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son cerveau: hélas! il ne s'arma au Champ-deMars que pour défigurer et mutiler cet enfant d'autrui. Serait-ce donc qu'espérant voir périr la Constitution par la Constitution elle-même, il eût voulu écarter par la terreur de ses armes jusqu'à l'idée de la sauver, dans ses grandes crises, par des ressources qui lui seraient étrangères? Certes, Messieurs, il n'y a que deux manières d'envisager cet apostolat extraordinaire en faveur de la Constitution : c'est de le regarder comme un zèle de propagande que rien n'avait encore annoncé de sa part, ou comme une hypocrisie politique qui couvrait des vues dangereuses.

Peut-être aussi fallait-il, par un amour affecté de la Constitution, persuader que de cette source coulait sa haine implacable contre les factions. Ainsi le faux dévot ne s'enveloppe jamais autant du manteau de la piété, que quand il faut colorer des haines ou assouvir des vengeances.

Ne nous y trompons pas, Messieurs, le mot de la Constitution est également dans la bouche de tous les dissidents politiques; il n'y a pas jusqu'aux purs contre-révolutionnaires qui ne l'aient adopté Que vous dirai-je de plus ? L'air en retentit, même à Coblentz. Mais, prenez-y garde, ce mot banal a dans chaque parti une acception générale différente. Ce jargon sert à l'aristocratie, pour dérober son incivisme au peuple qui l'observe; c'est le point de contact de deux partis qui ont quelque chose de commun; celui de partisans absolus de l'ancien régime, et celui des politiques ravaudeurs qui ne veulent que le raccommoder. C'est le mot du_gué du royaliste modéré qui voit dans la Constitution la prérogative royale, qui l'y voit tout entière, et qui n'y voit rien qu'elle. C'est dans la bouche du jacobin l'Acte constitutionnel, avec une horreur pour les vices, et des gémissements sur l'époque éloignée de la revision, qui doit rétablir en son entier la souveraineté du peuple, et faire tellement rentrer la royauté dans ses bornes, qu'elle ne puisse plus être le fléau d'un peuple dont elle devrait être le génie tutélaire. La Constitution enfin, est aux sectes politiques ce qu'est la religion aux sectes religieuses qui se déchirent. Chacune l'invoque, et chacune déteste sa rivale en attendant le moment favorable de l'écraser.

J'oubliais, Messieurs, une dernière classe de proclamateurs de la Constitution; oui, la dernière en moralité, quoique la première en puissance. Ce sont ces grands politiques, qui ne voyant dans la Constitution que la doctrine des dupes et l'enrayure des sots, se servent de ce grand mot comme d'un levier pour soutenir le peuple, et d'un signal pour le rallier autour d'eux. Figurez-vous des athees fomenter, la croix à la main, des guerres de religion dans des vues ambitieuses. C'est dans un autre genre, ce que fut La Fayette à Paris, ce qu'il est à l'armée, ce qu'il était naguère à votre barre. Le politique inconstitutionnel! il voulait éloigner ce soupçon en faisant sonner à vos oreilles, le grand mot de Constitution, en vous recommandant de lui être fidèles, et en se déclarant pour elle l'ennemi de toutes les factions: mais est-ce pour faire la guerre aux factions, factieux vous-même, que la nation vous a chargé de la défense des frontières? De quel droit intervertissez-vous ain-i la nature de votre mandat, et l'espèce de vos fonctions? De qui tenez-vous ce pouvoir de général amphibie? Quel est l'officier civil qui vous a requis pour venir contre les ennemis intérieurs au secours de nos gardes nationales? Est-ce la

Constitution qui vous permet d'employer indistinctement, et de votre pur mouvement, la troupe de ligne à repousser l'agression étrangère et à dissiper nos troubles? La guerre étrangère aurait-elle donc pour vous moins de charmes que la guerre civile? Celle-ci venait-elle trop lentement pour vos grands projets? Et jugiezvous nécessaire de l'attiser ? Ah! le plus décidé factieux, c'est le général qui, lorsqu'il faut repousser l'ennemi loin des frontières, retourne sa tête vers les troubles de l'intérieur, mème avant qu'ils aient éclaté; plus factieux encore, quand, emporté par sa passion turbulente de l'intrigue, il passe brusquement de la tête de son armée à la barre du Corps législatif; d'une part, pour s'y déclarer l'ennemi d'une classe de citoyens qu'il lui plaît d'appeler une faction; d'autre part pour se déclarer le protecteur et le chef d'une autre classe qu'il décore du titre d'honnêtes gens; un général enfin, porte à son comble l'esprit de faction, lorsque, essayant d'en imposer à la loi par la force, il entreprend audacieusement la police du royaume, et n'emploie l'ascendant du général d'armée que pour envahir le pouvoir plus vaste de protecteur de l'Empire.

