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trouve. Je demande que l'Assemblée reprenne la discussion sur les dangers de la patrie; il faut que la nation sache comment les généraux se sont comportés ce que les ministres ont fait; il faut que la nation sache que depuis près de deux ans on nous promet des armes, et que cependant nous n'avons pas de fusils; il faut que la nation sache qu'on nous a dit qu'il y avait des approvisionnements partout, et cependant que notre armée manque de tout. Il faut que l'Assemblée nationale porte uu meil très scrupuleux sur le revirement que l'on vient de faire dans les deux armées dont on porte une partie dans l'armée du Bas-Rhin, et une partie de celle-ci dans l'armée du Nord. Il faut que l'Assemblée nationale examine si cette coupable démarche combinée entre les généraux ne l'a pas été pour, pendant ce changement, favoriser une irruption dans notre territoire. Messieurs, nous sommes dans un instant où la défiance est permise. Je demande qu'on examine la conduite des agents du pouvoir exécutif, et qu'on mette dans les mains de la patrie les moyens de se sauver seule. (Applaudissements des tribunes.)

M. Cambon. Vous avez vu successivement à Paris MM. La Fayette et Luckner; aujourd'hui, nous avons M. Montesquiou dans la capitale. Je puis vous assurer, Messieurs, que cette armée du Midi à laquelle on demandait un renfort pour renforcer l'armée du Rhin, se trouve dans un dénuement absolu. Il ne manque pas d'hommes, il ne manque que des armes, des tentes et des provisions; cependant, il y a presque certitude que nous allons être attaqués de ce côté-là, et ce pays mérite l'attention de l'Assemblée; car si le département du Var venait à être ravagé, ce ne serait pas une moisson qu'on ravagerait, mais ce serait la récolte de 60 ans qu'on enlèverait, puisque tout le monde sait que le département du Var est couvert d'oliviers. Si on attaque cette propriété, il faut attendre 60 ans pour avoir une pareille récolte. Il est important que l'Assemblée fixe son attention sur cette éternelle manie de faire venir les généraux, d'abandonner les armées, lorsque les ennemis sont sur les frontières.

Je ne proposerai jamais d'attaquer la Constitution, mais encore s'il faut avoir de la confiance, il faudrait qu'on répondit à cette confiance, et lorsqu'on voit une manœuvre qui nous fait reculer parce que nous ne pouvions pas faire la guerre offensive, il fallait au moins s'attendre que la guerre défensive présenterait une résistance et que toutes nos frontières ne seraient pas démunies, lorsque les ministres présentent des ressources sur notre territoire. Je demande à regret, puisque la Constitution ne nous donne pas d'autres moyens, je demande qu'on nous rende compte de l'état de nos frontières. (Bruit.) Quand je propose à l'Assemblée de demander un compte au pouvoir exécutif, je ne me dissimule pas quelle est l'insuffisance de ce moyen; mais comme l'Assemblée a promis d'être fidèle à la Constitution, nous ne pouvons pas en dévier. Cependant comme le salut du peuple est la suprême loi, si nous ne pouvons pas le sauver, il faut au moins avoir le courage de le dire. (Murmures.)

Plusieurs membres : Oui, oui!

M. Cambon. Nous ne violerons pas nos serments; sous aucun prétexte nous ne pouvons les transgresser, et quand je périrais à mon poste, je n'empiéterai point sur le pouvoir qui ne m'a pas été délégué, parce que je regarde ceux qui

prennent les pouvoirs comme des usurpateurs Mais si, à mon poste, je vois l'impossibilité de sauver le peuple qui m'a député, de conserver la liberté pour laquelle nous avons fait les plus grands sacrifices, c'est alors que je dirai la patrie est en danger, je le déclare à mes concitoyens. Je n'ai pas de pouvoir, mais je suis citoyen et je m'en vais sur les frontières au moins avoir le plaisir de me faire tuer pour défendre la patrie. (Applaudissements.)

