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poser est pleinement confirmé par le sentiment | unanime des plus grands jurisconsultes d'Allemagne, entre autres par celui de Hert, dans son traité de la collision des lois, paragraphes 8 et 13, et par l'obversation 400 du célèbre Hommel.

Peut-elle, cette ci-devant abbaye, vous demander, avec quelque apparence de justice, la permission de se transplanter sur terre d'Empire, en conservant à perpétuité la propriété et la jouissance des anciennes possessions qu'elle avait en France. C'est là la troisième question que l'on pourrait faire, et à laquelle je vous réponds, avec le sieur Koch, chancelier de l'université de Giessen, qui a été consulté à ce sujet, et qui a estimé qu'un corps monastique supprimé est censé mort; qu'une personne morale morte ne peut pas se transplanter; qu'il n'existe aucun exemple qu'une pareille congrégation, supprimée dans un pays, soit ressuscitée dans un autre pays. Et je joins à cette réponse du chancelier de Giessen que vous voudrez bien distinguer du sieur Koch, député à l'Assemblée nationale, cette observation importante que si vous aviez pour l'abbaye de Wadegasse une complaisance aussi extraordinaire et aussi contraire à vos droits que de lui permettre cette transplantation, aux conditions qu'on voudrait y attacher, vous ne pourriez refuser la même faveur à un grand nombre d'abbayes et de monastères que vous avez supprimés, et qui, situés en France, ont des possessions en pays étrangers; ce qui porterait un coup mortel à votre Constitution, et serait une source intarrissable de confusion et de procès.

Reste à savoir si le prince régnant de NassauSaarbruck a pris vis-à-vis de cette ci-devant abbaye et vis-à-vis de l'ordre de Prémontré en général, des engagements qui peuvent l'obliger à prendre aujourd'hui son fait et cause. Et je vous dis que ce principe a déclaré formellement et textuellement, qu'il ne renonçait à la supériorité territoriale dont il jouissait relativement à la maison de Wadegasse, qu'à condition que tous les droits, prérogatives, immunités et franchises dont elle avait joui jusqu'à l'époque de sa cession, lui seront conservés en entier; que par conséquent le prince régnant de NassauSaarbruck s'est formellement engagé à prendre le fait et cause de cette abbaye mais je vous dis aussi que ce prince, lorsqu'il a contracté cette obligation, n'a pas pu s'engager à garantir à l'abbaye de Wadegasse une prérogative qu'elle n'avait pas, c'est-à-dire de n'être jamais supprimés, dùt aussi sa suppression émaner du droit de souveraineté absolue qu'il n'avait pas, que l'empereur et l'Empire seuls avaient, et qu'ils ont cédé à la France. Le prince de Nassau pouvait simplement déclarer et dire au monastère de Wadegasse, étant prince protestant L'article 5, § 33 du traité de paix d'Osnabruck, m'interdit ta suppression, et m'oblige à te conserver, autant que cela dépendra de moi, tous les droits, prérogatives, immunités et franchises dont tu as été en possession jusqu'ici, de te les réserver même dans le traité d'échange, que je passerai avec la France; mais il ne pouvait pas dire : je te conserverai tout cela, alors encore lorsque le souverain auquel ma supériorité territoriale est subordonnée, te cédera à un autre souverain sans te réserver tous ces avantages, et que l'autre souverain, auquel tu auras été cédé, voudra exercer à ton égard les droits qui découlent de sa souveraineté. Or, Messieurs, je vous ai déjà prévenu que les mêmes avantages n'ont pas été 1ro SERIE. T. XLVII.

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garantis par l'empereur et l'Empire à l'abbaye de Wadegasse, lors de sa cession. Les engagements du prince de Nassau sont donc remplis, lorsqu'il fait les démarches nécessaires pour conserver aux moines de Wadegasse leur existence; or il a fait toutes ces démarches; les moines n'ont donc aucun reproche à lui faire, car il ne pouvait pas s'engager à empêcher les suites qui découlent du droit de souveraineté absolue qu'il n'avait pas, que l'empereur et l'empire seuls avaient, et qu'ils ont cédé à la France sans aucune restriction ni réserve.