Le célèbre Francklin, pendant son séjour en France, racontait souvent avec complaisance le fait suivant, qui s'adapte parfaitement à la discussion présente. Le général Washington, c'està-dire, un bien autre général que La Fayette, parut un jour au congrès pour l'entretenir d'affaires publiques. Remontez, monsieur, lui dit le congrès par l'organe de son président, re« montez sur votre cheval de bataille; l'armée » vous attend, c'est à nous de régler l'inté>> rieur. »>

Comme Washington ne demanda rien au congrès au nom de son armée, et qu'il ne venait pas jeter à Philadelphie des étincelles de guerre civile, notre réponse à La Fayette eùt dû être plus sévère que celle du congrès. On aurait dû lui dire par un décret rendu sous ses yeux: Vous ne rejoindrez plus l'armée que vous avez quittée sans congé, avec des intentions perverses: Allez, allez, expier ces intrigues aux prisons d'Orléans, et l'audace de méconnaître vos juges.

Quel put être le motif de cette hasardeuse démarche du mauvais singe de Washington? car, pour un usurpateur, la chose la plus difficile est d'avoir un prétexte, et de saisir le moment de faire le premier pas. Heureusement notre héros, s'il a la manie dè la domination, n'en a point le génie aussi furent-ils bien misérables les motifs qu'il allégua pour justifier sa démarche audacieuse; les événements du 20 juin furent un des vains prétextes de sa démarche hypocrite.

Une grande masse du peuple de Paris rassemblée pour fêter une fête civique, après un hommage solennellement rendu à la loi, sous les yeux du Corps législatif, veut lui rendre un second hommage, en sollicitant de la justice du monarque une sanction qu'elle croit nécessaire au repos de l'Empire et au progrès de la Révolution. Jamais le palais de nos rois ne fut plus véritablement grand; jamais le peuple n'avait déployé sous les yeux du monarque tant de force, de modération et de respect tout ensemble pour sa personne et pour la loi; jamais un roi ne fut plus dignement entouré: ce n'était plus l'idole des vils et bas courtisans ; il ne méphytisait plus le palais, l'encens infect de la flatterie les haillons de la vertu avaient pris la place de la dorure de tous les vices. Rongé de tous les besoins, sans rapacité, ce peuple ne jeta

ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 juillet 1792.]

sur le luxe royal que des regards de mépris ; dans ses yeux se mariaient le reproche et l'amour, le mécontentement et la retenue; sur ses lèvres était la vérité sans injure, et dans ses bras fut la force, la grande force sans attentat. Jamais le roi n'eut une cour plus digne d'un père du peuple (Murmures prolongés à droite et au centre; quelques applaudissements à gauche.) et jamais lui-même n'eut une popularité plus touchante et plus calme.

Un membre: Le spectacle était beau!

M. Torné. S'il eut un moment de défiance, bientôt elle fit place à la sécurité, et se termina par l'admiration. Telle eût été l'invariable impression que cette journée aurait laissée dans l'âme du roi, sans les suggestions pestiférées d'une cour vile, méchante et corrompue. Mais qui aurait prévu tant d'horreurs? On fait bientôt oublier au prince le spectacle auguste et touchant d'un peuple mécontent mais respectueux, armé mais tranquille, suppliant quand il était assez fort pour exiger, ajourné pour sa pétition, sans murmure, et se retirant sans crime. On n'arrête plus l'attention du prince que sur de misérables dégâts, effets nécessaires de la foule qui se précipite et se presse par son propre mouvement; c'est sur cette base ignoble que la majesté royale, s'avilissant elle-même à l'excès, élève une procédure monstrueuse, dont l'objet serait honteux pour un simple citoyen, et dont toute la trame est un brigandage. (Murmures prolongés à droite et au centre. Applaudissements à gauche.)

Pour comble d'ingratitude envers un peuple toujours fidèle et toujours calomnie, une proclamation du monarque, répandue à profusion, l'accuse comme coupable, et bientôt est suivie des horreurs clandestines d'une procédure infernale.

