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vendus an profit de l'état. Auprès d'une nation généreuse et loyale, c'était là comme une sorte de créance qui ne devait pas être contestée.

Une indemnité devait donc être la suite de l'inviolabilité des contrats passés sous l'empire des confiscations.

« Tous les cœurs le sentirent; mais le soin d'exprimer le premier ce noble sentiment appartenait à l'un des plus illustres chefs de cette armée qui fut quelque temps la consolation et toujours la gloire de notre patrie. La France conservera le souvenir de l'appel fait à sa loyauté par un noble pair, dès les premiers mois qui suivirent la restauration du trône légitime.

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D'autres obligations, d'autres besoins forcèrent d'ajourner l'exécution d'une mesure dont les esprits droits et les âmes généreuses sentaient dès-lors la convenance et la nécessité.

« La Charte avait dit aussi : « La dette publique est garantie, toute espèce d'engagement pris par l'état avec ses créanciers est inviolable. » Il fallait accomplir cette grande et solennelle promesse, et jeter ainsi, par ce haut témoignage de respect pour tous les engagemens contractés au nom de l'état, les vrais fondemens de la fortune publique.

« On se contenta donc d'étendre à toutes les familles d'émigrés les remises faites à quelques-uns de leurs biens non vendus, et de leur faire l'abandon des portions du prix de vente qui n'étaient pas encore rentrées dans les caisses du domaine. Telles furent les dispositions de la loi du 5 décembre 1814.

«Bientôt des malheurs nouveaux vinrent assaillir la France. Les charges d'une longue occupation se joignirent aux charges déjà existantes; le Roi et la France s'entendirent encore pour les acquitter. Le temps, les ressources de notre pays, l'esprit de justice et de loyauté qui anime ses habitans, et le crédit qui naît de la confiance et qui la soutient, en donnèrent l'heureuse possibilité. Déjà Louis XVIII s'occupait de proposer aux Chambres les moyens de sceller, par un acte réparateur, une réconciliation générale: déjà des réserves étaient préparées, lorsque les périls dont se vit menacé le roi d'Espagne et la sûreté de nos frontières nous imposèrent de nouveaux sacrifices. La guerre faite à la révolution espagnole retarda encore l'accomplissement d'un projet dès long-temps conçu par la royale sagesse.

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Il vous en souvient, Messieurs, à l'ouverture de la dernière session, ce roi juste et bienfaisant dont vous ne deviez plus entendre la voix paternelle, vous exprima son désir de voir fermer les dernières plaies de la révolution. Vos âmes comprirent aisément la sienne, et vos vœux appliqueront ses consolantes paroles à la fidélité malheureuse et dépouillée.

"

Le moment est enfin venu où ce désir peut être satisfait, où cet acte d'une honnête et saine politique peut être accompli. La libération de l'arriéré, l'heureux état de nos finances, la puissance toujours croissante de notre crédit, la bonne et sûre intelligence, qui règne entre le Roi et les autres gouvernemens, permettent enfin de sonder cette plaie que la restauration a laissée saignante, et qui porte sur le corps entier, quoiqu'elle paraisse n'affecter qu'une de ses parties.

«Le temps est arrivé où il est possible de dire à ceux qu'on a dépouillés de leur héritage et qui ont supporté ce malheur avec une si constante résignation: « L'état vous a privés de vos biens, il en a transmis la propriété à d'autres dans des temps de troubles et de désordre; l'état rendu à la paix et à la légitimité vient vous offrir le dédommagement qui est en son pouvoir; recevez-le, et que la funeste trace des confiscations et des haines s'efface et disparaisse pour jamais. « Tel est, Messieurs, le grand et religieux but du projet de loi que le Roi nous a ordonné de vous présenter.

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Ici l'exposé des motifs après avoir établi que dans l'état social le droit de la propriété territoriale est le plus sacré de tous, celui auquel se rattache la garantie de tous les autres, que la confiscation abolie en 1790, au nom de la justice et de l'humanité; rétablie peu de mois après au nom de la vengeance et de la haine, allait au-devant des objections déjà faites pour répousser la réparation réclamée par de si grands intérêts.

. On a demandé, dit M. de Martignac, pourquoi les pertes dont l'émigration a été la cause seraient les seules pour lesquelles un dédommagement serait jugé nécessaire; pourquoi les malheurs de ce genre seraient la seule plaie qu'il fût juste et humain de cicatriser?

« La réduction de la dette publique, a-t-on dit, a privé les créanciers de l'état des deux tiers de leurs créances. Le maximum, les assignats, les désastres de la guerre, ont frappé de nombreuses familles. Pourquoi tous ceux qui ont été ainsi dépouillés n'auraient-ils pas des droits à une réparation qu'on ne veut accorder qu'à quelques malheurs et à quelques victimes? Il y a impossibilité de réparer toutes les pertes, et il y aurait injustice à n'en réparer que quelques-unes.

