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«<le Constitutionnel pendant un mois, et le Courrier Français, attendu la récidive, pendant trois mois. »

Cette pièce produisit une grande sensation, on peut même dire une grande irritation de partis; dès lors s'envenima la querelle religieuse dont nous aurons tout à l'heure à parler. Il nous suffit maintenant d'observer que la cause fut remise après les vacances, délai motivé par son importance, et par la quantité des articles incriminés annexés au réquisitoire, mais où certains esprits se plurent à pressentir la répugnance de la cour...

(11 août.) Arrivait à cette époque la nouvelle de l'émancipation de Saint-Domingue, que les partis divers ont considérée dans leur intérêt, mais que l'histoire regardera comme la solution d'un problème important, où se trouvait à la fois une question de droit politique et une question de droit civil, c'est-à-dire de propriété. L'une et l'autre seront traitées dans l'histoire de la session prochaine, de manière à nous dispenser de nous y arrêter... Il nous suffit maintenant de rappeler le matériel des faits. La grande difficulté de l'année dernière avait été, non pas seulement, comme on l'a dit, dans la conservation d'une espèce de suzeraineté ou de protectorat extérieur, plus préjudiciable ou plus funeste qu'avantageux aux intérêts de la France, mais dans le mode de la reconnaissance, que les députés d'Haïti ne s'étaient pas jugés suffisamment autorisés à accepter... Mais enfin qu'il y ait eu concession de prétentions d'une part ou de l'autre, l'ordonnance du 17 avril a tout aplani...

La circonstance politique où l'on se trouvait n'a peut-être point d'analogue dans l'histoire; aussi l'acte qui reconnaît l'indépendance d'une ancienne colonie était-il sans modèle... Il ne doit être jugé ni dans les principes rigoureux du droit, ni dans les conséquences de l'état de fait. Il établit l'indépendance de la nouvelle république, comme la Charte avait reconnu la validité des ventes des biens confisqués pendant la révolution, mais à des conditions qui sont une réparation du principe vital de toutes les sociétés humaines. Il réserve au commerce français, une prime dans le paiement des droits d'entrée dans les ports de la partie française. Il stipule un dédom

magement de cent cinquante millions de francs, au profit des anciens colons, comme il venait d'être alloué une indemnité aux propriétaires français dépossédés par la révolution. Cette ordonnance était la seule voie qui pût concilier l'honneur de la couronne avec la sécurité du nouvel état...

Tout avait été prévu pour en assurer le succès : « M. le baron de « Mackau, capitaine de vaisseau, chargé de porter cette ordon«nance, dit le rapport que le ministre de la marine fit au Roi sur « cette affaire, était parti de Rochefort, le 4 mai, sur la frégate la « Circé. Ses instructions lui prescrivaient de se rendre immédiate«ment à la Martinique pour s'y concerter avec le gouverneur de « cette colonie (lieutenant général comte Donzelot) et avec le contre« amiral Jurieu, commandant la station navale de S. M. dans les « Antilles. Le contre-amiral Jurieu recevait en même tems l'ordre « de rallier tous les bâtimens dépendans de la station, »> auxquels devait se réunir (du 15 au 20 juin) ceux de la station du Brésil, et la Médée, partie de France au milieu de mars; et, même en cas de besoin, plusieurs vaisseaux de ligne, frégates et bâtimens légers prêts à appareiller ou mis en état d'armement.

En exécution de ces ordres, l'escadre réunie sous les ordres de M. le contre-amiral Jurieu, se composait, à l'époque du 20 juin, de deux vaisseaux de ligne (l'Eylau de 80, le Jean-Bart de 74), de huit frégates et de cinq bricks.

« M. le baron de Mackau, commandant la Circé, avait ordre de précéder de quelques jours le départ de l'escadre, qui devait ne se montrer dans les parages du Port-au-Prince que d'après l'avis qui leur en serait donné. Il appareilla donc de la Martinique le 23 juin, avec une division composée de la frégate la Circé et des deux bricks le Rusé et la Béarnaise, et le reste de la flotte n'appareilla que le 27 juin du Fort-Royal.