Une conséquence très naturelle de tout ceci, est, ce me semble, celle que l'on ne saurait rendre responsable le prince de Nassau-Saarbruck de la suppression de la ci-devant abbaye de Wadegasse; car qui est-ce qui pourrait l'en rendre responsable? Est-ce la congrégation monastique? Or, elle est morte par sa suppression même; et on sait assez qu'une personne morale morte ne saurait plus agir. Est-ce l'ordre de Prémontré qui pourrait l'en rendre responsable? Or, il lui dirait sans doute : J'ai fait tout ce qui dépendait de moi, je n'ai pas pu empêcher un effet qui délivre d'un droit que je n'avais pas, c'est-à-dire celui de la souveraineté absolue; je n'ai donc aucun compte à vous rendre.

Aussi, le prince de Nassau sait-il cela beaucoup mieux que je ne saurais vous le dire; et il n'est peut-être personne qui soit intérieurement plus satisfait de la suppression de l'abbaye de Wadegasse que lui-même, puisqu'il ne manquera pas d'exercer sur les propriétés de cette abbaye, situées en son petit Etat, le droit d'épaves, en les réunissant à son domaine, à l'instar de tous les princes protestants d'Allemagne, qui, dès qu'une maison religieuse est supprimée en un Etat catholique, tombent sur les propriétés qu'avait cette maison dans leur territoire, exercent à l'égard de ces propriétés le droit d'épaves, en les déclarant biens vacants et sans maîtres, et les réunissent à leur domaine, comme cela s'est pratiqué tout récemment encore, lorsque l'électeur de Mayence a supprimé la chartreuse de Mayence; suppression dont le landgrave de Hesse-Darmstadt a tout aussitôt tiré profit, en déclarant que les propriétés de cette chartreuse, situées en son territoire, étaient des biens vacants et sans maîtres, et qu'en cette qualité il exerçait à leur égard le droit d'épaves et les réunissait à son domaine. Si donc le prince régnant de NassauSaarbruck vous dit que l'ordre de Prémontré le rendra responsable de la suppression de l'abbaye de Wadegasse, qu'il le poursuivra en justice et devant les tribunaux suprêmes de l'Empire, pour le faire condamner à une indemnisation suffisante de la perte qu'il éprouve par la suppression d'une abbaye de son ordre, et que, sans être injustes, vous ne sauriez lui refuser cette indemnisation, il dit une chose dont il croit formellement le contraire; mais il ne vous dit tout cela que dans la persuasion, qu'en outre des avantages qu'il retirera en exerçant le droit d'épaves sur les propriétés du monastère de Wadegasse, situées en son pays, vous pourriez encore lui accorder un million ou deux en guise d'indemnité, que personne ne lui demandera jamais, et le consoler, par là, du chagrin de ne pouvoir plus être porté sur le trop fameux livre rouge; registre si agréable à tant de petits princes d'Allemagne qui, sous l'ancien régime, suçaient avec délice le sang du peuple français, contre lequel, par reconnaissance, ils se déclarent aujourd'hui. Je conclus donc que, sans vou

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arrêter un seul instant aux réclamations mal fondées du monastère de Wadegasse et du prince de Nassau-Saarbruck, vous passiez à l'ordre du jour.

Plusieurs membres : L'impression!

D'autres membres: La question préalable sur l'impression!

(L'Assemblée décrète qu'il y a lieu à délibérer et ordonne l'impression du díscours de M. Rühl.) M. Adam (de Sarreguemines). Je demande la parole.

Plusieurs membres : La discussion fermée!

M. Merlin. Il est si extraordinaire d'avoir déjà entendu dans l'Assemblée nationale deux membres du département de la Moselle parler en faveur de moines imbéciles, que je demande que le troisième soit entendu.

M. Tartanac. Nous avons déjà entendu plusieurs personnes pour et contre; nous sommes suffisamment éclairés. Il ne peut plus rester d'équivoque pour aucun de nous. Je demande que la discussion soit fermée.

