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renversés de leurs sièges par le torrent de l'opinion obtenir le sang des uns et l'oubli des autres, c'est assurer la perte de tous, et arriver au but. (Applaudissements à gauche.)

Ce but, Messieurs, le conspirateur que j'accuse n'a pas même pris la peine de le voiler. VoulezVous voir à découvert son projet liberticide? Fixez un instant vos regards sur le paragraphe que je transcris : « Assurez qu'aucune conséquence injuste ne peut découler d'un principe pur, qu'aucune mesure tyrannique ne peut servir une cause, qui doit sa force et sa gloire aux bases sacrées de la libérté, de l'égalité; faites que la justice criminelle reprenne sa marche constitutionnelle; que l'égalité civile, que la liberté religieuse jouissent de l'application des vrais principes.» Bouillé, Laqueuille, Mirabeau, tiendraient-ils un autre langage, et quand ils exhalent leurs fureurs contre l'Assemblée nationale, empruntent-ils d'autres traits? Qui êtes-vous, d'après La Fayette, des hommes qui se sont livrés à des mesures tyranniques, des hommes qui o t arrété la marche de la justice criminelle, des hommes qui ont violé et l'égalité civile et la liberté religieuse.

Je ne m'abaisserai point à justifier les décrets que La Fayette marque au coin de la tyrannie et de la violation de tous les principes; mais je dirai qu'un général qui accuse le Corps législatif, le menace; je dirai qu'un général qui, à la tête de 50,000 hommes, peint les décrets du Corps législatif comme une violation ouverte des principes les plus sacrés, est un conspirateur qui provoque l'insurrection des troupes qu'il commande, qui cherche à anéantir la puissance législative par la force armée, qui vise manifestement à substituer les évolutions militaires aux discussions et les baïonnettes aux lois. (Applaudissements à gauche.) En effet, s'il était vrai que l'Assemblée nationale fut une réunion de tyrans pour qui il n'est rien de sacré, quel usage devraient faire de leurs armes, les citoyens qui ne ne les ont prises que pour maintenir la liberté! Quel autre parti l'armée aurait-elle à prendre que celui de marcher et de dissoudre? Eh bien! le général qui peint sous ce point de vue l'Assemblée nationale à l'armée, n'est-il pas ouvertement en état de conspiration? (Applaudissements à gauche.)

Il ne fallait qu'un mot pour achever d'assimiler le langage de La Fayette à celui des conspirateurs d'outre-Rhin, et ce mot, La Fayette le prononce: Que le pouvoir royal soit intact. O perfidie dont on a peine à concevoir la profondeur... (Applaudissements à gauche et dans les tribunes.)

M. Rouyer. Monsieur le Président, je demande que vous rappeliez à l'ordre avec censure le membre qui interrompra l'orateur.

M. Lasource. J'ai dit que dans ces expressions Que le pouvoir royal soit intact, vous apercevez la plus insigne perfidie.

Est-ce en effet, un soupçon ou un reproche? est-ce crainte ou accusation? Que veut-on insinuer et à l'armée et à la nation? veut-il leur persuader que nous avons voulu, que nous voulons attenter au pouvoir constitutionnel du roi, ou bien que nous l'avons déjà fait? C'est évidemment l'une ou l'autre de ces suppositions, car si on avait été convaincu, si l'on avait voulu convaincre que l'Assemblée nationale n'avait jamais touché à ce pouvoir, qu'elle ne voulait pas y porter atteinte, à quoi aurait-il été bon de demander que ce pouvoir restât intact.