Il ne faut pas se dissimuler que vous allez avoir un manifeste dont l'objet est de nous diviser en deux partis ou d'intimider les âmes faibles qui ont le pouvoir délégué du peuple en leur disant nous vous distinguerons des factieux, il n'y aura qu'une certaine classe qui sera sacrifiée, mais soyez persuadés que tous seront sacrifiés. Je demande en grâce qu'on sache quel est le motif du voyage de M. Montesquiou, quels sont nos moyens de défense, et que s'il faut voir Maubeuge pris comme on nous menace, au moins nous sachions avant que la trouée se fasse, quel est cet homme ennemi de la patrie qui veut la perdre, qui n'a aucune résistance à offrir, tandis que je vois dans la capitale 8,000 hommes inscrits pour aller aux frontières. (Applaudissements.) Un membre: Je demande le renvoi de toutes les propositions à la commission des Douze.

M. Reboul. Je demande que l'on fixe un jour de la semaine pour entamer la discussion qui n'a pas été commencée, non sur les dangers de la patrie, mais sur les causes du danger de la patrie et sur les remèdes qui peuvent être apportés. C'est alors que vous examinerez non seu lement la conduite du pouvoir exécutif, mais s'il existe un pouvoir exécutif en France, s'il en existe un pour sauver la patrie, s'il y a un gouvernement, si ceux à qui le gouvernement est confié en remplissent véritablement les fonctions! Je demande que mercredi cette discussion soit entamée.

Un membre: Ce n'est pas lorsque l'ennemi est aux frontières qu'il faut demander des délais. La discussion sur les dangers de la patrie doit s'ouvrir à l'instant.

M. Bouestard. Vous ne pouvez pas douter du mauvais état de nos frontières, de nos approvisionnements et de nos armées. Tant que vous vous en rapporterez aux agents du pouvoir exécutif, vous n'aurez jamais la connaissance exacte des faits. Je propose donc à l'Assemblée de nommer des commissaires sur-le-champ pour prendre connaissance de l'état de nos frontières. (Murmures.)

Un membre: Je demande le renvoi du tout à la commission des Douze.

M. Lasource. La manière dont la question est présentée, porte la commission à diverger elle-même dans une foule de moyens ; et je demande qu'on lui renvoie la question ainsi posée Quels sont les maux de la patrie ? Quelles en sont les causes? Les moyens employés jusqu'à présent sont-ils suffisants, d'après les entraves que l'Assemblée rencontre ? Où faut-il prendre des moyens extraordinaires, et quels sont ces moyens extraordinaires?

(L'Assemblée décrète que la commission extraordinaire des Douze lui fera demain un rapport sur les dangers et les maux de la patrie, qu'elle en indiquera la cause, qu'elle examinera si les moyens employés jusqu'ici pour sauver la chose publique sont suffisants, s'il faut

prendre des mesures extraordinaires et quelles sont ces mesures.)

M. Prouveur. Il est arrivé un accident dans

les relations infidèles, je crois important de rendre compte à l'Assemblée d'une lettre officielle de la municipalité de cette ville. La voici :

• Monsieur,

«Nous croyons utile de vous prévenir de suite que le feu s'est manifesté aujourd'hui, vers deux heures de l'après-dîner, à l'hôpital général, dans une partie où étaient des effets de campement. Il y en a eu de brûlés, d'autre gâtés; mais la plus grande partie est sauvée. Rien ne nous a encore fait connaitre jusqu'à présent ce qui a causé le feu. Le juge de paix s'est rendu sur les lieux, et prend toutes les informations nécessaires à ce sujet. Nous ne pouvons que 'nous louer du zèle des officiers et des commandants de toute la garnison de cette ville, de la garde nationale et de tous les citoyens. Tous ont montré du calme et se sont entièrement reposés sur les autorités établies pour veiller au maintien de l'ordre et à la défense de la place. Tous ont marché avec la plus grande activité, et porté avec le plus grand dévouement les secours qui avaient été demandés. Nous vous adressons la présente pour que, connaissant les faits, vous ne laissiez point le cas échéant exagéré.