La voilà, se dit alors à lui-même le factieux combattant des factions, la voilà l'occasion qu'il me fallait de commencer ma carrière protectrice, et de la nation française, et de son roi : faisons colporter, par nos agents, l'excellente proclamation dans tous les rangs de l'armée ; soulevons ainsi l'indignation du soldat, avant qu'il sache la vérité; accoutumons-le à l'idée qu'il doit avoir de l'influence dans les affaires publiques; exigeons de lui qu'il nous suive au sein du royaume, s'il le faut, pour faire la guerre aux factions, mendions des adresses; tâchons de former, à force d'intrigues, des réclamations partielles, que je puisse présenter comme le vœu de l'armée; et pour rallier sous mes drapeaux tous ceux qui ne voient ou qui n'aiment, dans la Constitution, que la prérogative royale, paraissons voler au secours de Louis XVI et de son trône. La meilleure, la seule manière de m'attacher un parti, c'est de me déclarer l'ennemi du parti contraire. Me voilà donc l'ennemi nécessaire des Jacobins; en me voyant jurer leur perte on oubliera qu'il fut un temps où je m'honorais de siéger parmi eux; un temps où, dans le péril pour ma personne, je me rejetai dans leurs bras; un temps ou je jouai le rôle de conciliateur intrigant, égoïste ambitieux, entre cette société et la société sa rivale.

Si on veut me donner le travers d'être un transfuge des Jacobins, on ne fera qu'augmenter la confiance de mon parti; on sait que rien n'est implacable autant que la fureur du rénégat. C'est donc pour attaquer les clubs que La Fayette fait trève avec les Tyroliens et les houlans, et la

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salle des Jacobins appelle sa valeur plus puissamment que les villes du Brabant. Oui, sans doute, et pourquoi n'aurait-il pas donné la priorité aux lauriers de l'expédition jacobite, sur les lauriers aussi périlleux qu'incertains de l'expédition Brabançonne?

Ils ne sont pas, en effet, bien difficiles à remarquer les grands avantages que pouvait lui promettre cette course rétrograde vers la cour et Paris; il ne devait pas, en commandant l'armée des frontières, paraitre oublier son armée clandestine de l'intérieur, dont l'état-major est à Paris et autour du trône; l'occasion était belle de la renforcer de tous les royalistes de l'Empire: malheureusement le Corps législatif présentait

son ambition une grande barrière; il fallait donc lui en imposer par le ton de l'audace, et relever d'autant l'audace du parti qu'il voulait commander; il fallait essayer de l'intimider pour le subjuguer ensuite.

L'armée jacobite, dispersée en petits corps dans tout l'Empire, menaçait notre héros d'intrigues d'une résistance effrayante; au lieu de la combattre, il était plus simple et moins périlleux de s'assurer du Corps législatif pour la la dissoudre; il voulait aussi, Messieurs, vous obliger vous-mêmes d'aplanir la route vers l'autorité. Il est du grand général, de substituer quelquefois la ruse à la valeur c'est donc par une ruse de guerre, bien digne de l'admiration des honnêtes gens, que La Fayette suspend sa mission de combattre une armée autrichienne, pour venir à Paris combattre, sans raisonner, une classe de politiques qui raisonnent sans combattre. Comme cet autre Condé brillerait aujourd'hui dans une autre guerre de pots de chambre! et que ne doit-on pas attendre de sa science militaire dans la suite de ses exploits domestiques; encore une autre campagne de ce rusé vainqueur des factions intérieures, et ce sera sans doute une secte religieuse qu'il viendra pieusement attaquer sans piété alors, sans doute, se faisant protecteur de l'Eglise, à sa manière, pour mieux devenir à sa manière protecteur du royaume, ce héros religieux après avoir vaincu des clubs, après avoir rétabli en France le silence de la terreur sur les affaires publiques, finira par nous commander un culte au nom de son armée, et maintiendra s'il le faut, par des dragonnades, la foi de nos pères.

Ici, Messieurs, le héros anti-jacobin s'embarrasse, et sa politique est en défaut. Comment s'armer de la Constitution contre ses amis les plus chauds! Ils le sont trop, vous dira-t-il! Ils iui répondent: Vous l'êtes trop peu, vous et vos partisans c'est, en deux mots, les deux manifestes des deux armées motionnaires, qui, retranchées dans leurs salles respectives, se foudroient de leurs tribunes. Quel congrès assez profond en diplomatie populaire saura juger l'épineuse question? Lequel des deux partis est l'ami véritable de la Constitution, des Jacobins commandés par les Robespierre et les Carras ou des honnêtes gens ayant La Fayette à leur tête.

