Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

« qu'elles saisissent leur glaive; c'est pour la défense de la société elle-même, de la société outragée dans les objets de sa vénération et de son culte, de la « société mise en péril par les efforts tentés pour avilir et détruire ce qui fait sa force et sa sûreté. » Ainsi, dans ce cas-là, ce sont encore les rapports des hommes entre eux qui font l'objet de la loi; c'est l'outrage à la croyance d'un grand nombre, c'est le trouble et le désordre portés dans la société, qu'elle punit. C'était aussi le but du projet que vous aviez adopté, et celui qui serait atteint par les trois derniers titres du projet que nous discutons. Mais le titre Ier, en traitant du sacrilege simple, c'est-à-dire de l'offense de l'homme envers Dien, fait tout autre chose; il fait entrer le péché dans le domaine des lois. Le principe admis, vous serez obligés plus tard d'admettre ses conséquences. Les interprètes naturels de la loi religieuse vous diront qu'un fait est sacrilége, qu'il est un outrage aux dogmes qu'ils sont chargés de nous enseiguer, une infraction à la discipline qu'ils ont pour devoir de maintenir, et il ne vous restera qu'à inscrire ce fait sur la liste fatale des sacriléges, et à lui appliquer une peine proportionnée au rang qu'il occupera dans cette redoutable nomenclature. C'est ainsi que nos vieilles ordonnances étaient arrivées à punir comme sacrilége l'usurpation des biens de l'église. En un mot, Messieurs, la définition du sacrilége étant évidemment de droit canonique, lorsque ce droit aura parlé, il ne restera à la loi civile qu'à obéir; vous pourrez tout au plus disputer sur la peine; vous n'aurez ni l'autorité, ni le droit de contester le crime ou le délit... >>

En poursuivant les conséquences du titre Ier, le noble orateur y trouve un autre danger; c'est que le sacrilege séparé da vol ne tente l'audace des hommes impies et corrompus, qui, ne voyant que des supplices à braver, des dangers à courir, se feraient les martyrs de l'incrédulité? « Il ne faut pas défier la témérité du méchaut en le menaçant de la mort et des tortures, s'il se livre à des excès auxquels il ne songeait pas. L'incrédulité aurait aussi son fanatisme que les supplices n'intimideraient pas. Le fanatisme est identique; quel que soit son principe ou son objet, il porte le même caractère, il produit les mêmes effets. Nos mœurs, notre civilisation, semblaient nous en garantir; mais la voix des bourreaux, les gémissemens des victimes, le feraient reparaître au milieu de ce siècle étonné, et pour lequel il n'était point fait. Bientôt il envahirait les cœurs, et ferait éclater de nouveau ses fureurs dans ce genre de procès, dont l'histoire garde un si triste souvenir. Parcourez ses pages et vous frémirez à la vue de cette latte entre tous les fanatismes qui souillent le jugement des crimes religieux. On y voit le fanatisme assis sur le tribunal, non moins que sur la sellette de l'accusé. Le juge s'y trausforme en bourreau, et l'accusé en martyr. Eh! comment cela n'arriverait-il pas ? Ne sont-ce pas les sentimens les plus prononcés de l'homme, ses facultés les plus exaltées, qui sont mis en jeu et se trouvent alors juges et parties? Le fanatisme commet le crime; le fanatisme le constate, le définit, le juge et le punit. Quel homme, en effet, quel chrétien doué d'une foi vive, d'une àme fervente et convaincue, pourrait répondre de demeurer impassible, calme, exempt de prévention et de colère en présence du sacrilege, de celui qu'il soupçonne d'avoir attenté aux objets de son adoration et de son culte? Non, Messieurs, il est temps de le reconnaître il n'y a point de juges, point de châtimens sur la terre pour un tel crime. Dieu seul peut en connaître et le punir.

