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d'Arles et propose de décréter: 1° mention honorable de ceux de ces administrateurs qui, au moment où le directoire était abandonné, se sont rendus à leur poste et ont repris leurs fonctions; 2o renvoi à leurs fonctions de ces mêmes administrateurs; 3° suspension définitive des quatre administrateurs qui n'ont pas voulu se rendre à leur poste, après en avoir été requis; et 4° indemnité en faveur de tous ceux qui se sont rendus à la barre.

M. Lagrévol propose d'ajourner la mention honorable et la suspension définitive jusqu'après l'impression du rapport de M. Grangeneuve (1) et d'accorder l'indemnité.

(L'Assemblée adopte les propositions de M. Lagrévol.)

En conséquence le décret suivant est rendu : « L'Assemblée nationale, sur le rapport de l'un de ses membres, relativement à la conduite du directoire du département des Bouches-du-Rhône pendant les troubles qui ont agité la ville d'Arles, décrète :

Art. 1er.

« Les sieurs Pierre Baille, Archier, Perrin, Goutard et Payan, membres du directoire du département des Bouches-du-Rhône, sont renvoyés à leurs fonctions.

Art. 2.

« Il sera accordé une indemnité pour frais de voyage et de séjour à tous ceux des membres de ce directoire qui ont comparu à la barre; l'Assemblée nationale charge son comité de liquidation de lui présenter incessamment l'état de la somme à laquelle cette indemnité peut être fixée.

Art. 3.

« Sur la proposition de faire une mention honorable de la conduite du sieur Pierre Baille, qui rassembla le 27 février dernier dans le lieu des séances du directoire, abandonné le 26 par ses collègues, les membres du conseil, et de la conduite du sieur Archier, qui, se trouvant alors en commission, se rendit avec empressement à l'invitation qui lui fut faite, et de celle des sieurs Enavant, Villiard, Michel, Moïse, Baille, Moret, Truchement, Bertin, Camecy, Borrety, Fabres, Sauber, de Lember et Aubert, membres du conseil, l'Assemblée nationale a ajourné la discussion après l'impression du rapport.

Art. 4.

« L'Assemblée nationale ajourne à la même époque la question de savoir, si les sieurs Verdet, Mouret, Villardi, et Joubert, procureur général syndic, qui n'ont pas paru au directoire du département des Bouches-du-Rhône depuis le 26 du mois de février, malgré trois invitations de s'y rendre, doivent être destitués.

M. Besson, au nom des commissaires-inspecteurs de la salle. Messieurs, le comité des inspecteurs de la salle s'est entouré de tous les renseignements nécessaires sur l'arrestation faite par M. Santerre d'une patrouille qui s'était avancée

(1) Malgré nos recherches, nous n'avons pu découvrir le rapport de M. Grangeneuve.

dans l'enceinte de l'Assemblée nationale (1) Il a acquis la conviction que ce fait n'était dù qu'à un malentendu et à un défaut d'exactitude dans le commandement de la garde nationale. Un chef de légion vient de justifier, en effet, de l'ordre en vertu duquel la patrouille arrêtéé et détenue au corps de garde, avait été mise en marche vers le lieu des séances de l'Assemblée. Je propose en son nom de passer à l'ordre du jour.

(L'Assemblée passe à l'ordre du jour.)

M. Maribon-Montaut. Je demande la mention honorable de la conduite de M. Santerre. Plusieurs membres : L'ordre du jour! La question préalable!

(L'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la demande de M. Maribon-Montaut, et passe, sur le tout, à l'ordre du jour.) (La séance est levée à dix heures.)

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE. Séance du mercredi 25 juillet 1792, au matin. PRÉSIDENCE DE MM. LAFON-LADEBAT, ET AUBERTDUBAYET, ancien-président.

PRÉSIDENCE DE M. LAFON-LADEBAT.

La séance est ouverte à dix heures.