Signé Les maire et officiers municipaux de la commune de Valenciennes. »

Un de MM. les secrétaires donne lecture du procès-verbal de la séance du mardi 17 juillet 1792, au soir.

(L'Assemblée en adopte la rédaction.)

Un membre: Je demande que les fédérés, qui se trouvent à Paris, puissent, à l'heure de midi, entrer dans les tribunes et occuper les places qui y seront vacantes.

(L'Assemblée décrète cette motion.)

M. Lacombe-Saint-Michel, au nom du comité militaire, présente un projel de décret tendant à employer les soldats des régiments coloniaux, actuellement dans le département du Morbihan, à la formation des légions en compagnies franches ci-devant décrétées; ce projet de décret est ainsi conçu :

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité militaire, considérant combien il est important de mettre en activité les troupes ci-devant coloniales, actuellement détachées au Morbihan ou lieux circonvoisins, décrète qu'il y a urgence.

L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète que les différentes troupes cidevant coloniales, à l'exception de l'artillerie, actuellement employées dans le Morbihan et lieux circonvoisins, seront employées par le pouvoir exécutifà la formation des légions ci-devant décrétées, ou dans les compagnies franches. »

(L'Assemblée décrète l'urgence.)

M. Carnot, l'aîné. Je demande que les compagnies ne soient pas formées dans le département du Morbihan, mais que les troupes coloniales soient envoyées aux frontières attaquées où elles se formeront en légions et compagnies franches.

Un membre: En appuyant le projet de décret, je demande que le ministre de la guerre rende compte, dans le plus bref délai, des moyens qu'il

aura pris pour l'habillement et l'équipement des régiments coloniaux.

(L'Assemblée adopte ces divers amendements, ce puis le projet de décret.)

Un membre demande que le ministre de la guerre rende compte, sous quinze jours, de l'exécution de ce décret.

(L'Assemblée décrète cette motion.)

Suit le texte définitif du décret rendu :

་་

L'Assemblée nationale, considérant qu'il importe de faire servir aux armées les soldats qui se sont distingués par leur patriotisme, décrète qu'il y a urgence.

"

L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète que les différentes troupes cidevant coloniales, à l'exception de l'artillerie, employées dans le Morbihan ou lieux circonvoisins, seront employées par le pouvoir exécutif à la formation des légions ou compagnies franches ci-devant décrétées.

« Le pouvoir exécutif fera partir sans délai ces différentes troupes pour se rendre sur la frontière aux lieux où se forment ces corps; mais il donnera les ordres les plus prompts, pour leur faire tous les habillements et effets nécessaires pour se rendre à leur destination charge le ministre de la guerre de lui rendre compte, sous quatre jours, des ordres qu'il aura donnés à ce sujet.

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Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une lettre de Jean-François Thierry, citoyen actif de Montcheutin, qui demande si un mariage contracté dans le mois de février dernier et déclaré nul par l'évêque diocésain, quant au sacrement, peut avoir les effets civils,

:

Plusieurs membres Le renvoi au comité de législation!

M. Lequinio. J'observe que la Constitution française ne reconnaît plus le mariage que comme contrat civil; qu'elle ne l'envisage aucunement sous ses rapports avec les religions, quelles qu'elles puissent être. Il est infiniment important que les législateurs saisissent toutes les occasions possibles de rendre sensible à tous les citoyens là ligne de démarcation qui existe entre les matières religieuses et les matières politiques; car c'est de là seul que peut résulter enfin l'esprit de tolérance, si nécessaire à la paix intérieure. Il n'y a plus dans le royaume, pour le législateur philosophe, ni protestants, ni juifs, ni catholiques, mais seulement des citoyens français. Cliaque citoyen est donc le maitre d'accompagner son mariage des cérémonies qui lui conviendront le mieux, et suivant son culte particulier, mais les lois ne voient cette union que comme contrat civil, et ne peuvent l'envisager que sous ses rapports avec l'ordre civil. Il ne peut donc y avoir aucune difficulté dans la discussion à laquelle pourrait donner lieu l'affaire qu'on vous présente; c'est un point de droit décidé par l'article 7 du titre II de la Constitution; il est inutile de renvoyer à votre comité. Je demande que l'on passe à l'ordre du jour sur la pétition du sieur Thierry.

