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dénonciation, ce qui paraîtra étonnant. J'observerai encore que si vous avez cru qu'il était utile pour la chose publique, plutôt qu'à l'intérêt particulier des ministres journellement dénoncés, qu'il se rendissent à leur poste, il est plus intéressant dans les circonstances actuelles, pour la chose publique, que cette permission soit accordée à M. Lacoste, qu'à un militaire qui se rend à l'armée, parce qu'il est généralement connu par ses vertus civiques et par ses lumières, et que nous devons désirer, dans les circonstances critiques où se trouve notre diplomatie, d'avoir un bon citoyen à la tête des relations qui existent entre nous et la cour de Naples.

J'observe ensuite à M. Thuriot que M. Lacoste laisse assez de biens en France pour répondre de sa gestion. Enfin, si l'Assemblée en décidait autrement, je demanderais que le comité fit son rapport dans un bref délaí, afin que M. Lacoste ne puisse être empêché de se rendre à son poste; car les exceptions ne seraient jamais dans mes principes.

M. Delacroix. M. Lacoste, qu'on dit si honnête homme, est un des six ministres qui ont donné leur démission concertée, et c'est dans le moment où la patrie est en danger, où les bons ministres sont si rares. Puisque M. Lacoste était si bon ministre, pourquoi donc a-t-il donné sa démission? (Applaudissements des tribunes.) Je n'ose pas croire que M. Lacoste a donné sa démission parce que son traitement a été réduit à 50,000 livres. (Murmures à droite.) Cependant il est bien étonnant que M. Lacoste ait quitté le ministère pour aller occuper une autre place au nom de la nation française auprès d'un souverain étranger. Je ne vois pas pourquoi M. Lacoste a laissé le poste le plus périlleux et le plus lucratif pour en prendre un qui l'est moins. Depuis longtemps la place que va occuper M. Lacoste était vacante; depuis longtemps nous n'avions qu'un chargé d'affaires, et cette place-là n'a été donnée à M. Lacoste que comme une espèce de retraite. Il peut donc attendre que ses comptes soient apurés pour se présenter à Naples. Nous avons depuis longtemps un chargé d'affaires qui remplit les fonctions d'ambassadeur, et qui pourra encore les remplir pendant deux mois. Je demande dont l'exécution de la loi. (Applaudissements des tribunes.)

M. Louis Hébert. Messieurs, je ne m'attacherai pas à M. Delacroix, ni à m'étendre sur les qualités civiques de M. Lacoste...

Plusieurs membres: Fermez la discussion! (L'Assemblée ferme la discussion et passe à l'ordre du jour.)

M. Delacroix. Je demande par motion d'ordre qu'aucun ministre sorti du ministère ne puisse Occuper une autre place à la nomination du pouvoir exécutif qu'après l'apurement de ses comptes. (Applaudissements.)

M. Basire. Je demande qu'on renvoie au comité la question de savoir si un ministre peut, après avoir été ministre, accepter une place du roi.

M. Marant. Les ministres ont deux sortes de comptes à rendre; le compte d'ordonnateur qui doit d'abord se rendre par devant l'Assemblée nationale, et le compte des pièces comptables qui doit passer d'abord par le bureau de comptabilité de l'examen des comptes. Le compte sur pièces comptables est bien différent du premier. Il faut que les comptables rapportent toutes les pièces au bureau de comptabilité; il faut un temps

considérable pour les examiner, il faut que cela vienne ensuite au comité de l'examen des comptes, et enfin il faut le jugement de l'Assemblée nationale. D'après cela, s'il fallait qu'un ministre restât à Paris jusqu'après l'apurement de son compte sur les pièces comptables, il n'y a pas un seul ministre qui ne fût obligé de rester au moins quatre ans à Paris. Et s'il fallait que pendant ces quatre ans le ministre ne pût accepter une place, le ministre serait citoyen passif, parce qu'il aurait été ministre pendant huit jours. Je demande donc que l'Assemblée nationale veuille bien distinguer le compte d'ordonnateur et le compte sur pièces comptables, et que l'Assemblée nationale décrète que quand elle aura examiné et jugé le compte d'ordonnateur, le ministre soit pour lors libre de sortir de la capitale et de recevoir les places du pouvoir exécutif.