Un de MM. les secrétaires donne lecture du procès-verbal de la séance du lundi 23 juillet 1792, au matin.

(L'Assemblée en adopte la rédaction.)

Un de MM. les secrétaires annonce le don patriotique suivant :

Les Amis de la Constitution et autres citoyens de la commune de Royan envoient la quittance du sieur Gillis, qui constate que M. Daniel Renaud, maire de Royan, a versé dans la caisse du receveur, à Marennes, une somme de 738 livres, dont 250 en assignats, le reste en numéraire.

(L'Assemblée accepte cette offrande avec les plus vifs applaudissements et en décrète la mention honorable au procès-verbal dont un extrait sera remis aux donateurs.)

Le même secrétaire donne lecture des lettres, adresses et pétitions suivantes :

1° Adresse de plusieurs habitants de communes formant le canton de Barsac, district de Bordeaux, département de la Gironde, qui demandent vengeance des événements du 20 juin.

(L'Assemblée renvoie l'adresse à la commission extraordinaire des Douze.)

2o Lettre du sieur Legrand, qui prie l'Assemblée d'expliquer si son décret sur le séquestre des biens des émigrés doit s'étendre à leurs femmes non émigrées.

(L'Assemblée renvoie la lettre au comité de législation.

3o Lettre du nommé Anay de la Serre, invalide pensionné, qui demande d'être employé dans l'armée du maréchal Luckner, en qualité de volontaire et que, pendant son absence, sa pension

(1) Voy. ci-dessus, même séance, page 115, la lettre de M. Santerre au sujet de l'arrestation de cette patrouille.

soit continuée à sa femme. Il fait, en même temps, une offrande patriotique de 5 livres.

(L'Assemblée accepte cette offrande avec les plus vifs applaudissements, et, après avoir décrété que mention honorable en serait faite au procès-verbal, dont un extrait serait remis au donateur, renvoie la pétition au comité militaire.)

4° Lettre des administrateurs du directoire du département de la Loire-Inférieure, qui s'engagent à rester fermes à leur poste, au milieu des dangers qui menacent la patrie, pour y attendre le triomphe de la Constitution ou périr avec elle. (L'Assemblée renvoie la lettre à la commission extraordinaire des Douze.)

5 Lettre des administrateurs du conseil général du département de la Haute-Vienne, sur la nécessité de la résidence des fonctionnaires publics, dans les circonstances difficiles où se trouve l'Etat.

(L'Assemblée renvoie la lettre aux comités de législation et militaire réunis.)

6° Pétition du sieur Regni-Guerchi, qui demande qu'il lui soit fait remise au droit de 20 livres par quintal, sur la partie de ses cotons qui vient du levant.

(L'Assemblée renvoie la pétition au comité de commerce.)

7 Lettre du sieur Blondel, pour obtenir la rentrée en France, sans droits, de marchandises exportées hors du royaume et non vendues.

(L'Assemblée renvoie la lettre au comité de commerce.)

8° Pétition du sieur Belgoder, Corse, qui réclame contre un emprisonnement illégal, un exil arbitraire et contre une infidélité qu'il prétend avoir été commise envers lui au comité de surveillance.

(L'Assemblée renvoie la pétition au comité de législation.)

9° Lettre de M. Beaulieu, ministre des contributions publiques, contenant envoi d'un mémoire concernant les exécutions des jugements criminels et d'un tableau qui présente leur distribution dans les divers départements, ainsi que leur traitement avant et après l'époque de l'année 1775.

(L'Assemblée renvoie la lettre au comité de législation.)

10° Lettre du sieur Loiseau, qui adresse à l'Assemblée quelques exemplaires: 1° d'une adresse aux Français sur la nécessité d'une Convention nationale; 2° d'un ouvrage sur l'agiotage des assignats.

(L'Assemblée renvoie la lettre aux comités de législation et des finances réunis.)

