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Considérant ensuite la loi proposée comme une loi de morale, M. Agier insistait sur la nécessité de faire cesser le scandale de la confiscation révolutionnaire, et la différence ou l'inégalité qu'elle perpétuait malgré l'assurance donnée par la Charte, entre deux natures de propriété qu'elle avait voulu confondre.

Comme loi politique, c'était à ses yeux le seul moyen de réconciliation praticable.

« Au moment de l'arrivée da Roi, ajoute l'orateur, on avait exprimé le vœu renouvelé par quelques personnes, dans ces derniers temps, de donner au Roi une somme suffisante pour qu'il pût distribuer lui-même les indemnités aux émigrés. Cette manière de procéder est impraticable, et serait contraire aux lois qui nous régissent; car alors l'indemnité serait donnée par voie de grâce, et non par voie de justice. Aussi le Roi, voulant que l'émigré dùt tout à la loi et rien à la faveur, le Roi ne poavant être médiateur, mais voulant être juste, n'a pris dans la proposition que la part de l'initiative.

« Mais, pour que cette transaction produise tous ces effets, il faut qu'elle soit claire, précise, sans réticence; il faut qu'on sache quand et où elle commence, quand et où elle finit; il faut qu'elle donne satisfaction aux émigrés? sécurité aux acquéreurs. Satisfaction aux émigrés? Qui de nous ne voudrait la leur donner tout entière? Mais qu'on fasse tout le possible, mais, si on ne peut leur donner que 30 millions de rente, si on annonce que c'est 30 millions que l'on consacre à l'indemnité, que ces 30 millions soient donnés sans restriction. Garantie aux acquéreurs? Ils en ont une au dessus de toutes les autres, car ils ont la parole de deux rois de France. La transaction est donc toute entre l'état et les émigrés; elle est demandée par la morale et la propriété, qui se prêtent un mutuel secours; par la justice et la politique, qui devraient toujours, pour le bonheur des peuples, se trouver d'accord, comme dans cette circonstance; car la justice est la grande politique et la vraie force des sociétés et des gouvernemens.»

Passant aux moyens d'exécution, M. Agier trouvait trop long le tems assigné à la durée de l'opération; quelque danger extérieur pourrait nous surprendre au milieu de cette opération; il lui semble qu'on pourrait en réduire le terme à trois ans; enfin, sauf l'art. 1er, auquel il proposait un changement de rédaction, l'art. 2 qu'il ne pouvait accepter, et l'art. 7 sur lequel il appuyait l'amendement de la commission, l'honorable orateur votait pour le projet.

Quelques voix s'étant élevées pour demander l'impression du discours, d'autres la réclamèrent aussi en faveur de celui de M. Labbey de Pompières; mais quelqu'un fit observer que la loi en discussion ne devait pas être considérée comme une loi de finance, et l'assemblée consultée décida qu'aucun des discours ne serait imprimé aux frais de la Chambre.

Annuaire hist. pour 1825.

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M. Méchin, alors appelé à la tribune, commence par observer que si la loi n'avait à ses yeux qu'un caractère politique, si elle ne s'offrait que comme la suite et le complément de la loi du 5 décembre 1814, il serait moins embarrassé de développer en pleine liberté ses moyens d'opposition.

« Mais votre commission, dit l'honorable orateur, a bien changé la face des choses. C'est dans le droit qu'elle plante les racines de la loi. Les anciens propriétaires, pour elle, n'ont jamais cessé de l'être, puisqu'elle admet en principe que, sans égard à leur mort civile, ils ont pu, par des testamens ou des dons entre-vifs, transmettre et léguer les propriétés confisquées sur eux, en vertu des lois en vigueur, et dont la possession a été confirmée irrévocablement aux détenteurs actuels par la Charte.

« Ainsi donc, tandis que la Charte convertit le fait en droit, en lui donnant la sanction de la légitimité, votre commission rétablit entre les mains du propriétaire ancien, le droit consacré par la Charte en faveur du propriétaire

nouveau.

« Je doute fort que l'une et l'autre partie soient satisfaites de la question ainsi résolue. Elle ne remplit pas l'attente de celui qui veut recouvrer; elle ne donne pas sécarité entière à celui qui veut conserver. Sous ce premier rapport, la loi manque son but essentiel.

« Le droit est inflexible de sa nature; il est, comme on l'a fort bien dit, le souverain légitime du monde, et toute transaction avec le droit ne finit rien, ne consolide rien. Mais de quel côté est le droit? Telle est la véritable question si imprudemment élevée, et que le malheur de notre mission nous forcera à examiner.

« La loi, dit-on, rendra à l'acquéreur des biens confisqués la considération qui le fuit, et la nation, au moyen des dommages et intérêts qu'elle va payer, sera absoute de la révolution. Le mot n'est pas trop fort; il révèle le fonds de bien des pensées.

C'est donc un procès qu'on intente; la gloire militaire et la gloire industrielle sont mises en cause; la France intérieure est appelée à compter avec ce qu'on a long-temps nommé la France extérieure. Il y a procès, puisqu'il y a défendeur et demandeur, puisque l'issue du procès est une condamnation à la somme d'un milliard...

