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libres doivent faire la guerre »; et moi, je dis : M. Carnot l'a trouvée cette manière, et je ne puis m'empêcher d'observer que ce que vous a dit le préopinant, me rappelle parfaitement la dissertation ridicule de ce philosophe de l'antiquité, qui voulait apprendre au premier héros de son siècle, à Annibal, la manière de faire la guerre.

Je dis, Messieurs, qu'il est une manière d'apprécier le projet qui vous est présenté. De deux choses l'une ou vous avez assez d'armes pour armer nos soldats, ou vous n'en avez pas assez; et je réduirai toujours l'adversaire du projet qui vous a été présenté, à ce point unique: donnez des armes, ou vous voulez trahir la patrie en présentant à l'ennemi des soldats sans armes. Messieurs, je ne suis point militaire.....

Un membre: On le voit bien!

M. Lecointe-Puyraveau......... mais je soutiens qu'avec le simple sens commun.....

Un membre: Il faut l'avoir !

M. Lecointe-Puyraveau. Je dénonce, non pas au président, non pas à l'Assemblée nationale, mais à toute la cité, mais à toute la France, le plus audacieux, le plus impertinent de tous les hommes, un homme qui vient de m'insulter à la tribune, en me disant que je n'ai pas le sens commun. (Rires à droite; murmures à gauche.)

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Plusieurs membres: Oh, bon Dieu; il faut l'envoyer à l'Abbaye!

M. Lecointe-Puyraveau. Messieurs, je sais bien que le sens commun, c'est-à-dire, le sens de la liberté, n'est pas le sens commun de ces Messieurs. (Montrant la droite; applaudissements des tribunes.)

Un membre: Ce n'est pas des phrases qu'on vous demande, allons au fait! (Bruit.)

M. Lecointe-Puyraveau. Je dis, Monsieur, que ce que je sais, ce qui est démontré pour moi comme pour tous les hommes qui aiment la patrie, c'est qu'il faut, ou rappeler les citoyens qui ont été sur les frontières, et qui sont sans armes, ou leur donner les moyens de se défendre et d'attaquer. Ces moyens vous manquent par des fusils. Eh bien! vous pouvez leur donner des piques.

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Et qu'on ne dise pas, car c'est une absurdité, que l'on veut chercher à changer la tactique dé l'art militaire; ce n'est point cela on veut conserver l'arme à feu; on veut que de toutes parts dans les manufactures d'armes on emploie le plus d'ouvriers possible pour s'en procurer, mais l'on veut en même temps que, d'un côté, l'on travaille à faire des piques, et, de l'autre côté, à faire des fusils. Quand vous aurez assez de fusils pour armer tous les citoyens qui se dévouent à la défense de la patrie, peut-être vous sentirez la nécessité de leur ôter leurs piques; mais encore vaut-il mieux avoir des piques qu'un bâton ou des pierres.

On a cherché à répandre du ridicule sur le projet qui vous a été présenté. Jamais projet peut-être ne fut aussi utile dans les circonstances présentes; une seule observation le prouve, c'est que les mêmes personnes qui sont employées à la fabrique des armes à feu, ne sont pas celles qui sont employées à fabriquer des piques; il est prouvé que l'on a cru que, dans certaines circonstances, il était à propos d'avoir une arme tranchante autre que le fusil, puisqu'on a ajouté la baïonnette au fusil. Eh bien! celui à qui vous ne pouvez pas donner un fusil, aura au moins cette arme.

Le préopinant vous a dit: Nous ne sommes ni Spartiates, ni Athéniens. Qu'entend-il par là? Si nous ne l'avons pas été, nous le deviendrons. (Applaudissements des tribunes.) L'enthousiasme de la liberté nous élèvera jusqu'à eux; et ceux qui ne le veulent pas être, voudraient-ils nous donner des fers? Je ne le crois pas; ils n'ont pas l'âme assez avilie; ils ont été dans l'erreur; plaignons-les, mais combattons. (Applaudissements des tribunes.)