M. Adam (de Sarreguemines). Je demande à rétablir les faits.

M. Guérin. J'entends dire autour de moi que M. Adam est un ancien procureur du couvent de Wadegasse. (Rires ironiques à gauche.)

Plusieurs membres : La discussion fermée! (L'Assemblée ferme la discussion.)

M. Adam. Je demande que l'on donne lecture de l'approbation donnée par l'Empire à la cession et l'on verra que les faits avancés par M. Rühl sont faux.

Plusieurs membres : Aux voix la question préalable!

(L'Assemblée décrète qu'il y a lieu à délibérer sur le projet présenté par M. Koch, au nom du comité diplomatique.)

M. Delacroix. Je demande que le directoire du département soit improuvé et que le procureur syndic soit mandé à la barre pour avoir mis en balance l'intérêt de la nation avec celui des moines.

M. Couturier. Vous n'improuverez pas le département de la Moselle et vous ne manderez pas à la barre son procureur syndic sans avoir pris connaissance des motifs qui l'ont déterminé à la suspension de la vente des biens de l'abbaye de Wadegasse.

Plusieurs membres: Il ne peut pas en avoir.

M. Couturier. Les biens de l'abbaye de Wadegasse étaient au moment d'être mis en vente, lorsque le prince de Nassau-Saarbruck a adressé des réclamations au Corps législatif. Ces réclamations ont été prises dans la plus haute considération et le département de la Moselle en a été instruit par le ministre de l'intérieur. C'est alors que, par respect pour les décrets de l'Assemblée nationale, il a ordonné la suspension de la vente des biens de l'abbaye de Wadegasse. L'opinion du comité des domaines, celle de Mirabeau, étaient que ces biens ne devaient point être vendus. Le comité des domaines avait instruit le département de la Moselle pour le prier de suspendre la vente de ces biens. C'est donc uniquement par respect pour le Corps législatif que le département de la Moselle ne s'est pas permis de mettre en vente les biens sur lesquels il y avait des réclamations.

M. Vincens-Plauchut. Il y a erreur dans ce qu'a dit le préopinant. Le comité des domaines a toujours été de l'avis de la vente de cette abbaye.

M. Charlier. Il est bien étonnant que le préopinant qui était membre du département de la Moselle soit moins instruit des faits que moi qui suis très étranger à ce département. Voici une discussion du comité des rapports de l'Assemblée nationale constituante, qui annonce que ce n'est pas sur une réclamation du prince de Nassau-Saarbruck, que le département de la Moselle s'est permis de suspendre sa vente, mais seulement sur la réclamation d'un sieur Colbois, se disant ministre plénipotentiaire du prince de Nassau-Saarbruck. J'ai à la main l'arrêté pris par les comités d'aliénation et ecclésiastique de l'Assemblée constituante, du 13 mars 1791, après avoir conféré avec le comité diplomatique, qui trace au département de la Moselle la conduite qu'il avait à tenir à cet égard. Le voici :

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Que le directoire du département de la Moselle doit, sans retardement, prendre un arrêté qui sera inscrit sur le registre de ses délibérations, par lequel il rétractera le sursis par lui prononcé dans son arrêté du 16 février dernier, par lequel il déclarera que l'envoyé du prince de Nassau aurait dù s'adresser au ministre des affaires étrangères; que sans retardement il enverra au directoire de district de Sarre-Louis extrait de son arrêté, en ce qui concerne la levée du sursis de la vente; que, dans quinzaine au plus tard, il enverrra au comité d'aliénation extrait entier de son arrêté, pour l'assurer qu'il s'est conformé au présent avís. »

C'est conséquemment à cet avis que le directoire du département de la Moselle a eu l'air de révoquer son arrêté du 16 février; mais bientôt, par un nouvel arrêté dont M. Couturier est porteur, il a encore une fois suspendu la vente, malgré que vous ayez rendu un décret qui passait à l'ordre du jour sur sa réclamation. Ainsi, en appuyant la motion de M. Delacroix, afin que l'Assemblée n'improuve pas légèrement une administration, je demande que cette motion soit renvoyée à la commission extraordinaire.

