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traitreuse d'une guerre défensive, les retraites de nos généraux, le moyen extrême de vos décrets à l'égard des généraux du Rhin, rendus communs à tous ceux de l'armée, le terrible et désastreux veto sur les décrets du salut public, le plan toujours suivi d'être toujours coupable et innocent, avec une Constitution qui n'est hypothétique que pour ceux qui veulent l'enfreindre! Voilà les crimes dont la nation demande vengeance; voilà les crimes qui ont mis la patrie en danger et la liberté en péril; voilà les crimes qu'il faut dévoiler.

Et vous, législateurs, les partageriez-vous par un coupable silence? craindriez-vous de les punir? Votre déclaration restera-t-elle incomplète ? La patrie est en danger! vous l'avez dit : mais qui l'a mise en danger? Voilà ce qu'il vous reste á dire.

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ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE. Séance du vendredi 27 juillet 1792, au matin. PRÉSIDENCE DE M. LAFON-LADEBAT, président, ET DE M. VIÉNOT-VAUBLANC, ex-président. La séance est ouverte à dix heures. M. Blanchard, secrétaire, donne lecture des lettres suivantes :

1° Lettre du sieur Butay, qui annonce à l'Assemblée qu'il a inventé une pièce d'artillerie, qui peut tirer dans une ou deux minutes soixante ou quatre-vingts coups.

(L'Assemblée renvoie la lettre au comité militaire.)

2o Lettre des administrateurs du directoire du district de Prades et de la municipalité de la même ville, qui envoient à l'Assemblée la copie d'une adresse qu'ils ont fait parvenir au roi et dans laquelle ils expriment leur indignation sur les événements du 20 juin.

(L'Assemblée renvoie les lettres à la commission extraordinaire.)

30 Lettre de M. Roland, ex-ministre de l'intérieur, qui prie l'Assemblée de vouloir bien faire examiner ses comptes et, en attendant, de lui permettre de se retirer à la campagne. Il rappelle, en outre, la demande qu'il a faite d'une pension, dont trente-huit ans de services dans une administration en qualité d'inspecteur, semblent le rendre susceptible.

(L'Assemblée renvoie la lettre au comité de l'examen des comptes et à celui de liquidation.) M. Blanchard, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du 26 juillet 1792, au matin.

(L'Assemblée en adopte la rédaction.)

M. Blanchard, secrétaire, donne lecture d'une lettre des prisonniers du ci-devant Châtelet, qui demandent à marcher les premiers à la défense des lois nouvelles et de la Constitution.

M. Lejosne. Cette lettre est une preuve des moyens qu'on emploie sans cesse pour tourner en dérision le Corps législatif. Je demande que l'Assemblée passe à l'ordre du jour. (Applaudissements des tribunes.)

M. Thuriot. J'appuie l'ordre du jour. Je demande qu'on ne lise dorénavant de lettres à la tribune qu'après qu'elles auront été lues et enregistrées au bureau de correspondance. C'est une des manœuvres que l'aristocratie met chaque jour en usage pour avilir l'Assemblée nationale. Il est temps que l'on fasse enfin cesser ces coupables manoeuvres; et il est à remarquer que depuis longtemps on s'en sert avec une audace intolérable. C'est ainsi que le despote de Suède, après s'être efforcé de jeter le Sénat dans le mépris, est parvenu à le dissoudre, et à rétablir le pouvoir arbitraire: c'est là positivement la conduite et la prétention du pouvoir exécutif; et tel sera le résultat si vous ne vous empressez d'en arrêter l'effet. (Applaudissements des tribunes.) Je demande donc qu'on prenne connaissance des lettres qui sont adressées à l'Assemblée, avant de lui en donner lecture.

M. Gérardin. J'appuie la proposition de M. Thuriot; elle est infiniment juste, et j'ai éprouvé moi-même, pendant ma présidence, la vérité de ce qu'il a avancé.

Un membre: Oui, mais à la condition d'excepter de cette disposition les lettres officielles."

