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rêt doit être demandé, non aux impôts, mais au crédit; non par un emprunt qui enlèverait une partie des avantages, mais par une émission de rentes au profit de ceux à qui l'indemnité est dévolue.

Le projet de loi tend donc à créer, en leur faveur, des rentes nouvelles. Ces rentes représenteront un intérêt de 3 au capital de 100.

« Dégagé des contributions et de toutes les charges diverses qui pèsent sur la la propriété immobilière, un revenu de 3 pour 100 offre au propriétaire, devenu rentier, un dédommagement équitable; et ce n'est pas à ceux qui ont attendu si long-temps sans murmurer et sans plainte, qu'il sera nécessaire de faire remarquer qu'il s'agit pour le pays de reconnaître près d'un millard de capital, et de créer 30 millions de rentes.

Il vous est donc proposé, Messieurs, d'autoriser l'émission de 30 millions de rentes à 3 pour 100, et par cinquième, en cinq ans. »

Ici le gouvernement justifiait les dispositions du projet en ce qui concernait les individus appelés à recueillir l'indemnité et les règles à suivre pour la liquidation. On n'entrera point dans des détails sur ces articles qui n'ont souffert que peu d'altération (V. l'Appendice), et qui se reproduiront d'ailleurs à la discussion. Il nous suffit d'observer que le projet admettait au bénéfice de l'indemnité les familles de déportés et condamnés dont les biens avaient été vendus, qu'il conservait aux hospices les biens d'émigrés qui leur avaient été définitivement affectés, et qu'il consacrait les droits des créanciers porteurs de titres antérieurs à la confiscation, mais seulement pour le capital de leurs créances.

• Tel est, dit M. de Martignac en terminant, cet exposé, tel est, dans son ensemble et dans ses détails, le projet de loi que nous venous soumettre à votre examen... Simple dans son principe comme la justice et la vérité, le grand ouvrage auquel vous êtes appelé à concourir offrait dans son exécution des difficultés réelles que nous n'avons pas cherché à vous dissimuler.

Le Roi compte, Messieurs, pour les aplanir, sur le concours de vos lumières et de votre patriotisme. Un acte de justice destiné à réparer de grands maux, une œuvre de paix et de conciliation propre à effacer les traces de nos divisions intestines, doit trouver en vous des appuis.

C'est le dernier vœu du monarque législateur dont la France chérit et vénère la mémoire.

C'est, vous l'avez dit, un legs pieux dont il a chargé son héritier, et que le Ro. ous propose de reconnaître et d'acquitter avec lui. »

Tandis que la commission spéciale chargée d'examiner le projet, s'en occupait avec ardeur, il s'élevait contre ce projet des critiques de toute espèce et à toute occasion, des réclamations non moins embarassantes que des critiques. Dans une foule de pétitions adressées aux deux Chambres, on demandait d'étendre le bienfait de l'indem

nité à tous ceux qui avaient souffert des malheurs de la révolution, c'est-à-dire aux rentiers dépouillés des deux tiers de leurs créances sur l'état, aux marchands ruinés par le maximum, aux anciens magistrats qui n'avaient pas accepté le remboursement de leurs charges, aux Vendéens, à tous les habitans des pays ruinés par la guerre, aux membres de la Légion-d'Honneur privés d'une partie de leur traitement de 1814 à 1821. C'est à cette occasion que le général Foy demandait dans une de ses improvisations si piquantes, qu'au moment du splendide festin qu'on allait servir aux émigrés, << on laissât du moins tomber de la table quelques miettes pour de « vieux soldats, pour des soldats mutilés qui avaient porté jusqu'au << bout du monde la gloire du nom français. » (Séance du 26 janvier.)

«

Toutes ou la plupart de ces pétitions étaient, on s'en doute bien, vivement soutenues par les orateurs de l'opposition, et elles faisaient déjà pressentir les difficultés et les résistances que le projet trouverait dans la discussion. Quoique écartées par l'ordre du jour, elles n'en étaient pas moins recueillies par la commission, et il n'est pas douteux qu'elles n'aient eu quelque influence sur divers amendemens introduits dans le projet.

Son rapport, impatiemment attendu, fut fait dans la séance du II févier par M. Pardessus.

Il commençait par exposer, comme l'orateur du gouvernement l'avait fait, l'historique ou le tableau des proscriptions, et surtout des confiscations révolutionnaires..... et prenait de là occasion de répondre à la principale objection déjà soulevée par les pétitions adressées à la Chambre.