M. Ducos. Ce serait le cas de renvoyer à la commission, s'il y avait quelque doute sur les faits; mais, d'après ce qu'a dit M. Charlier, il n'y a pas de doute que le département ait désobéi aux décrets. Dès lors il est dans le cas de l'improbation.

M. Cambon. Le comité d'aliénation de l'Assemblée constituante était une autorité pour la vente des biens nationaux; en conséquence, je crois qu'une improbation ne serait pas suffisante. (Murmures.) Tous ceux qui veulent un gouvernement conviendront qu'il faut une obéissance au pouvoir; et ceux qui voulaient la suspension du corps municipal de Paris veulent que celui qui a désobéi à l'autorité constituée, d'abord soit puni par une improbation. Je demande que le directoire soit mandé à la barre pour prononcer ensuite sur sa suspension.

M. Merlin. Quoique député de la Moselle, je ne me dissimule pas que l'administration du département a manqué à son devoir; mais ce n'est pas dans le moment où les ennemis sont aux portes de cette partie des frontières, qu'il faut appeler à notre barre ses administrateurs. Je demande donc que l'Assemblée se contente d'improuver la conduite du département de la Moselle.

M. Couturier. Postérieurement à la délibération dont on vient de vous donner lecture, il y a eu un décret de l'Assemblée constituante qui a renvoyé à son comité diplomatique pour examiner de nouvelles réclamations du prince de Nassau-Saarbruck, et c'est sur ce décret là que le département de la Moselle a encore mandé de nouveau au directoire de district de Sarre-Louis de suspendre la vente des biens de Wadegasse; c'est pour cela que je demande le renvoi à la commission.

M. Rühl. Le département de la Moselle ne pouvait point ignorer que c'est principalement dans l'abbaye de Wadegasse que s'est formé le complot, lorsque les régiments de Royal-Allemand, Saxe et Berchiny ont déserté; celui qui commandait le régiment de Royal-Allemand s'y est réfugié le département aurait donc dů porter ses regards sur cette infâme moinerie, qui était une autre Sodome. (Murmures.)

M.Marin. C'est encore une nouvelle calomnie... M. Couturier. Le département de la Moselle a, par un arrêté, ordonné une surséance de cette vente. Il ne s'est pas contenté de cela. Après une lettre du ministre Roland d'après un ordre du roi, qui lui ordonnait de faire faire cette vente, le département a prononcé un second

sursis.

Plusieurs membres: A la barre!

M. Couturier. Les ennemis sont aux portes de Metz; et vous voulez désorganiser l'administration du département de la Moselle!

Plusieurs membres réclament l'ordre du jour sur ces diverses propositions.

D'autres membres: Pas du tout, nous demandons la priorité pour la première proposition, qui est d'improuver le directoire!

M. le Président. Je mets cette proposition aux voix.

(L'Assemblée refuse la priorité à la motion qui consiste à improuver le directoire du département de la Moselle.)

M. Lejosne. Je demande que préalablement le procureur syndic soit entendu à la barre au nom du directoire et que les pièces soient renvoyées au comité.

(L'Assemblée décrète que le procureur général syndic du département de la Moselle se rendra à la barre pour être entendu sur les faits imputés au directoire de ce département, et renvoie à son comité des Douze les pièces concernant la conduite dudit directoire pour lui en faire un rapport et lui présenter un projet de décret.)

M. Lejosne. Je demande aussi que l'Assemblée ordonne que les biens de l'abbaye seront vendus comme les autres. (Bruit.)

Plusieurs membres : L'ordre du jour! Il y a une

loi!

(L'Assemblée passe à l'ordre du jour sur le projet du comité, motivé sur ce que la loi sur la vente des biens nationaux ne porte point d'exception.)

M. le Président. Je reçois à l'instant une lettre de M. Bureaux de Pusy, qui informe l'Assemblée qu'il est prêt à paraitre à la barre, conformément au décret du 22 de ce mois, qui le lui ordonne, pour rendre compte de sa conduite relativement à la proposition qu'il a été inculpé d'avoir faite, de la part du général La Fayette au maréchal Luckner, de faire marcher leur armée

contre Paris (1). Quand dois-je donner l'ordre de l'introduire?