(L'Assemblée décrète qu'on ne lira désormais aucune lettre, adresse ou pétition, qu'elle n'ait été auparavant enregistrée au bureau des renvois de pièces avec le nom des personnes qui l'auront apportée ou écrite et qu'on n'exceptera de cette disposition que les lettres officielles.)

M. Lejosne. Messieurs, la municipalité d'Orchies, qui a souffert considérablement du pillage qu'ont exercé dans son sein les brigands autrichiens, demande à être indemnisée de ses pertes. Je propose à l'Assemblée de prendre sa demande en considération et j'en demande le renvoi au comité des secours et finances réunis, pour vous en rendre compte incessamment.

(L'Assemblée décrète le renvoi de cette pétition aux comités des finances et des secours publics pour en rendre compte dans le plus court délai.)

M. Laureau. En renvoyant au comité des secours la lettre qui vous annonce les dégâts qu'a faits une inondation de la Loire, vous avez satisfait au vœu de l'humanité; mais la patrie attend de vous quelque chose de plus le remède à un mal qui l'afflige aussi souvent. De tous les fleuves de l'Empire, la Loire est le plus inconstant; c'est un énorme torrent pendant l'hiver et les pluies abondantes; c'est une rivière qui ne présente que des grèves arides pendant la sécheresse de l'été. Ses variations en font un cours peu utile au commerce, et dangereux pour son voisinage. Les ravages qu'a faits

cette rivière depuis plusieurs années montent à plus de 20 millions. Avec le dixième de cette somme, on en aurait empêché la cause, si on y eût appliqué le remède avec la grandeur et là force qui conviennent à un puissant Empire.

:

Le plan des ouvrages avec lesquels on doit réprimer ce fleuve doit être considéré avec l'œil du génie qui embrasse un vaste ensemble; il doit l'observer depuis sa source jusqu'à son embouchure. On n'a formé jusqu'ici que des projets partiels qui ont eu le succès qu'ils devaient avoir les ouvrages faibles et dégradés ont entraîné dans leur ruine les ouvrages neufs. Des réparations divisées ont laissé des vides dont l'ennemi a profité pour renverser tout. Aujourd'hui il est donc prouvé qu'il faut tenir une autre marche il faut que l'ingénieur, s'élevant à la hauteur de son sujet, l'envisage dans sa cause et dans ses effets, et trouve le remède dans leur observation. Ce n'est pas la première fois que l'art a assujetti les fleuves à ses lois, et qu'il les a soumis, malgré leurs fougues et leurs écarts. Les Chinois sont parvenus à humaniser le Kiang, ce fleuve qui a plus de 800 lieues de cours. Depuis l'inondation qui submergea Youchangk, ils ont redoublé de vigilance: ils ont chargé le fleuve d'entraves, et ne lui ont pas permis de porter la désolation dans leurs provinces. Que nos ingénieurs examinent leurs procédés, les causes de l'inondation de la Loire; qu'ils calculent l'énorme chute de ses eaux, l'énormité de son lit; qu'ils combinent les moyens d'arrêter l'impétuosité, et de diminuer le volume des premières, et d'asseoir des digues étendues et ingénieuses sur une base solide; et le secret sera trouvé. Le fleuve coulant comme dans un encaissement, impérieusement contenu dans son lit par la moindre force de l'art, n'effraiera plus par ses ravages, et sera utile par son cours.

Je demande que ma motion, renvoyée au comité d'agriculture, y soit prise en considération, et suivie d'un rapport instructif et lumineux sur les moyens de remédier aux ravages de la Loire.

(L'Assemblée décrète le renvoi de cette motion au comité d'agriculture pour en faire son rapport dans le plus bref délai.)

M. Rouyer, secrétaire, donne lecture des procès-verbaux des séances du 23 et du 26 juillet au soir.

(L'Assemblée en adopte la rédaction.)

M. Rouyer. Je rappelle à l'Assemblée les détails qu'elle a reçus sur l'armement de l'Angleterre. Je crois que la nation anglaise est trop généreuse pour nous attaquer avec perfidie. Je veux croire que son armement n'est point contre nous; mais je sais qu'il y a à la suite de l'escadre deux brûlots, et les brûlots ne sortent des ports qu'en cas de guerre. Je demande que le ministre des affaires étrangères nous rende compte de cette addition d'armement.