(L'Assemblée renvoie la motion de M. Delacroix aux comités réunis de législation et de l'examen des comptes.)

Une députation des citoyens de Clamecy est admise à la barre.

M. LEBEUF, orateur de la députation, offre, au nom des Amis de la Constitution, de cette ville, une somme de 529 livres, en assignats 35 1. 7 s. 6 d. en argent; plus un couvert, une paire de boucles de col, une paire de boutons de manches et une pièce, le tout en argent.

M. le Président répond à l'orateur et accorde à la députation les honneurs de la séance.

(L'Assemblée accepte l'offrande avec les plus vifs applaudissements et en décrète la mention honorable au procès-verbal dont un extrait sera remis aux donateurs.)

Une députation des citoyens de Francourville, district de Chartres, département d'Eure-et-Loir, est admise à la barre.

L'orateur de la députation offre, au nom des citoyens de cette commune, une somme de 1,500 livres, provenant des épargnes faites sur les revenus de leur fabrique, depuis 1789. Il prie l'Assemblée de les faire instruire si leur offrande lui est agréable. « Cette somme, dit-il, sera beaucoup mieux employée à soutenir la guerre de la liberté, qu'à payer des hommes inutiles, dont le seul talent est d'inventer chaque jour des momeries, qui ont pour but de subjuguer la raison des faibles, accroître le fanatisme et anéantir l'amour de la patrie et de la liberté. » M. le Président répond à l'orateur et accorde à la députation les honneurs de la séance.

(L'Assemblée renvoie la pétition au comité de l'extraordinaire des finances.)

M. Rühl. Plusieurs citoyens de Vasselonne, district de Strasbourg, département du Bas-Rhin, m'ont chargé d'offrir à la patrie, pour subvenir aux frais de la guerre, une somme de 166 l. 5 s. en numéraire, et 360 livres en assignats. Je demande pour ces citoyens la mention honorable.

(L'Assemblée accepte cette offrande avec les plus vifs applaudissements et en décrète la mention honorable au procès-verbal dont un extrait sera remis aux donateurs.)

M. Lacuée, au nom du comité militaire, présente un projet de décret tendant à mettre à la disposition du ministre de l'intérieur une somme de 400,000 livres pour être versée dans la caisse de l'hotel des invalides; ce projet de décret est ainsi conçu:

JorM

« L'Assemblée nationale, instruite que le décret du 30 avril, relatif à l'hôtel national des militaires invalides, n'a point encore reçu sa pleine et entière exécution, et que par conséquent il n'a pu être versé dans la caisse dudit hôtel la partie des fonds qui lui est affecté; considérant qu'il est infiniment instant de pourvoir à la subsistance des citoyens à qui la patrie a donné un asile dans ledit hôtel, décrète qu'il y a urgence.

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité militaire et décrété l'urgence, décrète ce qui suit :

Art. 1er

« La trésorerie nationale tiendra, a la disposition du ministre de l'intérieur, une somme de 400,000 livres pour être versée dans la caisse de l'hôtel des invalides; ladite somme sera remise aux anciens administrateurs qui en rendront compte au conseil dès le moment de sa formation. Ces fonds seront à compte sur la somme de 2 millions attribuée à l'hôtel des invalides par le décret du 30 avril 1792.

Art. 2

« Le ministre de l'intérieur rendra compte au Corps législatif des causes qui ont retardé l'exécution du décret relatif à l'hôtel national des militaires invalides. Le pouvoir exécutif emploiera tous les moyens que la Constitution a mis en son pouvoir pour håter l'organisation du dit hôtel.

(L'Assemblée adopte le décret d'urgence, puis le décret définitif.)