Oserai-je aborder cette question profonde, qui divise si etrangement le royaume? Oui, je l'oserai; car un trait de lumière vient de me montrer la solution la plus simple de ce grand problème. Je vais juger La Fayette en ce point, et son amour pour la Constitution, par les personnages avec lesquels il s'est ligué contre les sociétés populaires. Leurs grands ennemis, qui sont-ils? Quels sont les hommes qui, comme

La Fayette, ont impérieusement demandé la dissolution des Jacobins ? C'est Louis XVI au moment de sa fuite; c'est le ministre Kaunitz; c'est le défunt Léopold; c'est le nouveau roi de Hongrie, l'oppresseur héréditaire des Brabançons; c'est le roi de Prusse, qui a courbé la Hollande sous le joug qu'elle allait secouer; c'est cette impératrice du Nord, qui veut étouffer, dans son berceau, la Constitution de la Pologne, et remettre cette nation aux fers; ce sont les rebelles de Coblentz qui, pour atténuer l'horreur d'être armés contre leur patrie, se disent armés contre les Jacobins; ce sont les contre-révolutionnaires épars dans l'Empire; ce sont leurs diminutifs, sous le nom de Feuillants, ce sont ces prétendus modérés, qui se mettent, avec tant de monstres, à l'unisson des hurlements anti-jacobites! ce sont tous les animaux nourris à la ménagerie de la liste civile. (Applaudissements à gauche et dans les tribunes.) Voilà les tyrans; voilà les esclaves; voilà les méchants dont La Fayette est l'écho dans sa pétition incivique; voilà les cours ennemies avec lesquels fait chorus le général qui a ordre de les combattre. Ainsi, suprême chef de nos armées, tu en fais commander une par celui-là même qui par sympathie d'opinions et d'intérêts politiques doit reculer devant l'ennemi, s'il n'a pas la cruelle perfidie de s'en laisser battre, ou s'il n'a pas l'imprudence de se joindre à lui, et de marcher en auxiliaire contre des ennemis communs.

Après cela, Messieurs, non, vous ne laisserez pas à un tel homme le commandant d'une armée : il ne peut plus avoir la confiance de la nation, car ce serait la confiance d'une nation en délire; il ne peut plus avoir celle du Corps législatif, car ce serait là, de votre part, une stupide lâcheté, digne des mépris de l'Europe.

Gardons-nous, Messieurs, de nous associer à nos ennemis, pour dissiper les amis les plus chauds de notre liberté, les appuis les plus fermes et les garants les plus sûrs du repos de l'Empire. Oui, reconnaissons-le, Messieurs, avec bonne foi ce sont nos armées sur les frontières contre les ennemis du dehors, les sociétés éparses des amis de la Constitution, le sont au sein de l'Empire, contre les ennemis domestiques de la Révolution.

Eh! quels seraient sans cela les fondements de la haine que leur ont vouée les princes ligués contre la liberté des peuples; et pourquoi en auraient-ils juré la dissolution violente? Pour abattre en France le temple de la liberté, il fallait bien en renverser les colonnes; pour anéantir l'esprit public, il fallait bien en éteindre les foyers disséminés dans l'Empire.

Faisons cesser, il en est temps, par un sage décret, le choc désastreux des hypocrites et faux amis de la Constitution, contre les véritables; faisons respecter la sage disposition de l'Acte constitutionnel, qui consacre la liberté des rassemblements de citoyens paisibles, et sans armes, et proscrivons ces pétitions anti-constitutionnelles qui tendraient à priver un peuple libre du droit de former, sous les yeux de ses magistrats, des sociétés occupées de la chose publique; défendons de toutes nos forces ces Argus de la Constitution, qui, par une surveillance continue, sont pour la nation autant de sentinelles, et pour les traltres à la patrie autant d'incorruptibles dénonciateurs à l'opinion publique.

Si La Fayette a dù les craindre pour son compte, c'est à nous, Messieurs, à craindre pour la cause de la liberté, qu'on ne réussisse à les dissoudre,

et à les maintenir par toute la force de la loi.