Je propose, en outre, à l'Assemblée de décréter que tout officier de marine, de quelque grade qu'il soit, qui refuserait le service pour lequel il serait requis, sera déchu de son emploi et ne pourra être susceptible d'aucune espèce de retraite.

(L'Assemblée, après avoir décrété que le ministre des affaires étrangères rendrait compte sur la première proposition de M. Rouyer, adopte sa seconde motion, en décide le principe et charge le comité de la marine de lui présenter incessamment un mode de rédaction.)

Un membre: Je demande à l'Assemblée de décréter que le comité des secours sera tenu de lui faire, sous trois jours, un rapport sur les indemnités dues aux hôpitaux qui se sont mis en règle.

(L'Assemblée décrète cette motion.)

M. Lequinio. Je suis chargé d'offrir à l'Assemblée un livre destiné à l'instruction publique, intitulé « L'esprit de la Constitution française et rédigé par le sieur Maurice Lévêque, citoyen du département du Morbihan.

D

(L'Assemblée accepte l'hommage, décrète qu'il en sera fait mention honorable et renvoie l'ouvrage à son comité de l'instruction publique.)

M. Carez. Je prie l'Assemblée de vouloir bien agréer l'hommage d'un exemplaire de la Constitution française, dont j'ai fait une édition et à laquelle j'ai réuni le règlement pour la tenue des séances du Corps législatif, les lois sur son organisation, celles du ministère et de la hautecour nationale.

(L'Assemblée accepte l'hommage et en ordonne la mention honorable.)

Un de MM. les secrétaires annonce les dons patriotiques suivants :

1o Les commis de l'administration du district de Châtillon, département de la Côte-d'Or, envoient 400 livres en assignats;

2° M. Gaboré, président des amis de la Constitution de Loches, département d'Indre-et-Loire, donne avis à l'Assemblée que la société a mis, le 21 du mois dernier, à la messagerie de Loches une petite boîte en carton, à l'adresse de M. le Président, contenant différents effets d'or et d'argent, 20 1. 17 s. en argent et 185 livres en assignats, formant, avec l'estimation des effets, une somme de 347 l. 17 s.

M. Bréard. J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de l'Assemblée, pour le second bataillon du 84 régiment d'infanterie, en garnison à l'lle de Ré; savoir: 357 1. 3. d. en argent et 105 livres en assignats; plus, pour frais de port, 5 1. 3 s., ce qui portait la somme totale à 467 1. 3 s. 3 d.

M. Le Tourneur. Au nom des membres du directoire, du procureur général syndic et du secrétaire général du département de la Manche, j'offre, en don patriotique, 1,430 livres en assignats. J'annonce, en outre, à l'Assemblée que les administrateurs du collège de Billam ont fait parvenir, de la part des étudiants au collège de la même ville, 150 livres en assignats. Cette somme était destinée à l'achat des livres de prix, auxquels ces écoliers ont renoncé.

(L'Assemblée accepte ces offrandes avec les plus vifs applaudissements et en décrète la mention honorable au procès-verbal, dont un extrait sera remis aux donateurs.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une adresse des administrateurs du département de l'Ain. Ils exposent que la garde des effets mobiliers des émigrés entraîne des frais considérables et ils croient qu'il serait utile de les vendre au profit de l'Etat.

M. Marant. Je demande à convertir cette pétition en motion; voilà déjà longtemps que le rapport sur la vente des biens des émigrés est attendue, il serait temps d'en commencer la discussion. En ce qui me concerne, je propose la confiscation et la vente au profit de la nation.

M. Thuriot. J'appuie la proposition de M. Ma

rant. En effet, j'observe à l'Assemblée que la nation supporte de grands frais pour soutenir une guerre occasionnée par les émigrés. Je pense qu'elle devrait trouver une juste indemnité dans la vente de leurs biens. C'est pourquoi je propose de décréter sur le champ, comme le demandait le préopinant, et la confiscation et la vente au profit de la nation.