M. Rougier-La-Bergerie, au nom du comité d'agriculture, fait un rapport (1) et présente un projet de décret sur l'amélioration des bêles à laine. Il s'exprime ainsi :

Messieurs, vous avez renvoyé à votre comité d'agriculture, le 4 juillet dernier, une lettre du ministre de l'intérieur, à laquelle étaient joints des états des départements qui demandaient des béliers de race anglaise provenant du troupeau de MM. Delporte, cultivateur près Boulogne-surmer, département du Pas-de-Calais (2).

D'après la loi du 18 février 1791, le ministre ne peut disposer d'aucun fonds que l'Assemblée a consacré aux encouragements des arts, sans un décret particulier; ce qui le met dans l'impossibilité de satisfaire aux diverses demandes des départements. Cependant, il est bien instant de le faire, parce que l'époque de l'emploi des béliers est prochaine et même déjà arrivée pour quelques parties de la France; mais surtout, parce que ce superbe troupeau qui est, depuis Plus plus d'un mois, dans le bois de Boulogne, dépèrit. L'herbe aigre et malsaine, la différence du régime de vie pourrait exténuer, ces animaux et rendre vains les efforts de ces cultivateurs, et inutile la distribution qu'en ordonnera l'Assemblée nationale.

Votre comité d'agriculture doit donner de justes éloges à l'établissement de M. Delporte; il partage cette opinion avec les commissaires que la société d'agriculture de Paris y a envoyés, et avec plusieurs députés de cette Assemblée qui

(1) Bibliothèque nationale : Assemblée législative. Agriculture, n° 8.

(2) Voy. ci-dessus, même séance, page 98, la lettre de M. Delporte frère.

ont vu le troupeau, la laine et l'emploi qu'on en fait; mais outre ces témoignages d'autant moins équivoques qu'ils sont fondés sur une expérience de 17 années, je dois faire connaître en particulier celui de M. Roland, ci-devant ministre de l'intérieur, dont les connaissances et les travaux sur les bêtes à laine lui assignent à juste titre un rang honorable parmi les hommes d'Etat. Voué à l'économie politique, il a parcouru et vu cet établissement avec toute l'intention que peut y mettre un homme impartial, instruit et jaloux d'accroître une branche d'industrie que personne ne pouvait mieux apprécier que lui; il l'a jugé comme le premier exemple d'une bonne éducation de bêtes à laine, digne de servir de modèle. Les succès actuels justifient complètement la réalité de son témoignage.

Votre comité, Messieurs, n'a pas cru devoir particulariser pour ce seul établissement une dépense nationale; il a pensé qu'en vous occupant de l'établissement de bêtes à laine de race anglaise, il devait vous présenter quelques vues générales pour tout l'Empire. Vous les accueilTerez favorablement, car elles intéressent immédiatement la prospérité de l'agriculture et du commerce. Heureux de trouver un moment au milieu des discussions et des débats qui nous agitent, pour vous entretenir d'objets qui reposent les esprits et rappellent les temps heureux de la paix et du bonheur des habitants des campagnes!

La France est tributaire, pour des sommes immenses, de l'Espagne, de l'Angleterre, de plusieurs contrées du Nord, par l'importation des laines et des draps, tandis que toutes les contrées européennes et les autres parties du monde devraient l'être de la France pour ces mêmes objets. La fertilité du sol, la beauté du climat, une prodigieuse population, le génie de nos artistes, l'activité de notre commerce, devaient et doivent assigner à l'Empire Français la prééminence dans le commerce étranger. C'est au règne de la liberté à réparer l'insouciance de notre ancien gouvernement, à faire disparaître les préjugés, à honorer le commerçant et le cultivateur.

L'agriculture ne fournit en général à notre commerce que des laines de médiocre qualité. L'Angleterre et l'Espagne nous font éprouver une supériorité bien marquée la première, par ses belles étoffes sèches et rases; la seconde, par ses superbes draperies et tous les draps qui vont au foulon. Cette supériorité n'est pas difficile à vaincre pour l'art de la fabrication. Les ateliers de Sédan, de Louviers, d'Abbeville, Châteauroux et Elboeuf, ont tous donné, par des essais, des preuves de génie, qui ne nous laissent pas même dans l'incertitude du succès à cet égard.

