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crime, a été nommé lieutenant général... (Mouvement d'indignation à l'extrême gauche.)

M. Thuriot. Il n'y a pas de doute, le centre de la conspiration est au château. (Applaudissements des tribunes.)

M. Duhem. Vous-mêmes, Messieurs, n'avez pu contenir votre indignation au récit de ce fait. Jugez quelle sera celle du peuple en l'apprenant. Je demande donc que l'on prenne enfin une mesure pour que la tête du traitre Jarry et celles de ses complices tombent sous le glaive des lois. (Applaudissements des tribunes.)

M. Arena. L'Assemblée vient d'entendre la dénonciation et les cris de la douleur des patriotes de la Belgique, sacrifiés par la perfidie des derniers ministres; je vais y ajouter celle de tous les Français attachés à la cause de la liberté. Je viens appeler sur leur tête la sévérité des lois et la vengeance des outrages qu'ils ont faits à la nation.

Depuis que la maison d'Autriche a provoqué le concert des puissances pour soutenir la cause de rebelles émigrés; depuis que son langage diplomatique exprimait son ambition et ses projets, Vous avez senti que la guerre était inévitable; et, dès lors, vous n'avez cessé de mettre à la disposition du pouvoir exécutif tous les moyens nécessaires pour en accélérer les préparatifs. Le peuple français, animé par le patriotisme le plus ardent, fier de la justice de sa cause et Souverainement indigné de l'audace de cette ligue qui s'est réunie pour opprimer notre liberté, offrait des ressources suffisantes pour déployer en un instant des forces terribles et imposantes qui, dans les premières campagnes, auraient pu réprimer l'orgueil des despotes qui ont osé prendre avec nous le ton inconvenant de la tyrannie.

A peine avez-vous annoncé l'intention de compléter les troupes de ligne, qu'une foule de citoyens s'empresse de faire inscrire son nom sur les registres que vous aviez fait ouvrir dans toutes les municipalités du royaume. Les recrutements s'effectuaient avec tant de rapidité que le ministre de la guerre et votre comité militaire, étonnés du succès, vous engagèrent à modérer le zèle des concurrents, de crainte qu'ils n'excédassent le besoin de l'armée. Cependant, près de 20,000 citoyens, très propres au service et à la défense de la patrie, ont eu le malheur de se voir écarter par des manoeuvres criminelles, par des mesures combinées; et vous êtes aujourd'hui convaincus, par les relations des généraux, que les régiments ne sont point complets; que les armées manquent des objets les plus essentiels; qu'elles ne peuvent opposer qu'une faible résistance, que la résistance du courage aux nombreux efforts de vos ennemis.

Dans cet état de choses, il n'est pas surprenant que les amis de la liberté, inquiets sur le sort de l'Empire, troublés par une persécution effrayante, viennent déposer dans votre sein leurs craintes et leurs alarmes et vous conjurer de pourvoir à la sûreté de l'Etat. Les décrets que vous avez rendus dans les dernières séances répareront bien en partie le tort de ces agents infidèles, qui ont trompé jusqu'à ce moment la nation, ont compromis sa gloire et ses plus grands intérêts. Mais à quoi serviront-elles, ces mesures, si ces ministres perfides ne succombent pas sous le glaive de la loi? A quoi serviront-elles, toutes ces sages dispositions, si Lajard, qui a ordonné le mouvement de Courtrai; si Lajard et le mi

nistère entier, qui ont ordonné le mouvement extraordinaire des armées du Centre et du Nord, qui ont facilité aux Autrichiens la possession de Bavay, qui ont livré nos concitoyens à toutes les incursions et à la tyrannie de nos ennemis; à quoi serviront-elles, dis-je, si ces perfides ministres ne sont pas punis; si les successeurs qui sont appelés à les remplacer ne voient pas un exemple rigoureux, et s'ils peuvent encore se flatter d'échapper à la responsabilité sévère des lois?