(L'Assemblée décrète cette proposition comme base et renvoie à la première section du comité de législation et au comité des domaines le projet de loi à lui présenter à cet égard.)

M. Charlier. Je propose de renvoyer également au comité des domaines les deux questions suivantes; savoir: 1° s'il serait accordé un bénéfice sur la vente des émigrés aux municipalités dans le ressort desquelles se trouvent situés quelques-uns de ces biens;

2° Quelle sera la nature et la quotité de ce bénéfice.

(L'Assemblée renvoie ces deux questions au comité des domaines.)

Le sieur Zacharie Butte, cultivateur, père de famille, officier municipal d'Estrées, près SaintDenis, district de Compiègne, est admis, avec son fils, à la barre; il s'exprime ainsi :

་་

Messieurs, le sieur Zacharie Butté vient se réfugier dans le sein de l'Assemblée nationale, et lui demander justice contre des officiers du 14• régiment de troupes légères, nommés vulgairement chasseurs verts, qu'elle vient, par un décret, de faire sortir de Paris et d'envoyer à la défense des frontières. Des brigands armés ont voulu l'assassiner, ont ameuté ses concitoyens contre lui, les ont engagés à dévaster ses propriétés, et l'ont forcé d'abandonner sa maison et ses terres au moment de la moisson. Il ne peut retourner dans son pays, où ses jours seront en danger. Sa famille, ses possessions y sont menacées. Il passé pour un scélérat, celui qui, depuis 28 ans, y jouissait d'une réputation intacte, et qui avait mérité par ses vertus et son civisme jamais démenti, d'être décoré de l'écharpe municipale; il n'a fallu qu'un moment aux lâches qui n'ont pu l'égorger, pour le calomnier et le perdre dans l'opinion du peuple dont l'estime lui est si précieuse et si nécessaire. Ce simple exposé des faits vous fera frissonner d'horreur, et vous reconnaîtrez dans l'attentat que je viens vous dénoncer, le projet liberticide d'anéantir tout ce qui porte le nom de patriote; voici les faits:

« Le vendredi 20 juillet, vers les sept heures du matin, un détachement du 14° régiment des troupes légères fit halte à Estrées-Saint-Denis, devant la maison de M. Butté. Le village est situé entre Pont et Tournay, où l'état-major avait demandé demeure. Près de Pont, M. Butté, accompagné de ses deux filles, jeunes personnes, l'une âgée de 15, et l'autre de 16 ans, sortit de sa maison pour voir le régiment arrêté à la porte. Alors il s'entend appeler par un capitaine qu'il avait connu autrefois aux messageries. Il l'aborde amicalement, l'invite à déjeuner, ou du moins à se rafraîchir chez lui. Plusieurs autres officiers étaient descendus de cheval et l'environnaient. Ils se rappelèrent l'avoir vu souvent à Paris, où il venait pour ses affaires. Il causait familièrement avec eux, lorsqu'un des officiers supérieurs s'approche en lui disant : « Vous êtes un Jacobin; « vous êtes un scélérat; vous méritez cent coups « de bâton; et je m'en vais dans l'instant vous "faire fusiller. « Je ne suis pas Jacobin, répondit M. Butté; si je l'étais, je m'en ferais honneur :

་་

་་

je cultive mes terres. Je remplis avec scrupule "mon devoir d'honnête homme et de bon citoyen. << Votre projet serait-il donc de m'assassiner? » Oui, ajoutèrent-ils, nous voulons massacrer tous «<les Jacobins nous en avons fait le serment. » En disant ces mots, ils tirent leur sabre comme pour l'assassiner en effet; mais ils avaient formé un projet bien plus atroce: c'était de faire commettre le meurtre par le peuple lui-même, qui s'était assemblé en grand nombre. Un d'eux se mit à le haranguer, et lui tint à peu près ce dis

cours:

« Vous avez parmi vous un monstre dont il faut purger la société. Vingt mille Prussiens, autant d'Autrichiens, vont fondre sur vous et pénétrer jusqu'ici, égorger vos femmes, vos enfants, ravager vos récoltes et vous passer au fil de l'épée; et c'est ce scélérat qui vous livrera: lui et tous les jacobins sont payés par les ennemis qu'ils appellent en France, et dont ils favorisent les cruautés. Brûlez tous les clubs et les clubistes, et que la vengeance commence par celui qui est sous vos yeux ».