11° Lettre de la municipalité de Lyon, contenant envoi de différentes pièces relatives à un arrêté du district de Lyon et du département de Rhôneet-Loire, qui annule une délibération prise par le conseil général de la commune de Lyon, en exécution de la loi du 8 juillet 1792.

(L'Assemblée renvoie la lettre à la commission extraordinaire des Douze.)

12° Lettre du sieur Millot, artiste, membre du point central des arts et métiers, qui rapporte une découverte consistant à faire produire au canon un double effet.

(L'Assemblée renvoie la lettre au comité mili

taire.)

13° Lettre du sieur Louis-Pierre Bertrand, qui demande les Invalides, et envoie copie des divers certificats qui viennent à l'appui.

(L'Assemblée renvoie la lettre au comité militaire.)

14° Pétition de plusieurs citoyens du district de Cadillac, département de la Gironde, contre M. Lafayette.

(L'Assemblée renvoie la lettre à la commission extraordinaire des Douze.)

15° Adresse du conseil général de la commune de la Réole, qui proteste de son dévouement à la Constitution et voue à l'infamie les auteurs des machinations par lesquelles on voudrait la détruire. (L'Assemblée renvoie l'adresse à la commission extraordinaire des Douze.)

16° Lettre de plusieurs adjudants des bataillons de la garde nationale, qui expriment le besoin qu'ils ont de leur état et leur crainte de n'être pas réélus dans la nouvelle formation de l'état-major. (L'Assemblée renvoie la lettre au comité militaire.)

17° Lettre du sieur Henrion, homme de loi, citoyen actif et garde national de la section' du Roule, qui propose des vues pour renforcer promptementet économiquement nos armées et engage l'Assemblée à contenir, dans les bornes de la décence et du respect, les citoyens qui assistent à la séance.

(L'Assemblée décrète la mention honorable de cette lettre et le renvoi à la commission extraordinaire des Douze.)

18° Lettre du sieur Papin, curé du bourg d'Aunyle-Château, qui se plaint de ce qu'il n'y a aucune maison curiale dans sa paroisse.

(L'Assemblée renvoie la lettre au comité de l'extraordinaire des finances.)

Le sieur Vivier, greffier militaire de la cour martiale de l'armée du Nord, est admis à la barre.

Il dénonce M. Valancy, commissaire général de l'armée du Nord, pour avoir refusé de lui payer ses appointements et ses frais de route, malgré l'ordre qu'il en avait reçu de M. le maréchal Luckner. Il ajoute que le sieur Valancy l'a fort maltraité, qu'il lui a fait perdre sa place. Il demande, en conséquence, que ce dernier soit destitué et qu'il soit condamné à 33,401 livres de dommages-intérêts, dont 30,000 livres pour le punir de lui avoir fait perdre son poste et 3,401 livres pour le dédommager des frais de voyage.

M. le Président répond au pétitionnaire et lui accorde les honneurs de la séance.

(L'Assemblée renvoie la pétition au comité militaire.)

M. Font, évêque du département de l'Ariège. Je viens justifier devant l'Assemblée la conduite de quelques évêques membres du Corps législatif, qui, comme moi, ont touché cumulativement et lé traitement d'évêque et celui de député. Je prétends que ce n'est que comme indemnité qu'ils ont perçu les 18 livres par jour accordées aux membres de la législature et qu'il n'y a dans la Constitution aucune prohibition formelle de la cumulation du traitement attaché à une fonction publique avec l'indemnité accordée aux députés.