Un grand nombre de membres : Tout de suite! M. Bureaux de Pusy est introduit à la barre. M. le Président. Monsieur, l'Assemblée nationale a désiré vous entendre sur l'objet dont on vous donnera lecture.

Un de MM. les secrétaires donne lecture du décret; il est ainsi conçu :

« L'Assemblée nationale, considérant que le fait dénoncé par plusieurs de ses membres, d'une proposition faite au général Luckner, de la part du général La Fayette, par M. Bureaux de Pusy, de faire marcher sur Paris leurs deux armées, qu'il y a urgence. demande à être promptement éclairci, décrète

«L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète que les généraux Luckner et La Fayette donneront, séparément, et par écrit, des explications positives sur ce fait, et que copie de la dénonciation leur sera envoyée par le pouvoir exécutif, avec le présent décret; décrète, en outre, que M. Bureaux de Pusy sera tenu de se rendre, sans délai, à la barre de l'Assemblée nationale pour rendre compte, en ce qui le concerne, du fait de la proposition qui lui est imputée. »

M. BUREAUX DE PUSY. Messieurs (2), telle est la douloureuse extrémité où je me trouve réduit, que, pour éviter d'être compromis par une fausse imputation, dont chacun peut aisément calculer l'importance et le danger, je suis obligé de convaincre d'imposture... qui? des législateurs, qu'on devrait distinguer des autres citoyens à leur modération, à leur justice, à leur amour pour la vérité; ou un général d'armée; un vieillard vénérable, dont la gloire a marqué la carrière; des hommes publics, enfin, entre les mains desquels sont déposés les plus grands intérêts de l'Etat, à qui la confiance de la nation est nécessaire, et qu'il serait à désirer de voir entourés de son estime.

Quelle que soit la force de ces considérations, il ne m'est plus permis de balancer depuis que l'Assemblée nationale, en accueillant là dénonciation qui lui a eté adressée contre moi, a paru lui donner quelque importance; mais j'avoue que, sans le décret qui m'a mandé, j'aurais dédaigné de me justifier des imputations perfides que quelques folliculaires m'ont prodiguées. Je n'avais vu dans cette atroce démence que l'effet d'une loi imposée par la nature à tous les êtres, le besoin de vivre des aliments analogues à leur espèce; car j'ai toujours pensé que de même que la Providence avait approprié quelques poisons à la nourriture de certains reptiles de mème dans l'ordre social, elle avait permis la calomnie pour en faire la pâture des libellistes.

Mais mon objet ici n'est pas d'établir la théorie des misères de l'humanité: je suis interpellé sur un fait, et je vais répondre.

Si M. La Fayette m'eût chargé d'engager M. le maréchal Luckner à se joindre à lui pour marcher sur Paris à la tête de leurs armées respec

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tives; si j'eusse accepté cette commission, c'est que j'aurais cru pouvoir le faire sans crime, ou avec quelque utilité pour la chose publique; et, dans cette hypothèse, je déclare qu'il n'est aucune puissance qui m'empêchat d'avouer une démarche que j'aurais pu regarder comme estimable, ou simplement comme innocente; mais dans la délation dont la suite m'amène à la barre de l'Assemblée nationale, tout est faux je dois en démontrer l'imposture; et comme je ne connais qu'une manière de dire la vérité, qui est de la dire tout entière, je remonterai à l'origine des événements par l'effet desquels j'ai été, durant quelques moments, l'intermédiaire de la correspondance des deux généraux.

Je détaillerai les motifs des deux missions dont j'ai été chargé. Je produirai les lettres dont j'ai été porteur on les comparera avec la dénonciation dirigée contre moi, et la conscience de chacun pourra prononcer. Je dois ajouter que, muni de l'autorisation de mon général, il m'a remis toutes les pièces qui peuvent servir à me disculper; que j'en garantis l'authenticité sur ma tête; qu'il m'a laissé le maître de divulguer des projets dont le secret m'avait été confié; et que j'userai de cette permission avec d'autant moins de répugnance, qu'aujourd'hui la publicité sur ces objets est sans nul inconvénient. Si au narré historique des événements, j'ajoute quelques réflexions, on voudra bien les pardonner à la nécessité où je suis de remplacer mes juges, avec précision, aux époques et aux circonstances où j'ai été employé.