Dans la première supposition, que dit le général à l'armée, sinon, arrêtez les projets ambitieux d'un corps usurpateur qui veut envahir un pouvoir qu'il ne peut avoir légalement, et qu'il ne cumule sur sa tête qu'au mépris de ses serments et du vœu national. Que lui dit-il dans la seconde, sinon rétablissez les droits de celui que la Constitution vous donne pour chef, vengez les violations commises contre son autorité légitime, et rendez-lui, par la force des armes, ce qu'on lui a enlevé par l'injustice des lois! Que dit-il à la la ligue des rois, à la faction des rebelles, à l'armée des conjurés, que leur dit-il, sinon votre but est le mien, notre cause est commune, comme vous c'est le roi que je veux défendre contre les attentats de la prétendue assemblée des représentants de la nation, comme vous, je veux être le soutien de la monarchie française, ce n'est pas à vous que je ferai la guerre, mais c'est avec vous que je la ferai à la faction des républicains. Et n'est-ce pas à cette faction que les conservateurs et les tyrans prétendent faire la guerre? n'est-ce pas pour défendre le roi contre elle, qu'ils ont prétendu se liguer? Que vous ont dit, dans le temps, Léopold et Kaunitz? que personne ne vous attaquerait si vous mainteniez l'autorité royale dans toute sa plénitude, mais que si vous osiez y porter atteinte, alors les puissances étrangères sauraient se lever pour punir votre coupable témérité. Que font sonner de toutes parts les rebelles? qu'ils ne veulent que rétablir la monarchie et la religion. Eh bien! La Fayette demande-t-il autre chose? Comme eux il veut seulement que le pouvoir royal soit intact, que la liberté religieuse reçoive l'application des vrais principes. Ce que Kaunitz vous a dit dans de longues notes officielles, ce que les conspirateurs répètent sans cesse dans leurs clameurs journalières, c'est ce que vous a dit La Fayette, avec cette seule différence qu'il renferme ses expressions dans une précision ménagée par une perlidie adroite, qui, voulant éviter également et d'être ignorée et d'être punie, ne se montre qu'autant qu'il faut pour être vue par l'opinion qu'elle sonde, sans pouvoir être frappée par la peine qu'elle craint. (Applaudissements dans les tribunes.)

Un général qui emprunte artificieusement tous les prétextes des ennemis de la patrie, ne vous parait-il pas lui-même un ennemi de la patrie? A l'identité de langage, vous ne reconnaîtriez pas l'identité de sentiments, de motifs et de des. seins. Vous n'avez pu souffrir que des rois vous tinssent cet insolent langage et vous le souffririez lâchement de la part d'un général! Vous avez frappé tous les traitres, jusque sur les marches du trône, et vous n'oseriez les poursuivre jusqu'à la tête de vos camps! Vous avez préféré les maux et les horreurs de la guerre à la honte d'ètre menacés par des ennemis couronnés, et vous préféreriez la honte de voir la majesté nationale outragée, à la sévérité d'une loi contre un misérable agent d'ennemis déjà bravés! Non, Messieurs, non l'Assemblée ne se souillera point par une bassesse; quand elle peut s'honorer par un acte éclatant de grandeur. (Applaudissements dans les tribunes.)

Je n'ai examiné jusqu'ici que la lettre de La Fayette, il me reste maintenant à examiner sa pétition; vous ne l'avez encore vu que dans son camp, je vais vous le montrer à votre barre. Quand je l'y vis paraître, je crus d'abord, je vous l'atteste, qu'il venait rétracter une lettre qui n'avait été écrite que dans un moment d'erreur

et j'étais prêt à lui rendre encore une estime qu'il eût longtemps (Murmures à droite.), mais mon indignation égala bientôt ma surprise, quand je l'entendis ajouter l'insolence à la perfidie et l'audace à la trahison. Ici les prévarications s'entassent. D'abord, c'est sans congé qu'il a quitté son armée, comme s'il était permis à un général d'abandonner des soldats en présence de l'ennemi, comme s'il pouvait être assuré que, pendant son absence, l'arinée ne serait point compromise, comme s'il pouvait être certain que les ennemis ne feraient aucun mouvement à moins qu'il n'eut la prudence de se concerter avec eux. (Applaudissements des tribunes.) Que vient-il faire? Il vient vous dire qu'il a reçu un très grand nombre d'adresses de différents corps de l'armée, c'est-à-dire, en d'autres termes, qu'il a violé son devoir et la loi. S'il est vrai que la force publique soit essentiellement obéissante, et que nul corps armé ne puisse délibérer, pouvait-il recevoir des adresses des divers corps de son armée? ne devait-il pas faire punir ceux qui les lui auraient présentées, s'ils eussent persisté à violer la loi après qu'il la leur aurait rappelée ?