[ocr errors]

J'arrive à une question bien importante et qui semble avoir échappé aux auteurs du projet. Nont-ils pas confonda le criminel avec le crime, et fait partager au premier une dénomination terrible qu'il ne mérite pas ? Est-il

bien sacrilege celui qui, en profanant les saintes hosties, ne croit point an miracle, objet de notre foi? N'est-il pas évident que s'il eût cru an dogme de la présence réelle, jamais il n'aurait conçu l'idée d'un pareil attentat! De quoi le punirez-vous donc si vous ne le considérez pas seulement comme coupable d'outrage envers la religion de l'état; de quoi le punirez-vous, si ce n'est de manquer de foi? Vous lui infligerez le supplice des parricides pour le seal crime qu'il n'eût jamais commis s'il eût été catholique. Que dirionsnous, Messieurs, si les Français des autres cultes venaient nous demander une loi, je ne dirai pas semblable, mais de même nature, en invoquant la Charte qui leur promet une égale protection; s'ils venaient vous demander une loi qui punît de mort les actes publics commis par haine on mépris de leurs croyances? la leur refuseriez-vous, ou la leur accorderiez-vous? Dans ce dernier eas, quel code draconien, quel code de sang viendrait épouvanter la France!

« Le titre Ier présente donc une infraction positive à l'égalité des cultes : il institue des supplices pour les Français non catholiques; il définit un crime qu'un catholique ne commetterait pas. C'est ainsi que l'intolérance s'insinne et fonde pen à peu son empire. Le dogme vient d'abord implorer humblement la protection de la loi, et bientôt il l'inspire, il s'en empare et commande ou proscrit en son nom. Après le sacrilége viendrait le blasphème; tout péché serait assimilé au délit ou au crime, et la force se chargerait de redresser l'erreur.

« Pour éviter une discussion si périlleuse, on a donné à entendre que la loi ne s'exécuterait pas. On la représente seulement comme un hommage à notre religion et à notre foi. Mais y pense-t-on bien, ou un tel hommage, une telle loi ne seraient-ils pas eux-mêmes autant de sacriléges? Les païens attribuaient à leurs dieux les faiblesses, les passions de l'humanité ; mais des chrétiens peuvent-ils parler de venger celui qu'ils adorent! Est-ce au Dieu de Fénélon et de Bossuet qu'on veut plaire en ôtant à la faible créatare qui l'offense le temps de se repentir? Le dieu qui a versé son sang pour les hommes, ne demande pas qu'on répande le leur. Il ne vous a point délégué le soin de ses vengeances; le jour où elles éclateraient, ce monde, ouvrage de ses mains, aurait cessé d'exister. « La vengeance appartient à • moi seul », a dit le Seigneur ; répétons en toute humilité ces mots terribles. Renonçons à proportionner le châtiment à la grandeur de l'offense, c'est pour les maîtres de la terre, et non pas pour le père de tous les hommes que sont faites les lois de majesté.

« Nous ne pouvons donc regarder le titre Ier du projet comme seulement destiné à orner notre Code, et nous devons chercher à prevoir toutes les conséquences de son exécution...

[ocr errors]

Si des prévenus nous passons au mode de jugement, poursuit le noble pair, les difficultés redoublent, et, je ne crains pas de l'ajouter, l'horreur s'accroit. Le mode de jugement, les tribunaux seront les mêmes, puisqu'on ne nous parle pas d'enlever les accusés à leurs juges naturels pour les livrer à des tribunaux spéciaux. Alors je le demande, quels seront les jurés à la fois impartiaux et compétens? La première condition serait qu'ils fussent eux-mêmes croyans; et croyans, comment les supposer impassibles? Tous les Français non catholiques devront d'abord être exclus de la liste, et parmi les catholiques eux-mêmes il sera nécessaire de choisir, si l'on vent sincèrement l'exécution de la loi. Oui, Messieurs, il deviendra rigoureusement nécessaire de s'assurer de la foi des jurés, et je laisse à penser quels moyens on y emploîra. Ou le jury sera composé de manière à ce