« Vous avez déjà, Messieurs, pressenti la réponse. Sans doute la révolution a produit des maux de toute espèce; on trouve des malheurs partout où l'on reconnaît la trace de ses fureurs et de ses folies.

Sans doute il faut renoncer à guérir tant de maux divers. Les richesses de la France rendue à l'ordre et à la légitimité ne suffiraient pas pour réparer les pertes qu'avait subies la France, appauvrie par l'anarchie et la licence.

«Mais, si, parmi ces maux que la révolution a faits, il en est que la justice signale comme les plus graves et les plus odieux, et la raison comme les plus funestes; s'il en est dont l'origine soit un attentat aux droits les plus saints, et la trace une cause toujours subsistante de divisions et de haine, l'impuissance où nous serions de guérir tous les autres doit-elle nous empêcher de porter à ceux-là un remède qui serait en notre pouvoir ?

« Les émigrés ont tout perdu à la fois. Tous les maux qui ont pesé sur la France les ont frappés, et ils ont souffert, en outre, des malheurs plus graves encore et qui n'ont été réservés que pour eux.

Les créanciers de l'état, victimes d'une coupable infidélité, ont perdu les deux tiers de leurs créances, mais ils en ont conservé une partie, et la funeste mesure qui les a dépouillés de l'autre, leur a du moins laissé leurs autres propriétés.

« Le maximum, les assignats ont altéré et détruit, au préjudice des négocians et des capitalistes, les valeurs qu'ils avaient dans leurs mains; mais ils n'ont porté aucune atteinte à leur fortune immobilière.

Ceux qui ont souffert des maux de la guerre ont vu dévaster leurs champs et leur asile; mais le sol au moins leur est resté.

« Les lois sur les émigrés leur ont tout ravi aussi, leurs créances, leurs meubles, lears revenus; mais, de plus, ces lois cruelles les ont privés, et les ont privés seuls de leurs champs, de leur maison, de la partie de ce sol natal, pour la conservation de laquelle le propriétaire a droit de demander à la société. protection et garantie.

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C'est pour ce dernier malheur qu'une réparation est demandée; celui-là

sort de la classe commune; aucun autre ne peut lui être comparé; s'il n'est qu'une classe de victimes à qui une réparation puisse être accordée, c'est à celles qui l'ont souffert que la justice la doit.

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Et si ce n'était pas à cause de l'étendue de la perte, Messieurs, ce devrait être à cause de son origine et de sa nature.

« L'acte qui les a dépouillés, ce ne fut pas cette confiscation que des lois criminelles prononcent pour l'avenir contre un crime qu'elles signalent et qui est destiné à être appliqué par les tribunaux. Odieuse, parce qu'elle frappe au-delà du coupable, une pareille disposition offre du moins quelque garantie dans l'impartialité du juge qui doit l'infliger.

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La confiscation lancée contre les émigrés ne fut pas une peine établie, mais une vengeance exercée. Ce fut la confiscation en masse, cette confiscation qui marche à la suite des proscriptions, celle qui fut jetée dans Rome par Sylla, et que la puissance de la force prononce contre tous ceux que poursuit son ressentiment.

« Ces lois violentes, ces lois de colère, qui portent atteinte, soit à l'existence, soit à la propriété d'une masse entière de citoyens, sont de grandes calamités par lesquelles tous les fondemens de la société sout ébranlés.

« Dès l'instant où la terre du plus faible peut passer par un acte d'autorité au pouvoir du plus fort, il n'y a plus ni garantie ni sécurité, et le lien social est brisé.

« De tels actes sont des abus de la force, qu'aucun exemple ne peut justifier, et contre lesquels les amis de l'ordre, les écrivains courageux, les publicistes renommés ont dans tous les temps élevé la voix.

Il importe qu'un exemple mémorable et utile pour tous apprenne que les grandes injustices doivent, avec le temps, obtenir de grandes réparations.

« Cet exemple, c'est à la France qu'il appartient de le donner. C'est sous l'empire d'un Roi protecteur de tous les droits, c'est sous l'influence d'une Charte éminemment conservatrice, qu'il doit être offert avec franchise et loyauté, comme un gage de plus, comme une garantie nouvelle.

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Aussi, Messieurs, le dédommagement qui ne peut être accordé pour toutes les pertes, doit l'être pour les suites de la confiscation prononcée contre les émigrés d'abord parce que les pertes des émigrés ont été entières, et que celles des autres n'ont été que partielles; ensuite parce qu'il y a dans la violence qui les a dépouillés de leurs biens quelque chose d'odieux et de dangereux qui demande, qui exige une réparation.