Il ne nous manque que des laines fines, et surtout de celles de moyenne et grande longueur, pour suffire à nos besoins et à entretenir nos manufactures. L'expérience a démontré que la transportation des bêtes à laine, le croisement des races, étaient les moyens les plus sûrs et les plus prompts d'améliorer les laines, et de donner à notre industrie nationale ce degré de splendeur qu'elle devrait avoir.

On doit s'étonner que le royaume de France, qui, par ses diverses régions, a de l'analogie avec celles d'Espagne, d'Angleterre, de la Hollande et de l'Italie, ne compte encore, malgré la protection signalée de Colbert, malgré les instructions et l'exemple du vertueux et célèbre

d'Aubenton, que quelques établissements de troupeaux à laine fine. On doit s'étonner de voir négliger un animal aussi précieux sous tous les rapports, qui sert si éminemment à fertiliser la terre, qui fournit à la main d'œuvre une matière qui prend une valeur progressive en passant des mains du cultivateur dans celles du fabricant et du négociant; qui donne de l'emploi aux femmes, aux enfants, aux vieillards on doit s'étonner et gémir de voir que partout on abandonne à un régime abusif ou meurtrier l'existence et l'éducation des bêtes à laine, dont le sort est exclusivement dirigé par des hommes mercenaires ou ignorants; de voir que partout la multiplication en est négligée, qu'on ne réserve pour sa nourriture aucun pâcage cultivé pour lui; tandis qu'en Angleterre le quart de l'exploitation d'une ferme est réservé aux bêtes à laine, et pour toutes les saisons de l'année.

La France pourrait nourrir encore plus d'un milliard de bêtes à laine. Quelle perte, Messieurs, pour l'agriculture, pour les ouvriers indigents de l'un et de l'autre sexe, et pour le commerce!

L'époque de la liberté en Angleterre fut aussi celle de l'agriculture. Edouard IV avait obtenu du gouvernement espagnol 3,000 bêtes à laine qui furent choisies dans la Castille; quelques essais avaient fait augurer de grands succès. Un conseil d'Etat fut chargé du soin de propager cette belle race. Henri VIII, et Elisabeth, surtout, donnaient le plus grand soin à cet établissement national. On distribua des béliers et des brebis dans tous les cantons où le pâturage était jugé leur convenir; on répandit partout des instructions, on fit croiser les races, et il en est résulté une race superbe qui produit une laine d'autant plus précieuse, qu'elle réunit la finesse et la longueur.

Il est très difficile de se procurer des béliers anglais; la peine de mort est portée contre ceux quí en exportent. Si ce trait ne fait pas honneur à la législation anglaise, il prouve du moins le degré d'intérêt que les Anglais attachent à cette partie de l'économie rurale, et de celui que nous devons avoir pour l'établissement de MM. Delporte qui ont un nombre considérable de béfiers anglais.

Les Hollandais, aussi, après avoir combattu pour leur liberté, après avoir vaincu les tyrans, les éléments, et s'être créé un sol, osèrent imiter les Anglais. Ils amenèrent dans leur climat humide et rigoureux, des béliers et des brebis des Indes orientales. La laine a changé de nature, mais elle a conservé un beau degré de finesse.

Que la liberté, Messieurs, nous fasse donc faire ce qu'elle a si heureusement inspiré et réalisé en Angleterre et en Hollande.

Vous hésiterez d'autant moins, que l'exemple des Hollandais et des Anglais a été suivi avec le plus grand succès dans la Saxe, dans la Suède, où la reine Christine, et surtout Jonas-Alhastræ mer justement célèbre par ses profondes connaissances, osa acclimater dans ces contrées hiperborées, des béliers espagnols, anglais et arabes. Aujourd'hui la Suède fabrique de superbes draps, avec des laines de son crû; elle se passe, il y a longtemps, de celles d'Espagne et d'Angleterre; déjà même elle a pris une place dans le commerce étranger.

Enfin, l'exemple de la Suède a éclairé la Russie. Il y a trois ans que la société académique de Pétersbourg accorda une médaille d'or de trente

ducats à un cultivateur qui avait réussi à faire un établissement d'éducation de bêtes à laine dans ce climat glacé.