Arrivé devant le Port-au-Prince le 3 juillet, M. le baron de Mackau y fut reçu de manière à lui faire concevoir de justes espérances sur le succès de la mission dont il était chargé. Il descendit à terre; des commissaires désignés par le président du gouvernement d'Haïti ouvrirent sur-le-champ des conférences avec lui; mais elles

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duraient depuis plusieurs jours sans que l'on pût s'accorder (1), lorsque le président Boyer les reprit lui-même; et après quelques discussions préliminaires, il écrivit à M. de Mackau : « Que d'après les explications qui lui avaient été données, et confiant dans la loyauté du Roi, il acceptait au nom du peuple d'Haïti, l'ordon«nance de S. M., et qu'il allait faire les dispositions nécessaires

(1) Voici ce que dit de ces négociations M. le président du conseil des ministres dans la séance du 8 mars 1826:

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M. de Mackau, arrivé au Port-au-Prince, fait connaitre sa mission et confère avec les commissaires nommés par le président; il résulta de ces conférences que la rédaction de l'art. 1 qui ouvre à toutes les nations le port de Saint Domin. gue, fut considéré comme un moyen que se réservait la France de revenir sur la concession de l'art. 3. On était décidé à s'exposer à tout plutôt que d'admettre une clause dans laquelle on croyait entrevoir l'anéantissement de la concession elle-même. Les choses étaient dans cet état et M. de Mackau prêt à s'embarquer pour rallier l'escadre française (du contre-amiral Jurieu) qui paraissait à l'ouverture de la baie et allait bloquer le port de l'île, lorsque le président Boyer évoqua la négociation à lui et entendit M. de Mackau. Il était facile à celui-ci de faire sentir combien peu étaient fondées les craintes qui avaient déterminé les commissaires à ne pas accepter les conditions de l'ordonnance. Les termes en avaient été pésés et expliqués en sa présence; il savait bien que la concession royale était faite en toute loyauté. Il parvint à faire passer sa conviction dans l'âme élevée du président, il lui déclara qu'il entrait dans les vues de la France de se dessaisir au profit de toutes les nations sans distinction aucune, du monopole du commerce avec Saint-Domingue, mais que quant aux conditions, aux restrictions, à l'exclusion même que legouvernement d'Haiti voudrait par la suite prononcer contre celles de ces nations envers lesquelles ce gouvernement aurait quelque motif de le faire, la France ne prétendait nullement s'en offenser, ni même s'en mêler, et qu'enfin l'art. 3 concédant aux habitans actuels de Saint-Domingue l'indépendance pleine et entière de leur gouvernement, entraînerait nécessairement pour les états qui la reconnaîtraient et qui voudraient avoir des relations commerciales avec lui, l'obligation de se conformer aux lois du pays.

C'est à cette occasion et dans cette circonstance que, pénétré de la loyauté de de sa mission, M. de Mackau dit au président en lui montrant l'original de l'ordonnance signé du roi ; « Je puis répondre de la franchise des explications « que je viens de donner, je serais prêt à rester en otage pour garantir qu'elles « sont conformes à la pensée de mon gouvernement; mais je ne suis point an négociateur, je ne suis qu'un soldat soumis à sa consigne. Voilà l'ordonnance telle que j'ai été chargé de la porter. Je ne puis y changer un seul mot... Elle fat acceptée...

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Telles sont Messieurs, les détails de cette négociation qu'on a voulu représenter comme honteuse et dont certains écrits ont été jusqu'à dire qu'elle avait entraîné des explications humiliantes et des propositions faites pour dégrader la dignité de la France.

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On a cru nécessaire d'anticiper sur l'histoire de la session prochaine pour donner des éclaircisssemens nécessaires à celle de l'émancipation d'Haïti.

« pour qu'elle fût entérinée au sénat avec la solennité convenable. >> Ce qui eut lieu dans la séance du 11 juillet, où l'ordonnance fut portée avec l'appareil le plus solennel... aux cris de vive le Roi de France! Five son Fils bien-aimé ! Et après plusieurs jours de fètes brillantes, M. de Mackau quitta la nouvelle république d'Haïti, emmenant à son bord trois envoyés, qui se rendaient en France pour satisfaire aux conditions de l'ordonnance...