Ce fut dans une conférence tenue entre les généraux Rochambeau, Luckner et La Fayette, qu'il fut convenu que le premier se porterait avec toutes ses forces sur la partie occidentale des Pays-Bas autrichiens, et qu'il attaquerait ces provinces par la rive gauche de la Lys. M. le maréchal Luckner n'a point dissimulé, m'a-t-on dit, qu'il commençait cette expédition bien moins dans l'espérance de faire des conquêtes, que dans celle de mettre en évidence les vices du plan sur lequel on avait entamé la guerre, la futilité du projet de soulever la Belgique, et la nécessité de diriger nos moyens militaires d'après des vues plus raisonnables et plus utiles. Au reste, quelles qu'aient pu être les opinions des généraux, le concert de leurs opérations devenait d'autant plus indispensable, que les forces des ennemis dans les provinces belges étaient au moins numériquement égales à celle que nous pouvions leur opposer.

En conséquence du plan adopté, M. La Fayette, le 4 juin, quitta le camp de Rancennes, qu'il occupait sous Givet, pour aller prendre celui de Maubeuge, que M. de La Noue abandonnait pour se porter à celui de Maulde. M. le maréchal avait reconnu lui-même cette position, qui, menaçant Tournay, avait pour objet de contraindre les ennemis à rester en force sur cette place, et de faciliter, par ce moyen, les mouvements que devait faire notre armée du Nord.

De fausses démonstrations d'hostilités sur Namur, fixèrent l'attention et les forces de l'ennemi autour de cette place, et permirent à M. La Fayette de marcher sur Maubeuge, et d'y arriver sans obstacle le 7 juin, jour auquel M. de La Noue quitta cette position.

A cette époque, la majeure partie des forces ennemies se trouva rassemblée sous Mons. Les rapports des espions, ceux des déserteurs, ceux des prisonniers, se sont tous accordés pour faire monter à 25,000 hommes les troupes autri

chiennes réunies dans le point dont il s'agit. Elles y restèrent dans le même nombre jusqu'au moment où le projet de M. le maréchal Luckner ne pouvant plus être douteux, les généraux ennemis crurent nécessaire de détacher un corps d'environ 7,000 hommes pour renforcer celui qui, sous Tournay, devait être opposé à M. le maréchal Luckner; ils purent se permettre ce mouvement avec d'autant moins de danger que, même après s'être privés de cette portion de leurs forces, l'armée qui leur restait sous Mons était encore au moins égale à celle de M. La Fayette, qui n'avait en tout que 16 à 18,000 hommes disponibles.

On doit sentir, sans que j'insiste pour le démontrer, que dans cette expédition, le rôle de M. La Fayette était purement auxiliaire, que sa destination était uniquement de tenir en échec une partie des forces ennemies, pour assurer la liberté et la tranquillité des mouvements de M. le maréchal Luckner; que pour empêcher d'agir les troupes autrichiennes campées dans les environs de Mons, il fallait que, par une activité continuelle, par des dispositions constamment offensives, il leur fit croire qu'il cherchait sans cesse à les entamer, et surtout qu'il voulait attaquer Mons, l'un de leurs points d'appui et de leurs dépôts principaux.

Il n'était pas moins essentiel à l'intérêt des deux armées, que celle de M. La Fayette, toujours menaçant, toujours affectant le projet d'attaquer, évitât avec la plus grande circonspection un engagement général, dont les avantages ne pouvaient jamais être proportionnés aux inconvénients qui seraient résultés d'un échec, car le succès le plus complet qu'elle eùt pu obtenir, se serait réduit à replier les ennemis, à les resserrer dans leur position sous Mons. Mais dans l'équilibre de forces qui existait entre eux et nous, il eût été absurde d'espérer de les pousser plus loin que ce point d'appui dont ils étaient certains, et moins encore d'emporter cette place. Le plus brillant avantage pour nos troupes se serait donc réduit à tuer du monde à l'ennemi, en sacrifiant une partie plus ou moins considérable de nos soldats.