M. Rouyer. Je ne combats ni l'avis de M. Carnot, ni l'avis de M. Lecointe-Puyraveau. Je conviens, avec M. Lecointe, qu'il vaut infiniment mieux avoir des piques que des bâtons et des barres; mais il conviendra aussi avec nous qu'il faut mieux avoir des fusils. (Murmures à gauche.) Ces Messieurs se sont écriés, parce qu'ils ont cru que je proposais des moyens dilatoires et que je ne voulais pas que l'on fabriquât des piques. Je crois, au contraire, qu'il est nécessaire d'en faire, et que cela ne doit pas empêcher d'avoir des fusils; et c'est pour offrir ce moyen à l'Assemblée que j'ai pris la parole. M. Carnot vous a dit que vous ne pourriez pas avoir de fusils de longtemps pour armer tous les citoyens qui veulent aller aux frontières; qu'il fallait leur donner des piques. Cet argument me semble irrésistible; mais, d'un autre côté, si l'on considère qu'il n'y a pas de département dans le royaume qui n'ait un grand nombre de gardes nationales armés de bons fusils, il me semble que, par un décret de l'Assemblée nationale, on pourrait faire transporter, en moins de quinze jours, sur les frontières, 120 ou 130,000 fusils; et voici quel moyen j'emploierais: Que chaque département, suivant la population et le nombre de ses gardes nationales, fùt tenu de fournir 15 ou 1,200 fusils, suivant sa population; qu'on remplaçât les 12 ou 1,500 fusils, dans les départemens, par des piques, et qu'on envoyât sur les frontières les 120,000 fusils. Vous conviendrez que dans les départements, les piques seront toutes aussi bonnes pour contenir les malveillants de l'intérieur, et que d'ailleurs dans un département qui sera composé de 12 à 13,000 gardes nationales qui donnera à sa patrie le dixième ou le douzième de ses armes, il n'en restera pas moins suffisamment contre les malveillants.

Il est encore, Messieurs, un second moyen: II y a beaucoup de citoyens qui, ne pouvant pas aller à la guerre, sont venus déposer sur l'autel de la patrie des dons en bijoux, argent ou assignats eh bien, Messieurs! je désirerais que l'Assemblée nationale décrétât qu'il serait fait une liste des bons citoyens qui, se dévouant pour la défense de la patrie, et ne pouvant pas payer de leurs personnes en allant aux frontières, viendraient déposer sur l'autel de la patrie un, deux ou trois fusils, et je suis persuadé que cette mesure nous en procurerait beaucoup; au reste, vous n'avez pas autre chose à faire que rendre un décret pour que chaque departement de la première classe pour la population, soit tenu de fournir 1,500 fusils de calibre adopté pour les troupes de ligne, et que chaque département de seconde classe soit tenu d'en fournir 1,200. Je demande que le décret porte que le remplacement de ces fusils sera fait, le plus tôt possible, par les départements qui auront leurs recours sur la caisse de l'extraordinaire; enfin, je n'entends pas m'opposer à la fabrication des piques; au contraire, je les demande de mon chef pour remplacer momenta

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M. Charlier. Je demande la parole pour un fait: L'Assemblée a renvoyé une proposition à peu près semblable à la commission extraordihaire. Je crois, Messieurs, qu'avant de prononcer sur la proposition de M. Carnot, il faudrait attendre le compte du ministère et le rapport de la commission des Douze.

Plusieurs membres: Le renvoi de toutes ces propositions au comité militaire!

M. Marant. J'observe à l'Assemblée que la mesure proposée par M. Carnot est d'un intérêt pressant et qu'il serait peut-être bon que le rapport fùt déposé demain.

Un grand nombre de membres: Appuyé, appuyé! (L'Assemblée renvoie toutes ces propositions au comité militaire, et à la commission extraordinaire des Douze réunis, ainsi que le projet de décret de M. Carnot, et décrète que le rapport en sera fait à la séance du lendemain.)

M. Lasource. Vous savez que les chasseurs tyroliens inquiètent nos avant-gardes; ces hommes exercés font pérír beaucoup de nos braves citoyens, parce qu'ils tirent à une très grande distance, et que malheureusement ils ne manquent jamais leur coup; eh bien, Messieurs! nous avons aussi dans l'Empire français des hommes qui ont le même genre d'adresse; je parle de ce qu'on appelait autrefois les braconniers et gardes-chasses; chaque district pourrait fournir 3 ou 400 chasseurs de cette espèce; il serait possible de rassembler ces hommes en compagnies, on en tirerait l'avantage inappréciable de pouvoir garnir nos avant-gardes, et d'opposer ces chasseurs aux chasseurs tyroliens; ces hommes sont presque tous très braves.