M. Clauzel. Pour répondre à l'honorable préopinant, il suffit de lire l'article 13 de la loi du

17 juin 1791, relative à l'organisation du Corps législatif; le voici :

«Art. 12. Tous les fonctionnaire publics députés au Corps législatif, ayant pour leurs fonctions ordinaires un traitement égal ou inférieur au traitement de député, ne pourront pas recevoir cumulativement les deux traitements; et à l'égard de ceux dont le traitement ordinaire sera supérieur à celui de député, le montant de ce dernier traitement leur sera imputé en déduction sur l'autre. »

Il n'est pas possible, après cette lecture, qu'il ne soit forcé de convenir lui-même, d'après la précision de cette loi, que les observations ne sont qu'un pur sophisme théologique, dicté par la cupidité. Je demande donc que le décret rendu hier (1) pour faire restituer par les fonctionnaires publics membres du Corps législatif ce qu'ils ont induement perçu, soit maintenu dans toute sa plénitude et que l'Assemblée passe à l'ordre du jour sur toutes les observations de M. Font. (L'Assemblée maintient son décret de la veille et passe à l'ordre du jour.)

M. BROSSARD, officier municipal de Paris, est admis à la barre. Il fait hommage à l'Assemblée de la traduction du De Officiis de Cicéron.

M. le Président remercie le donateur et lui accorde les honneurs de la séance.

(L'Assemblée accepte l'offrande, la renvoie aux Archives et en décrète la mention honorable au procès-verbal.)

M. SCOT, capitaine de dragons, décoré de la croix de Saint-Louis, est admis à la barre. Il s'exprime ainsi :

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« Ce sont les dangers de la patrie qui m'ont suggéré les idées que je viens développer à la barre du Corps législatif. Défendre sa patrie et lui offrir des ressources, tels sont les devoirs d'un bon citoyen. J'ai rempli le premier en m'inscrivant pour aller sur les frontières. Pour m'acquitter du second, je viens observer à l'Assemblée que la cavalerie de nos ennemis étant le moyen d'attaque le plus redoutable pour nous, il serait peut-être bon de prendre des mesures pour leur opposer une résistance de même nature. La cavalerie se compose d'hommes et de chevaux. Que l'on offre des récompenses aux jeunes gens qui ont l'habitude du cheval, aux postillons, aux piqueurs, et bientôt des milliers de cavaliers se rangeront sous les drapeaux de la liberté. Pour avoir des chevaux, je considère que, dans les dangers de la chose publique, les biens des individus appartiennent à la patrie, et je propose à l'Assemblée de décréter que tous les chevaux de luxe, n'importe à quelle personne ils appartiennent, seront remis entre les mains de la nation. (Vifs applaudissements.)

« J'aurais, en terminant, une seconde proposition à faire à l'Assemblée: celle de faire fabriquer des piques et d'en munir les soldats qui ne sont point armés. Je dépose à cet effet sur le bureau un traité dont je suis l'auteur et qui a pour titre : « Manuel des citoyens armés de piques. » Nouveaux applaudissements.)

(1) Voy. ci-dessus, séance du mardi 24 juillet 1792 au matin, page 98, le décret rendu sur la motion de M. Clauzel.

M. le Président répond au pétitionnaire et lui accorde les honneurs de la séance.

M. Carnot l'aîné monte à la tribune. Plusieurs membres : Le renvoi au comité militaire !

M. Laureau. Je m'oppose au renvoi et je ne doute pas qu'un militaire ne se présente pour faire disparaitre à jamais cette proposition vraiment ridicule d'armier de piques des hommes à qui l'on opposera des canons, des carabines, des fusils et des baïonnettes. Que l'on écoute M. Carnot, qui est militaire, et nous n'entendrons plus faire cette demande qui ne semblerait inventée que pour faire perdre du temps, si elle n'avait pas un but plus perfide, celui de nous faire perdre des hommes. Je demande que l'on entende M. Carnot pour combattre cette proposition,

M. Carnot l'ainé. Pas du tout. Je viens, au contraire, défendre et appuyer la proposition du pétitionnaire. Messieurs, vous demandez un moyen d'armer vos troupes, de les armer promptement et de les armer bien: ce moyen existe, il est simple; et si nous n'étions pas esclaves de nos vieilles routines, il y a longtemps sans doute qu'il aurait été proposé et accepté.