(L'Assemblée passe à l'ordre du jour motivé sur ce que la Constitution ne considère le mariage que comme contrat civil.)

M. Bonnemère, au nom du comité de législation, fait un rapport (1) sur les tentatives de vol

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Législation, tome I, no 29.

et autres crimes et présente deux projets de décret (1), le premier tendant à déclarer qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur diverses procédures, lettres et pétitions envoyées à l'Assemblée par certains tribunaux; le second, tendant à assimiler, au point de vue pénal, la tentative de crime au crime lui-même; il s'exprime ainsi :

Messieurs, le Code pénal ne contient aucunes dispositions contre les tentatives de vol et de plusieurs autres crimes; on ne peut cependant douter que des projets criminels, suivis d'un commencement d'exécution, tels que l'escalade, l'usage et le nantissement des fausses clefs, l'introduction furtive dans les lieux suspects, les effractions et autres faits de ce genre, ne soient des actions répréhensibles, en les considérant isolément et indépendamment de l'effet qui aurait été arrêté par des circonstances fortuites. Déjà l'expérience a fait connaître la nécessité de réprimer les tentatives de vol, et vous avez chargé votre comité de législation de présenter à ce sujet une disposition additionnelle au Code pénal; mais il s'est aperçu, d'un côté, que la disposition supplétive ne serait pas complète si elle se bornait aux seules tentatives du vol, puisque plusieurs autres espèces de crimes peuvent être accompagnées ou précédées de circonstances extérieures qui ne laissent aucun doute sur l'intention coupable de leur auteur; de l'autre, que les tribunaux ne bornent pas leur attente à celle d'une loi qui fixe leur incertitude pour l'avenir, mais qu'ils ont fait dépendre la prononciation du jugement qu'ils ont à rendre sur des affaires instruites de la loi additionnelle dont ils sollicitent l'émission. Ces tribunaux, en déclarant la conviction acquise de certains délits, ont sursis la prononciation définitive et ont transmis au Corps législatif, par l'organe des ministres, les jugements qui prononcent cette surséance; cependant le cours de la justice est interrompu, et les prévenus restent incarcérés, quoiqu'il ne se trouve aucune loi en vertu de laquelle on puisse leur infliger une peine.

Quoiqu'il vous soit facile, Messieurs, de préjuger quel doit être l'avis de votre comité sur l'attente d'une disposition pénale qui produirait un effet rétroactif, il n'en est pas moins indispensable de faire le récit des affaires qui donnent lieu à ces renvois. Le silence pourrait prolonger une détention qu'aucune loi actuelle n'autorise, et l'Assemblée nationale y puisera d'ailleurs de nouvelles preuves de la nécessité urgente de la disposition additionnelle dont il s'agit.

Ce rapport se divise naturellement en deux parties: la première, relative aux renvois faits à l'Assemblée nationale par les ministres et les tribunaux, contiendra l'analyse des faits qui y ont donné lieu et l'avis de votre comité sur chacune des questions particulières; la seconde tend à considérer la proposition de la loi additionnelle sur les tentatives de tous les crimes, d'une manière générale et indépendante des faits antérieurs, sous le seul point de vue digne du législateur, celui de suppléer au silence de la loi sur les attentats contre la sûreté ou la propriété dont le projet a été manifesté soit par des traces permanentes, soit par des actes extérieurs et non équivoques d'exécution.

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Législation, tome I, no 29.

PREMIÈRE PARTIE.