Sa pétition faite à la barre, et fortifiée par ses lettres, n'a-t-elle pas eu le vice de blesser audacieusement un des droits du peuple, garantis par la Constitution? Non, non; ce n'est pas là que se bornent les torts du conspirateur pétitionnaire, rappelons-nous quels sont les hommes dont il s'est dit le mandataire; et vous le verrez fouler de plus en plus aux pieds cette même Constitution qu'il est venu vous recommander avec empire. Il nous a parlé au nom des honnêtes gens et de son armée : c'est ma troisième considération.

Chacun alors s'est demandé; Quels sont donc ces honnêtes gens? Certes, Messieurs, il est facile de juger que ce ne sont pas les gens honnêtes, il parait bien inutile de les désigner, quand on se rappelle qu'il vous a demandé la proscription de la secte jacobite. N'est-il pas de cela seul évident que la secte ennemie et antagoniste de cellelà est celle qui, dans un langage du pétitionnaire, forme la classe des honnêtes gens? Supposez, par exemple, que les faux amis de la Constitution sont à votre droite, et les vrais à votre gauche! La Fayette en vous disant anéantissez la secte de la gauche, ne vous dit-il pas clairement les honnêtes gens sont à droite ? C'est pour ceux-là, vous dit-il, c'est au nom de ceux-là que je parle; c'est donc comme s'il vous eût dit: c'est au nom des Feuillants que je vous demande la dissolution des Jacobins.

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Salut au général des Feuillants, et secondairement au général d'armée. Si ce double général pouvait, sous le second rapport, manquer de talents il en dédommagerait bien la patrie sous le premier rapport.

Cependant, Messieurs, convenons-en de bonne foi sa petition n'est pas, sous les deux rapports, également mensongère. Aucun des honnêtes gens dont il s'est dit le chef et le mandataire ne le démentira. C'est vraiment le vœu de celle de ses deux armées qui campe dans l'ombre du mystère. Quant à celle qu'il commande aux frontières, c'est autre chose, il l'a calomniée très certainement, et a compromis sa gloire en vous portant son vou. Des renseignements certains Vous ont appris que dans cette armée il n'a pu recueillir que le vou du petit nombre de ses soldats, qui naguère soldats de la liberté, ont été assez égarés par ses intrigues, pour ne devenir que les soldats de La Favette.

Je me trompe, Messieurs, il vous a porté le vœu de son état-major; et il a cru ainsi vous parler au nom de l'armée : car le vrai feuillant compte-t-il, hors le moment du combat, le vil soldat pour quelque chose?

Mais que son erreur est grande ! S'il arrivait jamais le moment où il voudrait égarer les mouvements de ses troupes, c'est alors qu'il reconnaitrait ce qui forme l'armée. Qu'il essaye, s'il l'ose, de tourner contre le parti qu'il abhorre ces amis invariables, ces ennemis intrépides de la Constitution. Ah! s'il avait jamais cette audace, c'est alors qu'il éprouverait que les soldats de la liberte savent tantôt obéir au général qui les commande au nom de la nation, tantôt résister au factieux qui leur commande au nom d'un parti. C'est alors qu'il éprouverait qu'il est impossible de les égarer par l'intrigue; de les coaliser par l'habitude inconstitutionnelle des délibérations prises sous les armes relativement à la chose publique, de les engager à s'immiscer dans le régime intérieur de l'Empire, et de leur faire prostituer le beau titre de légions ci

toyennes dans une guerre exécrable qui tendrait à rendre aux Français une partie des chaînes qu'ils ont brisées. C'est alors qu'il éprouverait que le soldat de la patrie, après avoir idolâtré le général, abhorrerait le conspirateur qui s'agiterait, qui voudrait agiter son armée au détriment de la liberté publique; c'est alors enfin qu'il éprouverait que dans un vaste Empire et pendant une grande révolution, il s'élève tant de rivaux d'ambition, que tant de factions s'opposent l'une à l'autre, que tant d'intérêts irréconciliables se croisent, qu'il est impossible à un seul homme de réunir sur sa tête toute l'autorité.

C'est au nom de son armée qu'il vous a parlé. Mais qu'aurait-il pu vous demander en son nom sans fouler aux pieds l'une des bases les plus sacrées de la liberté, cette base qui, déclarant la force publique essentiellement obéissante, lui interdit le droit de délibérer, en aucun cas, sur les affaires publiques, et par conséquent d'émettre un vœu de cette espèce, et de l'adresser à quelques-unes des autorités constituées?