Je demande que la proposition que je fais à l'Assemblée soit renvoyée au comité militaire, qui la discutera, et présentera un mode de recrutement pour cette espèce de compagnie de chasseurs, si le comité militaire juge convenable de les organiser en compagnies, pour les opposer aux chasseurs tyroliens. (Applaudissements.) (L'Assemblée nationale renvoie la proposition de M. Lasource au comité militaire.)

M. Gossuin. Je reçois à l'instant, une dépêche des administrateurs du district et de la municipalité d'Avesnes qui vous prouvera, Messieurs, que si les malheureux citoyens de ce pays sont exposés au plus grand danger et sont victimes de la négligence des ministres et de leur mésintelligence avec les généraux, ils n'en sont pas moins patriotes et disposés à employer tous leurs efforts pour repousser l'armée autrichienne qui les menace et ravage leurs plaines.

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"Avesnes, le 12 juillet, l'an IV de la liberté.

« Nous sommes fondés à croire, Monsieur et cher concitoyen, qu'on veut absolument sacrifier le département du Nord, et livrer cette barrière de la France, l'un de ses principaux boulevards, au tyran de l'Autriche. Si l'on a pu pendant quelque temps mettre en problème la trahison des agents du pouvoir exécutif, il se trouve aujourd'hui résolu par les faits mêmes; il n'y a plus maintenant que les ennemis de la chose publique, ou les aveugles, qui ne convienent pas que nous sommes joués et vendus.

« Vous avez été informé dans le temps, du départ de l'armée de La Fayette, qui volait, disait

on, au secours des départements du Rhin, et qui cependant est restée plus de dix jours pour faire quatorze lieues; celle du maréchal Luckner n'a pas tardé à suivre, elle était campée le 13 de ce mois à Maroilles et Landrecies, et pour remplacer toutes ces forces, on a envoyé vers Valenciennes 4 à 5,000 hommes.

Les Autrichiens n'ont pas tardé à profiter de l'avantage que leur donnait notre dénuement; le 15 ils sont entrés à Orchies, où ils ont commis des horreurs et exercé le pillage accoutumé. Depuis lors ils se sont emparés de Bavay, ils s'y fortifient tous les jours, leur camp s'étend depuis les Mottes, à une lieue et demie de Maubeuge, jusqu'à trois quarts de lieue du Quesnoy: leur avant-garde est à la Longueville, de là ils inquiétent d'abord les deux places citées, ainsi que celle du Quesnoy et la nôtre.

Celle-ci paraît fortement menacée, le général Arthur Dillon qui commande aujourd'hui dans ce département, nous a dit, le 19, qu'il y avait lieu de craindre que l'ennemi, maître du cours de la Sambre, ne vint assiégér Avesnes incessamment, et rien n'est préparé pour un pareil événement.

« D'abord il n'y a pas de canons à suffisance, le sieur Dorbay, maréchal de camp commandant l'artillerie, a promis d'en envoyer, mais ils n'arrivent point; nous n'avons qu'une demicompagnie d'artilleurs courageux et patriotes, mais ce nombre n'est pas assez considérable pour le service; nous n'avons que deux bataillons de volontaires nationaux pour garnison, encore ce n'est que depuis hier que le deuxième est arrivé; point de cavalerie, sinon un dépôt de trente chasseurs; la place n'est point palissadée; il faut 38,000 palíssades pour l'entourer, 10,000 seulement sont faites, et elles étaient en magasin, on commence aujourd'hui à en faire usage, et c'est au moment que l'ennemi est à nos portes, c'est au même moment qu'on requiert le corps administratif de fournir les 28,000 palissades qui manquent, il les faut de suite, c'est-à-dire, qu'on entend qu'un ouvrage qui demande plus d'un mois de temps soit achevé aussitôt que proposé.

« On voit parfaitement le but de cette conduite, c'est de rejeter l'odieux sur les magistrats du peuple; nous les avons requis, dira-ton; ils ont négligé d'exécuter, et la multitude qui ne se donne pas la peine de raisonner et d'approfondir, accusera des hommes innocents, d'un malheur qu'ils ont tâché de prévenir.