Premier fait.

Le tribunal du IVe arrondissement de Paris a déclaré deux particuliers atteints et convaincus d'une tentative de vol, à l'aide de fausses clefs dont l'un d'eux a été trouvé nanti; ce tribunal a jugé devoir réserver à l'Assemblée nationale l'application de la peine.

Second fait.

Le tribunal du district de Meaux a condamné deux particuliers au fouet, à la marque et aux galères, pour crime d'effraction, avant la publication du Code pénal; sur l'appel porté au cinquième tribunal provisoire de Paris, depuis la proclamation du Code pénal, ce tribu nal a prononcé sa conviction acquise; mais il a rẻservé à l'Assemblée nationale l'application de la peine, faute de disposition précise dans le Code pénal sur l'effraction non suivie de vol.

Troisième fait.

Un particulier, précédemment condamné à différentes peines afflictives pour crimes et vol, a été surpris, dans le courant de février dernier, dans un jardin dont il avait escaladé les murs, dans l'instant où il s'efforçait de s'introduire dans la maison qui y est attenante, en brisant la serrure de la fenêtre; ce particulier s'est trouvé nanti, dans la doublure de son habit, d'un couteau récemment affilé. Le ministre de la justice, consulté par l'accusateur public, lui a rappelé le silence de la loi sur le genre de délit; mais l'accusateur public du tribunal criminel du département de la Côte-d'Or, effrayé des dangers de l'impunité, désire une décision de l'Assemblée nationale.

Quatrième fait.

Un homme, jugé suivant les anciennes formes et condamné au carcan pour des tentatives multipliées de vol, commises pendant la nuit du 26 décembre 1790, a été dernièrement traduit, par appel, au tribunal de Caudebec. Le tribunal d'appel, fondé sur l'article 28 de la seconde section du titre II du Code pénal, qui porte que tout vol qui n'est pas accompagné des circonstances spécifiées dans les articles précédents, sera poursuivi et puni par voie de police correctionnelle; et sur les dispositions de l'article 8 de la loi du 18 janvier, qui ordonne aux tribunaux de districts de renvoyer devant le juge de police correctionnelle toutes les affaires qui, d'après la loi, sont de la compétence de ces juges, a renvoyé cette affaire au tribunal de police correctionnelle de la ville du Hâvre, lieu du délit; mais ce tribunal, par jugement du 20 avril, s'est fondé sur l'article 71 de la loi sur la police correctionnelle pour prononcer sa propre incompétence; cet article porte que les peines prononcées au présent décret ne seront applicables qu'aux délits commis depuis sa publication. La date de la loi est du 22 juillet 1791, la date du délit est du 26 décembre 1790.

Indépendamment du silence du Code pénal et de la loi sur la police correctionnelle sur le genre de peine à infliger à ce délit, le ministre a trouvé une difficulté sérieuse dans la concilia

tion des deux textes de la loi, art. 11 de la police correctionnelle, art. 13 de la loi du 12 janvier dernier, et cette difficulté consiste à savoir si la dernière déroge à l'autre et, en ce cas, quel est l'effet de cette dérogation.

Cinquième fait.

Dans une instruction portée au juré d'accusation du cinquième tribunal de Paris, le juré a déclaré qu'il y avait lieu à accusation contre un particulier prévenu de s'être introduit dans un appartement à l'aide d'effraction et dans l'intention de voler; le juré de jugement a la conviction acquise, mais le tribunal criminel a acquitté ce particulier, faute de peine applicable au délit.

Sixième fait.

Un citoyen, devenu la victime d'un vol avec effraction et escalade, est hors d'état d'administrer les preuves du fait du vol; mais il serait, dit-il, en état de prouver le complot de ce vol, formé quelques jours auparavant qu'il ait été effectué, si l'Assemblée nationale prononçait une peine contre les auteurs de menaces et complots de commettre un crime; il sollicite l'émission de cette loi.

Septième fait.