Ce n'est pas mon opinion, Messieurs, que je vais vous donner, c'est celle de presque tous les généraux qui ont acquis quelque célébrité; c'est celle des Condé, des Turenne, des Montecuculli, des de Saxe, des Follard. Je vous citerai leurs propres paroles et je vous prouverai par les faits qu'il est très facile d'armer toutes vos troupes, beaucoup mieux qu'elles ne le sont, à beaucoup moins de frais, et presque en un moment, clause essentielle et principale, puisque effectivement nous n'avons pas un moment à perdre.

Mon intention, Messieurs, n'est pas de vous reporter aux siècles antiques des Grecs et des Romains; je ne vous dirai pas que ces peuples guerriers ont fait la conquête du monde avec des piques; je ne vous dirai pas que la phalange macedonienne n'était qu'un bataillon de piquiers: car on me repondrait qu'alors la poudre à canon n'était pas inventée; je ne considérerai l'effet de cette arme et l'opinion qu'en ont eue les meilleurs généraux que depuis la connaissance des armes à feu et dans les temps les plus modernes.

La pique, dit Montecuculli, est la reine des armes; sans elle, un corps d'infanterie attaqué par un escadron ou même par un bataillon armé de piques, ne peut demeurer entier, ni faire une longue résistance. La mousqueterie, sans piqueurs, ne peut faire un corps capable de soutenir de pied ferme l'impétuosité de la cavalerie, ni le choc et la rencontre d'un corps de piquiers.

Le maréchal de Luxembourg, à qui on avait proposé de supprimer la pique, répondit qu'il y consentirait lorsque les ennemis n'auraient plus de cavalerie.

Les Suisses, dit M. de Rohan dans son Traité de la guerre, ont beaucoup plus de piques que de mousquets, et, pour cet effet, se font redouter en campagne, car, un jour de bataille où on en vient aux mains, le nombre des piques a beaucoup d'avantages sur celui des mousquets.

Trois mille Suisses, à la bataille de Dreux, résis

(1) Bibliothèque de la Chambre des députés, Collection des affaires du Temps, tome 158, n° 27.

tèrent pendant quatre heures à toutes les forces des huguenots; ils reçurent le choc de la cavalerie avec tant de valeur que la plus grande partie de leurs piques furent brisees; mais leur bataillon demeura ferme et serré, repoussant avec un grand carnage la fougue des ennemis.

Les batailles de Navarre, de Marignan, de Moncontour, fournissent d'autres exemples de l'intrépidité des Suisses et de l'utilité des piques.

Et que l'on ne dise pas qu'il faut plus d'exercice pour apprendre à se servir de la pique que pour les armes à feu. C'est tout le contraire, un fusil dans les mains d'un nouveau soldat, est au moins inutile; la plupart du temps, il charge mal, tire en l'air ou blesse les voisins, au lieu qu'il fait à l'instant même usage de la pique.

A la bataille de Newbourg, en Angleterre, qui se donna entre l'armée du roi et celle du Parlement, l'infanterie de cette dernière, abandonnée à ses propres forces, se maintint dans ses rangs et présenta un rempart impénétrable de piques aux troupes du prince Robert. On fait particulièrement honneur de cette action, dit M. Hume, à la milice de Londres, qui faisait partie de l'armée du Parlement, et égala ce qu'on pouvait attendre des plus vieilles troupes. Cette milice, sans expérience, et sortie récemment de ses opérations mécaniques, n'eût assurément pu résister à tant de vigoureuses attaques sans le secours de la pique.

La pique est non seulement très utile pour la défense, mais elle l'est aussi pour l'attaque: car si une troupe de piquiers en attaque une de fusiliers, nécessairement, celle-ci sera entoncée, parce que la pique atteint beaucoup plus loin que la baïonnette, et cette méthode de combattre convient d'autant plus aux Français, qu'ils ont été invincibles à l'arme blanche, et qu'au contraire, ils sont très inférieurs aux troupes allemandes et prussiennes, dans l'art de tirer juste et promptement.