Non seulement il reçoit des adresses, que des soldats induits en erreur, se permettent contre le texte de la Constitution, mais même dans son ordre du 26 juin, il déclare qu'il reconnaît dans ces démarches, le patriotisme le plus pur, un témoignage de plus de dévouement à la Constitution. Ces adresses inconstitutionnelles, c'est lui-même qui les provoque, ce sont les agents qui l'entourent, qu'on voit parcourir les bataillons pour mendier des signatures. Ce fait, dirai-je, ou cette bassesse qu'on a vainement voulu nier, ce fait ost constaté par le témoignage même de divers officiers et soldats qui ont eu le louable courage d'invoquer la Constitution et de refuser de signer des actes qui la violent ouvertement.

Je vous rappelle la dénonciation qui vous fut faite le 7 de ce mois, par M. Boutidoux, capitaine dans l'armée de La Fayette, dénonciation dont je vous dirai que le rapporteur de votre commission des Douze, a totalement oublié de faire mention, sans que je veuille néanmoins juger ses intentions patriotiques avec plus de sévérité, qu'il ne veut que vous jugiez vous-mêmes celle de M. La Fayette (Applaudissements des tribunes.); dénonciation où M. Boutidoux vous déclare, que sollicité de signer une adresse d'adhésion à la pétition du général, il s'y est constamment refusé, la Constitution à la main, et que ce refus, qui eût dù ne lui mériter que des éloges, ne lui a attiré au contraire que des traitements si tyranniques qu'ils l'ont forcé à donner sa démission; dénonciation enfin, qui doit laisser d'autant moins de doute, que le pétitionnaire invoque le témoignage de neuf bataillons qui ont imité son refus, malgré les sollicitations et les intrigues du général.

C'est donc à dire, non seulement, qu'il tolère la violation de la loi, mais que c'est lui-même qui la provoque et qui n'a l'air de vouloir y mettre un terme, que lorsqu'il croit avoir conquis un assez grand nombre de signatures pour se constituer l'organe et le représentant de son armée, auprès du Corps législatif. Ne vous dit-il pas lui-même, dans sa pétition, ou plutôt dans son manifeste, qu'il a pris avec ses braves compagnons d'armes, l'engagement d'exprimer leurs sentiments communs?

Exprimer le vœu d'une armée? Une armée at-elle un vœu ? a-t-elle pu en émettre? lui a-til été permis de délibérer? Le général qui l'a

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A cette prohibition constitutionnelle se joint une loi du 29 novembre 1791, que je rappellerai encore à ceux qui, chargés de vous faire un rapport sur le compte de La Fayette, ne vous firent, le premier jour, qu'une indécente apologie, que la force de la vérité les contraignit de retracter le lendemain. Cette loi n'est pas équivoque; elle porte, article 4 de la section II :

« Toute délibération prises par les gardes nationales sur les affaires de l'Etat du département, du district, de la commune, même de la garde nationale, à l'exception des affaires expressément renvoyées au conseil de discipline est une atteinte à la liberté publique, et un délit contre la Constitution dont la responsabilité sera encourue par ceux qui l'auront présidée. »

Je demande si une armée entière n'est pas plus essentiellement force publique que la garde nationale d'une commune; si la délibération d'une armée entière n'est pas à la fois et plus criminelle et plus dangereuse, pour la liberté, que celle de la garde nationale d'une com

mune?

Eh bien, Messieurs, le général qui est venu porter à l'Assemblée nationale cette violation ouverte d'un article constitutionnel, ne s'est-il pas ouvertement rendu coupable du crime de lèse-Constitution, et il vient vous parler d'anéantir le règne des clubs, lui qui a transformé en club son armée entière! (Vifs applaudissements à gauche et dans les tribunes.) Et il ose invoquer les lois, lui qui les a toutes violées en faisant d'un grand corps une assemblée délibérante! Lui, qui a foulé aux pieds le seul principe, sans lequel il est impossible qu'il y ait de liberté chez aucun peuple, c'est que les armées ne peuvent jamais délibérer sur les affaires publiques, le seul principe, sans lequel tout gouvernement dégénère soudain, en despotisme militaire, parce que la force devient droit et l'obéissance nécessité... Il ne serait point coupable d'attentat contre la sûreté publique, le violateur ouvert du seul principe qui fonde et maintient la liberté. Ah! si pour être accusé il faut s'être abandonné à des attentats plus horribles, jamais il n'existera de scélérat assez insigne pour être atteint par la loi. (Applaudissements.)