Le juré du tribunal de Paris a déclaré deux particuliers atteints et convaincus de tentatives du crime de fabrication de faux écus de 6 livres et l'un deux de récidive; le tribunal, faute de peine prononcée, a jugé devoir acquitter ces deux particuliers; mais, en même temps, frappé des dangers de l'impunité de ce délit, qui peut porter une atteinte funeste à la propriété nationale, il a arrêté qu'il en serait référé au Corps législatif.

Huitième fait.

Une procédure relative à un crime d'une atrocité effrayante ou d'une aliénation d'esprit aussi déplorable qu'inconcevable, vous a été référée par le tribunal de Soissons et présentée par le ministre de la justice; il ne s'agit plus ici d'une simple tentative de vol ou de fabrication de fausse monnaie, mais d'un assassinat prémédité et commencé avec sang-froid par une femme vis-à-vis de son mari; cette tentative, à la vérité, n'a pas eu un effet aussi funeste qu'elle pouvait le faire craindre, et on n'arguë pas ici du silence de la loi, puisque l'article 13 de la première section du titre II du Code pénal a prévu cette circonstance de la tentative du crime d'assassinat; mais on allègue que cette loi n'a pas statué sur l'exception que cette femme emploie pour sa défense.

Quoique ce délit ait, en apparence, peu d'analogie avec les faits précédents, deux motifs ont déterminé à le faire entrer dans ce rapport: le premier, c'est qu'il s'agit de l'interprétation d'une disposition du Code pénal sur les tentatives de crime; le second, c'est que le référé prononcé par le tribunal prolonge la détention de l'accusée ou suspend illégalement sur sa tête le glaive vengeur de la loi.

Une femme, grosse de deux ou trois mois, se couche paisiblement avec son mari, se relève une heure après, fait fondre du plomb dans une

cuiller de cuivre qu'elle avait deux jours avant empruntée chez sa voisine, ainsi qu'un petit entonnoir de fer-blanc; elle se sert de ce dernier instrument pour couler du plomb fondu dans l'oreille de son mari endormi; ce projet exécuté, elle se rend tranquillement chez sa voisine, lui dit d'aller donner des soins à son mari qui va mourir, revient avec cette femme dans sa demeure et est témoin des douleurs aiguës de son mari, qui cependant en est quitte pour des brùlures et excoriations. Le délit est constaté par des procès-verbaux, par des rapports de médecin et chirurgien, par l'extraction d'un petit lingot de plomb trouvé dans le lit et dans les cheveux, par l'aveu spontané de la femme, qui raconte froidement, à ses voisins en conversation, et aux juges dans son interrogatoire, qu'elle aime son mari, qu'elle était fâchée de ce qu'elle croyait qu'il allait mourir, mais que c'est un effet de sa grossesse, et qu'elle n'a pu s'empêcher de suivre cette idée qui la poursuivait depuis quelques jours, et pour l'effet de laquelle elle avait emprunté la surveille les deux outils qu'elle a employés.

Sur cette excuse regardée comme fait justificatif, le premier tribunal ordonne la visite de la femme, pour constater sa grossesse, et demande en même temps le rapport des médecins et chirurgiens pour s'expliquer, d'après les connaissances de feur art, sur l'aliénation dont le cerveau de certaines femmes est susceptible dans les commencements de grossesse, et déclarer, d'après leurs connaissances personnelles, si quelques femmes grosses ont commis des attentats de la nature dont celui dont il s'agit.

Les experts donnent leur avis qui confirme la grossesse et, par leur rapport, ils énoncent divers phénomènes tendant à prouver la dépravation des goûts, des appétits et des idées de certaines femmes grosses, et rapportent même, d'après leurs auteurs, des effets de cette manie aussi atroce qu'extravagante, dont aucun ne leur est personnellement connu.

Sur cette instruction, d'après l'admission des faits justificatifs, suivis d'information, cette femme, eu égard aux circonstances, a été condamnée à être enfermée pendant vingt ans dans une maison d'arrêt.