A la bataille de Cerisolles, dit Blaise de Montluc, 5,500 hommes, de vieilles bandes françaises, qui entamèrent l'action, battirent, par la manière dont ils se servirent de leurs piques, un corps de 10,000 Allemands.

M. le maréchal de Saxe, dans son Traité des légions, dit qu'il est impossible de se passer de la pique dans l'infanterie, et il explique pourquoi on a eu en France la maladresse de l'abandonner. Les mêmes raisons dit-il, de négligeance et de commodité qui ont fait quitter les bonnes choses dans le métier de la guerre, ont aussi fait abandonner celle-ci. On a trouvé qu'en Italie, dans quelques affaires, elles n'avaient pas servi, parce que le pays est fort coupé; dès là, on les a quittées partout, et l'on n'a songé qu'à augmenter la quantité des armes à feu et à tirer. Cependant, ajoute-t-il ailleurs, il faut bien peu compter sur le feu; à la bataille d'Hochstett, 22 bataillons qui étaient au centre tirèrent en l'air, et furent dissipés par trois escadrons ennemis qui avaient passé le marais devant eux.

Cette réflexion et mille expériences semblables sur l'incertitude du feu, répondent à l'objection de ceux qui croient le fusil préférable à l'arme blanche; quand il serait pour les autres nations, on ne devrait rien en conclure pour ce qui nous regarde, car tout le monde sait que jamais aucune sorte d'ennemis n'a pu résister à l'impétuosité des Français, chargeant à l'arme blanche, tandis qu'ils ont rarement obtenu des succès

marqués, lorsqu'ils ont voulu mettre leur confiance dans la mousqueterie.

Follard, Bottée, Ménil, Durand et tous ceux en général qui ont écrit avec quelque distinction sur l'art de la guerre, excepté le seul maréchal de Puységur, ont fait l'éloge de la pique, et si elle a été abandonnée, c'est uniquement, comme le dit le maréchal de Saxe, par négligence, par commodité et par cet instinct moutonnier qui nous porte à imiter sottement ce qui se fait chez les autres et ne nous permet pas d'avoir un caractère à nous. Or, comme on n'imite jamais bien, il s'ensuit que nous demeurons interieurs aux autres, lorsque nous pourrions leur être très supérieurs, en restant ce que la nature nous a faits.

Je propose donc, Messieurs, de donner des piques à tous les soldats auxquels on aura pu fournir des fusils et des carabines, je propose d'entremêler, comme autrefois, les piquiers et les fusiliers, ou de mettre sur le rang des fusiliers et sur les autres, des piquiers, laissant au reste aux généraux, le soin d'unir ou de séparer les deux armes à leur volonté et suivant les circonstances. Il faudrait donner aux piquiers des sabres courts ou des pistolets, comme jadis, afin que si leur pique est rompue ou détournée, ils puissent se défendre de près.

Par ce moyen, si l'on veut placer alternativement des piquiers et des fusiliers, les fusils qui pourraient servir à armer 100,000 hommes, pourraient servir à en armer 200,000 et ces 200,000 seront mieux armés que s'ils avaient tous des fusils.

Cela ne doit pas empêcher, néanmoins, de prendre les mesures les plus actives pour multiplier le nombre des fusils et des carabines; mais, quand même on nierait, malgré le témoignage de tous les généraux que j'ai cités, que la pique valut mieux que le fusil, on ne nierait pas au moins qu'une pique vaut mieux que rien et, que, provisoirement, il n'y a rien de mieux à faire que de distribuer des piques à tous les soldats auxquels, en cet instant, on n'a point de fusils à donner.