Messieurs, si le premier attentat de ce genre, commis contre la liberté française, reste sans punition éclatante, la génération, qui naguère vit naître la liberté française, ne descendra point au tombeau sans y porter des pleurs et des fers. Des fers, oui, l'on en prépare et c'est La Fayette qui les forge. Ne vous rappelez-vous donc pas qu'il n'a semble paraître à votre barre que pour vous menacer de vous en couvrir: On a dit que ma lettre du 16, à l'Assemblée nationale, n'était pas de moi: on m'a reproché de l'avoir écrite au milieu d'un camp. Je devais peut-être pour l'avouer, me présenter seul et sortir de cet honorable rempart que l'affection des troupes formait autour de moi.

Te présenter seul... insolent conspirateur! (Applaudissements des tribunes.) Est-ce donc que tu pouvais te présenter autrement? Est-ce que tu pouvais marcher à la tête de ton armée, vers le saint et inviolable asile des représentants du souverain? Est-ce que tu pouvais te montrer précédé par des canons et entoure de baïonnettes? Est-ce qu'il n'a donc tenu qu'à toi de venir frapper et anéantir ces sénateurs impuissants, devant qui

tu veux bien, par condescendance te présenter seul?

Tu devais peut-être sortir de cet honorable rempart que l'affection des troupes formait autour de toi. Est-ce donc qu'aucune puissance humaine n'eût été capable de t'y atteindre? Est-ce que la loi même n'aurait pu te tirer de derrière ce rempart? Est-ce que s'il ne t'avait pas plu d'en sortir, pour nous braver, tu aurais pu y mépriser en paix et la voix de l'indignation publique et la justice du sénat français? Audacieux Catilina! serait-ce bien, réponds-moi, ce que tu as voulu nous dire? As-tu méconnu la grandeur des mandataires du peuple dans ta stupide folie, ou as-tu voulu braver leur puissance dans ton arrogante témérité? Ah!... Messieurs, si Catilina avait tenu ce langage au sénat de Rome, croyez-vous qu'il fût sorti du sénat comblé d'applaudissements ou frappé du glaive de la loi? (Applaudissements.) Aussi le sénat de Rome fut-il toujours grand et Rome longtemps libre.

Je me lasse de fixer mes regards sur des horreurs qui m'indignent. Laissez-moi passer sous silence les expressions révoltantes, soit de l'ordre du 26 juin, soit du discours lu à la barre. Le général craindrait que les offres énergiques des troupes particulièrement destinées à la défense des frontières, ne fussent traitreusement interprêtées par nos ennemis cachés ou publics; il suffit, quant à présent, à l'Assemblée nationale, au roi et à toutes les autorités constituées, d'être convaincus des sentiments constitutionnels des troupes.

Il suffit, quant à présent; mais si après que j'aurai paru dans le sanctuaire des lois, si, après que j'aurai parlé le langage altier d'un souverain aux représentants du souverain même, ils ne tremblent à ma voix, s'ils n'obéissent à mes ordres, alors vous accomplirez vos offres, j'effectuerai mes menaces, et malgré les imprécations et les anathèmes d'un sénat que je méprise, nous passerons le Rubicon. Déjà plusieurs se demandent si c'est vraiment la cause de la liberté et de la Constitution qu'ils défendent. Imposteur, tu les calomnies, ils ont pour tous leurs représentants une confiance que tu n'as pas; ils respectent les lois que tu violes, ils aiment leur patrie que tu déchires. Tu leur suppose les erreurs, les soupçons et les incertitudes dont tu voudrais les voir agités. Mais la fissentils en effet, la question que tu leur prètes, n'est-ce pas toi seul qui en serait la cause? Né leur as-tu pas dit toi-même qu'ils ne combattaient que pour une faction? Toi qui devrais les instruire, tu les égares, au lieu d'être leur général, tu n'es que leur corrupteur.