« Cette scène dure près d'une demi-heure. Le maire, sans son écharpe, en est tranquille spectateur et répond par un léger sourire au malheureux Butté, qui le somme de le couvrir de l'égide de la loi. Où trouve-t-il des défenseurs contre tant de vexations? Parmi les soldats (Bravo! Vifs applaudissements des tribunes et de l'Assemblée), qui tous paraissaient gémir de l'atrocité de leurs chefs. Cinq ou six sortent des rangs et viennent le supplier de rentrer chez lui. « Vous êtes un brave homme, lui disent-ils; retirez-vous: nous savons qu'on en veut à vos jours. » Un tambour fait plus d'instance que les autres, le prend dans ses bras et le porte presque de force dans la maison. D'autres arrivent et tiennent encore des propos plus incendiaires que les premiers; et à coups de monture de sabre, à coups de crosse de fusil, ils pratiquent dans les murs une ouverture par laquelle un des membres de l'état-major ayant pénétré, ouvre la porte aux autres officiers, qui se précipitent dans la maison le sabre nu à la main, parcourent tous les appartements, le grenier, la cave, en vomissant des imprécations contre le sieur Butté et en jurant de l'immoler à leur fureur s'ils peuvent le trouver. Ce dernier s'était échappé par une porte de derrière et avait gagné le chemin de Rouveillez, l'âme navrée de douleur en laissant ses enfants et ses propriétés à la merci de ces barbares. Aussitôt qu'on s'aperçoit de sa fuite, on met à sa poursuite plusieurs soldats qui, n'étant arrivés qu'après le départ du détachement, ignoraient pourquoi cinq ou six cents personnes en poursuivaient une seule avec tant d'acharnement; mais ces braves gens ayant rencontré uu cultivateur qui leur dit que cet homme qu'on poursuivait, sur les traces de qui on les faisait courir, était un fort honnête homme, un homme respectable, aussi bon père qu'excellent citoyen, mais qu'on disait qu'il était jacobin (vous noterez, Messieurs, que les gens de la campagne ne savent pas même ce que c'est qu'un jacobin, au point qu'ils se disaient entre eux: mais comment se fait-il qu'il soit jacobin? nous ne l'avons jamais vu porter l'habit; mais on dit qu'il est jacobin).» «Et qu'il soit ce qu'il voudra, disent ces braves soldats nous sommes partis pour faire la guerre aux Autrichiens et non pas aux jacobins; et en disant ces mots ils regagnent leur bataillon. Les officiers, en se retirant, ont voulu, puisqu'ils n'avaient pu l'assassiner ni faire brûler

sa maison, déshonorer au moins sa famille. Un d'eux s'est vanté d'avoir, le sabre nu à la main, violé une de ses filles... (Murmures d'indignation.)

Plusieurs membres: Ce n'est pas possible.

Le pétitionnaire: ... «et a fait la plaisanterie atroce de retenir, parmi ceux qui l'écoutaient, un parrain et une marraine pour l'enfant qui naîtrait de ce viol.

