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pendant, le lendemain (4 novembre) l'emprunt fut adjugé à l'amiable au prix de 80 fr., à une compagnie composée de MM. J. Lafitte et compagnie, du syndicat des receveurs-généraux; de MM. Rotschild frères; J. Hagerman; Blanc-Colin; Ardoin-Hubbard; César de la Panouze; Paravey et compagnie, au grand mécontentement des soumissionnaires de la veille, qui se récrièrent ensuite sur le défaut de concurrence et de publicité.

Un mois après cette négociation, mourut à Paris l'un des commissaires haïtiens, le sénateur Daumec, dont les funérailles furent honorées de la présence de plusieurs personnages de distinction; et ses collègues retournèrent dans leur pays où leurs opérations trouvèrent, comme on le verra, quelques contradictions.

De son côté le gouvernement français pourvut sans délai à la nomination d'un consul général (M. Maller) et de deux autres consuls (MM. Mollien et Ragueneau de la Chesnaie), qui partirent à l'instant pour leur destination.

Il avait été stipulé, dans l'ordonnance du 17 avril, que les Haïtiens ne seraient point reçus dans les colonies françaises des Antilles; mais malgré les nuages élevés depuis sur des intérêts purement financiers, les relations entre l'ancienne métropole et le nouvel état n'ont pas cessé d'être entretenues sur le pied de la réciprocité la plus entière.

La cour établie à Saint-Cloud, quelques jours après les fêtes du sacre, y reçut pendant son séjour la visite de plusieurs augustes personnages; d'abord celle du prince de Salerne, oncle de MADAME, duchesse de Berry, descendu chez M. le duc d'Orléans, à Neuilly... Et deux mois après, celle du duc de Cumberland, frère du roi d'Angleterre, et du roi de Prusse : ce souverain arriva le 23 septembre à Paris, incognito sous le nom de comte de Ruppin, et descendit à son hôtel rue de Bourbon, précédé du prince royal et du prince Albert, ses enfans. Le prince royal vint ce jour même faire une visite au Roi, à Mgr le Dauphin, à Madame la Dauphine, à MADAME, duchesse de Berry, et aux enfans de France. S. M. alla elle-même à Paris le lendemain avec Mgr le dauphin, dans une voiture de ville et sans escorte, faire visite au roi de Prusse, qui

vint deux heures après avec le prince Albert faire la sienne au Roi et à LL. AA. RR.

Le lendemain, 25 septembre, il y eut aux Tuileries un grand banquet royal où assistèrent le roi de Prusse, les deux princes ses fils et le duc de Cumberland. Le séjour de S. M. P., venue dans le plus strict incognito, n'était qu'un objet de plaisir. Il fut de trois semaines, pendant lesquelles S. M. visita les spectacles, les établissemens publics, les manufactures royales et plusieurs fabriques particulières où il laissa des témoignages de son goût et de sa munificence pour les arts. Il assista, le 9 octobre, avec les princes ses enfans et le duc de Cumberland, à un second banquet royal de quinze couverts, donné aux Tuileries. C'est après ce dîner que M. le comte de Ruppin fit ses adieux à S. M. Il repartit le 11 septembre pour rétourner dans ses états.

Le Roi fit ensuite un voyage de quelques jours à Compiègne.

Il arrivait en même temps à Paris un personnage moins élevé par son rang, mais dont le voyage a excité beaucoup plus d'intérêt par les vues qu'on lui supposait: c'était M. Huskisson, secrétaire-d'état de S. M. B., trésorier de la marine et président du bureau des colonies. Il fit de fréquentes visites aux membres du conseil, il eut de longues conférences avec les personnes les plus influentes sur la direction des affaires commerciales. On lui supposait assez généralement l'intention d'amener le gouvernement français à la conclusion d'un traité de commerce basé sur les principes récemment proclamés à la tribune de Londres... Que cette question ait été discutée, rien ne nous autorise à le croire; que le voyage de M. Huskisson ait préparé la convention de navigation qui ne fut conclue que cinq mois après à Londres, nous ne pouvons que le supposer, et elle prouvera que le ministère, résistant à la séduction de l'exemple et à des intérêts étrangers, était resté fidèle à son système.

Jamais, depuis la question de la guerre d'Espagne, l'opinion publique n'avait été plus agitée, on pourrait dire plus tourmentée par les partis et par les intérêts jusqu'ici contraires, et maintenant réunis contre le ministère... Ces partis avaient leurs chefs suivant l'objet particulier qu'ils poursuivaient...

La cause des Grecs avait de tout temps excité la sympathie des cœurs généreux; mais elle n'avait guère eu dans son origine que l'appui du parti libéral; dans la suite elle s'était recrutée de tous les` adversaires du ministère qu'on accusait incessamment de favoriser l'expédition du pacha d'Egypte, de lui envoyer des officiers chargés de former ses troupes à la discipline européenne, et de lui laisser construire des bâtimens dans les ports français. D'un autre côté on ne se contentait plus de faire des vœux stériles en faveur des Grecs; il s'était formé à Paris un comité philhellénique, composé des notabilités du parti anti-ministériel, royaliste ou libéral (1)..... Il avait ses trésoriers, ses agens, il correspondait avec l'Allemagne et le comité de Londres; il avait envoyé près du gouvernement grec un représentant ou correspondant avoué, le général Roche; et l'on verra au chapitre de la Grèce les premiers résultats de sa mission... On devait faire des enrôlemens, des souscriptions, des envois réguliers d'hommes, d'argent et de munitions. C'est au moment où la Morée était envahie par Ibrahim pacha, où la cause des Grecs semblait près de se perdre dans des flots de sang, que le comité philhellénique excitait le zèle des amis de la Grèce, il faut le dire à son honneur, et l'histoire doit ajouter que le ministère accusé ne mettait aucune entrave à ce zèle généreux (2).