Vous êtes juges dans ce grand débat. Juge, ma première pensée a dû être d'examiner ma position personnelle. Je ne suis ni détenteur de biens confis. qués, ni prétendant à l'indemnité. Je puis donc prendre place.

S'il en était autrement, reprend l'orateur, je m'abstiendrais. Produit des élections de 1824, député septennal par l'effet de ma propre délibération, je ne voudrais pas que ma boule, tombant dans l'urne, se changeât pour moi en un coupon de rentes, et je craindrais qu'on dît de nous un jour ce que Pascal met dans la bouche d'un proviseur de Sorbonne « Nous avons fait entrer tant de cordeliers, tant de cordeliers, qu'enfin nous l'emporterons; car il est plus aisé de trouver des cordeliers que de bonnes raisons.

L'honorable orateur jetant un coup d'œil sur les causes et les malheurs de la révolution, recherche qui l'a provoquée, qui l'a rendue inévitable, qui l'a demandée, qui l'a faite. Il observe le dé

ficit de 56,000,000 refusés par le privilége qui en a appelé aux états généraux, que cette révolution offerte à la nation par le privilége, fut acceptée par elle, que la nation est demeurée victorieuse.

A-t-on le droit de l'en punir..., s'écrie - t - il, jusqu'à ce qu'on ait prouvé aux hommes que l'affranchissement du sol, l'égalité devant la loi, l'égalité de l'impôt, la liberté du commerce et de la pensée, ne sont pas des biens inappréciables, qu'il soit permis de croire qu'il a été désirable et permis de les défendre...

La lutte fut longue et terrible entre ceux qui tentèrent de les reprendre et ceux qui versèrent des flots de sang pour les garder. Les uns et les autres reçurent des blessures profondes dans le combat; elles saignent encore: qui des deux partis a droit de réclamer le premier appareil? ou doit-il en coûter un millard, à 29 millions de Français pour avoir voulu ce que repoussaicnt 50 mille...? « C'est à ceux qui l'ont vaincu que le privilége demande des réparations et des indemnités; c'est à ceux auxquels il a fait trente ans la guerre, qu'il demande d'oublier en sa faveur leurs propres maux, et de ne penser qu'à lui aux jours de la paix et de la réparation... Certes, il n'est aucun de nous qui n'ait compati à de grandes infortunes. Ceux qu'elles ont atteints nous touchent par mille lieux, par mille rapports. Guerriers, magistrats, hommes privés, nous nous sommes empressés d'offrir des services et des consolations à ceux-là même dont nous ne partagions pas la foi politique; il y a vingt-trois ans que s'est levée pour eux cette barrière insurmontable qui les séparait de nous. Impatiens de ne compter que des frères dans les amnisties de la politique, nous leur avons ouvert nos rangs. Si je lis les almanachs du consulat et de l'empire, je trouve dans les palais comme dans les armées, dans l'administration comme dans la politique, les noms les plus historiques de l'ancienne monarchie, confondus avec ceux des vainqueurs de Marengo et d'Austerlitz? Je vois siéger dans les mêmes conseils, dans les mêmes cours et sur les mêmes bancs, les anciens interprètes des coutumes de France, à côté des rédacteurs du Code civil.

Ces nobles sentimens, ces heureux rapprochemens du passé avec le présent, me garantissent que tous nous nous serions empressés d'accroître les moyens de la magnificence royale, s'il ne se fût agi que de secourir les derniers et constans compagnons des infortunes du monarque.

Mais quel immense chemin l'on a parcouru depuis les douze millions de rentes demandés par l'un des chefs de notre vieille et généreuse armée (le maréchal Macdonald), depuis les restitutions de 1814. »

C'est à titre de droit que l'on réclame; c'est à titre d'impôt qu'on exige... c'est enfin une confiscation mobiliaire que nous révèle le second projet de loi, et qu'on veut substituer à une confiscation immobiliaire.

A ce sujet, l'honorable orateur regarde la confiscation comme une tradition de l'ancien régime, et dont les lois sur l'émigration sont elles-mêmes comme une portion de son funeste héritage... Il en cite plusieurs exemples; ils observe d'ailleurs que la jurisprudence de tous les peuples a puni de la confiscation les sujets armés contre leur pays.

<< Trouvons-nous dans l'histoire que les biens confisqués aient jamais été restitués ? Non, dit l'orateur, parce qu'ils devenaient sur-le-champ la proie des courtisans et des favoris. On sait qu'on sollicitait la dépouille d'un proscrit. à l'ail de bœuf comme sur la place, les confiscations avaient un cours public...

Revenant à la question, M. Méchin rappelle que la révolution a fait bien d'autres victimes que les émigrés; les bourgeois tués à Paris sur les marches du trône, et à Lyon les rentiers dépouillés des deux tiers de leur fortune, les marchands ruinés par le maximum, les armateurs par les réquisitions, les magistrats dépouillés de leurs charges, tous les citoyens sortis mutilés de nos désordres civils, n'ont pas reçu des blessures moins douloureuses que les émigrés.