« Pourquoi ces palissades n'ont-elles pas été ordonnées plus tôt, pourquoi le ministre n'a-t-il pas donné des ordres et des fonds à ce sujet depuis plus de quatre mois? On en demande sans cesse à l'Assemblée nationale qui les accorde, et l'on n'en connaît pas l'emploi. Pourquoi M. d'Harville, lieutenant général à Valenciennes, répondait-il aux officiers municipaux d'Avesnes, qui l'engageaient à mettre la ville en état de défense, que leur civisme était louable, mais que cette partie ne les regardait pas?

« Ce qu'il y a de plus désagréable dans les circonstances actuelles, c'est que nous n'avons aucun fonds pour faire des avances aux ouvriers. Le receveur du district, sur notre invitation, s'est cependant engagé d'y faire face, Les ouvriers commencent à travailler; avant qu'ils aient achevé, et que les dispositions soient faites, l'ennemi a tout le temps d'attaquer: et vous savez que depuis Avesnes jusqu'à Paris, il n'y a pas une seule place fortifiée.

Il n'y a aucune apparence qu'on entreprenne de le déloger du poste dont il s'est emparé. La chose se trouve même impossible, puisque M. Dillon nous a assurés qu'il n'avait pas quatorze mille hommes dont il pût disposer, et il y aurait de l'imprudence d'aller avec pareil nombre, attaquer une armée retranchée et forte de vingt-cinq à trente mille hommes.

"Jugez d'après cela, Monsieur, s'il y a lieu de douter qu'on nous joue et qu'on nous trahit : jusqu'à quand l'Assemblée nationale le souffrirat-elle? Les législateurs ont déclaré la patrie en danger; qu'ils veuillent donc prendre des mesures vigoureuses pour la sauver; qu'ils envoient des forces suffisantes pour combattre et repousser l'ennemi; qu'ils obligent les agents du pouvoir exécutif à faire leur devoir, qu'ils frappent les traîtres, alors la patrie est sauvée. « De la fermeté et du courage, et nous mourrons s'il le faut.

« Pour nous, Monsieur, placés au milieu du danger, nous conserverons le calme et le sangfroid nécessaires pour le détourner. Nous donnerons à nos concitoyens l'exemple de la fermeté et du courage; s'il le faut nous mourrons à notre poste, et nos dernières paroles seront: Liberté et Constitution.

» Signé : Les administrateurs du directoire, du district, et les officiers municipaux de la ville d'Avesnes. »

Je demande, Messieurs, qu'il soit fait mention honorable de la conduite des administrateurs du district et des officiers municipaux d'Avesnes.

(L'Assemblée décrète qu'il sera fait mention honorable au procès-verbal de la conduite des administrateurs du district et des officiers municipaux d'Avesnes.)

M. Carnot-Feuleins, le jeune. Il faut enfin savoir ce qu'est devenue l'armée qui couvrait la partie du nord. Il faut savoir pourquoi l'ennemi, qui devrait être repoussé partout, nous attaqué jusque chez nous; pourquoi l'ennemi, qui ne devrait pas oser entrer, ose entreprendre le siège d'une place de première ligne, le siège d'Avesnes. Je demande que le ministre de la guerre soit tenu de rendre compte, séance tenante, ou ce soir au plus tard.

M. Duhem. Il me semble avoir entendu dire à l'Assemblée que M. La Fayette devait commander l'armée du nord, et aujourd'hui j'ai reçu une lettre de Metz, où l'on me mande que M. La Fayette y est passé. Il est bien extraordinaire que la partie du nord étant attaquée par des troupes autrichiennes, nous n'ayons pas un seul général dans cette partie du nord; que l'ennemi commence cette invasion, et que M. La Fayette qui doit commander cette armée, soit à Metz. Je demande que le ministre de la guerre veuille nous expliquer ce mystère impénétrable. Si j'étais venu vous dire, il y a trois jours, ce que les administrateurs patriotes du district d'Avesnes vous annoncent aujourd'hui, certains membres de l'Assemblée n'auraient pas manqué de me traiter de factieux et de perturbateur. Cependant tous ceux qui ont des correspondances assez suivies dans le département du Nord et sur toutes les autres frontières, sont entièrement convaincus, et mettraient leur tête sur l'échafaud pour assurer que la Cour et le pouvoir exécutif nous trahissent. (Applaudissements des tribunes.)