que l'acquittement de l'accusé soit certain, ou il sera formé en entier d'hommes sachant cause de récusation en leurs personnes. Fut-il jamais, en effet, une cause de récusation plus évidente et plus impérieuse que la différence de croyance et de religion pour juger un crime purement religieux? Représentez-vous ce que deviendraieut les accusations et les jugemens de sacrilege dans ces contrées où les deux religions sont encore, pour ainsi dire, en présense. Les scènes sanglantes dont nos départemens méridionaux furent le théâtre en 1816 sont encore présentes à votre mémoire. Nous en avons parmi nous des témoins et d'honorables victimes. Comment ce seul souvenir n'a-t-il pas suffi pour arrêter les auteurs du projet? Comment n'ont-ils pas reculé devant l'idée de faire juger à Nîmes un protestant accusé de sacrilege, par des juges et des jurés tous catholiques ?... Permettez-moi, Messieurs, en terminant, de vous présenter une dernière réflexion : c'est que ce sont bien moins les religions qui sont intolérantes que l'homme lui-même qui est passionné. Le christianisme seul, et c'est peut-être une des meilleurs comme une des plus belles preuves de son origine, le christianisme seul implore le ciel pour ceux que les autres religions proscrivent; il ne songe qu'à persuader, qu'à convaincre ceux que les autres religions oppriment ou persécutent. C'est là son véritable esprit; de même qu'il met partout la lumière à la place de l'ignorance, la vérité à la place de l'erreur, il substitue aussi la miséricorde à la colère, et remplace dans le cœur de l'homme la haine par la charité. Il est donc permis de s'étonner que ce soit en son nom qu'on vienne invoquer et qu'on veuille multiplier les supplices.

[ocr errors]

« Je regarde le titre Ier du projet de loi comme une injure au ciel et à la terre, à notre religion et à notre temps, comme une infraction à la Charte, et je voterai le rejet de la loi jusqu'à ce qu'il en ait été retranché. »

Le second orateur appelé à la tribune (M. le comte de la Bourdonnaye), approuvant le principe du titre Ier, y trouve pourtant un vice dans les expressions: d'abord dans celle de voies de fait, trop vague dans son application contre des vases sacrés; mais il en voit de plus essentielles à retrancher ou à modifier.

«Dans quelles subtiles discussions, dit S. S., la justice ne serait-elle pas entrainée par la nécessité d'établir que c'est volontairement, en haine ou au mepris de la religion que le crime a été commis? Quel vaste champ aux argumentations des accusés et à l'indulgence du jury? Sans doute la volonté, l'intention, sont nécessaires pour constituer le crime; mais la preuve de cette intention, de cette volonté, ne résulte-t-elle pas suffisamment des circonstances mêmes de l'action? et pourquoi serait-il nécessaire de la prouver lorsque le fait matériel la démontre invinciblement? Personne n'est censé ignorer la loi : quand donc une disposition formelle établira que le crime de sacrilege consiste dans un tel fait, accompagné de telles circonstances; l'impiété sera suffisamment avertie, et rien n'oblige à lui assurer un refuge dans une définition susceptible d'interprétations dangereuses.

Ainsi le noble pair estimait qu'il y avait lieu de retrancher de l'art. 2 le mot volontairement. A l'art. 5 il était loin de provoquer

aucune aggravation de la peine (du parricide), prononcée par cet article, mais il proposait de substituer un voile rouge au voile noir, changement léger en apparence, mais qui frapperait le peuple et isolerait un crime qui ne doit être confondu avec aucun autre.

Un troisième orateur dont la voix s'élève toujours en faveur de l'humanité (M. le marquis de Lally-Tollendal), ne disconvient pas qu'une loi plus répressive ne soit devenue plus nécessaire contre un attentat énorme qui offense également les principes religieux et l'ordre social; mais le projet de l'année dernière lui paraissait offrir toutes les garanties désirables.

Une voix, dit S. S., une voix accoutumée à commander partout le respect et la confiance (celle de Mgr l'archevêque de Paris), n'y avait demandé que l'addition d'un seul mot, la qualification du sacrilége, attachée à la violation des tabernacles et des espèces sacrées qu'ils renferment. Mais ce mot n'avait été désiré, n'était regretté que comme un moyen d'inspirer plus d'horreur pour le crime, et non comme un motif d'aggraver la peine du coupable... Tel qu'il avait été adopté par la Chambre, à une majorité de 136 voix contre 11, ce projet avait satisfait toutes les consciences et soulagé tous les cœurs. Dans la Chambre, dans les cabinets ministériels, daus le palais du Roi, dans les cours du royaume, dans les églises catholiques, comme dans les temples protestans, on se félicitait de cet heureux accord entre la religion, la raison et l'humanité... Comment est-on arrivé à le trouver insuffisant? Le secret de cette péripétie législative avait déjà transpiré l'année dernière. Cette loi, dit-on, a été jugée ailleurs anti-chrétienne et anti-sociale; et par qui ce jugement nous est-il signifié? c'est par un des coryphées de cette influence anti-gallicane que personne ne saisit, que tout le monde sent, qui cherche à s'infiltrer partout, et dont les prétentions compromettraient les autels eux-mêmes, s'ils pouvaient être compromis. Comment le ministère, avec qui la Chambre était alors, avec qui elle veut rester dans une union parfaite, qui n'avait jamais été si profond dans ses vues, si fort d'argumens et si riche d'éloquence, que dans la discussion de l'année dernière, a-t-il cédé cependant à cette influence, et vient-il aujourd'hui presser la Chambre, invitus invitam, de désavouer les principes qu'elle avait posés de concert avec lui...? »