Oui, je vous dénonce le dernier ministère, parce qu'à peine il a été appelé à ses fonctions, qu'il a détourné votre armée du Nord du Brabant, où elle s'était établie et où elle avait éloigné le théâtre de la guerre de vos frontières. Je vous le dénonce, parce que c'est Lajard qui a sacrifié à la maison d'Autriche les intérêts de la nation, parce que c'est lui qui, après avoir combiné les mouvements des deux armées, avait aussi donné l'ordre au général Montesquiou de détacher 20 bataillons des frontières de la Savoie. C'était vouloir encore engager le roi de Sardaigne, qui avait là une armée puissante, à entrer sur la frontière et à pénétrer jusqu'à Lyon, où était le foyer de la contre-révolution. Réfléchissez, Messieurs, au mouvement de Dusaillant, à ceux qui ont eu lieu en Bretagne, à tout ce que vous découvririez dans la correspondance prise sur le traître Dusaillant, et vous serez convaincus que c'était au commencement d'août que toutes les opérations devaient se combiner, que le sang des Français devait être vendu à nos ennemis. Com. binez, Messieurs, tant de manoeuvres et de perfidies, et voyez si vous pouvez laisser impuni un ministère qui a facilité à vos ennemis l'invasion de la France, qui a compromis la sûreté publique.

Je me réunis donc aux Belges, et je demande que leur mémoire soit envoyé à la commission extraordinaire des Vingt-et-un(1), et que l'Assemblée lui enjoigne d'examiner la conduite du dernier ministère, et de vous proposer le décret que vous serez obligés de prononcer contre eux, parce qu'ils ont évidemment trahi les intérêts de la patrie. (Applaudissements des tribunes.)

(L'Assemblée adopte le renvoi à la commission extraordinaire des Vingt-et-un, pour le rapport en être fait demain.)

M. Delacroix. Je demande que vous mettiez aux voix la proposition qui a été faite, que le ministre rende compte, et par écrit, s'il est vrai que M. Jarry, maréchal de camp, ait été promu depuis au grade de lieutenant général.

(L'Assemblée décrète cette proposition.)

M. Mathieu Dumas. Je demande à faire un amendement.

M. Dueos. J'observe qu'il y a un renvoi bien plus important à faire à la commission des Douze (1) c'est celui de la dénonciation faite par M. Aréna contre le ministère précédent, et M. Lajard en particulier, qui nous a plongés dans les malheurs sur lesquels nous gémissons aujourd'hui. Il semble que l'Assemblée, à force de voir des trahisons, se soit familiarisée avec elles et qu'elle n'en reçoive plus la moindre impression. Je demande que cette dénonciation importante soit prise en très grande considération; car le moyen de faire marcher dans le sens patriotique les ministres que nous allons avoir, c'est de punir

(1) La commission des Vingt-et-un et la commission des Douze étaient la même commission.

sévèrement ceux qui nous ont trahis. (Applaudissements.) Je demande que ce renvoi ne soit pas un renvoi comme tant d'autres renvois, c'està-dire un enterrememt.

M. Gérardin. Oui, qu'il y ait une résurrection fixe.

M. Ducos. Et qu'il soit suivi d'un rapport à jour.

M. Mathieu Dumas. Je demande la parole pour une seconde proposition. Il faut que la conduite du ministre Lajard, nommément, soit examinée.

Plusieurs membres: Et la vôtre!

M. Mathieu Dumas. Et que sa bonne conduite éclate aux yeux de tous les Français.

Un membre: C'est son cousin!

(L'Assemblée renvoie à la commission extraordinaire des Douze la dénonciation de M. Ducos contre M. Lajard et le ministère précédent, avec mission de lui faire un rapport le lendemain.)

M. Mathieu Dumas. Je demande la parole pour une dénonciation importante.

M. Tartanac. Je demande à faire une motion d'ordre.

M. Mathieu Dumas. Une des principales considérations qui doivent occuper le Corps législatif dans les circonstances où nous nous trouvons, c'est sans doute, après avoir déclaré les dangers de la patrie, d'en rechercher les causes. M. Duhem. Tout le monde les connaît.