Et qu'on ne me dise point, avec le comité, qu'aucune loi n'ayant prohibé les pétitions des généraux dans le cours de la guerre, soit en leur propre nom, soit au nom de l'armée, il n'est pas possible de les regarder comme criminelles. Avons-nous besoin de lois nouvelles pour décréter une des bases les plus sacrées de la Constitution? C'est que toute délibération de la force armée sur des intérêts politiques serait un coupable attentat à la liberté nationale. Le général La Fayette, pouvait-il, après cela, permettre, sans crime, les délibérations de ses troupes? Pouvaitil, sans un nouveau crime, les provoquer par les intrigues? Pouvait-il sans un crime plus grand encore, en devenir l'organe à la barre de l'Assemblée? Et quand il n'aurait fait sa pétition qu'en son nom, quand il n'aurait été que l'historien du crime de son armée sans en être le mandataire et l'organe, aurait-il pu vous parler de cette violation militaire de la Constitution sans l'improuver hautement, sans provoquer votre sévérité, sans y joindre lui-même toutes les rigueurs de la discipline, au lieu devous présenter cette coalition armée comme un épouvantail.

On a osé vous dire que la loi n'a déterminé aucune peine contre les délibérations politiques de la force armée, ni contre les pétitions politiques des généraux qui la commandent en temps de guerre; et que, par conséquent, ces délits ne peuvent donner lieu à un décret d'accusation. Mais a-t-on donc oublié les dix ans de gêne qui doivent, suivant le Code pénal, copier le crime des violateurs de la Constitution?

Des orateurs, scandaleux panégyristes du crime, ont osé se faire les défenseurs officieux du général qui, métamorphosé tout à coup en déserteur intrigant, a quitté une armée au moment où elle était en présence de l'ennemi. Quelle est la peine, vous a-t-on dit, que la loi ait infligé au général qui quitte son poste sans conge? Je réponds encore une fois que c'est la peine infligée par le Code pénal, dans le cas des crimes contre la Constitution. Or, la Constitution ne veut point qu'un citoyen quelconque puisse impunément compromettre, en aucune manière, la sureté de l'Etat. C'est pour le châtiment de cette espèce de coupables qu'elle a créé la Haute-Cour nationale. Et de ce nombre est principalement le général qui, sans ordre, quitte son poste en présence de l'ennemi.

L'impudeur ne connaît point de bornes. Aussi vous a-t-on dit que, dans le fait, la sûreté de

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l'Etat n'a pas été compromise. Mais est-ce parce que le crime n'a pas eu d'effets désastreux, qu'il doit échapper au glaive de la loi? Ne suffit-il pas que, de sa nature, il puisse avoir des suites malheureuses? Est-ce parce que l'assassin n'a pas consommé le crime qu'il a tenté, qu'il ne doit pas en subir la peine? Pour ne pas nous écarter de l'espèce, la loi pourrait-elle laisser un général d'armée juge lui seul du danger où la mettrait son absence? Chaque article des règlements militaires a pour objet d'éviter un désordre, et le but général de ces règlements est la sûreté de l'armée, à laquelle tient aussi la sûreté de l'Etat. Or, je vous le demande, Messieurs, je le demande à ceux mêmes d'entre vous qui ont maintenant le plus de pente à l'indulgence, que deviendrait la discipline militaire? où serait la sûreté de nos armées; où serait celle de l'Etat, si pour échapper aux peines du règlement, il suffisait de constater que sa violation n'a pas causé, dans le fait, le désordre que ce règlement a voulu prévenir?

Dans le fait, les deux avant-gardes se sont choquées rudement, pendant qu'il intriguait ici avec artifice. L'ennemi a surpris l'armée: à quoi a tenu l'avantage qu'elle a eu en le repoussant? et qui pourrait assurer qu'une première défaite n'aurait pas eu des suites incalculables? Il est donc coupable, ce général, puisque, en quittant son poste, il a livré à l'incertitude des événements la sûreté de son armée et la sûreté générale de l'Etat.

Je dis plus maintenant eùt-il sauvé l'Etat en quittant son poste, comme ce consul romain qui, ayant Annibal en tête, alla battre le général qui venait à son secours, et revint aussitôt le battre lui-même, on devrait ici, comme au Sénat de Rome, non-seulement lui refuser les honneurs du triomphe, mais encore, ainsi qu'on le fit à Rome pour le consul, mettre aux voix s'il devait perdre la tête. Que sera-ce, en considérant que La Fayette n'a quitté le poste où il devait sauver la patrie, que pour venir sous nos yeux essayer de la dominer? N'en doutez pas, Messieurs, Sénat romain aurait sur-le-champ, et sous les yeux d'un tel général, prononcé son arrêt de mort.