Je ne vous ferai, Messieurs, aucune réflexion sur l'état actuel de la France sur un objet aussi important; l'amertume et les regrets qu'elles inspireraient ne pourraient au surplus porter que sur l'apathie et la fausse gloire de notre ancien gouvernement mais je crois en avoir dit assez pour convaincre l'Assemblée nationale qu'il est temps, à la quatrième année de la liberté, de s'occuper d'un si grand, si facile et si précieux établissement. Donnons quelques instants à l'agriculture et au commerce. Montronsnous dignes d'être législateurs d'un peuple agricole. Destinons quelques modiques sommes, parmi les immenses dépenses que nous occasionne la guerre et la marche írréglée de nos finances, à faire venir des béliers de race, principalement des contrées de l'Arabie et des Indes. J'insiste principalement pour les béliers de ces contrées, car les divers exemples que j'ai cités, une masse imposante de faits et d'observations, prouvent que l'importation des bêtes à laine (jé dirais presque de tous les animaux) transportées du Midi au Nord, opère la régénération des espèces, et que le croisement des races produit presque toujours une excellente race; l'expérience est d'accord sur ce fait pour la transplantation des végétaux.

Mais pour que la dépense que l'Assemblée nationale décrètera, soit réellement profitable, il faut plus qu'une vigilance et une protection ministérielle; il faut imiter les Anglais, les Suédois; établir un conseil d'administration, chargé spécialement du soin de faire arriver et distribuer, dans les départements, des béliers de race pure d'Espagne, des Indes ou de l'Arabie, de diriger l'éducation et l'emploi des laines, de surveiller les distributions, d'en prévenir les abus, d'exciter partout la multiplication des bêtes à laine, de récompenser les navigateurs qui transporteraient en France des béliers ou brebis des pays étrangers, de répandre partout des instructions.

Vous pouvez, Messieurs, créer ce précieux établissement sans qu'il en coûte de nouveaux fonds, en prenant sur les deux millions destinés à l'encouragement des arts une somme suffisante. Le premier, le plus utile de tous les arts a été oublié jusqu'à ce jour. Pourrions-nous destiner quelques sommes à récompenser des artistes employés aux étoffes de soie, lorsque tant de citoyens manquent d'habits de laine pour se vêtir? Pourrions-nous hésiter de donner quelques sommes de moins à des artistes, peintres, graveurs ou sculpteurs, lorsque l'agriculture languit, qu'elle ne suffit pas à nos besoins, lorsque nous dépensons des millions pour nous procurer des blés, des laines et des draps étrangers? Eh, Messieurs, le plus beau tableau n'est-il pas celui qui nous fera voir le peuple heureux par son agriculture et son industrie? une meilleure éducation de bêtes à laine peut donner à la France cette heureuse destinée. C'est alors seulement qu'il sera permis aux législateurs de distraire d'aussi grandes sommes pour les beaux

arts.

PROJET DE DÉCRET.

L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité d'agriculture; considérant que l'amélioration et la multiplication des

bêtes à laine sont essentiellement nécessaires aux progrès de l'agriculture et du commerce; considérant encore qu'il est très instant de répandre, dans les divers départements, des béliers de race anglaise, qui sont maintenant aux environs de la capitale, dont un plus long séjour les ferait dépérir, décrète qu'il y a urgence.

« Art. 1er. Il sera formé incessamment une commission, composée de cinq membres et d'un secrétaire, nommée par le pouvoir exécutif, laquelle sera chargée de faire venir des béliers et brebis de race à laine fine, tant de l'Angleterre, de l'Espagne que de l'Arabie, des Indes ou de telle autre partie du monde qu'elle croira devoir le mieux convenir aux différents climats de la France elle surveillera la distribution et réglera les conditions, se fera rendre compte des progrès de l'éducation, de l'emploi et produit des bêtes à laine qu'elle aura distribuées, répandra, dans les départements, les instructions analogues aux différentes races de béliers, ou aux climats, pour diriger une meilleure éducation et en favoriser la multiplication; cette commission rendra compte chaque année au Corps législatif de l'état ou des progrès de son administration ce compte sera imprimé et rendu public.