Sous le règne de Louis XIV, dans les armées de Turenne et de Condé, la principale arme était la pique. Ces piques doivent exister encore dans les arsenaux; il s'agit de les en tirer surle-champ et de les mettre aux mains du soldat, qui bientôt sentira qu'il est mieux armé avec elles, qu'il ne le serait avec un fusil, lequel en des mains peu expertes est sujet à se débraquer à chaque instant et fait plus de bruit qu'il ne rend pas de service réel.

Si les magasins ne suffisent pas, il faut en faire forger à l'instant 2 millions au moins, pour que chaque citoyen en état de porter les armes ait la sienne, en commençant par les départements frontières; il faut que ces citoyens s'exercent tous les dimanches à marcher ensemble avec leurs piques, qu'ils apprennent à estimer cette arme excellente, à faire front à l'ennemi, à se présenter à la cavalerie, à fondre sur le point d'attaque; il faut enfin que tout le monde forge des piques, que la France se remplisse de piques et que chacun regarde sa pique comme un besoin de première nécessité.

Alors, en supposant même que les ennemis pénétrassent dans le royaume, ce que je regarderais comme hors de toute vraisemblance, s'il n'existait pas des traitres dans nos armées, je dis qu'ils rencontreront la mort à chaque pas; qu'ils y seront exterminés, et que jusqu'au der

nier trouvera son tombeau dans le sein de la contrée qu'il voulait dévaster.

J'ai déjà dit, Messieurs, que cette mesure ne devait nullement ralentir toutes celles qui pourront tendre à nous procurer des armes à feu; il faut doubler l'activité des manufactures, donner des primes à quiconque en tirera des pays étrangers, acheter des fusils de chasse, faire emplette des arquebuses rayées qui servaient autrefois à des compagnies d'exercice qui n'existent plus, faire réparer tout ce qui se trouve dans les magasins, quel qu'en soit le calibre; enfin, il peut exister dans les manufactures une grande quantité d'armes qui ont été rebutées aux épreuves parce qu'elles n'avaient pas toute la perfection désirable, mais qui cependant n'ont pas de défaut essentiel, il faut mettre en usage toutes celles dont on peut se servir sans danger.

En un mot, Messieurs, je ne conçois pas qu'il puisse y avoir d'obstacle invincible là où il y a 35 millions d'hommes qui sont libres et qui ont juré de ne plus redevenir esclaves.

Voici, Messieurs, le projet de décret que je vous propose :

PROJET DE DÉCRET.

« L'Assemblée nationale, considérant que, dans les dangers de la patrie, tout citoyen est soldat; et qu'il est nécessaire de lui procurer les moyens de concourir à la défense commmune;

<< Considérant qu'il n'existe pas des fusils en suffisante quantité pour qu'il en soit fourni à tous les soldats et autres citoyens en état de porter les armes, mais que les piques peuvent y suppléer très avantageusement, dans la plupart des occasions, décrète qu'il y a urgence.

« L'Assemblée nationale après avoir déclaré qu'il y a urgence, décrète ce qui suit :

« Art. 1er. Toutes les piques et armes d'hast qui se trouvent actuellement dans les arsenaux et magasins militaires seront distribuées aux soldats pour lesquels on n'a pu encore se procurer des fusils.

« Art. 2. Le pouvoir exécutif donnera les ordres les plus prompts pour qu'il soit fabriqué, avec la plus grande économie possible, 200,000 piques nouvelles du modèle qui sera juge par le ministre de la guerre, le plus convenable à leur destination.

«Art. 3. Les directoires de districts sont autorisés à faire fabriquer des piques du modèle qui sera prescrit sans délai par le ministre de la guerre, et en quantité suffisante pour que tous les citoyens en état de porter les armes et qui n'ont point de fusils ou de carabines, s'en trouvent pourvus très promptement.

Art. 4. Les citoyens sont invités à s'exercer dans leurs cantons respectifs au maniement de cette arme, seule ou entremêlée avec des armes à feu.

