux Allemands, qui vous aiment et qui chérissent votre patrie autant que vousmêmes. Dites à votre roi qu'il le mette franchement à la tête d'une révolution, pour laquelle 24 millions d'hommes luttent avec douleur depuis 4 ans, et qui a déjà fait périr tant d'individus. Si votre roi n'est pas méchant, il y sera sensible. Surveillez les ministres; encouragez vos généraux; faites passer l'enthousiasme de la liberté et l'horreur de l'esclavage dans l'âme de tous vos concitoyens; soyez unis: Vous serez invincibles, vous conserverez votre liberté, et vous serez le premier peuple de la

terre.

« Nous sommes avec le plus profond respect, etc. (Applaudissements).

(L'Assemblée décrète l'impression et la mention honorable de cette lettre.)

M. Rühl. Il ne faut pas faire attention aux jérémiades. Fussions-nous réunis dans le même sens, le système de l'égalité n'en serait pas moins en horreur dans cette cour, elle n'en accaparerait pas moins le numéraire et n'en arrêterait pas moins nos forces. Messieurs, à Obernheim, ville du département du Bas-Rhin, district de Benfeld, le maire est en correspondance avec les émigrés. Il a fanatisé tous les villages voisins. On m'annonce que, lorsque le manifeste du duc de Brunsvick a paru, il a convoqué toute la commune, a donné aux citoyens lecture du manifeste et leur a fait signer une déclaration par laquelle ils se sont engagés à recevoir comme frères et amis les Autrichiens et les Prussiens dès qu'ils seront sur les terres de France. Trente communes, paraît-il, ont adhéré à cette circulation.

Je demande que le ministre de l'intérieur soit tenu de rendre compte par écrit, dans la journée,

des nouvelles qu'il peut avoir reçues à cet égard du département du Bas-Rhin et que, dans le cas où il n'en aurait pas reçu, il écrive à ce département pour se faire rendre compte et pour enjoindre de veiller sur la ville d'Obernheim, située à une demi-lieue de Klingenthal, où se trouve une fabrique d'armes blanches, exposée plus que toute autre au pillage.

(L'Assemblée décrète la proposition de M. Rühl.) M. Haussmann, au nom du comité de l'extraordinaire des finances, fait un rapport (1) et présente un projet de décret (1) sur les caisses des sieurs Lafarge et Caminade; il s'exprime ainsi :

Messieurs, vous avez renvoyé à votre comité de l'extraordinaire des finances l'examen des projets de caisse des sieurs Lafarge et Caminade, ainsi que leur demandes et prétentions.

Je vous dirai de ces deux caisses ce qu'il faut pour vous faire connaître la différence qui existe entre elles; car le sieur Lafarge a prétendu qu'avec le brevet d'invention qu'il a obtenu, il pouvait arrêter l'entreprise du sieur Caminade.

Je porterai aussi votre attention sur l'immoralité de tous ces établissements de caisses, et je prouverai que c'est à tort que le pouvoir exécutif les a favorisés par des brevets d'invention.

La caisse du sieur Lafarge, connue sous le nom fastueux de caisse de bienfaisance, forme une tontine par action de 90 livres payables en une seule foís, ou à raison de 9 livres par an; et pour y attirer d'autant plus facilement l'épargne du pauvre, on y reçoit même des mises de 30 sous. Les capitaux versés dans cette tontine sont convertis en rentes perpétuelles sur l'Etat, produisant 5 0/0; et par le prélèvement des frais d'administration lors de la mise et du payement des rentes, cet intérêt se réduit à 4 2/3 0/0. Le minimum des rentes est de 45 livres et le maximum de 3,000 livres. La mort des actionnaires fait le bénéfice des vivants dans la classe de ceux qui paient la mise en une seule fois, il faut qu'il meure neuf actionnaires sur dix, pour avoir la rente de 45 livres et qu'il n'en reste qu'un seul sur 667, pour avoir celle de 3,000 livres; l'autre classe offre des chances encore bien plus éloignées.

:

La caisse du sieur Caminade a d'autres bases et d'autres chances : les mises sont de 100 livres; sur 20 actionnaires, 19 recevront 4 0/0, et un seul 16 0/0 d'intérêt viager. La chance la plus favorable sera pour les plus âgés les vivants hériteront de la rente des morts, et ceux qui primitivement ne jouissaient que de 4 0/0 pourront, au moyen d'une grande mortalité, párvenir à jouir d'un intérêt depuis 20 jusqu'à 1,000 0/0. Les capitaux provenant des mises seront prêtés sur hypothèque en viager à 5 0/0.