Tout important que fût cet objet dans la situation générale de l'Europe, il était à peine aperçu dans la chaleur des querelles religieuses et financières qui semblaient faire confusion et qui s'envenimaient réciproquement...

Une crise affreuse menaçait le crédit de la Grande - Bretagne et des premières capitales de l'Europe. L'exagération du système industriel, et de ses spéculations audacieuses, avait encombré les ports de l'Amérique méridionale des produits britanniques, les

(1) On voyait figurer à la tête de la liste M. le vicomte de Châteaubriand, M. le duc de Dalberg, M. le duc de Broglie, etc.

(2) Il faut dire aussi, pour ne pas mentir à notre conscience historique, que le zèle des philhellénes français, dont on a fait grand bruit, n'a pas produit dans toute l'année 1825, une somme de cent cinquante mille francs.

emprunts ouverts par des états dont l'existence politique était encore mal assurée, y avaient attiré des capitaux immenses qu'on se flattait de faire rentrer en échange des produits. Mais les produits n'avaient point trouvé de consommateurs, et l'argent avait été dévoré. D'autres conséquences de l'exportation énorme de capitaux s'étaient fait sentir. L'Angleterre était surchargée des papiers de sa banque nationale et des banques de comtés, et des que la défiance leur demanda du numéraire, on vit un abîme ouvert. Les capitalistes intéressés à soutenir le crédit britannique s'adressèrent à toute l'Europe, en retirèrent leurs capitaux, et toutes les places en éprouvèrent une commotion plus ou moins forte.

Telle était la véritable cause de la baisse qui s'était manifestée à Paris peu de temps après la création des trois pour cent. Cachée dans l'origine aux yeux des plus habiles spéculateurs, elle s'était ensuite révélée par degrés. Le ministre des finances avait pris des précautions pour attirer des capitaux; mais malgré la puissance des moyens qu'il avait réunis, le cours des fonds publics avait pris depuis le commencement d'octobre une tendance décidée à la baisse. Les cinq pour cent tombérent à la fin de novembre de neuf pour cent au-dessous du pair, et les trois à 60 (cours du 29 novembre.) Des reproches et des accusations s'élevaient de tous les journaux de l'opposition contre le système et les opérations du ministère. On lui reprochait d'avoir créé le syndicat des receveurs généraux pour favoriser l'agiotage; d'avoir commandé les conversions; de détourner l'amortissement de sa destination primitive; de manquer à la parole donnée aux deux Chambres d'aller au secours des cinq pour cent dès qu'ils tomberaient au-dessous du pair... Des écrivains du ministère répondaient à ces reproches que le syndicat des receveurs généraux était une création utile au crédit; que le petit nombre des conversions prouvait que l'opération avait été libre, que l'administration de l'amortissement était indépendante dans son action; que dans l'opinion émise précédemment par les ministres, l'amortissement devait agir de préférence sur les fonds qui étaient plus affectés de la baisse, et que dans la circonstance actuelle, c'était évidemment le trois pour cent. Ceux qui les avaient en mains étaient des rentiers ou

des capitalistes qui les avaient convertis à 75 fr.; ils perdaient déjà 15 fr. sur leur capital tandis que les possesseurs de cinq pour cent ne perdait que de 8 à 9: était-il juste de les punir de la confiance qu'ils avaient eue dans le crédit de la France? et quant aux émigrés auxquels il avait été délivré des inscriptions, était-il de la loyauté nationale de leur ôter le gage d'une créance déjà au-dessous de sa valeur, lorsqu'on l'avait reconnue?

Cette querelle était grave, elle affectait beaucoup d'intérêts, et peut-être occupait-elle moins l'attention publique que la querelle religieuse... Il faut reprendre celle-ci au point où nous l'avons quittée, au réquisitoire de M. Bellart.

Depuis long-temps l'opinion publique accusait une partie du clergé catholique de professer des maximes d'intolérance contraires à la liberté des cultes, consacrée par la Charte, ou contraires aux libertés de l'église gallicane, aux doctrines consacrées, reconnues par la célèbre déclaration de 1682... On avait vu, l'année dernière, une ordonnance du Roi supprimer une lettre pastorale de l'archevêque de Toulouse, dont les maximes avaient paru ultramontaines, en opposition avec les doctrines de l'église gallicane. Cette année encore, un mandement publié dans le diocèse de Rouen, au nom de l'archevêque grand-aumônier de France, avait alarmé les citoyens qu'il semblait menacer des rigueurs de la discipline ecclésiastique, quand ils négligeraient de remplir leurs devoirs religieux... Il avait été donné à cet égard des explications qui en adoucissaient ou même en désavouaient la sévérité. Mais l'opinion publique n'en avait pas moins été vivement frappée et il avait servi de texte à de nouvelles accusations...

La tolérance religieuse s'était montrée dans la cérémonie du sacre avec tant d'évidence par les changemens introduits dans les formules du serment et dans les oraisons, qu'elle fit taire pour un temps les craintes, les inquiétudes et les reproches. Mais ils reprirent bientôt leur cours. C'était sans doute pour y répondre, qu'il fut rendu, le 20 juillet, sur le rapport du ministre des affaires ecclésiastiques, une ordonnance royale qui établit à Paris une maison centrale des hautes études ecclésiastiques, dont les chefs

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