• Obligée, dit l'honorable rapporteur, de choisir entre des désastres qu'elle voudrait réparer tous, afin que la mémoire en fût abolie pour tous, la société doit arrêter naturellement ses regards sur un malheur qui a réuni tous les autres ensemble, la confiscation des biens des proscrits: non-seulement parce que cette confiscation accumulait sur celui qui en était frappé et sur sa famille l'universalité des pertes qui n'ont été supportées que partiellement par les autres citoyens; non-seulement parce que le prix des biens confisqués a servi à supporter des charges auxquelles on n'aurait pu parer que par d'autres taxes et d'autres moyens de finances révolutionnaires; mais surtout parce que la violation du droit de propriété est le plus grand des attentats dans l'ordre civil, celui qui met la société dans le plus imminent péril, puisqu'elle n'a jamais lieu que sous le despotisme et l'anarchie.

C'est pour constituer et garantir la propriété que la société existe, et l'on peut dire qu'elle est dissoute partout où la propriété cesse d'être respectée. La loi a dit : Tu ne tueras pas, et elle a dit aussi : Tu ne dépouilleras personne. C'est lorsque, s'arrogeant le droit de vie et de mort, de prétendus législateurs, installés sur les débris du trône, violèrent le premier de ces préceptes, en créant la mise hors la loi, par des proscriptions, des assassinats permanens, qu'ils se crurent le droit de violer le second; et quand l'horreur générale a fait justice de l'une de ces violations, l'autre mériterait-elle plus de respect ou de ménagemens !

« On est donc amené par la force des principes à reconnaître que de tous les malheurs cansés par la révolution, la confiscation est le principal, celui peut-être qui eût exigé le plus impérieusement d'être réparé; mais ne doit-on pas en conclure aussi que toute confiscation doit être réparée, et que la loi qui choisirait parmi les victimes d'une mesure également funeste, également odieuse, ne laissant aux uns que les consolations d'une stérile pitié, et rétablissant les autres, si ce n'est dans l'intégralité, du moins dans une grande partie de leur fortune, accuserait elle-même d'injustice?

Au premier examen du projet, votre commission n'a pu se dissimuler que, relativement aux biens-fonds dont la révolution a confisqué l'actif, elle n'avait pas dû attendre les divers pétitions que vous lui avez renvoyées pour faire valoir le juste intérêt qu'inspirent ceux qui vous ont adressé leurs réclamations; mais fixée sans cesse, ainsi que vous le serez peut-être vousmêmes sur le principe que l'impossibilité est, pour les états comme pour les particuliers, une barrière devant laquelle doivent s'arrêter les plus généreuses intentions; convaincue que, par suite de sa volonté d'être juste, la France ne saurait être réduite à supporter les charges intolérables qui compromettraient son crédit; que, dans une position qui ne permet pas de remédier à tons les maux, il faut, avant tout, guérir ceux dont l'existence compromet le plus la société; votre commission s'est rendue à la force des raisons, qui n'avaient pas permis au gouvernement de proposer l'indemnité pour les valeurs mobilières confisquées.

Lorsque la société est réduite à faire un choix parmi les désastres à réparer, s'il en est qui, indépendamment du caractère de maux passés, particuliers, sont encore un mal présent, dont le résultat instant et perpétuel est de former, en quelque sorte, deux peuples dans la mère-patrie, d'entretenir les souvenirs amers des uns et les inquiétudes secrètes des autres, l'exislence d'an tel état de choses, les suites qu'il peut avoir, imposent à la politique non moins qu'à la justice l'obligation de le faire cesser le plus tôt possible.

« Les confiscations de la propriété foncière ont précisément le caractère que nous venons de signaler. Le deuil de l'intérêt, quelquefois aussi vif, souvent plus durable que celui de la nature, s'affaiblit par le temps. Si rien n'en retrace l'objet à la mémoire, il s'alimente par les souvenirs, et souvent par la présence de l'objet ravi; et ce n'est pas sans avoir étudié le cœur hamain que de grands publicistes ont dit : « Qu'après le retour de l'ordre légitime dans un pays agité par de terribles révolutions, le premier, le principal soin du gouvernement devait être de restituer aux proscrits les héritages qui leur avaient été enlevés, ou de les indemniser de ceux que l'état avait transmis à des tiers. >>

Ici, l'honorable rapporteur, entrant dans l'examen des divers articles du projet, exposait les motifs des changemens qu'elle avait

jugé convenable d'y faire. Sur l'art. 1o elle croyait devoir fixer d'abord le montant général de l'indemnité à 30 millions de rente en 3 pour 100, de manière à tranquilliser les esprits et à garantir que la totalité de la sommé allouée serait consacrée à l'acquittement de la dette dont on avait reconnu la justice.