Telles sont les bases de ces deux caisses; la différence entre elles existe dans la mise et dans la chance: l'une doit s'éteindre au profit de la nation; l'autre doit tourner à l'avantage des citoyens propriétaires ou acquéreurs d'immeubles auxquels l'Administration aurait prêté des capitaux à fonds perdus, sans que pour cette raison elle leur eût haussé le taux de l'intérêt ordinaire.

On doit être dans un grand étonnement en voyant que les entrepreneurs d'une de ces caisses brevetées veuillent disputer à leurs rivaux ce

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative. Matières diverses, no 31 bis.

nouveau domaine ouvert à l'avidité des spéculateurs mais il est bien plus étrange encore que le pouvoir exécutif, si indulgent pour ces jeux perfides, mette tant de précautions à les protéger par la loi, lorsque la loi garde le silence. Votre comité a particulièrement fixé son attention sur celle du 7 janvier 1791, relative aux découvertes utiles et aux brevets qui peuvent leur être accordés, puisque c'est la seule qui puisse être invoquée avec quelque apparence de raison. Dans cette loi toutes les dispositions, à commencer par le considérant, démontrent d'une manière bien évidente que le législateur n'a voulu encourager et favoriser par des brevets que les découvertes industrielles, les moyens d'ajouter à quelque fabrication que ce puisse être, un nouveau genre de perfection, ceux d'améliorer les arts, métiers et mécaniques. Elles démontrent encore que le législateur a voulu prévenir l'émigration des artistes. Mais quel rapport peuvent avoir, avec le vœu de cette loi, des établissements que les mœurs réprouvent, et qui n'ont d'autre effet que de grossir la fortune de quelques intrigants, aux dépens des hommes trop crédules, que l'espérance d'une fortune chimérique livre à leur séduction? Il suffit de réfléchir sur l'immoralité de ces établissements, sur les dangers auxquels ils exposent la confiance publique, sur les motifs mercenaires de tous ces faiseurs de caisses, pour être convaincu que la loi du 7 janvier ne peut pas leur être appliquée.

Déjà le sieur Lafarge avait fait les plus vives sollicitations pour obtenir la protection des législateurs mais, malgré l'opinion favorable du rapporteur, malgré le discours d'un homme éloquent que la France regrette, malgré le faste et l'étalage du prospectus, malgré la promesse d'un amortissement en faveur de la nation, l'Assemblée constituante n'a point voulu adopter cette prétendue caisse de bienfaisance; et la question préalable a fait justice de toutes les propositions qui avaient été faites à cet égard. L'opinion de nos prédécesseurs était bien juste; ils ont pensé que la nation ne devait point sanctionner des entreprises d'intérêt privé; que la solidité, la clarté et des avantages démontrés devaient seuls commander la confiance publique. Si le pouvoir exécutif a été plus facile, s'il a prodigué des brevets d'invention à tous ceux qui croyaient en avoir besoin, c'est que les intérêts du peuple y sont moins respectés que les calculs particuliers des intrigants qui l'environnent. Aussi cette facilité du pouvoir exécutif a-t-elle fait porter ces entreprises à un nombre si considérable, qu'on aurait peut-être raison de s'en alarmer. Tous les murs de la capitale sont tapissés de projets de caisses brevetées, et le peuple s'y livre aveuglément, parce qu'il n'a pas les connaissances nécessaires pour les apprécier, parce qu'il ne peut pas vérifier les calculs abstraits des chances et de probabilités, et mettre ainsi à la juste valeur et les entreprises, et les entrepreneurs. Mais, puisque le peuple ne sait point faire ces calculs, il faut au moins lui dire, que là où on lui donne l'espoir de gagner mille pour un, il y a souvent deux mille å parier contre un qu'il n'aura rien; que pour obtenir l'effet de ces belles promesses, il faut aussi pouvoir atteindre la dernière vieillesse, et que parvenu à ce période de la vie, il y a encore des milliers à parier contre un qu'on ne vivra pas une année pour en jouir; il faut faire voir au peuple que tous ces appareils de chiffres et de mots, que ces promesses illusoires, ces chances ridicules, ne

sont qu'un beau fard dont se parent les charlatans; il faut lui découvrir ce manteau dans lequel s'enveloppe la rapacité de l'intérêt personnel, et lui apprendre que la loi n'approuve point ces jeux dangereux et ruineux.