Gardons-nous donc de défendre, par une loi particulière, aux généraux d'armée, de quitter leur poste sans ordres supérieurs, et surtout quand ils sont en face de l'ennemi. Ce serait donner à La Fayette un brevet de pardon de sa désertion factieuse.

Gardons-nous, en convenant que cet abandon de son poste est un délit militaire, de convenir aussi que la loi n'a pas prononcé de peine contre cette espèce de crime. C'est la peine de quiconque attente, en quelque manière, à la sûreté générale de l'Etat on peut y attenter par la défection de son devoir, comme par la force armée; et l'on n'est pas moins contre-révolutionnaire, soit qu'on néglige la défense de la liberté dont on est charge, soit qu'on l'attaque à force ouverte.

Je vais plus loin encore: il serait absurde de dire qu'on ne peut accuser, quoique coupable d'un crime, celui dont la loi a négligé d'indiquer le châtiment. Il est, pour tous les crimes de cette espèce, une peine commune: c'est l'opprobre, c'est la honte publique de les avoir commis; accusons-les donc puisqu'ils sont coupables: que les tribunaux, rendant à la vérité un hommage public, les déclarent atteints et convaincus du crime que la loi laisse encore impuni; que l'opinion publique soit le supplément de la loi pénale; et que cette déclaration, sans condamnation subséquente, avertisse

le législateur des lacunes qui sont restées dans son Code.

Mais, encore une fois, la peine qu'a encourue La Fayette est déterminée autant que son délit est constaté. Il est convaincu d'une audacieuse infraction des grandes bases de notre pacte social, cet homme qu'on vous a fastueusement dénommé le fanal de la Constitution. Le voilà convaincu d'intention parricide, ce fils aîné de la liberté, suivant l'expression pompeuse de son emphatique panégyriste. Le téméraire! était-ce avant d'avoir cueilli quelques lauriers, qu'il devait prendre, sous les yeux du Corps législatif, le ton et l'attitude d'un vainqueur qui aurait acquis, en sauvant la patrie, le droit de la gouverner?

La France ne serait-elle donc plus qu'un gouvernement militaire? Que serait devenue tout à coup cette Constitution sur laquelle devait reposer immuablement la démarcation des pouvoirs? Sommes-nous encore les représentants d'une grande nation, ou des jouets de la force publique? Est-ce à nous à faire la loi, ou sommes-nous réduits à l'avilissement de la recevoir? Consisterait-elle dans la volonté de la classe armée, toutes les fois qu'il plairait à ses chefs de s'en dire l'organe? Où serait donc la liberté, si le militaire osait en imposer au législateur? Qu'on me dise comment on pouvait attenter, d'une manière plus grave et plus criminelle, à la Constitution d'un peuple libre, qu'en faisant violence à la loi? La force publique, n'aurait-elle brisé nos chaînes que pour leur en substituer de plus fortes? N'aurait-elle délivré le peuple d'un despote que pour les asservir l'un ou l'autre, ou tous les deux, suivant son caprice? Et le temps, qui ramène périodiquement les révolutions des Empire scomme celles des corps célestes, nousramènerait-il les siècles de Pysistrate, du premier des Césars, et du protecteur de l'Empire germanique?

Soldats de la patrie, prenez garde à vous; on voudrait peut-être vous replonger dans l'avilissement d'où la nation vous a retirés. Vous êtes devenus citoyens, et l'on voudrait peut-être vous réduire à l'infamie de n'être que des mannequins homicides; on voudrait peut-être vous disposer à être poussés çà où là par la voix d'un général, selon qu'il sera fidèle ou traître à son pays, selon qu'il voudra défendre l'Empire en patriote, le déchirer en factieux, ou le subjuguer en rebelle. Vous êtes nos frères, traités, chéris comme tels; et l'on voudrait peut-être vous disposer à devenir nos bourreaux par un commandement arbitraire. Vous avez une patrie, et on voudrait peut-être que vous ne tinssiez à la terre que par le camp où, par un ordre absolu, on vous aurait circonscrits. Vous avez, comme nous, une liberté à maintenir; et l'on voudrait peut-être, par l'esclavage militaire, porté jusqu'à l'aveuglement, assurer l'esclavage politique. Vous avez, comme nous, des parents, des amis à défendre de toute espèce de tyrannie, et c'est vous-mêmes que l'on voudrait peut-être amener progressivement à en devenir les meutriers purement mécaniques.