D'après cette conviction intime, qui ne verrait

point avec douleur que l'Assemblée nationale n'ose point aborder la véritable question!

Plusieurs voix dans les tribunes: Bravo! oui, oui !

M. Duhem. Non seulement on n'ose pas aller à la source du mal, mais encore on fait déclarer une espèce de système mitoyen, un système hermaphrodite, un système au moyen duquel on s'emparerait du pouvoir exécutif, sans ccpendant oser déclarer qu'on va le faire. Messieurs, nous ne pouvons point nous emparer du pouvoir exécutif; on va vous dire que nous donnerons des pouvoirs aux généraux, nous ne le pouvons pas. Il faut que le chef du pouvoir exécutif les donne; et si le chef du pouvoir exécutif nous trahit, il faut que nous ayons la fermeté, le courage de le dénoncer à la nation, et même de le punir. (Applaudissements des tribunes.) Ainsi il n'y a point ici de milieu. Il faut que la nation française sache si son pouvoir exécutif marche dans le sens de la Constitution; ou s'il n'y marche point, comme j'en suis convaincu, comme peut-être tous les membres de l'Assemblée, dans leur conscience intime, doivent en être convaincus. S'il n'y marche point, il faut de toute nécessité que la nation prenne un parti.

Mais il ne faut point que l'on vienne ici vous amuser avec des mesures partielles, avec des détails qui consument votre temps; il ne faut pas que l'on s'empare indirectement des pouvoirs; il ne faut pas ici qu'une section de l'Assemblée, ni qu'une commission, ni que l'Assemblée elle-même, exerce les pouvoirs: il faut que nous le jugions. C'est ce que je demande avec instance, et je réitère la motion qui a été faite, qu'enfin nous abordions la question véritablement décisive, la question d'où dépend le salut de la France, question que toute la France attend avec impatience; et soyez sûrs, Messieurs, que la nation est assez grande pour se sauver ellemême. (Applaudissements des tribunes.)

M. Rouyer. M. Duhem s'est écarté de la motion de M. Carnot et qui est essentielle. Cette motion, Messieurs, tend à faire venir le ministre de la guerre. (Murmures à gauche). Je demande que M. le Président soit chargé de l'interpeller sur la motion faite par M. Carnot.

M. Crestin. Il faut que toutes les mesures viennent se confondre dans cette grande question, si le pouvoir exécutif s'est tenu dans la ligne de ses devoirs. Il faut que les soupçons qui se sont si souvent élevés sur son compte, soient détruits s'il n'est pas coupable. Si le roi s'est écarté de la Constitution; si par des manoeuvres de ses conseillers perfides, sans donner les mains directement aux ennemis, il les met aux prises avec la nation, je soutiens qu'il faut examiner alors si ce pouvoir constitutionnel s'est écarté de la Constitution ou non, et qu'il faut lui appliquer les règles de la justice nationale, qui sont tracées par la Constitution. Je demande donc à faire une motion d'ordre à cet égard.

Messieurs, les soupçons les plus violents s'accumulent, et semblent se vérifier sur la conduite du pouvoir exécutif, et de tous ceux qui approchent de la personne du roi ou qui composent son conseil. L'on reproduit et l'on renouvelle chaque jour la motion de suspendre le pouvoir exécutif ou le roi, dans un cas équivalent à ceux pour lesquels la Constitution prononce la déchéance. L'on a accusé directement les ministres qui venaient d'être remplacés, et notamment

M. Chambonnas, relativement au retard apporté dans la révélation des préparatifs hostiles de la nation sarde toutes ces propositions faites par divers membres, ont été renvoyées à votre commission extraordinaire. Interpellée hier de s'expliquer sur cet objet important, M. Vergniaud, en son nom, s'est énoncé d'une manière qui, loin de repousser le soupçon, est bien faite pour le fortifier et pour continuer les soupçons du peuple; M. Vergniaud, sans rien dire de justificatif ni dé réprobant, a invoqué la prudence de la commission extraordinaire, incapable, a-t-il dit, de vous proposer rien qui pùt servir de prétexte à la guerre civile: je rends hommage aux lumières, ǎ la sagesse et à la prudence de la commission extraordinaire; mais s'il est vrai...