C'est sous ce point de vue que je vous dénonce La Fayette; je le dénonce comme employant toutes sortes de moyens pour aveugler, pour tromper, pour séduire les soldats; j'atteste, sur le témoignage rendu par un officier général au maréchal Luckner même que La Fayette a fait distribuer à son armée pour 10,000 francs d'eaude-vie. Qu'on juge des vues d'un général si prodigue envers des soldats, des moyens d'égarer la raison.

Enfin, Messieurs, il est un fait..... Je n'osais presque pas l'écrire; les caractères même que je traçais me semblaient ensanglantés..... le bandeau doit tomber des yeux de tous les hommes de bonne foi, qui sont ce que je fus moi-même, dupes du plus odieux des traîtres, idolâtres du plus vil des hommes.

Pouvez-vous vous défendre d'un frémissement d'horreur! La Fayette a voulu faire marcher les

troupes vers la capitale, et engager le brave Luckner qui a été inébranlable, à partager cet acte de scélératesse et de haute trahison. La proposition en a été faite à Luckner par M. BureauPuzy. J'invoque ici le témoignage de six de mes collègues auxquels cet exécrable projet a été révélé en même temps qu'à moi. Ce sont, MM. Brissot, Guadet, Gensonné, Lamarque, Delmas et Hérault de Sechelle. (Rires ironiques à droite, applaudissements des tribunes.) Je demande qu'on interpelle le maréchal Luckner lui-même et s'il reste le moindre doute sur l'exécration inouïe dont j'accuse ici La Fayette d'avoir voulu se rendre coupable, je consens à être moi-même aussi vil, aussi coupable, aussi sévèrement puni, aussi exécré que ce traître dont le nom seul me fait frémir!..... (Applaudissements.)

Faut-il la moindre réflexion pour vous montrer ici le plus affreux des crimes? N'est-il pas superflu de vous dire que si le brave Luckner n'avait été ferme à son poste et fidèle à la loi, le sang des citoyens de Paris aurait coulé sous le fer de leurs frères d'armes trompés, que le temple de la loi aurait été violé, que la statue de la liberté aurait été couverte d'un crèpe funèbre et que La Fayette aurait été pour la seconde fois l'assassin de son pays! (Applaudissements des tribunes.)

Cet homme, dont l'impudence seule égale la scélératesse, a osé dire qu'on ne lui disputerait pas de bonne foi l'amour de la liberté. Lui! l'amour de la liberté! Cromwell, aussi parlait sans cesse de l'amour de la liberté et répétait souvent le mot république, comme La Fayette le faisait en 1791. L'amour de la liberté dans le cœur de La Fayette! et il ose défier qu'on lui dispute cette vertu Eh bien! c'est moi qui accepte le défi qu'il a le front de faire à ses concitoyens, cet homme encore couvert du sang des victimes du Champde-Mars, c'est moi qui l'accuse d'être le plus horrible ennemi de la liberté et de la patrie!

Qu'on ne vienne pas me parler des désordres que pourrait produire dans l'armée la proscription de son général. On insulte des soldats citoyens, ils savent qu'ils avaient une patrie avant qu'on leur donnât un chef, ils savent qu'ils étaient libres, avant qu'ils fussent commandés. Le législateur se déshonore quand il voit autre chose que les principes, là où les principes cèdent, il n'y a qu'anarchie et dissolution. Qu'on ne vienne point m'étaler avec une pompe mensongère des services rendus jadis à la liberté par le héros des deux mondes... Lâches idolâtres, parce que vous avez cru quelque temps encenser une divinité, resteriez-vous encore courbés, quand vous voyez que ce n'est qu'une idole! Quand vous avez puni les soldats qui s'étaient rendus coupables à Tournai, à Mons et à New-Brisach, vous avez calculé les fatigues qu'ils avaient jadis essuyées, les dangers qu'ils avaient bravés, les blessures qu'ils avaient reçues, les ennemis qu'ils avaient vaincus? Et quand il serait vrai que Manlius eut sauvé le Capítole, si Manlius trahissait sa patrie en devait-il moins être précipité du roc Tarpéien. (Applaudisements des tribunes.) La Fayette n'a pas eu la gloire de sauver sa patrie et il a la bassesse de la trahir, je l'en accuse hautement.