M. Mathieu Dumas. M. Aréna n'a point été interrompu,je demande la même faveur. Il est temps, d'ailleurs, de développer les causes de ces dangers; il est nécessaire de ne pas laisser errer l'opinion publique de soupçons en soupçons; de ne pas laisser la patrie tomber de piège en piège; d'indiquer d'une manière précise les causes de nos maux; de marquer du sceau de la réprobation ceux qu'on peut appeler des traîtres, et de se charger de les faire punir suivant les lois, pour ne pas exposer le peuple à violer lui-même son propre ouvrage. Eh bien! Messieurs, M. Aréna, s'arrêtant au ministère précédent, l'accuse d'avoir tellement mal conduit nos affaires militaires que les frontières ont été dégarnies; que les plans sont avortés; que la défense d'une grande partie de nos frontières, du côté du Midi, a pu être un moment inactive ou abandonnée; et c'est de ces mêmes crimes, s'il faut les appeler ainsi, que j'accuse, moi, le ministère antérieur à celui dont a parlé M. Aréna. C'est celui-là que je dénonce; et vous êtes trop justes, Messieurs... (Bruit.)

Comme dans une dénonciation grave il ne faut s'attacher qu'aux faits, aux circonstances dont vous avez été témoins, je le ferai, afin que vous puissiez juger si ma dénonciation est fondée. Au moins dans ce développement l'Assemblée trouvera-t-elle quelques lumières sur notre position; et puisque chacun acquitte ici son devoir en recherchant les causes de nos maux pour y appliquer le remède, je n'aurai point fait une chose vaine en remontant un peu plus haut que ne l'a fait M. Aréna.

Messieurs, quelle était votre situation sur les frontières, quelle était la position de vos armées, quelle était la situation du royaume au moment où est arrivé le ministère antérieur à celui qu'a dénoncé M. Aréna, et plus particulièrement le département de la guerre? Voilà les questions qu'il faut résoudre.

On résolut, à l'unanimité, dans le conseil, un plan de guerre offensive sur la Belgique. On espérait que l'éloignement des armées autrichienne et prussienne du côté du Rhin pouvait nous donner le temps de frapper de grands coups dans cette partie. Le plan fut résolu, à l'unanimité, dans le conseil; les ordres, les instructions furent donnés par tous les ministres collectivement et solidairement, car le ministre de la guerre avait signé, de l'avis unanime du conseil, les ordres qui furent donnés pour les mouvements offensifs sur la Belgique. Eh bien! Messieurs, ce sont ces mouvements, c'est ce plan qui a évidemment compromis la chose publique. (Murmures.)

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

M. Guérin. Je demande le renvoi des développements au comité extraordinaire des Vingt-et-un.

M. Tartanac. Je suis bien éloigné de croire que la dénonce du préopinant ne mérite pas l'attention de l'Assemblée; mais lorsque l'Assemblée est livrée à la discussion d'un intérêt aussi majeur que celui de la sûreté générale de l'Etat, je ne crois pas que cette discussion puisse être interrompue pour en entamer une autre. Je demande que la dénonce de M. Dumas soit renvoyée à la commission extraordinaire des Douze, et que l'Assemblée reprenne la discussion sur la sûreté générale de l'État. (Applaudissements des tribunes.)

M. Chéron-La-Bruyère. Je demande que l'Assemblée veuille bien fixer quels sont les ministres qu'on pourra dénoncer.

M. Mathieu Dumas. Je demande à résumer mon opinion.

Plusieurs membres : Non, non! (Bruit.)

M. Boullanger. Je demande pourquoi on a entendu M. Aréna, et qu'on ne veut pas entendre M. Dumas? quelle diffèrence y a-t-il ? pourquoi ce privilège?