Si, au contraire, nous eussions perdu une bataille; comme pour la donner, il aurait fallu nous éloigner de Maubeuge; si la retraite sur ce point eût été coupée à une partie de notre armée; en supposant, contre toute vraisemblance, que cette partie n'eût pas été détruite, elle eût du moins été forcée de se retirer par une marche pénible sous Givet, et le moindre inconvénient qui serait résulté de notre défaite, aurait été la dispersion de nos forces, d'où serait née l'impuissance d'agir et de s'opposer aux mouvements des ennemis qui, dans cette hypothèse, se détachant de la majeure partie de leur armée, auraient renforcé d'autant celle qu'ils avaient sous Tournay, et auraient obligé M. le maréchal Luckner à rétrograder, ou même l'auraient combattu avec une supériorité qui, à mérite égal entre les troupes, doit toujours décider les succès.

Le devoir de M. La Fayette, dans cette circonstance, était donc de se renfermer dans une activité prudente, de harceler l'ennemi, sans jamais se compromettre, et de feindre sans cesse le désir d'engager une action que tout lui prescrivait d'éviter. Il a rempli son objet; et pendant douze jours qu'a duré notre première station sous Maubeuge, il ne s'en est écoulé presque aucun où nos postes avancés n'aient combattu. Ils l'ont presque toujours fait avec avantage, et l'événe

ment de Grisouelle, qui priva l'armée d'un homme dont la mémoire lui sera toujours chère, comme elle doit l'être à tous les bons citoyens ; cette journée malheureuse par cet accident, serait sans lui, compté au nombre de nos jours de succès, puisque nos troupes, en cédant un terrain qu'il leur devenait impossible de défendre contre la supériorité des forces qui les attaquaient, firent payer à l'ennemi, par une perte plus que double de la nôtre, le stérile avantage d'avoir occupé une position qu'il fut obligé d'abandonner une heure après qu'il s'en fùt rendu

maître.

Cependant l'armée de M. le maréchal Luckner avait quitté nos frontières: elle était campée à Menin; elle avait chassé de Courtrai un détachement des ennemis qui occupait cette ville. Les rapports des espions et ceux des déserteurs se réunissaient pour nous faire penser que les troupes ennemies campées sous Mons, étaient familiarisées avec les simulacres d'attaque de l'armée de M. La Fayette. Nous sûmes qu'elles avaient resserré et retranché la gauche de leur position, et qu'il devait en partir un corps considérable pour le joindre à l'armée autrichienne campée sous Tournay. Il fallait empêcher cette jonction; et pour y réussir, M. La Fayette quitta, le 19 juin, son camp de Maubeuge, et se porta avec autant de zèle que d'audace, à celui de Tainière-sous-Bavay. Cette nouvelle position était extrêmement hardie à occuper, non qu'elle ne fût très militaire, mais la nature l'a préparée pour une armée de 50,000 hommes au moins, et j'ai déjà dit que celle de M. La Fayette n'était pas de 18,000. Il fallut corriger cet inconvénient du site sur lequel nous venions de nous placer. On fortifia la pointe faible du camp, et bientôt not re position rétrécie par des retranchements, et réduite aux proportions qui convenaient à nos forces, fut aussi respectable qu'on put le désirer. L'ennemi ne douta plus que nous n'eussions sérieusement l'intention d'engager une affaire: il fit repasser des troupes de sa gauche à sa droite; il la fortifia par des retranchements et par des abattis; il fit ouvrir des communications dans la forêt pour la facilité de ses mouvements; enfin, dans ses divers travaux, il arriva à l'époque du 22 juin, sans avoir détaché un seul homme pour renforcer l'armée de Tournay; il fallait l'entretenir dans cette défiance qui le paralysait. Sa droite était devenue assez respectable pour qu'il ne pût raisonnablement craindre d'y être attaqué, à moins que ce ne fùt par des forces supérieures qui n'étaient pas à notre disposition.