« La raison d'état, dit-on, veut que par une grande leçon on recommande le respect dû à la propriété...» Mais par la propriété, faut-il entendre de préférence la possession du fonds de terre? At-elle une supériorité réelle sur la propriété mobiliaire... L'orateur ne le pense pas; l'un et l'autre, également respectables à ses yeux, ont un droit égal aux mêmes avantages.

Je sais tout ce qu'on a dit sur la propriété telle qu'elle est maintenant en France. La discussion n'est pas ouverte sur cette question; mais quand je vois, sous le système ancien de l'immobilisation, une agriculture chétive, une industrie à peu près nalle, des finances épuisées, la pauvreté de la masse, la décroissance de la population, et que des phénomènes contraires éclatent sous l'ordre nouveau, il faut bien que je lui en attribue le mérite, et les effets me démontrent la cause.

Il y a vingt-trois ans que les restitutions ont commencé pour l'émigration; qu'à peu près à cette époque, sur vingt mille propriétaires dont se composaient les colléges électoraux de département, quatorze mille appartenaient directement ou indirectement aux anciens ordres privilégiés, ce qui fit confier au sénat le choix définitif des députés; l'émigration ne tarda pas à entrer en participation très ample des faveurs du gouvernement d'alors; en 1814, 9,330,000 fr. de revenus ont ajouté à ces motifs de consolations; toutes les dignités, tous les emplois se sont accumulés sur elle, elle a chassé du bureau le plus obscur plébéien dont la place lui a convenu. (Murmures à droite.) Dans le budget annuel du personnel, elle compte pour 68,000,000 de traitement; la liste civile s'est épuisée pour elle; elle figure au moins pour un quart au livre des pensions; et je me demande si c'est enfin pour l'émigration telle qu'elle est aujourd'hui, que je dois imposer un millard aux autres infortunes.

Si le privilége persiste à revendiquer de la nation ce qu'elle appelle un droit, pourra-t-il s'offenser qu'un jour la voix de cette vieille armée, à qui l'on vient de porter de si sensibles coups, et qui a élevé si haut la gloire du nom français se fasse entendre ?

Un millard aussi lui avait été promis. Cette lettre de change, tirée sur l'ennemi, fat acquittée par cent victoires. Ce n'est point sur la patrie épuisée qu'elle avait

fondé sa fortune nouvelle, mais sur la conquête, à l'exemple de nos pères, lorsque sortant des forêts du nord, ils envahirent les Gaules. Des traités solennels et consommés la lui garantissaient. Elle a tout perdu, sans fatiguer l'Europe et la France de ses plaintes...

Disposé à seconder les vues de S. M., s'il ne s'agissait que de leur fournir un supplément de moyens pour soulager les plus malheureux entre les fidéles compagnons de son exil, je puis consentir à un système général d'indemnité qui anrait, selon moi, le double résultat d'humilier la nation dans sa gloire et ses souvenirs, et de semer en faisant peu d'heureux, d'innombrables mécontentemens... Je rejette le projet de loi.

M. Dupille, appelé après M. Méchin à la tribune, considère la question surtout sous le rapport de la justice et de l'honneur français. A ce qu'on avait reproché à la majorité de la Chambre d'être juges et parties dans cette affaire, il répond que la qualification d'émigrés ne leur a ôté ni l'honneur ni la loyauté : que d'ailleurs lors de l'élection des députés qui ont formé la Chambre septennale, il était notoire que la France entière s'attendait à ce que la loi d'indemnité serait présentée, et que si la majorité des électeurs en avait remis la décision à l'opinion des émigrés, c'est qu'elle les en avait jugés dignes; c'est que la loi était elle-même le vœu de la majorité de la France. En résumé, l'honorable orateur, reconnaissant les difficultés du mode de répartition, acceptait celle de la commission comme le plus équitable, et regardait la loi comme dictée par la justice et l'honneur, et d'une politique rassurante pour tous les Français.

M. de Lezardière qui parla ensuite contre le projet, en défendait pourtant le principe. Membre de la commission, son opinion n'avait pas été celle de la majorité sur plusieurs points importans.

« Le Roi, dit l'honorable membre, a défini admirablement ce que devait être la loi d'indemnité quand il l'a appelée mesure de sagesse et de politique. Il faut en effet qu'elle réunisse ces deux caractères, et elle ne peut avoir l'un sans l'autre.

« Il est à la fois juste et politique de rendre une propriété aux émigrés. Rappelons-nous pourquoi et comment elle leur fut ravie; rappelons leur titre an respect de la génération présente et des générations futures. Parlons aujourd'hui, comme parlera l'histoire, du dévoûment le plas héroïque, des plus nobles malheurs dont les annales des nations nous aient transmis la mémoire. Attaquons de front la principale objection par laquelle on a voulu ternir la gloire des émigrés, incriminer leur conduite: ce sera défendre le principe du projet de loi. »

On a dit, on a répété qu'en aucun cas il n'est permis de s'unir à l'étranger, d'appeler dans son pays ses phalanges. On ne peut appuyer ces déclamations usées que sur le dogme de la souveraineté du peuple, dogme usé, si je peux

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