M. Crestin. Je demande que M. Dumas rédige sa motion, et qu'elle soit renvoyée à la commission extraordinaire.

M. Merlin. Et l'on verra que ce n'est qu'une mauvaise récrimination contre celle de M. Aréna. (Applaudissements des tribunes.)

M. Mathieu Dumas. Les efforts que l'on fait pour étouffer ma voix prouvent la nécessité de m'entendre. Monsieur le Président, je vous prie de consulter l'Assemblée. (Bruit.)

(L'Assemblée décrète que M. Mathieu Dumas ne sera pas entendu, et adopte la motion de M. Crestin.)

M. Mathieu Dumas. Effacez donc en moi le caractère de représentant du peuple, ou laissezmoi l'éclairer quand on l'égare.

Quelques membres : Eh bien! allez vous en!
M. le Président. Voici, Messieurs, le résultat
du scrutin pour la nomination de la commission
des armes :

Ont obtenu la majorité des suffrages:
MM. Mathieu Dumas,

Aubert-Dubayet,

Lecointre,

Crublier d'Optère,
Hébert,
Dubois-Du-Bais,
Rouyer,
Dubuisson.

Un membre: J'observe à l'Assemblée qu'il y a

plusieurs députés du nom d'Hébert et que celui qui a réuni les suffrages n'était pas particulièrement désigné. Je demande qu'en raison de cette surprise, ce soit M. Lacombe-Saint-Michel, premier suppléant, qui soit désigné.

(L'Assemblée désigne M. Lacombe-Saint-Michel, premier suppléant, comme membre de la commission des armes, en remplacement de M. Hébert.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une lettre de M. d'Abancourt, ministre de la guerre, qui adresse à l'Assemblée la copie de celles qu'il a reçues de M. Arthur Dillon, commandant sur la frontière du Nord, desquelles il résulte que la position militaire entre l'Escaut et la Sambre n'est pas aussi inquiétante qu'on avait pu le présumer; et qu'on ne doit pas attribuer à la malveillance le récent incendie du magasin de Valenciennes.

Suit le texte de ces lettres :

Lettre du ministre de la Guerre.

« Monsieur le Président,

« Je vous prie de communiquer à l'Assemblée nationale des dépêches que je reçois de M. Arthur Dillon, commandant sur la frontière du Nord: elle y verra que l'incendie qui s'est manifesté à Valenciennes ne peut être imputé aux malveillants, et qu'en général la position militaire sur la frontière entre l'Escaut et la Sambre, n'est pas aussi inquiétante qu'on aurait pu le présumer, d'après les rapports particuliers. C'est avec la plus vive satisfaction que je dois instruire l'Assemblée du courage de nos troupes et de leur ardeur pour combattre l'ennemi dans toutes les occasions.

« Je suis avec respect, etc...

« Signé d'ABANCOURT. »>

Copie de la 1re lettre de M. Arthur Dillon.
« Valenciennes, le 25 juillet 1792.
<< Monsieur,

« Dans ma lettre no 1, du 21 de ce mois, je vous ai rendu compte de l'incendie qui avait eu lieu la veille. J'avais pensé, d'après le bruit, que l'incendie avait été l'effet d'un complot des ennemis de la patrie : les informations juridiques prises depuis, prouvent le contraire. J'ai l'honneur de vous adresser copie légalisée du procèsverbal dressé sur cette affaire.

« Il résulte du procès-verbal du juge de paix de l'arrondissement du couchant de la ville de Valenciennes, que l'incendie arrivé à la troisième salle de l'aile gauche de l'hôpital général, servant de magasin pour les effets militaires de campement, n'a été occasionné que par les ingrédients qui composent la couleur des housses et couvertures brûlées. Signé DILLON.

D

Copie de la 2 lettre de M. Arthur Dillon.