Je l'accuse devant vous, à la face de l'univers, d'avoir voulu perdre l'Assemblée des représentants du peuple, en la peignant, d'un côté, comme une faction d'ambitieux usurpateurs; de l'autre, comme une masse d'hommes lâches et méprisables en l'accusant d'avoir violé la justice, l'égalité civile, la liberté religieuse, et les príncipes

les plus sacrés. Je l'accuse d'avoir tenu le même langage que les ennemis de la patrie, comme pour les avertir qu'il ferait cause commune avec eux. Je l'accuse d'avoir sans congé abandonné une armée en présence de l'ennemi, et d'avoir compromis, par là, le sort de nos armes. Je l'accuse d'avoir violé ouvertement la Constitution, en recevant des adresses de la part des corps armés qui sont sous ses ordres, en provoquant par le ministère de ses agents, de telles violations de la loi, en transformant son armée en assemblée délibérante, en venant en apporter le vœu à l'Assemblée nationale avec le ton le plus menaçant. Je l'accuse d'avoir fait faire à ses soldats d'excessives distributions de boissons capiteuses, afin de surprendre leur bonne foi ou de corrompre leurs coeurs, après avoir égaré leur raison. Je l'accuse enfin d'avoir voulu faire marcher contre la capitale des forces qui ne lui ont été confiées que pour repousser les ennemis de l'Etat.

Je n'ai plus qu'un mot à ajouter le gouvernement militaire vous attend, il y a longtemps qu'on vous entraîne à votre insu vers ce genre de despotisme: si vous ne frappez aujourd'hui le premier général rebelle, demain vous avez des tyrans. Je déclare que si La Fayette échappe au glaive de la loi, l'Assemblée nationale n'est pas digne de sa mission, et qu'elle se déshonore par une timidité, une faiblesse, une lâcheté coupable qui compromettent le sort de la liberté.

Le jour où vous absoudrez La Fayette, vous sonnerez la Saint-Barthélemy de la liberté universelle, vous couvrirez son génie d'habits de deuil; vous consacrerez que les nations, mêmes les plus puissantes, sont faites pour devenir tot ou tard, le jouet des intrigants ou la proie des conspirateurs. Ce jour-là vous prendrez un diplôme impérissable pour survivre aux siècles; mais vous ne les traverserez que couverts de honte, et vous n'arriverez chez les nations futures qu'accompagnés par le mépris. Donnez la loi ou subissez-là. Soyez debouts devant la nation ou à genoux devant La Fayette. (Applaudissements.)

Pour moi, Messieurs, en démasquant un traitre j'ai servi mon pays, si j'obtiens sa punition, j'aurai sauvé ma patrie, si mes efforts sont impuissants, je n'en aurai pas moins acquitté le tribut que je devais à ma conscience. Le premier de tous mes vœux comme de tous mes serments est celui de vivre libre. Que m'importe de m'être exposé à la haine des courtisans, aux calomnies des libellistes, aux proscriptions des tyrans et aux poignards des assassins.

Je demande que M. La Fayette soit mis en état d'accusation.

Plusieurs membres : L'impression!

D'autres membres: La question préalable! M. le Président consulte l'Assemblée. (L'Assemblée décide qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'impression. (Vives réclamations à gauche.)

MM. Duhem et Albitte se portent vers le bureau et parlent avec précipitation dans le tumulte.

M. Merlin. Monsieur le Président, nous ne voulons plus être en butte à la mauvaise foi.

M. Choudieu. Je demande à parler contre le bureau, pour prouver à l'Assemblée nationale le danger qu'il y aurait à laisser prononcer par un bureau qui n'a pas votre confiance. (Vifs mur

mures à droite et au centre; applaudissements des tribunes.)

Plusieurs membres se lèvent et crie: A l'abbaye! M. le Président. Du moment où le bureau est inculpé, je crois qu'il est de mon devoir de céder le fauteuil, ma délicatesse et la justice l'exigent; je demande à monsieur le vice-président de venir me remplacer.