:

Sur l'appel, la Faculté de médecine de Paris est consultée sur la question de savoir quel peut être l'empire des affections que les femmes éprouvent dans leur grossesse ? des commissaires nommés pour examiner cette question, font leur rapport à la Faculté, qui, en l'adoptant, le transmet au tribunal. Le résultat de ce rapport, très circonstancié, est :

1° Que l'état de grossesse peut produire chez les femmes une alienation d'esprit qui les porte à des actes qui n'auraient point pour objet de satisfaire les sens, tels que l'idée de cette femme de couler du plomb dans l'oreille de son mari;

2° Qu'il est possible que la manie qui a donné lieu à cette action ait consisté dans une association d'idées erronées sur ce point seulement; 3° Que, dans ce cas comme dans toutes les aliénations d'esprit, le cerveau ne reproduisant que les idées qui peuvent porter à agir et non celles qui pourraient déterminer à s'en abstenir, une femme est dans l'impossibilité de délibérer, et conséquemment n'est pas libre.

Le tribunal d'appel, sur le vu de cet arrêté de la Faculté de médecine, ordonne un sursis pour en référer au Corps législatif, à l'effet de rendre une loi applicable au fait dont il s'agit et aux cir

constances qui l'accompagnent, qui sont de nature à le caractériser, ou de rendre une interprétation de celles qui peuvent y avoir rapport, et cependant arrête que ladite femme gardera prison.

Le ministre de la justice, en renvoyant à l'Assemblée nationale cette procédure, lui rappelle cette suspension de jugement et sollicite une décision.

Vous n'exigerez pas, sans doute, Messieurs, l'avis de votre comité sur la régularité des procédures ou sur l'équité intrinsèque de chacun des jugements dont je viens de vous faire l'exposé. Les faits seuls doivent fixer votre attention. Vous avez vu qu'ils présentaient les deux questions suivantes :

1o Y a-t-il lieu de faire une loi, ou d'interpréter quelques-unes des dispositions des lois subsistantes pour les adopter aux circonstances des procès criminels dont les tribunaux vous rendent compte par l'organe des ministres ?

20 Y a-t-il lieu à l'émission d'une loi pour suppléer, à l'avenir, au silence du Code pénal sur les tentations des crimes?

Je vous ai annoncé que chacune de ces questions faisait seule la matière de cette partie, et, saus me livrer à de fastidieuses dissertations sur une question qui ne peut-être problématique, je me borne à quelques réflexions.

Quelque conviction qu'ait acquise votre comité sur l'insuffisance du Code pénal sur le point que j'examine; quelque dangereux qu'il puisse paraitre de rendre intacts à la société des membres qui en ont essentiellement violé les droits par des essais dont rien ne peut faire excuser l'entention criminelle, cependant votre comité n'a pas hésité un seul instant sur l'avis dont la première question est susceptible. En effet, il n'a pu se dissimuler que l'application d'une peine à un délit antérieur, de l'interprétation d'une loi pour étendre une peine prononcée à une tentative imprévue, ne fussent des dispositions nouvelles avec un effet rétroactif. Or, c'est une maxime trop sacrée, trop solennellement reconnue, trop essentiellement inhérente à la Constitution, que nul ne peut être poursuivi, condamné et puni, qu'en vertu d'une loi préexistante au délit, pour pouvoir la révoquer en doute; et non seulement les tribunaux et les ministres reconnaissent qu'il n'existe pas dans le Code pénal de loi préexistante sur les tentatives, puisqu'ils en sollicitent une, mais même le Code pénal contient une disposition précise pour l'abrogation de toute interprétation arbitraire.