A ces considérations, l'exposé des motifs ajoutait la nécessité d'effacer la trace des confiscations, de faire disparaître la différence de valeur qui existait entre les propriétés du même sol, à raison de leur origine; d'éteindre sans retour les divisions et les haines; d'affermir l'union et la paix, source précieuse de toutes les prospérités.

La nécessité de la réparation établie, le gouvernement avait pensé que l'indemnité devait être complète ou représenter une valeur à peu près égale à celle qu'elle était destinée à remplacer au capital perdu, sans quoi l'empreinte de la confiscation resterait toujours sur les biens vendus.

Mais les véritables difficultés commençaient à l'exécution de la mesure, à la question de savoir sur quelle base on établirait la valeur des propriétés vendues... Il était impossible de la chercher dans les contributions actuelles, parce que la valeur d'aujourd'hui n'était plus en rapport avec celle d'autrefois, à raison des changemens de culture, des constructions élevées ou détruites, et des divisions opérées, etc. L'estimation à dire d'experts offrait d'autres inconvéniens peut-être encore plus graves; elle mettrait aux prises les intérêts et les passions sans aucune utilité pour la justice et pour la vérité. On n'avait pas dû non plus recourir aux matrices de la contribution foncières à l'époque des ventes. Elles n'existaient plus dans une grande partie des départemens.

D'ailleurs les ventes des biens d'émigrés qui avaient commencé en 1793, et qui avaient continué pendant près de dix ans, avaient été faites contre des assignats, contre des mandats, contre des remboursemens des deux tiers, contre des bons du tiers consolidé, contre du numéraire; la valeur représentative des propriétés vendues avait subi toutes les chances et les variations qui se rattachent aux époques, aux localités et à la valeur des monnaies diverses reçues en paiement.

Au milieu des difficultés de trouver une base satisfaisante aux appréciations, le gouvernement avait observé que dans toutes les ventes faites depuis la loi du 13 prairial an 111, et 28 ventose an iv, on avait pris pour base de l'estimation le revenu de 1790, régulièrement constaté.

Les ventes faites en exécution de ces lois étaient au nombre de 81,455, le revenu des fonds compris dans ces ventes, évalué dans les procès-verbaux, s'élevait à 34,620,380 fr. 79 c., et en multipliant cette somme par 20, on trouvait une somme capitale de 692,407,060 fr. 80 c.

Mais il avait fallu recourir à d'autres voies pour les adjudications antérieures, au 12 prairial an III. Les premières lois sur la vente de biens d'émigrés n'avaient ordonné qu'une simple estimation des lots mis en vente... Il avait été nécessaire de s'en tenir pour toutes ces ventes au prix de l'adjudication, en le réduisant à l'échelle de

dépréciation des assignats, dans chaque département où la vente était opérée, attendu que leur valeur, comme celle des biens vendus, variait d'un département à l'autre, suivant le fanatisme de l'opinion ou l'empire de la crainte.

La vente de cette classe avait été plus considérable parce que les biens vendus étaient alors plus morcelés. On en comptait 370,617 dont le produit déterminé, réduit à l'échelle des départemens, présente une masse de 605,352,992 fr. 16. c.

Quoique ces évaluations n'eussent pas le degré de certitude qu'on eût désiré d'atteindre, on avait été forcé de les adopter et de se borner à deux catégories, pour éviter l'inconvénient d'écarter celles qui se seraient présentées avec leurs exceptions.

Cette base adoptée, on avait dù excepter de son application les rachats faits par les pères, mères, parens ou amis des émigrés; et dans ce cas le projet de loi ne leur rendait que le prix des rachats opérés d'après les lois d'alors. Il convenait encore d'en déduire les sommes payées par l'état à la décharge des émigrés, évaluées à 309,940,645 fr. Mais on ne comprenait pas dans les déductions à faire les secours donnés aux femmes et aux enfans des émigrés, les gages de leurs domestiques, etc., acquittés pour eux par les directoires de district.

Enfin, d'après les documens que le gouvernement avait recueillis pour fixer l'indemnité due aux émigrés, il en établissait ainsi les résultats.

Les biens dont le revenu a été évalué, et dont la valeur se trouve formée par la multiplication de ce revenu, s'élèvent à...

Ceux dont la valeur est déterminée par le prix d'adjudication réduit sur l'échelle des départemens, représentent une somme de.

La valeur totale s'élève donc à.

La masse des déductions indiquée par le relevé du passif est portée à. . .

Le capital pour lequel l'indemnité doit être accordée demeure donc fixé à.

692,407,615 fr. 80 c.

605,352,992 fr. 16 c. 1,297,760,607 fr. 96 c.

309,940,645

987,819,962 fr. 96 c.

« Ainsi que vous l'avez aisément pressenti, dit M. de Martiguac, Messieurs, il ne peut être question de payer un capital aussi considérable aux familles dépossédées. C'est un intérêt juste et modéré qui peut leur être alloué, et cet inté

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