Un grand nombre de membres : Non, non!

M. Delacroix. Lorsque, par incommodité ou pour un autre motif, vous vous absentez, Monsieur le Président, je dois vous remplacer. Mais il n'est pas question de vous dans ce vote, vous n'êtes pas inculpé directement, mon devoir est de rester à mon banc de député.

M. Kersaint. Je demande à faire une motion d'ordre. L'inconvénient qui se fait sentir tous les jours dans l'épreuve de nos délibérations, résulte d'un abus que vous devez réprimer sévèrement. Nous sommes tous ici pour opiner suivant notre conscience et sans aucune considération personnelle. On ne peut voir sans douleur un grand nombre de membres s'abstenir de délibérer dans toutes les questions délicates. Je crois que personne ici n'a le droit de ne pas délibérer; on doit ou donner sa démission ou faire son devoir, et je demande que l'Assemblée ajoute à son règlement une loi pénale contre ceux qui ne voteront pas.

M. Choudieu. J'ai dit que le bureau n'avait pas la confiance de l'Assemblée et je le prouve par ce qui est arrivé hier et par ce qui arrive aujourd'hui.

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

M. Vincens-Plauchut. Je demande à parler contre M. Choudieu.

Les mêmes membres : L'ordre du jour!

M. Choudieu. Je dis, Messieurs, que lorsque l'Assemblée nationale voit de pareils abus, lorsque le vœu de la majorité dépend de trois hommes, car il est possible que le bureau soit divisé d'opinions, je dis que vous devez remédier à cet abus dont nous avons déjà eu plusieurs exemples; et, à cet effet, je demande, comme M. Kersaint, qu'il y ait une loi, non pour obliger de voter, mais pour que le vœu de l'Assemblée soit bien connu. A cet effet, je demande que toutes les fois que 50 membres de l'Assemblée demanderont l'appel nominal, il ne puisse être refusé. (Applaudissements à gauche.)

M. Rouyer, secrétaire. Je demande la parole pour répondre.

M. le Président. On fait la motion...

M. Rouyer, secrétaire. Vous ne pouvez pas me refuser la parole, Monsieur le Président, sans la plus grande des injustices.

M. Vincens-Plauchut. Je demande la parole contre M. le Président.

M. Rouyer, secrétaire. Je commence par interpeller celui de mes collègues qui était à mon côté et qui doit avoir entendu que mon intention était de voter pour l'impression. Cependant je déclare que j'ai dit à M. le Président que la question préalable contre l'impression avait obtenu la majorité, parce que je ne sais pas ce que c'est que de mentir à mon cœur et à ma conscience; et je déclare hautement que s'il y a un membre de l'Assemblée qui veuille exposer sa tête pour une seconde épreuve, je m'en rapporte à la probité de ceux qui ne se sont point levés

et qui ne se lèveront point encore, et je les interpelle d'assurer la vérité du fait. Je suis persuadé que la question préalable a obtenu une majorité de plus de 50 voix. (Applaudissements à droite et au centre; murmures à gauche.)

Plusieurs membres: L'ordre du jour!

M. Lejosue. je demande que l'épreuve soit renouvelée et que M. le Président invite tous les membres de l'Assemblée à prendre part à la délibération.

Plusieurs membres: L'ordre du jour! (Murmures.)

M. le Président. Je mets aux voix la motion de M. Choudieu.

D'autres membres: La question préalable! (L'Assemblée déclare qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la proposition de M. Choudieu.)

M. Vergniaud, au nom de la commission extraordinaire des Douze, présente un projet de décret tendant à déclarer au roi que le salut de la patrie lui commande impérieusement de recomposer le ministère; il s'exprime ainsi :

Messieurs, votre commission extraordinaire m'a chargé, à l'unanimité, de présenter à l'Assemblée le projet de décret suivant:

« L'Assemblée nationale, considérant que, depuis longtemps, les ministres ont déclaré qu'ils ne croyaient pas pouvoir servir utilement la chose publique, qu'en conséquence, ils ont donné leur démission;