" Monsieur,

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Je vous ai rendu compte, dans ma lettre du 21 de ce mois, no 1, des premières démarches que j'avais faites depuis mon arrivée dans ce pays, le 18; la position militaire des choses est

à peu près la même depuis cette époque. Les ennemis sont toujours maîtres de Bavai, ils font de fréquents changements de position. Je pense que leur intention dans ce moment est de nous donner de l'inquiétude sur plusieurs points à la fois, afin de m'engager à dégarnir une de mes deux ailes, soit à Maubeuge, soit à Maulde. Ils n'y parviendront pas, à moins que la supériorité de leurs forces ne leur donne le moyen d'emporter l'un de ces deux camps. Mais cette effrayante supériorité me donne tout lieu de craindre qu'après avoir coupé la communication de Maubeuge à Valenciennes, par la route de Bavai, ils ne parviennent à la couper encore par la route de Landrecies et d'Avesnes. Ils ont poussé des postes jusqu'à la haie de Ganmenies, environ trois quarts de lieue au nord-est du Quesnoy. D'autres partis se sont montrés près de Valenciennes, à Jaleur et à Curgie. Dans l'est de la forêt de Mormale, ils se sont emparés de Pontsur-Sambre et de Berlaimont. Il était à craindre que leur projet ne fût de se rendre maîtres de toute la forêt de Mormale, et de donner, par là, de l'inquiétude aux nombreux villages qui bordent cette forêt du Quesnoy à Landrecies. J'ai su qu'il leur arrivait aussi du gros canon à Bavai, et me suis décidé, en conséquence, à renforcer et à mettre en état de soutenir un siège les places du Quesnoy, Landrecies et Avesnes. On peut être parfaitement tranquille à cet égard; j'ai établi M. Chazot, maréchal de camp à Landrecies avec commandement sur le Quesnoy et Avesnes. J'ai mis à sa disposition un corps de troupes légères, destinées à agir offensivement dans la forêt de Mormale, qu'il pourra renforcer chaque jour, suivant la nature de ses opérations, en tirant des détachements des 9 bataillons qu'il a dans sa garnison.

« Une des choses qui me donnent le plus de peine, est de contenir l'ardeur des troupes, qui voudraient toutes à la fois marcher à l'ennemi. Un détachement d'environ 300 hommes, sorti le 22 de Maubeuge, aux ordres du lieutenantcolonel Richardot, a eu plusieurs escarmouches avec l'ennemi, où nous avons toujours eu l'avantage. Dans la nuit du 23 au 24, ce détachement a surpris et passé au fil de l'épée trois patrouilles de chasseurs tyroliens, près le lieu nommé le Blanc-Cheval, au bord du bois et au nord-est du Quesnoy. Il est rentré à Maubeuge. M. Chazot commence demain ses opérations, et j'ai lieu d'espérer que, dans peu de jours, non seulement nos communications seront libres avec Maubeuge, mais que nous aurons même reculé les ennemis dans les parties de bois qui tiennent à Bavai. Six chasseurs du 6 régiment étant en patrouille, ont été tirés et manqués par dix chasseurs tyroliens; ils sont tombés dessus sans s'amuser à faire feu, en ont tué deux et fait trois prisonniers. Ces petits avantages ont le mérite de donner de l'ardeur et de la confiance à nos troupes.

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« Monsieur le Président,

« L'Assemblée a renvoyé au comité la demande que je lui ai faite de déclarer si la loi du 18 juillet contre ceux qui, par des écrits, par des placards ou des discours auraient provoqué e meurtre, le pillage, l'incendie, ou conseillé formellement la désobéissance à la loi, était ou non abrogée. J'ai l'honneur de vous rappeler cette demande, et de vous supplier d'engager l'Assemblée nationale à statuer, sans délai, sur cette importante question. C'est à regret que je réitère si fréquenment des instances dont la répétition pourrait paraitre importune, mais les circonstances, qui deviennent de jour en jour plus périlleuses, me font un devoir de les renouveler encore. Quand la patrie est en danger, un bon citoyen ne peut connaitre qu'une considération, celle que lui prescrit le désir de la

sauver.

« Je suis avec respect, etc...