« Art. 2. Il sera mis à la disposition du ministre de l'intérieur une somme de 100,000 livres, à prendre sur les 2 millions destinés aux encouragements des arts; il sera prélevé une somme de 1,200 livres pour chaque commissaire, et 2,000 livres pour le traitement du secrétaire et les frais de bureau; ils seront comptables et responsables du surplus de la somme, dont ils justifieront l'emploi par pièces justificatives.

«Art. 3. En attendant que cette commission soit formée, le ministre de l'intérieur est autorisé à prendre sur la somme de 100,000 livres, celle de 6,000 livres pour distribuer dans les départements les béliers de race anglaise provenant du troupeau de MM. Delporte.

(L'Assemblée ordonne l'impression du rapport et du projet de décret et ajourne la discussion à trois jours.)

M. Duphénieux, au nom du comité de l'extraordinaire des finances, présente un projet de décret tendant à fixer l'emploi des assignats provenant des revenus des biens des émigrés; ce projet de décret est ainsi conçu :

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de l'extraordinaire des finances, considérant que les biens et revenus des émigrés son affectés à l'indemnité due à la nation, à cause de la guerre qu'elle est forcée de fournir pour défendre sa Constitution, et au payement de leurs créanciers légitimes, et qu'il n'y a que les assignats provenant des ventes et revenus des biens nationaux qui doivent être annulés et brùlés, décrète qu'il y a urgence.

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de l'extraordinaire des finances, et décrété l'urgence, décrète ce qui suit :

Art. 1or.

« Les receveurs de district ne pourront annuler les assignats provenant des revenus des biens des émigrés, et les verseront néanmoins dans la caisse de l'extraordinaire, où ils resteront jusqu'à ce que l'Assemblée nationale en ait autrement décrété.

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Art. 2.

« Le commissaire du roi, administrateur de la caisse de l'extraordinaire, instruira l'Assemblée nationale, à la fin de chaque mois, du montant des rentrées du revenu de ces biens. »

(L'Assemblée décrète l'urgence, puis adopte le projet de décret.)

M. Granet (de Toulon), au nom du comité de marine, soumet à la discussion un projet de décret sur le mode d'embarquement des maîtres à bord des vaisseaux de l'Etat; ce projet de décret est ainsi conçu (1) :

« L'Assemblée nationale, délibérant sur la lettre du ministre de la marine, du 28 juin dernier, convertie en motion par un de ses membres, et voulant assurer toujours davantage la subordination des équipages et le bien du service maritime, en donnant à la classe précieuse des maîtres un premier témoignage d'intérêt et de justice capable d'exciter leur émulation et de récompenser leur expérience, en attendant l'amélioration de leur sort;

« Considérant que, d'après l'usage de la marine française et des autres puissances maritimes, et d'après les principes de la responsabilité, les officiers commandants des vaisseaux ont toujours eu et doivent conserver le choix libre de leurs principaux agents;

« Considérant enfin, que la nécessité de mettre bientôt en activité les forces navales dont l'armement a été ordonné et commencé, exige une prompte décision à cet égard, décrète qu'il y a urgence;

« L'Assemblée nationale, après avoir ouï le rapport de son comité de marine, et décrété l'urgence, décrète que les ordonnateurs des ports et arsenaux de marine seront autorisés à accorder, comme par le passé, aux capitaines commandants des vaisseaux de l'Etat, les premiers maîtres qui leur seront désignés par lesdits capitaines, sans s'astreindre à aucun tour de rôle pour la formation des mestrances. »

(L'Assemblée décrète l'urgence, puis adopte le projet de décret.)

M. MONTESQUIOU, général de l'armée du Midi, est admis à la barre (Vifs applaudissements.)

M. le Président. L'Assemblée nationale a décrété de vous entendre à la barre (2) sur les rassemblements de troupes dans les Etats du roi de Sardaigne, dont vous pouvez avoir connaissance, sur la force de ces troupes, sur leurs mouvements et sur les avis que vous en avez donnés aux ministres.