«Art. 5. Le pouvoir exécutif est chargé de faire rédiger, le plus tôt possible, et répandre dans les campagnes, une instruction courte et facile, pour apprendre les citoyens à se servir de leurs armes, choisir et défendre de petits postes, et mettre leurs effets en sûreté, dans le cas où quelques détachements ennemis penetreraient jusqu'à eux. »

M. Laureau. Saisissant rapidement dans cette discussion inattendue, la proposition d'armer nos troupes de piques, je m'elève contre elle, et je le combats avec des armes tirées de l'arsenal où M. Carnot a pris les siennes :

l'expérience du passé. Il a cité les Macédoniens, et les Romains, les journées de Moncontour et de Cérisoles, où nos lances eurent du succès; je lui cite les journées de Coutras et d'lssy, où elles n'en eurent pas, où la victoire de Henri IV les décria, je lui présente, non les Macédoniens et les Romains, mais les Français modernes luttant contre des nations savantes et belliqueuses; ce n'est pas avec la fronde et la pique, armes des peuples sauvages, qu'elles font assaut, c'est avec la foudre soumise au calcul du génie. L'art terrible de la guerré est loin de son enfance, il est même loin aujourd'hui des Gustave, des Montecuculli, des Turenne et des Condé, il s'est perfectionné pour le malheur des humains; et dès ce jour l'obligation a été imposée à chaque peuple de s'élever à sa hauteur, sous peine d'être conquis. C'est la loi que nous a imposée le grand Frédéric.

On nous propose une nouvelle arme, par conséquent une nouvelle instruction, une nouvelle tactique. C'est précisément pour avoir admis une nouvelle tactique dans nos armées en présence de l'ennemi, que nous fûmes battus à Rosbach par ce même Frédéric. (Murmures.)

M. Lecointe-Puyraveau. Je demande la parole.

M. Laureau. Une troupe qui en combat une autre doit être non pas novice, mais profondément instruite et exercée de longue main; car des mouvements inégaux et mal exécutés amènent la défaite devant une troupe dont les mouvements sont francs et précis. Aux autorités anciennes qu'il cite en faveur des piques, je lui oppose les autorités modernes qui les rejettent, tels que celles de M. de Puységur et Knovck: cé dernier fait voir avec juste raison que la baïonnette adoptée au fusil a l'avantage de la pique conservant celui de la mousqueterie; il propose seulement de l'allonger; la pique opposée au mousquet est le bois opposé au feu; ce dernier le consume. Une décharge faite sur de longues piques les fait tomber dans les rangs, où elles deviennent des bâtons qui entravent et arrêtent le mouvement. Un corps qui a pour soutien un bataillon de piques, a la certitude d'être mal secondé, ou de voir son voisin, mis en fuite, implorer son secours plutôt que de lui en donner. Une armée est une machine intelligente qui se meut à un seul ordre; mais il lui faut de l'uniformité, de l'ensemble et une unité de forces dans ses parties, propre à inspirer une confiance mutuelle à chacun. Je demande qu'une pareille mesure qui peut appeler la défaite sur nos armées et compromettre le salut de l'Etat, si elle était aveugléinent adoptée, soit renvoyée à l'examen du coinité militaire.

M. Lecointe-Puyraveau. Messieurs, il est démontré à tout homme de bonne foi, par les lettres qui vous sont adressées, et par les généraux de l'armée du Rhin, et par le général de l'armée du Midi, que beaucoup de nos soldats n'ont point d'armes; qu'on en a demandé au ministère, et que le ministère n'en donne pas; que de plus il est presque impossible qu'avant la fin de cette campagne, on puisse leur en fournir. Eh bien! l'on vous propose dans ce moment-ci d'armer nos soldats, sinon d'une manière redoutable, du moins d'une manière utile. Il n'y a pas longtemps qu'un membre de cette Assemblée s'écriait avec un enthousiasme vraiment digne d'un défenseur de la liberté; « N'existera-t-il personne qui trouvera la manière dont les peuples

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