« Signé : DEJOLY. »

(L'Assemblée renvoie cette lettre à son comité de législation, pour lui en faire son rapport à la séance du lendemain.)

M. le Président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de décret de M. Gensonné sur la police de sûreté générale (1). La parole est à M. Gensonné.

M. Gensonné. Les premiers articles de mon projet concernent uniquement la police de sùreté; les derniers articles présentaient des mesures purement administratives; je me suis proposé de les séparer pour les représenter à l'Assemblée dans un projet de décret séparé. Je demande donc que la discussion se borne aux quatorze premiers articles qui contiennent tout ce qui est relatif à la police de sûreté. En voici la teneur (2):

«L'Assemblée nationale, considérant que la répression des délits qui troublent la société exige le concours de l'action de la police de sûreté et celle de la justice;

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Que l'action de cette police doit être d'autant plus prompte et d'autant plus active que la recherche des délits auxquels elle s'applique intéresse plus essentiellement la sûreté générale; Qu'il importe de déterminer quels seront les mandataires chargés d'exécuter cette police à l'égard des crimes qui compromettent la sûreté extérieure ou intérieure de l'Etat, et dont la connaissance est réservée à l'Assemblée nationale;

Considérant enfin que la tranquillité publique exige que les corps administratifs prennent des mesures de police sévère contre cette foule de personnes suspectes et non domiciliées dont l'affluence se porte dans les principales villes du royaume et qui affichent l'incivisme, l'amour du désordre et la haine de la Constitution; « Décrète qu'il y a urgence.

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« L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète ce qui suit:

"

Art. 1er. Les directoires de départements, ceux de districts et les municipalités des villes

(1) Voy. ci-dessus, même séance, page 186, la reprise de cette discussion interrompue par l'admission à la barre des patriotes belges et liegeois.

(2) Voy. Archives parlementaires, 1 série, t. XLIV, séance du 30 mai 1792, page 355, le projet de décret de M. Gensonné.

au-dessus de 20,000 âmes de population, seront à l'avenir, chargés des fonctions de la police de sûreté générale, pour la recherche des crimes qui compromettent la sûreté extérieure ou intérieure de l'Etat et dont la connaissance est réservée à l'Assemblée nationale.

Art. 2. Tous ceux qui auront connaissance d'un délit de la qualité portée en l'article précédent seront tenus d'en donner avis sur le champ à la municipalité ou au directoire de district et de faire au greffe de la municipalité ou au secrétariat du district la remise de toutes les pièces et renseignements qui y seraient relatifs et qu'ils auraient en leur possession.

«Art. 3. La municipalité, dans le cas prévu par l'article 1er et, à son défaut, le directoire de district, fera sans délai toutes les informations nécessaires pour s'assurer du corps de délit et de la personne des prévenus s'il y a lieu.

« Art. 4. Dans ce cas où le résultat des informations déterminerait un mandat d'arrêt contre un ou plusieurs prévenus, la municipalité fera passer, dans les 24 heures, au directoire du district, une expédition des procès-verbaux et des interrogatoires. Le secrétaire du district sera tenu d'en donner sans frais un récépissé.

«Art. 5. Dans les 24 heures suivantes, le directoire de district fera passer le tout, avec son avis, au directoire de département et il en sera de même délivré un récépissé, sans frais, par le secrétaire du département.

« Art. 6. Dans les 24 heures suivantes, le directoire de département sera tenu de décider s'il y a lieu ou non de confirmer les mandats d'arrêt; il pourra ordonner de nouvelles informations, y procéder de lui-même et décerner de son chef de nouveaux mandats d'arrêt contre d'autres prévenus.

«Art. 7. Dans le cas où il y aurait un ou plusieurs mandats d'arrêt prononcés ou confirmés par le directoire, il sera tenu, dans le plus bref délai, d'adresser à l'Assemblée nationale une expédition de toutes les pièces qui auront motivé sa délibération.