« Heureusement ce n'était qu'une calomnie infâme, car ses deux filles s'étaient cachées dans une armoire et avaient échappé aux recherches et aux infamies projetées par ces brigands. Il est consolant de voir que les soldats n'ont pas partagé l'infamie de leurs chefs. Plusieurs personnes même qui avaient suivi le régiment attestent que les premiers, en voyant ou en croyant voir sortir de la fumée de la maison du sieur Butté, ont dit à leurs officiers: « Cela est abominable; vous déshonorez notre corps; vous allez être cause qu'on va incendier les propriétés de cet honnête homme, et que peut-être on va l'assassiner. Vous vous acharnez contre les jacobins nous le croyons aisément, car sans eux vous nous feriez marcher à quatre pattes. On ignore combien a duré et comment a fini cette dispute. Après leur départ, le sieur Butté s'est rendu secrètement chez le maire, à qui il a reproché sa lâcheté et son infraction à la loi, en ne le protégeant pas contre la violence et les mauvais traitements qu'on lui faisait endurer et en ne punissant pas même ce coupable étatmajor. Quelle a été sa réponse? « Vous êtes un jacobin: j'aurais voulu qu'on vous coupât en mille morceaux. » Telle est l'horreur qu'on a inspirée contre ce respectable cultivateur, que sa mort paraît certaine s'il retourne chez lui, où sa présence en ce moment est absolument nécessaire. Un mot de vous, législateurs, détruira les coupables manœuvres, détruira les funestes effets de la calomnie répandue contre lui. Frappez les coupables! que la punition égale le forfait. Nous ne ne vous ferons aucune réflexion sur tant d'atrocités. Vos moments sont nécessaires au salut de l'Empire. Nous nous contenterons de vous dire que vous lui devez d'autant plus protection et sûreté que son seul crime est d'être patriote. »

M. le Président. Messieurs, l'Assemblée nationale prendra dans la plus grande considération les plaintes graves que vous lui présentez; elle vous accorde les honneurs de la séance.

M. Lacombe-Saint-Michel. Je demande la parole. Je dis qu'une anecdote de cette espèce est capable de figurer dans les annales des cannibales. Je demande qu'on renvoie au comité de surveillance pour qu'il nous en fasse un rapport demain. Il est temps enfin que les lois agissent. (Applaudissements des tribunes.)

Un membre: Je demande que le maire soit mandé à la barre.

M. Thuriot. Renvoyer au comité de surveillance pour faire un rapport n'est pas arriver au but que la loi indique; le comité de surveillance ne serait saisi que d'une dénonciation; et il est impossible que, sur une dénonciation, l'Assemblée nationale puisse prendre un parti. La loi a tracé sa marche, il faut la suivre; il faut que le pouvoir exécutif, auquel nous renverrons la dénonciation, force le juge de paix de faire sur-lechamp l'instruction; et c'est lorsque l'instruction sera faite que l'Assemblée pourra en con

naître. Si l'incivisme de l'état-major du régiment dont il s'agit est tel que la pétition le désigne, il est impossible de ne pas le licencier; mais je demande que, dans ce moment-ci, l'Assemblée nationale renvoie au pouvoir exécutif la pétition dénonciative qui vient de lui être faite, pour qu'il rende compte, dans 8 jours, de l'instruction qui aura été faite sur cette dénonciation par le juge de paix du lieu.

M. Delacroix. Je demande que l'Assemblée nationale décrète que ce citoyen est sous la protection de la loi.

M. Thuriot. Je demande qu'on délivre au pétitionnaire un extrait du décret qui renvoie au pouvoir exécutifavec l'ordre exprès de rendre compte dans la huitaine; cette expédition suffira pour faire connaître aux habitants qu'ils ont été trompés, que l'Assemblée nationale prend sous sa protection ce citoyen.

(L'Assemblée nationale décrète le renvoi de la pétition au pouvoir exécutif, pour faire faire sans délai l'instruction nécessaire par le juge de paix du lieu et en rendre compte dans la huitaine. Elle décrète, en outre, qu'il sera remis au sieur Zacharie Butté, qui est sous la protection de la loi, une expédition du procès-verbal.) M. Dalmas, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du 25 juillet au matin. M. Gamon. La manière dont est rédigée la partie du procès-verbal qui a rapport au rappel à l'ordre de M. le président est injurieuse à l'Assemblée. Je demande que toute cette partie du procès-verbal soit retranchée, et qu'on y laisse seulement que M. le président a rappelé M. Chabot à l'ordre, et qu'ensuite l'Assemblée a décrété que M. le président y serait lui-même rappelé.