M. MONTESQUIOU, Messieurs (3), occupé depuis trois mois de préparer, au Midi du royaume, les moyens de repousser toute entreprise de la part de nos ennemis, j'espérais que mon zèle et mes travaux ne seraient pas infructueux. Il n'est plus permis, depuis longtemps, de douter des intentions hostiles du roi de Sardaigne. Le ministre des affaires étrangères en a informé l'Assemblée; mais on a pu

(1) Voy. Archives parlementaires, 1 série, t. XLVI, séance du 18 juillet 1792, au matin, page 597, le rapport de M. Granet.

(2) Voy. ci-dessus, séance du 23 juillet 1792, au matin, page 97, le décret ordonnant l'admission de M. Montesquiou à la baere.

(3) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Militaire, tome Ì, n° 80.

ignorer que des préparatifs, commencés sourdement ont acquis depuis peu une grande extension. De notre côté, j'étais parvenu à établir une défensive à peu près suffisante sur une frontière de cent lieues de développement, depuis Gex jusqu'à Antibes. Chaque point d'attaque probable présentait, à la vérité, des forces inférieures, mais éventuellement doublées par des citoyens prêts à mourir pour la cause de la liberté. Je n'étais plus dans le cas de regarder comme dangereuse l'attaque dont j'étais menacé, et je voyais sans inquiétude se former devant moi une armée de plus de 50,000 hommes, pourvue d'abondants magasins et d'immenses munitions de guerre. La scène a changé tout à coup. J'ai reçu l'ordre de détacher 20 bataillons de mon armée pour renforcer celle du Rhin. Le roi m'a ordonné cette disposition; l'Assemblée nationale n'y a donné son assentiment que parce qu'ils ont cru l'un et l'autre, sans doute, que le royaume était plus exposé du côté du Rhin que du côté des Alpes. Je n'ai pas douté qu'une connaissance plus exacte de ma position ne fit préférer d'autres mesures. J'en ai adressé le tableau au roi dans un mémoire dont j'ai fait remettre le double au président de votre comité militaire. Mes représentations ont produit une partie de leur effet. L'envoi de vingt bataillons sur le Rhin a été réduit à dix; mais ma position est telle, le nombre de troupes que je commande est tellement circonscrit, que l'absence de dix bataillons découvre entièrement la partie la plus importante du pays que je suis chargé de défendre. J'aurais renouvelé mes représentations sans m'écarter de mon poste, si de nouvelles circonstances ne m'avaient fait sentir la nécessité de hâter la lenteur inévitable des explications par écrit. Jeudi au soir, j'ai reçu de Savoie, par deux côtés différents, des détails semblables qui me démontrent que le moment de l'explosion approche. J'ai su que, le 15 de ce mois, le roi de Sardaigne avait accordé la paye de guerre à ses troupes; que le même jour il avait été publié au prône des églises une lettre pastorale de l'archevêque de Turin, qui invite les bons chrétiens à prier Dieu pour la prospérité des armes piémontaises contre les Français rebelles

Dieu et à leur roi. (Murmures.) Les mêmes lettres portent que M. Benzetty, inspecteur général de l'artillerie, était parti pour aller à Milan passer la revue des troupes autrichiennes qui doivent entrer en Piémont, et que l'entreprise des hôpitaux de guerre venait d'être donnée. Alors j'ai cru qu'il n'y avait pas un moment à perdre pour détruire l'illusion funeste dans laquelle l'Assemblée nationale et le roi étaient encore sur les dangers du Midi. Je suis parti la nuit même pour venir leur exposer des vérités qui intéressent le salut de l'Empire. J'ai pensé, Messieurs, qu'il suffisait de les faire connaître pour faire changer des dispositions qui prépareraient d'éternels regrets.