M. Thuriot. Il y a une erreur; ce n'est pas au nom de la commission, c'est en son nom personnel que M. Vergniaud a répondu.

M. Crestin. Et s'il est vrai que le salut du peuple soit la loi suprême; s'il est vrai en même temps que le roi et ses conseils aient, par quelques actions ou par quelques omissions combinées, attaqué les droits où compromis les intérêts de la nation; s'il est vrai que l'examen de ces faits est un de vos principaux devoirs; si l'intérêt national est que la conduite du pouvoir exécutif ne puisse plus être attaquée par les soupçons et la méfiance, dans le cas où il ne les aurait pas mérités; si votre indécision tendait à les augmenter, je ne vois pas comment vous devriez craindre de lever le voile que votre commission extraordinare affecte de tenir encore sur une partie de la conduite du pouvoir exécutif, si vous voulez qu'il marche; et il ne marchera jamais, si lui-même a pour système de s'arrêter et de défendre d'aller. Il sera empêché d'aller au contraire, si, avec la volonté de marcher, les soupçons, les défiances et les désobéissances qui en sont les suites inévitables, entravent continuellement ses opérations. Dans trois jours, peut-être plus tôt, où la vérité, ou la malveillance auront trouvé le pouvoir exécutif en défaut, et renouvelleront les dénonciations : les moments seront plus pressants; et le pouvoir exécutif, pressé par les circonstances qui deviennent chaque jour plus critiques, sera tout à fait arrêté, ou prétextera de l'être par des causes qu'il n'avouera pas provenir de lui. Il ne sera plus temps, et c'est alors que ces excès, cette guerre civile, dont véritablement on doit être effrayé, seraient plus difficiles à arrêter.

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Je ne suis point d'accord avec votre commission sur ce point. Lorsqu'un des pouvoirs constitués, lorsqu'un des rouages essentiels du gouvernement est soupçonné, rien n'est plus pressant que de scruter sa conduite et de se mettre à même de dire au peuple Ce pouvoir a failli; la Constitution le met dans le cas d'être jugé par la justice nationale. Ou bien peuple, on vous a trompé; consolez-vous ce pouvoir n'est pas encore sorti de la ligne de ses devoirs. Ce n'est que par ce moyen que la confiance, si nécessaire surtout à l'instant de repousser les ennemis du dehors, peut se rétablir. L'Assemblée nationale se chargerait d'une responsabilité audessus de ses forces, si elle conservait un jour, une minute, un roi qui, par la Constitution, serait réputé avoir abdiqué la couronne; ou si la conduite de ce roi étant reconnue intacte, elle ne se hâtait pas de le détourner des soupçons et de l'accusation, et de l'entourer, par un décret solennel, de l'opinion publique qui lui est néces

saire pour faire marcher la Constitution. S'il est dans un des quatre cas de décheance; si la Constitution peut admettre des cas équivalents, il faut le déclarer dechu dès aujourd'hui. S'il ne l'est pas, il faut le dire à l'univers entier, avec la mène loyauté. Tarder de mettre ce moyen en usage, tenir l'opinion en suspens sur le compte du représentant héréditaire de la nation et des agents responsables, c'est les constituer encore, eux personnellement, dans un danger certain, aux premiers revers de nos armes, si toutefois les armes de la liberté et de l'égalité peuvent en éprouver de bien réels; c'est, en un mot, l'exposer plus sûrement à celui que votre commission, par ses exceptions dilatoires, pense pouvoir éviter. Je demande donc, par motion d'ordre, que demain, heure de midi, toute affaire cessante, l'on ouvre la discussion sur les trois questions suivantes :

Première question, Le roi, par sa conduite avant ou depuis la déclaration de guerre, s'estil mis dans le cas d'être censé avoir abdiqué la couronne?

Seconde question. Quels sont les ministres qui, lors ou depuis cette déclaration de guerre, ont prévarique?

Troisième question. Sur quels faits d'admistration se sont-ils rendus coupables?