M. le Président. Ma mise en cause ne me permettant pas de présider l'Assemblée, je prie M. Viénot-Vaublanc de me remplacer pendant cette discussion.

M. Viénot-Vaublanc prend le fauteuil.

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M. Chabot. J'attends de l'Assemblée une exacte impartialité que je n'attendais pas tout à fait de M. le secrétaire.

M. Dalmas, secrétaire. Voyez le Logographe.

M. Thuriot. On sait que c'est M. Laborde qui fait rédiger le Logographe et que la Cour l'influence.

M. Chabot. Nous savons qui sont ceux qui font rédiger le Logographe. Depuis longtemps ils cherchent à dénaturer les opinions, et je suis porté à croire que M. le secrétaire dénature la mienne, puisqu'il a pris le Logographe pour modèle. J'aurais pensé néanmoins que M. Dalmas aurait pris mon opinion telle que je l'ai prononcée, et non pas telle qu'elle est dans un journal, puisque c'était lui qui devait faire le procès-verbal sans s'adresser à qui que ce fût. Quoi qu'il en soit, la voici :

J'ai annoncé que quelle que fùt l'opinion de l'Assemblée, l'opinion publique accuserait toujours les trahisons de la Cour. J'ai dit que si 'Assemblée nationale seule ou avec le roi ne pouvait pas sauver constitutionnellement le peuple, et j'en appelle à tous les bons citoyens. (Applaudissements à gauche et dans les tribunes.) J'en appelle aux tribunes qui ont tout entendu.

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(Applaudissements des tribunes. Rires ironiques à droite.)

M. Fressenel. Je demande qu'on rappelle M. Chabot à l'ordre; car je ne crois point que les tribunes aient ici une juridiction d'appel. (Huées des tribunes.)

M. Chabot. J'ai dit que si l'Assemblée ne pouvait pas sauver le peuple, ou l'Assemblée avec le roi ne pouvait pas sauver le peuple constitutionnellement, le peuple seul saurait se sauver ; (Bravos des tribunes) que par la Constitution même il avait le droit de changer une Constitution qui | ne pouvait pas le sauver, dans l'hypothèse où l'on ne pourrait le sauver. Mais une grande faute du secrétaire, la voici Au moins les secrétaires qui dénaturent les opinions, devraient rendre textuellement les décrets. Or, c'est ce que M. Dalmas n'a pas fait. Il a été rendu un décret préliminaire au rappel à l'ordre de M. le président, le décret qu'il m'avait rappelé à l'ordre mal à propos; et c'est là où je vois la mauvaise foi de M. le secrétaire, c'est là où je suis de l'opinion de M. Gamon, que la manière dont M. le secrétaire rapporte cette séance ne tend à rien moins qu'à déshonorer ceux qui ont voté pour le rappel à l'ordre de M. le président. Il semble, dis-je, que j'ai été rappelé à l'ordre justement, tandis que l'Assemblée nationale a décrété qué j'y avais été mal à propos rappelé. Je demande donc que le procès-verbal contienne simplement que j'ai énoncé que si l'Assemblée nationale et le roi ne pouvaient pas constitutionnellement sauver le peuple, le peuple saurait se sauver lui-même, et que la Constitution lui garantissait le droit imprescriptible de changer sa Constitution, quand cette Constitution ne peut pas le sauver. Je demande que d'après cet énoncé, M. le secrétaire se contente de dire : la discussion s'est entamée sur la question de savoir si le président serait rappelé à l'ordre; sur un premier décret, l'Assemblée a décrété que j'avais été mal à propos rappelé à l'ordre, et que par suite l'Assemblée l'a lui-même rappelé à l'ordre.