Quel qu'en soit le motif, le noble pair croit que la loi actuelle ne suffira pas encore aux exigences du parti qui a fait écarter le projet de l'année dernière. En examinant celui-ci, S. S. observe que le gouvernement ne croyait plus possible de se refuser à mettre dans la loi ce terrible mot de sacrilege, après du moins toutes les précautions possibles pour en prévenir l'abus, en restreignant son application à deux cas seulement, et en exigeant en termes exprès, pour la conviction de l'accusé; l'examen de la question intentionnelle. La commission ajoute encore à ces garanties, en proposant de ne punir

que le sacrilége commis publiquement... Cette considération détermine le noble pair à voter les trois premiers articles qui contiennent la définition du crime... Mais l'art. 4 qui le punit de mort, et de la mort précédée de mutilation, répugne tellement à sa raison et à son cœur, que plutôt que de l'admettre il refuserait son suffrage à la loi

tout entière...

• Voilà donc où l'on est conduit par la progression des mots, ajoute S. S.; on a parlé de profanation, puis de sacrilége, et on en est enfin à articuler le mot de déicide. Or, dit-on, le déicide est un parricide, et le plus criminel de tous, et l'art. 4 n'est que la conséquence nécessaire de cette proposition. Oui, sans doute, Dieu est le père commun de tous les hommes; mais en l'invoquant chaque jour sous ce nom qu'il nous a permis de lui donner, ne lui promettez-vous pas de pardonner à ceux qui nous offensent? Or, on le reconnaît aujourd'hui, ce n'est pas l'offense envers Dieu que la loi du sacrilége peut avoir pour objet de punir, c'est la société qu'elle veut venger d'an outrage et préserver de la contagion par la crainte des supplices; mais quelle contagion peut donc faire redouter le délire du profanateur public des choses saintes? n'inspire-t-il pas à la société tout entière un sentiment unanime d'horreur pour le crime, et de pitié pour le coupable ? Où sont d'ailleurs aujourd'hui les exemples de sacrilége commis en haine et au mépris de la religion : ceux que le rapport a cités ne sont réellement que des vols sacriléges: pourquoi donc la mort? pourquoi la mutilation? est-ce au nom de la religion qu'il convient de rétablir des supplices nouveaux? quels dangers a-t-elle à craindre? Du moment où l'ordre social a été rétabli en Europe, on a vu se manifester partout une heureuse tendance à se rattacher au tronc du christianisme, à lui demander des consolations et des préceptes, à lui porter des respects et des tributs: partout ses détracteurs sont tombés dans le mépris et ont disparu... Qu'on ne parle plus d'ôter la vie au nom de celui qui l'a donnée, et d'établir des supplices par analogies et par métaphores! qu'on ne dise plus qu'il est un crime plus grand que le parricide; car le monstre qui tue son père est un monstre aux yeux de toute l'espèce humaine, et le forcené qui se porterait volontairement à des voies de fait contre nos mystères sacrés, ne serait un monstre que pour une portion du genre humain. Surtout que le mot de déicide ne paraisse plus dans une discussion à laquelle il doit demeurer étranger! »

En conclusion le noble pair votait pour le projet amendé par la commission, mais il bornait la peine infligée à la profanation des vases sacrés et des hosties consacrées, aux travaux forcés, ou à la réclusion perpétuelle (selon l'exigence des cas et à l'arbitrage des juges), avec l'amende honorable à la porte de l'église où le crime aurait été commis.

(11 février.) Déjà la discussion semblait avoir considéré le projet sous tous ses rapports, mais le talent des orateurs devait encore y trouver des considérations nouvelles.

« PreviousContinue »