J'insiste pour que demain on ouvre la discussion sur ces questions.

M. Delfau. J'appuie la motion.

M. Voisard. Je m'oppose à cette proposition. (Bruit.) Votre commission s'occupe de nous présenter un rapport à cet égard. Il serait imprudent d'entamer cette discussion sans lumières. Je ne vois, dans ces motions sans cesse renouvelées, que l'intention criminelle d'échauffer la multitude et je demande l'ordre du jour.

M. Choudieu. Quoique la proposition de M. Crestin soit insidieuse, je l'appuie. On s'est persuadé que l'Assemblée nationale n'aurait pas le courage de jeter les yeux sur la conduite du pouvoir exécutif, puisqu'elle n'avait pas eu celui d'examiner la conduite de M. La Fayette; mais le temps est arrivé où il faut que nous connaissions enfin et les véritables amis de la liberté, et ceux qui veulent l'esclavage.

J'appuie la motion de M. Crestin, quoique je sois bien persuadé qu'elle nous cache encore des dangers. Je demande que l'Assemblée ouvre la discussion, et que ceux qui auront le courage de dire la vérité soient entendus.

M. Tartanac. Je crois qu'il serait de la plus dangereuse conséquence d'ouvrir la discussion sur les trois points présentés par M. Crestin. Je ne vois pas, lorsqu'il s'agit d'un seul fait, pourquoi nous irions diviser et gêner la discussion, en la renfermant dans trois ramifications principales. Je demande qu'on examine purement et simplement si le pouvoir exécutif marche dans le sens de la Constitution.

M. Chabot. Je demande la parole pour appuyer la motion de M. Crestin, c'est-à-dire l'examen de la conduite du roi, abstraction faite de celle des ministres. Il ne faut pas enjamber les questions quand on veut les élucider. Elles ne sont point complètes. Je demande, Monsieur le Président, qu'on s'en tienne à une seule question générale, et que demain à l'heure de midi, toute affaire cessante, on l'examine, non pas, comme dit M. Crestin, pour faire finir les soupçons du peuple; car... (Murmures à droite; applaudissements à gau

che et dans les tribunes.) car tous les décrets de l'Assemblée nationale ne peuvent point étouffer l'opinion publique; nous n'en sommes que les organes, et elle sait se faire entendre plus hautement. Mais quand il serait vrai que l'Assemblée nationale fût assez faible pour savonner le pouvoir exécutif... (Applaudissements des tribunes); quand le Corps législatif se tairait, la nation n'en serait pas moins la même. Elle se dirait à elle-même l'Assemblée nationale n'a point trouvé dans la Constitution assez de force, assez de moyens pour sauver la chose publique; que le peuple se lève, et se sauve lui-même. (Nouveaux applaudissements.) Quand cette première question, si le roi est censé avoir abdiqué la couronne, aura été arrêtée; quand le pouvoir exécutif sortirait blanc comme neige, le peuple français aura toujours le droit incontestable de changer sa Constitution, quand il le jugera à propos. (Vifs applaudissements des tribunes. Murmures prolongés à droite et au centre.)

M. le Président. Monsieur l'orateur, je vous rappelle à la Constitution que vous avez jurée. Plusieurs membres : A l'Abbaye! (Bruit.)

M. Chabot. C'est dans la Constitution même que je puise ces principes.

M. Choudieu. Monsieur le Président, je demande la parole contre vous. Je demande que vous soyez rappelé à l'ordre pour avoir méconnu la souveraineté du peuple, consacrée par la Constitution; et j'invoque ici la lettre même de la Constitution. (Vifs murmures à droite.)

Je prie les honnêtes gens de faire silence et de m'écouter; voici les propres termes de la Constitution:

« Titre VII, art. 1er. L'Assemblée nationale constituante déclare que la nation a le droit imprescriptible de changer sa Constitution. »

Un membre: Oui, mais quand?

M. Choudieu. Or, si ces grands principes ont été reconnus par l'Assemblée constituante, et s'ils sont reconnus encore, comment se fait-il que le président de l'Assemblée nationale ose rappeler à l'ordre un représentant du peuple qui rappelle ces grands principes? Je dis qu'il n'y a plus de Constitution, qu'il n'y a plus de principes, si l'Assemblée n'arrête l'audace de ses présidents. (Vifs applaudissements à gauche et dans les tribunes. Murmures à droite.)