M. Goujon. Toutes les variantes dans lesquelles sont tombés M. le secrétaire et M. Chabot, ne me semblent pas devoir être consignées dans le procès-verbal. Il ne doit pas être dans les circonstances le récit de ce qui s'est dit de part et d'autre, mais le résultat fidèle de ce qui a été effectivement décrété. Ainsi, d'une part, il y a eu rappel à l'ordre de M. le président; et j'observe ici, et toute l'Assemblée conviendra avec moi, que M. Chabot avait été interrompu (Murmures) au milieu de sa phrase, et que c'est cette interruption qui donna à sa phrase même une certaine équivoque qui fit interpréter sa pensée. (Murmures). De là il résulte que la seule chose que je crois devoir être mise dans le procèsverbal, c'est le rappel à l'ordre de M. le président, et l'improbation que l'Assemblée a donnée au rappel à l'ordre. Mais je ne crois pas que la discussion doive être rapportée.

Plusieurs voix: Fermez la discussion! (L'Assemblée ferme la discussion.)

M. Lafon-Ladebat, président, reprend le fauteuil.

PRÉSIDENCE DE M. LAFON-LADEBAT.

M. Thuriot. Je demande la question préalable sur la motion de M. Goujon.

M. le Président. Et moi je demande, au nom

de la patrie, que l'Assemblée passe à l'ordre du jour et que la rédaction de M. Chabot soit adoptée.

(L'Assemblée décrète que le dire de M. Chabot sera inséré simplement, et qu'immédiatement après il sera fait mention des trois décrets qui ont succédé. Elle passe ensuite à l'ordre du jour.)

M. Lacombe-Saint-Michel, au nom du comité militaire, présente la rédaction du décret, adopté dans la séance du 21 de ce mois (1) et relatif au mode d'avancement du corps de l'artillerie pendant la guerre; elle est ainsi conçue :

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité militaire, considérant combien il est instant que les remplacements des officiers du corps de l'artillerie se fassent sans délai, décrète qu'il y a urgence.

« L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète que, sans avoir égard à la deuxième partie des articles 11, 16 et 19 du titre II de la loi du 27 avril 1791, l'avancement du corps d'artillerie aura lieu, pendant la guerre, suivant le mode décrété pour l'avancement en temps de paix. »

(L'Assemblée adopte cette rédaction.)

Un membre, au nom du comité des décrets. J'observe à l'Assemblée que dans le procès-verbal de la séance du 17 de ce mois, il a été rendu un décret sur le rapport de M. Mathieu Dumas (2), qui n'a point été remis; qu'il en a été de même d'un autre décret rendu dans la séance du 19 au matin, relatif au transport des bois par la Moselle, dont M. Massey était rapporteur (3), et que dans la séance du soir du 20, il manque la rédaction d'un décret de liquidation, dont le projet avait été présenté par M. Jard-Panvillier (4). Je demande à l'Assemblée de conclure que MM. les rapporteurs soient tenus de remettre sur le champ les décrets rendus sur leur rapport.

(L'Assemblée décrète cette proposition.)

Le même membre, au nom du comité des décrets, propose la rectification du décret rendu dans la séance du 24 au soir (5) relatif à la conduite des administrateurs du directoire du département des Bouches-du-Rhône, mandés à la barre pour être entendus sur l'affaire d'Arles. Ce décret étant rédigé dans une forme irrégulière, il demande que toutes les dispositions réglementaires soient seulement inscrites dans le procès-verbal et que les dispositions législatives soient précédées du décret d'urgence. Il propose, en conséquence, les projets de décrets suivants :

Premier décret.

« L'Assemblée nationale, sur le rapport de l'un de ses membres, relativement à la conduite des

(1) Voy. ci-dessus, séance du 21 juillet 1792, page 5 l'adoption de ce décret, sauf rédaction.

(2) Voy. Archives parlementaires, 1r série, t. XLVI page 578, le décret portant création de compagnies de chasseurs de volontaires nationaux.

(3) Voy. Archives parlementaires, 1 série, t. XLVI, page 655, le decret relatif au transport des bois par la Moselle.

(4) Voy. Archives parlementaires, 1r série, t. XLVI, page 706, le décret de liquidation présenté sur le rapport de M. Jard-Panvillier.

(5) Voy. ci-dessus, séance du mardi 24 juillet 1792, au soir, page 118, le décret rendu sur le rapport de M. Grangeneuve.

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