J'ai l'honneur de vous affirmer, et j'en aurais au besoin pour garants les cinq départements de la frontière des Alpes, que tous les points de cette frontière sont menacés par des forces fort supérieures aux nôtres; qu'après la jonction des Autrichiens, qui semble très prochaine, plus de 60,000 hommes se trouveront répartis dans le comté de Nice, dans le Piémont et dans la Savoie, que le point d'attaque le plus complètement préparé se dirige sur Lyon; que 20,000 hommes, bientôt réunis à 10 ou 12,000 Autrichiens, menacent le centre du royaume d'une invasion

dont il est aisé d'apprécier toutes les conséquences, même pour l'armée du roi qu'elle placerait entre deux ennemis. Vous sentez, Messieurs, et les derniers événements de l'Ardèche vous l'indiquent assez, vous sentez quelle commotion produirait jusqu'au fond de nos départements intérieurs la marche libre d'une armée étrangère, liée avec les malveillants réunis dans ces contrées. Pour achever de vous démontrer l'importance de mes observations, je vous présenterai un tableau court et exact de mes moyens de résistance.

J'ai à mes ordres 48 bataillons de volontaires nationaux au premier complet de 546; 20 régiments de ligne, de 4 à 5,000 hommes au-dessous du complet; 6 bataillons d'infanterie légère, et 15 escadrons: total 94 bataillons et 15 escadrons. La frontière des Pyrénées sur laquelle les ministres m'ont rassuré jusqu'à présent, n'a que 16 bataillons pour la garde de ses places. Cette, Avignon, Arles, Montélimart, Valence, l'intérieur du pays où viennent de se passer des événements si alarmants en emploient 16; les gorges de Bugey et le pays de Gex, 3 total 36 bataillons. Il m'en reste, d'après ce calcul, 58 pour ma défense principale. Les places de Toulon, Antibes, Monaco, Entrevaux, Colmar, Queyras, Embrun, Montdauphin, Briançon, Grenoble et Barraux avec de très faibles garnisons en emploient 19. Il ne m'en reste donc que 39 qui puissent tenir la campagne. J'en ai destiné 10 à la défense du Var, et 9 à occuper le camp de Tournoux, position importante et nécessaire pour la défense des vallées qui du Piémont conduisent en France. Ces moyens très faibles recevront du pays même le complément de forces qu'assure un patriotisme pour qui la Constitution et la liberté sont tout, et pour qui les dangers et la mort ne sont rien. Je n'ai donc que 20 bataillons, tant pour tenir la position de Barraux, que pour fermer le chemin de Lyon. Pour peu que l'on retranche sur cette dernière ressource, il ne reste rien; le pays auquel la nature et l'art ont refusé toute défense est livré à l'ennemi. Une seule marche peut l'y porter. Lyon n'est qu'à 15 lieues, Lyon n'offre que des richesses à saisir, et peut-être de nombreux alliés à nos ennemis. (Murmures.) Tel est, Messieurs, le précipice qu'ouvrait sous nos pas une disposition qu'il est temps encore de révoquer. Les motifs qui l'ont inspirée ont sans doute d'une haute importance, mais il est possible aussi que, ne connaissant pas l'imminence du danger dont je viens de vous offrir le tableau, on ait adopté un système que des notions plus justes feraient changer. J'ai cru remplir un devoir sacré, en me présentant moimême pour vous dire ces importantes vérités.

Je n'ai pas calculé dans l'état des forces dont je peux disposer, 21 nouveaux bataillons dont l'Assemblée a décrété la levée, ni l'augmentation de 226 hommes par bataillon: 1o parce que ce recrutement des volontaires nationaux n'est pas, à beaucoup près achevé; 2° parce que je n'ai pas encore d'armes à donner à ces nouvelles troupes. Le ministre de la guerre n'en promet incessamment 10,000, et peu après un autre envoi de 12,000, mais ces envois rencontrent si souvent dans leur route des obstacles, que l'égoïsme ou la méfiance opposent à leur passage; l'attaque d'ailleurs peut être si prochaine que je ne dois compter que sur ce qui est aujourd'hui à portée des frontières. Je sais bien que si l'ennemi paraît, tout ce qu'un peuple généreux a de bras armés, se joindra à moi. Nous mourrons tous,

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