A l'article 2, concernant le mode d'évaluation des propriétés confisquées, la commission avait soigneusement examiné les divers plans qu'on lui avait adressés, et de tous ces moyens proposés, elle n'en avait pas trouvé de plus praticable et de plus juste que celui du gouvernement. Elle proposait seulement d'y ajouter « que la somme restée sur les 30 millions, après le résultat connu des liquidations, serait employée à réparer les inégalités inévitables qui résulteraient du mode adopté pour l'évacuation. »

Au titre II, art. 7, la commission proposait, en cas de mort de l'ancien propriétaire, d'admettre à réclamer l'indemnité, les Français qui étaient appelés par la loi ou par sa volonté à le représenter au moment de son décès. Et elle ajoutait à cet article qu'il ne serait dû aucun droit de succession pour les indemnités reclamées à ce titre.

Quant aux domaines engagés confisqués, la commission proposait de déduire un quart de l'indemnité pour représenter ce que le propriétaire aurait été obligé de payer d'après les lois nouvelles, comme les Français engagistes pour acquérir la propriété absolue.

La question relative au titre IV, des biens d'émigrés affectés aux hospices, avait donné lieu à de vifs débats dans le sein de la commission. Plusieurs de ses membres étaient d'avis de les rendre aux héritiers et d'affecter l'indemnité aux hospices; mais la majorité de la commission se bornait à demander la restitution des biens qui n'avaient été que provisoirement affectés; et quant à ceux définitivement concédés, elle proposait d'assujétir l'ancien propriétaire ou ses ayant - cause, à conférer à l'hospice détenteur de ses biens, sur le grand livre de la dette publique, une rente égale au revenu net de la propriété par eux réclamée...

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L'art. 18, relatif aux droits des créanciers des émigrés, par actes antérieurs à la confiscation, avait encore long-temps arrêté, la

commission. A cet égard la législation était obscure, équivoque, et les tribunaux avaient plus d'une fois été incertains dans leurs décisions. Les uns, s'attachant à la rigueur des lois spéciales, considéraient les créanciers déchus en vertu des lois de la république comme créanciers de l'état; — les autres répondaient, que si la confiscation a eu pour résultat d'ôter à celui qu'elle frappa ses propriétés, et par conséquent les moyens d'acquitter ses dettes, elle ne détruit pas l'action personnelle, suite de l'obligation dont l'effet est d'affecter tout ce que le débiteur possède et possédera.

Dans cet état d'hésitation et d'incertitude des tribunaux entre des opinions extrêmes, la commission avait cru devoir chercher un inoyen terme en ajoutant à la clause proposée par le gouvernement, « que les oppositions formées par des créanciers, à la délivrance des inscriptions, n'auraient d'effet que pour le capital des créances, que les anciens propriétaires ou leurs représentans auraient droit de se libérer desdites oppositions, en transférant auxdits créanciers, sur le montant de la liquidation en 3 pour 100, un capital nominal égal à la dette reclamée... >>

Tels étaient les principaux changemens que la cómmission proposait de faire au projet de loi, et l'honorable rapporteur terminait en invitant tous les partis à l'accepter comme un gage de dévoûment et de réconciliation.

Ce rapport terminé, M. le président proposait de fixer l'ouverture de la discussion générale au jeudi (17 du courant); M. Casimir Perrier demandait qu'elle fût ajournée jusqu'après celle des lois des comptes de 1823 et du budget de 1826 qui n'étaient pas encore présentées, car on ne pouvait en délibérer, disait-il, sans avoir déterminé la situation réelle des finances. Qui pouvait d'ailleurs prévoir les conséquences des événemens qui s'annoncaient en Amérique, et risquer de compromettre notre situation politique en anéantissant notre crédit par des votes imprudens? Le ministre des finances, répondant à l'orateur, fit observer que la loi des comptes et le budget de 1826 n'avaient pu être préparés plus tôt; mais qu'ils seraient présentés mercredi (16), et que les députés y trouveraient des motifs pour voter avec sécurité dans la question des indemnités

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