«Art. 8. Les municipalités et directoires de district et de département pourront agir d'office et sans dénonciation.

"

Art. 9. Les dispositions de la loi du 29 septembre concernant l'exercice de la police de sûreté et les formes à observer par les juges de paix seront suivies par les corps administratifs en tout ce qui n'est pas contraire aux dispositions du présent décret.

Art. 10. Dans le cas où on porterait devant un juge de paix la dénonciation d'un crime de la qualité portée au 1er article, ou devant la municipalité et le district celle d'un délit de la compétence des tribunaux ordinaires, ils seront tenus d'en prononcer respectivement le renvoi et de faire remettre à leurs greffes respectifs les pièces dont la dénonciation pourrait être appuyée, le tout dans les 24 heures, et il leur sera délivré, sans frais, un récépissé desdites pièces et de la délibéraiion en renvoi.

« Art. 11. Le comité actuel de surveillance de l'Assemblée nationale sera, à l'avenir, désigné sous le nom de comité de police de sûreté générale.

"Art. 12. Ce comité sera expressément chargé d'entretenir une correspondance suivie avec les directoires des départements; il pourra leur adresser directement des notes instructives, leur demander des renseignements et de nouvelles informations sur les faits dont la vérification

lui paraîtra utile ou convenable et recueillir toutes les pièces qui lui seront adressées ou qui lui auront été renvoyées par l'Assemblée nationale, pour en faire son rapport dans le plus bref délai.

Art. 13. S'il y a eu des arrestations prononcées par les corps administratifs, immédiatement après la réception des pièces et dans les 24 heures suivantes, le comité sera tenu d'en faire son rapport.

« Art. 14. Toutes personnes qui se trouveraient nanties de pièces relatives soit à des accusations déjà portées, soit à des dénonciations déjà faites ou à la poursuite de quelque délit de la qualité mentionnée dans le 1er article, seront tenues, dans les 3 jours qui suivront la publication de la loi, d'en faire la remise au greffe de leur municipalité ou de les adresser directement au comité de police de sùreté générale.

Les quatre autres articles contiennent d'un côté la réquisition permanente à toutes les gardes nationales; l'Assemblée l'a déjà décrétée. L'article 16 autorisait les municipalités à faire des règlements de police administratifs, soit pour faire un recensement des particuliers suspects, soit pour interdire un autre signe de ralliement que la cocarde aux couleurs nationales. Une de ces dispositions a été prévue par votre décret sur les dangers de la patrie. Les deux seules dispositions qui n'ont pas été décrétées, m'ont paru susceptibles, dans les circonstances actuelles, de modification ou plutôt d'augmentation. Je crois qu'il est très possible de comprendre dans ces dispositions une mesure de répression contre les prêtres insermentés; je demanderai à l'Assemblée nationale à lui présenter ces dispositions par un décret particulier; et j'observeral d'avance à ceux qui se sont si fort élevés contre les mesures que je propose, qu'ils se sont étrangement abusés, lorsqu'ils ont cru qu'en donnant aux corps administratifs la faculté de faire des règlements de police administrative, j'ai entendu que les corps administratifs en feraient l'application. Les règlements de police existants sont promulgués par les corps administratifs et par les municipalités, sous la surveillance des directoires de département; et ce sont les tribunaux de police correctionnelle qui, sur la poursuite du procureur de la commune, les appliquent aux cas particuliers. Comme cette méprise-là a été redoublée dans beaucoup de pamphlets qu'on a lancés contre moi, je suis bien aise de prévenir d'avance ceux qui veulent me combattre, de ne pas me faire un semblable reproche, parce qu'ils prouveront, ou qu'ils n'ont pas entendu le projet de décret, ou qu'ils ne connaissent pas les formes judiciaires.