Pour se convaincre que le succès de ces établissements n'est fondé que sur le défaut de connaissances du peuple, il suffit de remarquer, entre autres, que dans celui du sieur Lafarge, où la mise est perdue, l'intérêt à répartir entre les actionnaires n'est que de 4 deux tiers 0/0. Or, nulle part on ne donnerait de l'argent à fonds perdu contre un pareil intérêt viager, si la proposition en était faite dans cette simplicité. L'intérêt des faiseurs est donc de la cacher soigneusement, et de l'entourer de tous les prestiges de la séduction. Il est temps que la raison et les mœurs fassent enfin justice de pareilles entreprises; il est temps de proscrire tous ces jeux, ces loteries, ces caisses et tontines, ou les spéculateurs tirent d'avance de gros bénéfices, et où les intéressés n'ont de chance favorable que par un grand nombre de morts et de dupes. Sí le pauvre, si l'ouvrier peuvent faire des épargnes, qu'ils placent ces épargnes dans l'exploitation de leur art, ou métier, cette source-là est solide, pure et féconde. C'est de l'amour pour le travail que sortira toujours la prospérité, accompagné des bonnes mœurs.

PROJET DE DÉCRET.

⚫ L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de l'extraordinaire des finances, considérant que les caisses, banques, loteries et tontines ne sont point des découvertes dans le genre de celles auxquelles peut s'appliquer la loi du 7 janvier 1791: décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur les réclamations des sieurs Lafarge et compagnie, contre l'établissement du sieur Caminade; charge son comité d'instruction publique de lui présenter, sous huitaine, un projet de décret pour révoquer les brevets d'invention que le pouvoir exécutif pourrait avoir accordés à des établissements de ce genre. »

(L'Assemblée ordonne l'impression du rapport et du projet de décret et ajourne la seconde lecture à huitaine.)

Un membre: J'aurais quelques observations à présenter sur les inconvénients qu'il y aurait à laisser subsister les loteries dites royales, car elles ont toujours plus coûté qu'elles n'ont apporté de profit. Ce sont de véritables lèpres royales. Je demande qu'elles soient anéanties, mais en même temps qu'on s'occupe du sort de ces malheureux buralistes qui, par cet anéantissement, perdront un état qu'ils croyaient assuré et qui faisait subsister leurs familles, je propose le renvoi au comite des finances.

(L'Assemblée renvoie la proposition au comité de l'ordinaire des finances.)

Un autre membre: J'apprends que les attroupewents deviennent de plus en plus nombreux et que la tranquillité publique paraît menacée. Je demande que la municipalité soit tenue de rendre compte, d'heure en heure, de l'état où se trouvera la ville de Paris, et que l'extrait du procès-verbal lui soit expédié sur-le-champ. (L'Assemblée décrète cette proposition.)

M. Dejoly, ministre de la justice, entre dans la salle.

M. le Président. M. le ministre de la justice a la parole.

M. Dejoly, ministre de la justice. Le roi vient d'être informé qu'il s'était élevé des doutes sur la liberté de M. le maire de Paris au château des Tuileries; le roi a vu avec plaisir M. Pétion et M. Roederer se rendre auprès de sa personne. Il me charge de venir déclarer que, loin de souffrir qu'il soit porté atteinte à leur liberté, il a recommandé qu'honneur et respect leur soient rendus dans toute sa maison. Il saisit cette occasion pour rendre un nouvel hommage à la Constitution.

Messieurs, le roi est fort agité par la nouvelle du rassemblement qui est le résultat de provocations antérieures, rassemblement dont la constance n'est pas inquiétante, mais qui n'est pas dans l'ordre, puisqu'il n'a pas été autorisé par les autorités constituées. D'après les détails que j'ai reçus, on doit se porter chez le roi et à l'Assemblée nationale. Je prie l'Assemblée de prévenir les désordres qui pourraient suivre cette démarche.

M. François (des Vosges). Il n'y a aucune mesure à prendre; il y a des lois qui sont faites, c'est au pouvoir exécutif à les faire exécuter.

M. Vergniaud. Je demande qu'on attende la municipalité qui doit rendre un compte pour nous faire savoir si on doit prendre des mesures ultérieures.

(L'Assemblée décrète l'ordre du jour, motivé sur ce que c'est aux magistrats du peuple et au pouvoir exécutif à veiller à la sûreté publique.)