M. Choudieu. Ce n'est pas la première fois qu'ils ont osé attenter à la souveraineté du peuple; ce n'est pas la première fois qu'ils, ont méconnu ses droits; mais il est temps que vous en arrêtiez l'audace, et je demande qu'aujourd'hui vous en donniez un grand exemple. Si les dangers de la patrie consistent dans la résistance d'inertie que vous oppose sans cesse le pouvoir exécutif, ils existent encore davantage dans l'insolence, dans l'audace des délégués du peuple, qui n'ont pas le courage de soutenir ses droits. Je demande que le Président de l'Assemblée nationale soit à l'instant rappelé à l'ordre et au respect dù à la souveraineté nationale. (Applaudissements des tribunes.)

M. Taillefer. Je demande, Monsieur le Président, que vous soyez remplacé, que vous alliez à la tribune.

M. le Président. Je déclare que je ne quitterai le fauteuil que par un décret de l'Assemblée. (Murmures prolongés.)

M. Chabot. J'ai demandé la question préalable sur la proposition de M. Choudieu.

Plusieurs membres : Elle n'est pas appuyée, elle ne l'est que par les tribunes qui ne votent pas!

M. le Président. Je vais consulter l'Assemblée pour savoir si je dois quitter le fauteuil. (Bruit.)

Un membre: Vous êtes accusé; vous ne pouvez pas tenir le fauteuil.

M. Dalmas (d'Aubenas). Je demande la parole pour justifier la conduite du Président.

M. Taillefer. Vous ne pouvez pas mettre aux voix si vous quitterez le fauteuil, parce que, comme vous êtes inculpé, la délicatesse même... (Murmures à droite.)

Plusieurs membres Allons donc! (Bruit.) Rappelez à l'ordre M. Taillefer!

M. Gérardin. Messieurs, laissons-là ces vains débats. M. Chabot a avancé un principe incontestable, puisé dans le contrat social personne ne peut le révoquer en doute. Je demande que l'on passe à l'ordre du jour, et que l'on ne s'occupe point de petites vengeances.

M. Chabot. J'insiste pour la question préalable.

M. Brival. Et moi, je demande la lecture de la Constitution.

M. Chabot. Je sais la Constitution par cœur et je vous dirai l'article que vous voudrez.

M. Taillefer. Je demande de nouveau que M. Delacroix remplace M. le Président pour proclamer le scrutin.

M. Chabot. Messieurs, M. le Président m'a rappelé à l'ordre, parce qu'il a plus fait attention à la restriction du principe qu'au principe même que j'ai invoqué. Il s'est trompé et si l'on eùt voulu entendre jusqu'à la fin, M. le Président ne m'aurait pas rappelé à l'ordre. Je demande donc que l'Assemblée daigne m'entendre, et qu'on passe à l'ordre du jour sur la proposition incidente.

M. Isnard. Je demande la parole pour m'opposer à la question préalable. (Bruit.) Il est d'autant plus important que cette discussion ne cesse point ainsi... (Nouveaux murmures.) Je réclame le titre que j'ai de parler à cette tribune. Il est d'autant plus essentiel de ne point laisser passer cette discussion, que depuis deux ans les amis de la liberté voient avec effroi ce système de détruire le principe fécond de toute liberté : la souveraineté du peuple. Il est donc vrai que de tous les temps le peuple... (Murmures prolongés) il est donc vrai que tous les peuples de la terre n'ont jamais pu déléguer un instant leur souveraineté, sans que ceux à qui ils l'ont déléguée aient cherché à les enchainer. Le corps constituant, après avoir reconnu ce principe fondamental, dont il avait eu besoin pour régénérer l'Empire, a aussitôt cherché à enchaîner cette souveraineté; et tandis que par un article exprès il l'a reconnu, il est revenu par un néanmoins et un considérant, à vouloir presque enchaîner le peuple.

Cependant, Messieurs, le néanmoins et le considérant ne peuvent être considérés que comme un conseil que le Corps constituant a donné au peuple; et la déclaration par laquelle il reconnait la souveraineté nationale reste entière; mais on a espéré que, par ce moyen, on pourrait

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