M. Becquey. Messieurs, (1) un peuple qui vient de regénérer son gouvernement, semble n'être accessible à d'autre crainte qu'à celle de voir renaître le régime qu'il a renversé. Chaque citoyen est, pour ainsi dire, une victime des abus attachés à cet ancien régime, il les a tous présents à la pensée; il se rappelle sans cesse les efforts qu'il a fallu faire pour opérer leur destruction; et longtemps encore, toute sa haine se tournera contre l'ombre elle-même de l'ennemi qu'il a vaincu. Lorsque toutes les âmes sont ainsi absorbées dans un sentiment unique,

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative. Administration, t. II, no 68.

1 SÉRIE. T. XLVII.

le peuple est exposé à des dangers d'un autre ordre, qu'il faut savoir reconnaître pour les éviter. Il a su triompher du despotisme d'un seul; ce ne sera pas sous un tel joug qu'on tentera de le renchaîner; ce qu'il devra craindre, c'est le despotisme de plusieurs, celui par exemple de ses magistratures, mille fois plus insupportable encore et plus horrible que le premier. Il n'y a que de bonnes lois qui puissent le sauver de cet excès de malheur; aussi est-ce dans la formation même de ces lois que l'esprit de parti essayera sa venimeuse influence. Ce sont des tyrans maladroits qui fondent leur empire sur la seule force des baïonnettes; des dominateurs plus habiles coloreront, du séduisant prétexte de l'intérêt du peuple, les atteintes qu'ils porteront à ses droits les plus chers, et certes, la tyrannie la plus facile à établir et la plus redoutable pour une nation, c'est bien celle que l'on parvient à lier à sa législation, à ses institutions civiles et politiques; car la tyrannie prend alors une espèce de caractère légal qui trompe le grand nombre, et prolonge la durée de l'oppression dans laquelle elle retient les citoyens. C'est, Messieurs, contre de tels maux, que vous avez surtout à vous tenir en garde; vous aimez la liberté, et c'est en son nom, c'est sous l'apparence trompeuse de servir sa cause, que l'on tente souvent de vous conduire à des mesures ennemies de toute liberté. Il semble qu'il suffise d'avoir revêtu la livrée d'un patriotisme bien ardent, pour oser présenter les plus dangereux projets; et, dans le renversement absolu de toutes les idées et de tous les principes, on se dit le meilleur défenseur de la Constitution, lors même que l'on conseille des moyens violents que la Constitution repousse, et qui assureraient sa ruine.

Déjà, on vous avait demandé de considérer la ville de Paris comme en état de guerre, et d'en exclure, ainsi que des autres grandes villes, un grand nombre de citoyens qui sont venus y chercher leur sûreté, et qui ont le droit d'y vivre sous la protection des lois, tant qu'ils ne troublent pas l'ordre social. Vous avez rejeté ces moyens aussi injustes qu'impolitiques, mais on ne s'est pas lassé, on est revenu à la charge. M. Gensonné a généralisé le premier plan: il vous a proposé d'attribuer aux corps administratifs et aux municipalités une grande puissance, qu'avec plus de franchise, ceux qui pensent comme lui s'étaient bornés à réclamer pour la seule municipalité de Paris.

Ce n'est pas tout: M. Gensonné propose encore de créer au sein de l'Assemblée nationale un comité, qu'il nomme comité de police, et de l'investir du pouvoir de diriger tous les corps administratifs dans l'exercice de la police de sùreté générale; pouvoir monstrueux, que vous n'avez pas le droit de conférer à vos membres, et qu'aucun de nous ne pourrait exercer sans abuser de la mission du peuple, qui ne nous a députés que pour faire des lois.

On veut séparer la police de sûreté générale de la police de sûreté ordinaire; on veut déléguer l'exercice de la première aux corps administratifs et aux municipalités des villes audessus de 20,000 âmes, et ne laisser que la seconde entre les mains des juges de paix. Je ne parle pas des moyens accessoires, c'est l'ensemble du plan que je viens combattre.

Pour le faire adopter, M. Gensonné, et depuis M. Brissot, considèrent la police comme indépendante des fonctions judiciaires. S'ils n'eussent

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