M. Jouffret. J'observe à l'Assemblée qu'en 1788, un sieur Rambourgt avait obtenu par un arrêt du conseil, non revêtu de lettres patentes, la concession de 5,112 arpents dans la forêt de Tronçais, sise au département de l'Allier, district de Cérilly. Cette concession, faite moyennant un prix qui n'est pas du quart de la valeur réelle est irrégulière dans la forme; elle détruit des droits d'usage et de pacage qu'ont dix ou douze paroisses voisines de cette forêt. Ces paroisses ont dénoncé depuis longtemps l'énorme lésion que la nation et elles ont éprouvé Pour la nation seulement le dommage est de plus de 15 à 1,600,000 livres. Je demande que le comité des domaines, qui est muni de toutes les pièces relatives à cette affaire, soit tenu d'en faire son rapport très promptement.

(L'Assemblée décrète cette proposition.)

M. Gaston, au nom du comité de division, fait la seconde lecture d'un projet de décret sur la formation et circonscription d'une seule paroisse dans la ville de Saint-Denis; ce projet de décret est ainsi conçu :

L'Assemblée nationale, ouï le rapport qui lui a été fait par son comité de division, de l'arrêté du directoire du département de Paris en date du 12 juin 1792, et vu les avis unanimes du directoire du district, de l'évêque métropolitain, et du ministre de l'intérieur, concernant la formation et la circoncription d'une seule paroisse en la ville de Saint-Denis, décrète ce qui suit :

"Les cinq paroisses actuellement existantes dans la ville de Saint-Denis sont supprimées. «La ville de Saint-Denis aura une seule pa

(1) Voy. ci-dessus, séance du 30 juillet 1792, page 277, la promière lecture de ce projet de décret.

roisse dans l'église de la ci-devant abbaye, et sous l'invocation de Saint-Denis, à laquelle, par leur suppression, sont et demeurent réunies les paroisses de l'ile de Saint-Denis, la Courneuve, Saint-Ouen et Villetaneuse.

Saint-Rémi, la maison de Seine, les moulins jumaux de Saint-Paul et Chrétien, les fermes de Merville, de Champ-Tourterelle, du Moulin-Fevon, le ci-devant château de la Briche, qui sera démembré, de la paroisse d'Epinay, le moulin de Vertgalant, dont une partie est d'Epinay et l'autre de Villetaneuse, sont aussi réunis à la paroisse de Saint-Denis.

«Les églises de l'ile Saint-Denis, la Courneuve, Saint-Ouen et Villetaneuse sont conservées comme succursales.

« Le moulin de Cage dépendra de la succursale de Saint-Ouen; le hameau de Villeneuve-laGarenne, de celle de l'ile de Saint-Denis, et celui de Crèvecoeur de celle de la Courneuve. »

(L'Assemblée ajourne la troisième lecture à huitaine.)

(La séance est suspendue à cinq heures du matin et n'est rouverte qu'à cinq heures et demie.)

M. Vergniaud, ex-président, prend le fauteuil.

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M. Danthon. Nous n'avons pas peur du peuple, mais des factieux qui l'agitent.

(L'Assemblée décrète que la terrasse des Feuillants restera ouverte.)

M. Dehaussy-Robecourt. S'il arrive du désordre, c'est l'Assemblée qui en est responsable. (Murmures).

MM. OSSELIN et BEAUDOUIN, officiers municipaux, sont admis à la barre.

M. OSSELIN. L'Assemblée a ordonné que la municipalité rendrait compte, d'heure en heure, de l'état de la capitale; nous venons exécuter le décret. La municipalité a été permanente. Le conseil général de la commune s'est assemblé, M. le maire de Paris s'est rendu au château; Vous savez ce qui s'y est passé. Sans votre sagesse, nous aurions perdu peut-être notre maire de Paris. Pendant ce temps, nous étions occupés à parcourir les sections de la ville. Je suis allé à neuf heures dans la section des Quinze-Vingts; j'y ai trouvé une affluence considérable de monde, j'ai pénétré avec peine. Je suis arrivé au président, j'y ai trouvé des députés de différentes sections. Il s'est fait des motions très-violentes vous savez que la section des QuinzeVingts avait arrêté que si l'Assemblée nationale n'avait pas décrété la déchéance à onze heures, à minuit le tocsin serait sonné. Nous avons observé qu'on n'exigeait pas d'un juge qu'il rendit son jugement à telle époque et å telle heure; nous avons fait sentir combien la liberté d'opinion était précieuse; nous avons ajouté que si l'Assemblée était assez lâche pour se laisser influencer, son décret serait à l'avance frappé

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