Cette loi se terminait ainsi :

«Pour tout fait antérieur... si le fait est qualifié crime par les lois existantes et qu'il ne le soit pas par le présent décret, ou si le fait est qualifié crime par le présent Code et qu'il ne le soit pas par les lois anciennes, l'accusé sera acquitté. »

Il ne s'agit donc que d'adapter cette maxime à chacune des espèces proposées, et alors il devient évident que, quelles que soient les présomptions qui résultent des circonstances constatées devant le IV et le Ve arrondissement de Paris, quoique leurs doutes ne soient fondés que sur un excès de zèle qui ne peut être blåmable, cependant ils ne peuvent légalement retenir plus longtemps en prison des accusés prévenus de tentatives contre lesquelles il n'existe point de peine, sous prétexte de l'expectative d'une loi qui ne pourrait, sans injustice, s'y adapter.

Il en est de même de l'attente de l'accusateur public du département de la Côte-d'Or; son tribunal ne peut suspendre, sous ce prétexte, la prononciation de son jugement définitif.

2o Le tribunal de district de Caudebec n'a pu renvoyer à la police correctionnelle du Havre la connaissance d'une tentative de vol, sous prétexte d'obéir à l'article 8 de la loi du 18 janvier, puisque cette loi, dont nous avons rapporté la disposition, n'est qu'énonciatrice de la compétence attribuée par la loi du 22 juillet 1791, et non attributive d'une extension de juridiction. Or, l'article 71 de cette dernière loi ayant statué que ce tribunal ne connaîtrait que les délits postérieurs à sa promulgation, et celui dont il s'agit étant du 26 décembre 1790, il suit que le renvoi prononcé par le tribunal de Caudebec serait encore irrégulier, quand il serait vrai, ce qui n'est pas, que les tentatives de vol avec effraction seraient, par leur nature, de la compétence des tribunaux de police correction nelle. Le tribunal de police correctionnelle du Havre a donc déclaré, avec raison, sa propre incompétence, et c'est au tribunal de Caudebec a prononcer le jugement définitif, sauf à absoudre, s'il ne trouve pas de peine infligée par la loi.

3o Le tribunal criminel de Paris s'est conformé à la loi, en acquittant les prévenus d'effraction et de tentatives de fabrication de fausse monnaie, et en référant cependant à l'Assemblée nationale le danger de l'impunité, dans ces circonstances, pour l'avenir.

4° Il n'y a pas lieu de rendre une loi applicable au délit particulier d'une femme en état de grossesse, parce que ce serait reproduire l'effet rétroactif dont j'ai déjà prouvé l'illégalité. Il n'y a pas lieu non plus d'interpréter une disposition du Code pénal aussi claire que celle de l'article 13 du titre II, pour une circonstance unique que, qui ne pourra se reproduire dans les jugements qui seront rendus par jurés, ceux-ci ayant la faculté de déclarer un fait excusable lorsqu'ils en auront reconnu et constaté l'innocence ou l'excuse par une impulsion irrésistibles; enfin, contre un jugement rendu d'après les formes de l'ancienne procédure, si la conviction est déclarée acquise. Il ne peut y avoir de remède que dans des lettres qui étaient usitées dans ce même régime.

Par tous ces motifs, votre comité vous proposera de décréter qu'il n'y a pas lieu de délibérer sur l'émission ou l'interprétation d'aucune loi, applicable à la punition de toutes les espèces de délits énoncés dans les lettres des ministres de la justice et de l'intérieur, les tribunaux et accusateurs publics, et autres citoyens, pour menaces, complots et tentatives, ni pour excuser l'impulsion maligne et inévitable de la manie d'une femme en état de grossesse.

SECONDE PARTIE.

Y a-t-il lieu à l'émission d'une loi pour suppléer à l'avenir au silence du Code pénal sur les tentatives des crimes?

Si, lors de la rédaction du Code pénal, la question des peines à infliger contre les tentatives des crimes qui laissent des traces faciles à constater et à saisir a pu paraître problématique ; si l'émission de ces peines n'est pas une suite de l'inadvertance et de l'oubli qui rendent cette loi incomplète à beaucoup d'égards; si l'Assemblée nationale n'avait pas préjugé l'utilité de

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