« Considérant qu'une pareille déclaration de leur part a dû alterer, dans toutes les parties de l'Administration, la confiance sans laquelle il est impossible d'assurer le succès de nos opérations, qu'elle peut même nuire à l'harmonie, qu'il est si important, et que l'Assemblée nationale est jalouse de maintenir entre les deux pouvoirs;

« Considérant que, dans les circonstances graves où se trouve la nation, la mésintelligence entre les autorités constituées, le moindre embarras dans l'exécution des moyens de défense, les plus légères fautes, ou même l'inaction la plus instantanée du pouvoir exécutif pourraient nous conduire aux revers les plus funestes;

« Déclare au roi que le salut de la patrie commande impérieusement de recomposer le ministère, et que ce renouvellement ne peut être différé sans un accroissement incalculable des dangers qui menacent la liberté et la Constitution.

« Décrète que le présent acte sera porté dans le jour au roi. »

(L'Assemblée adopte le projet de décret.) (On nomme les commissaires pour porter le décret au roi.)

M. le Président. Voici une lettre que je reçois du roi :

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encore, distribuait, à tous ceux qui en voula; nt, des imprimés ou l'on faisait l'apologie de La Fayette. (Murmures.)

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

On reprend la discussion sur la pétition du gẻnéral La Fayette.

M. Dumolard. Messieurs, (1) avant d'ouvrir une opinion qui peut compromettre l'honneur ou la vie d'un accusé, la première obligation d'un juge est de se fixer invariablement sur la nature et l'espèce du délit. L'innocence serait cruellement exposée, si par des faits controuvés, des circonstances étrangères, des soupçons vagues, des rapprochements perfides, il pouvait être permis d'enfler au hasard les chefs d'accusation. Fidèle aux principes ainsi qu'à la mission dont il était chargé, M. Muraire à précisé dans son rapport le véritable objet de la discussion qui nous occupe, et le devoir de tous les orateurs est d'imiter son exemple.

On fait deux reproches à M. La Fayette; le premier d'avoir quitté son poste sans l'autorisation préalable du ministre de la guerre; le second, de vous avoir présenté une pétition qui, par sa nature, et surtout par le caractère public de son auteur, semble destiné à maîtriser, s'il était possible, les délibérations du Corps législatif.

Je vais examiner le premier reproche et je suppose d'abord que M. La Fayette soit arrivé dans la capitale sans un ordre ou sans un consentement exprès du ministre.

M. Daverhoult vous avait sagement observé qu'un général qui se rend auprès de ses supérieurs naturels pour conférer sur les besoins de ses troupes, sur l'exécution d'un plan de campagne, ou sur tout objet qui touche au succès de nos armes, n'est pas plus coupable que le chef d'un détachement, qui, pour les mêmes motifs, se rend auprès de son général. Il est des circonstances où le salut de l'armée et celui de l'Empire, ne permettent pas de retarder une conférence indispensable; et, jusqu'à ce jour, il n'était tombé dans l'esprit de personne de regarder cette démarche comme une désertion.

Parmi les raisons qui ont conduit M. La Fayette à Paris, il en est deux qui nous sont connues, et que nous pouvons apprécier. Nous savons tous combien sa brave armée a souffert par le défaut d'approvisionnements. M. La Fayette est venu pour éclairer les ministres actuels et ranimer leur activité. (Rires à l'extrême gauche.) D'un autre côté, les événements du 20 juin avaient produit dans les cœurs des officiers et des soldats une fermentation bien naturelle sans doute, mais dont les suites pouvaient devenir dangereuses. Le voyage de M. La Fayette était encore nécessaire pour calmer leurs inquiétudes, et détruire ainsi les espérances de nos ennemis. (Rires ironiques à gauche.) Ce voyage d'ailleurs ne pouvait compromettre la sûreté de nos frontières, puisque les mesures étaient si bien prises, si bien combinées, qu'en l'absence du général, les Autrichiens ont été punis par une défaite, de leur imprudence et de leur témérité.

Si j'examine maintenant la question sous son véritable point de vue, je demanderai où est la preuve que M. La Fayette n'avait pas l'autorisation du ministre ?

Au roi seul appartiennent le choix et la révocation des généraux. Au roi seul appartient la

(1) Bibliothèque nationale Assemblée législative Pétitions, tome II, L.

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