M. La Fayette se décida donc à se reporter brusquement sur la gauche de l'ennemi, afin d'y attirer de nouveau toute son attention, et de gagner du temps; mais il crut devoir prévenir M. le maréchal de ce nouveau mouvement. Depuis quelques jours il n'en avait pas reçu de nouvelles. Il ignorait à quel point if en était de son expédition, quels mouvements de la part de l'armée du centre seraient les plus utiles aux opérations de l'armée du Nord. Il crut que les divers objets dont il avait à entretenir M. le maréchal ne seraient, vu les détails, que très imparfaitement renfermés dans une lettre, et qu'il était indispensable de remettre ses dépêches à quelqu'un qui pùt, au besoin, répondre à une objection ou à une question imprévue, ou demander un éclaircissement nécessaire.

Sur ces entrefaites, on reçut au camp de Tainière les détails de la journée du 20 juin. Cette circonstance augmenta le désir qu'avait, depuis

longtemps, M. La Fayette de se rendre à Paris, d'y paraître à la barre de l'Assemblée nationale, et lå d'expliquer et de justifier l'objet et les motifs de la pétition qu'il avait adressée précédemment au Corps législatif. Une seule considération l'arrêtait; c'était, non pas la crainte de l'usage que ses ennemis pourraient faire contre lui de sa démarche; il avait bien prévu qu'elle serait empoisonnée.

Quelques membres à gauche : Ah! ah!

D'autres membres: Paix donc!

M. BUREAUX DE PUSY. Mais l'inquiétude que son collègue ne regardât l'absence qu'il projetait comme nuisible à l'intérêt commun de leurs deux armées, il voulut donc avoir son avis avant de décider son départ, et moi, muni des instructions de M. La Fayette, je me rendis à Menin.

Voici quels étaient les objets de ma mission. Je devais: 1° rendre à M. le maréchal Luckner un compte détaillé des opérations de l'armée du Centre, depuis le moment où elle avait occupé le camp de Maubeuge, et spécialement depuis qu'elle s'était portée sous Bavay; lui expliquer les motifs qui en avaient déterminé les divers mouvements; lui faire connaître la force et la position des ennemis près de Mons, du moins autant que les ressources de la guerre nous avaient permis de les apprécier nous-mêmes; prendre connaissance, avec précision, de la position actuelle de l'armée de M. Luckner; m'informer de ses projets ultérieurs, et concerter avec lui les moyens par lesquels on pourrait aider à ses vues;

2o Recueillir ce que M. le maréchal pouvait avoir appris sur l'approche des Autrichiens et des Prussiens, sur la quantité de leurs forces, sur celles de la grosse artillerie qui devait faire partie de leurs armées, et sur les lieux où devait se faire leur rassemblement;

3o Je devais entretenir M. le maréchal de notre situation politique intérieure; et voici ce que j'étais chargé de lui dire de la part de M. La Fayette :

« Que celui-ci avait vu, dans la journée du 20 juin, la violation la plus effrayante de l'Acte constitutionnel; ; que les troubles dont nous étions agités au dedans, étaient faits pour détruire toutes dispositions actives et efficaces contre les ennemis du dehors; que ces désordres alarmaient et décourageaient l'armée; que dans la sienne un grand nombre d'hommes non suspects du côté du patriotisme, ni de celui du courage, étaient déjà venus plusieurs fois lui demander s'ils allaient combattre pour la défense de la Constitution française, ou pour l'intérêt de l'un des partis dont la rivalité déchire l'Etat, que cette incertitude funeste tendait à la désorganisation absolue de la force publique; qu'il lui paraissait que le plus pressant des intérêts de la nation était d'arrêter promptement les excès de l'anarchie; qu'il avait déjà annoncé ces vérités à l'Assemblée nationale; qu'il aurait le courage de les lui répéter encore; qu'il était prêt à partir pour le faire; mais qu'avant d'entreprendre cette démarche, il désirail savoir de lui s'il n'y apercevait aucun inconvénient pour le service militaire dont ils étaient chargés et responsables tous deux. Une lettre succincte renfermait l'analyse de ces objets dont je vais donner le développement. La voici:

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