Ah! nos amis, souvenez-vous que le premier devoir de subordination vous soumet à la patrie; que votre premier maître est le peuple souverain pour lequel vous êtes armés, que votre première foi est la volonté de ses représentants; que votre premier serment est celui de vivre libre ou mourir; que votre première consigne est de ne jamais marcher contre la nation; que le roi n'en est qu'un représentant individuel et un délégué, soumis, comme vous, à lui rester fidèle, sous peine, comme vous, d'être déchu de l'honneur de

la servir. Quelle est donc cette situation déplorable, où des législateurs, pour sauver la chose publique, soient forcés, par l'audace menaçante d'un général, de s'armer contre lui de la vertu du soldat? Quelle est cette situation où, tout en resserrant les liens de la discipline militaire quand elle est dirigée contre l'ennemi, des législateurs soient forcés de les relâcher, de les rompre, s'il le faut, quand elle menace de se tourner contre la patrie? Oui, de tous les dangers qui pourraient la perdre, cette désorganisation militaire, serait sans doute le plus grand; et, de tous les crimes d'Etat, celui qui l'aurait causée, serait, par conséquent, celui qui appellerait le plus votre sévérité.

Certes, Messieurs, s'il fut jamais un danger digne de toute la sollicitude législative; s'il fut jamais un crime digne de toute votre sévérité, ce seraient les premières tentatives d'une conjuration militaire qui feraient dégénérer en oppresseurs de la patrie ces mêmes hommes auxquels il aurait confié sa défense. Tout, en ce genre, est grave, infiniment grave, jusqu'aux plus faibles commencements; le premier pas fait dans une carrière aussi tyrannique, serait coupable comme le dernier. S'il était possible de voir naître dans un cerveau l'idée d'un tel abus de la force publique, cette tête devrait tomber sous le glaive de la loi, avant même d'avoir pu exprimer sa pensée. De tels conspirateurs sont des monstres d'une espèce qu'il faut étouffer en naissant. C'est ainsi, Messieurs, que l'opinion publique a jugé d'avancé l'artificieux conspirateur que vous allez juger. Et moi-même, pénétré de la nécessité d'arrêter dans le principe des projets sinistres, dont le développement serait sans remède, j'ai dû dans ce discours, faire céder aux grands intérêts de la nation, et ma modération naturelle, et la charité pastorale.

Résumons, avant de conclure, ce qui, dans la conduite de l'audacieux général, paraît digne de ce châtiment.

Il est coupable: 1o d'avoir, par ses intrigues, dans l'armée à ses ordres, fait délibérer des adresses à l'Assemblée nationale, concernant l'administration intérieure du royaume; 2° d'avoir mendié, par ses agents, des signatures de ses soldats au bas de ces adresses; 3° de leur avoir proposé, par lui-même et par ses agents, de le suivre, s'il le fallait, dans le sein du royaume, pour y faire la guerre aux factieux; 4° d'avoir quitté son poste sans congé, dans un moment où son armée était en péril, et pouvait être attaquée, ce qui a été justifié par le choc des avant-gardes; 5° de s'être présenté à la barre de l'Assemblée, comme pétitionnaire sur des faits d'administration intérieure du royaume, pendant qu'il commandait une armée; 6° d'avoir porté au Corps legislatif le vœu de son armée, conforme à son vœu personnel, pendant qu'il n'aurait pu l'annoncer sans improbation, et sans provoquer en ce point la sévérité de l'Assemblée; 7° d'avoir émis le vœu inconstitutionnel de dissoudre les sociétés populaires connues sous le nom de Jacobins, et de s'être ainsi réuni au vœu des puissances ennemies, auxquelles ces sociétés ont servi de prétexte pour s'armer contre la nation française (1).

(1) Je ne parle pas ici d'un huitième grief plus grave que tous les autres, dénoncé par M. Lasource, et, qui, seul, annonce une conspiration digne de mort. Celui d'avoir essayé, par le ministère de M. Bureaux de Pusy, d'engager le général Luckner à faire marcher

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