Ils arrivèrent en rade de Brest le 10 août, à cinq heures et demie du soir, et le gouvernement en reçut le lendemain, à dix heures du matin, la nouvelle télégraphique. Elle fut affichée à la bourse, où elle ne produisit aucun effet apparent sur les fonds publics; mais elle en fit un grand sur l'opinion : le parti libéral ne put éviter d'en témoigner sa joie; mais il semblait ne regarder cet événement que comme le prélude ou le précurseur de la reconnaissance des nouveaux états du continent de l'Amérique méridionale, tandis que l'opposition royaliste se recriait sur la reconnaissance d'une république d'esclaves révoltés, sur le principe de la propriété sacrifié au gouvernement de fait; objection dont on verra le développement et la réfutation dans l'histoire de la session prochaine.

On ne parle ici de cette négociation qu'en ce qui intéresse la France; on y reviendra en ce qui concerne Haïti. M. le baron de Mackau, qui l'avait conduite, fut élevé par le Roi au grade de contre-amiral; et il fut rendu (le 1er septembre) une ordonnance qui établit une commission préparatoire à l'effet de rechercher et de proposer le mode des réclamations à faire par les anciens colons de Saint-Domingue, ainsi que les bases et les moyens de répartition des sommes qui leur étaient destinées... Quelques journaux ou écrivains libéraux parurent s'étonner d'y trouver des noms qu'on n'était habitué à voir dans les listes ou dans les faveurs du gouvernepas ment (M. le comte de Ségur, M. Alexandre de La Borde): mais la composition totale de la commission montrait qu'il n'avait pas eu d'autre vue que d'y réunir les hommes dont le caractère intègre, l'expérience des affaires et la connaissance des localités devaient, inspirer le plus de confiance.

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Les envoyés d'Haïti, quoique revêtus de dignités et d'emplois supérieurs dans la république (c'étaient MM. Rouannez et Daumec, sénateurs, et le colonel Fremont, aide-de-camp du président de la république), furent reçus et considérés en France moins comme agens diplomatiques que comme agens de commerce et négociateurs de l'emprunt. C'est au premier titre qu'il fut signé entre eux et MM. le comte de Saint-Criq et le baron de Mackau, commissaires nommés de part de la France (le 31 octobre), une convention qui expliquait l'art. 1er de l'ordonnance du 17 avril en ce sens, qu'en ouvrant les ports d'Haïti aux vaisseaux de toutes les nations, on n'avait entendu géner en aucune manière la faculté acquise au gouvernement d'Haïti par le fait même de son indépendance, de fermer ou d'ouvrir ses ports aux nations amies ou ennemies de la république; elle étendait à l'île entière la faveur du demi-droit à l'entrée comme à la sortie des marchandises importées ou exportées par des navires français; faveur qui, par une délicatesse facile à apprécier, n'avait été stipulée dans l'ordonnance royale que pour l'ancienne partie française seulement. Cette convention établissait d'ailleurs des conditions de réciprocité dans les autres rapports du commerce des deux nations... L'avenir nous apprendra les raisons qui en ont différé ou empêché la ratification.

Il faut ajouter, pour achever ce que nous avons à dire de cette affaire, que l'emprunt négocié par les commissaires haïtiens, ouvert dans un moment où le crédit public de l'Angleterre éprouvait une crise alarmante par suite des spéculations exagérées faites avec les nouveaux états de l'Amérique méridionale, ne fut pas négocié à des conditions aussi favorables que les commissaires haïtiens l'avaient espéré. Après une séance d'adjudication tenue (le 3 novembre) chez M. Ternaux, où les soumissions de deux compagnies françaises, faites séparément, n'offraient de prendre l'emprunt qu'au taux de 76 fr... On proposait de procéder à une adjudication aux enchères entre les deux compagnies; elles déclarèrent qu'elles se réunissaient pour prendre l'emprunt au même taux de 76 fr.; mais les commissaires haïtiens refusèrent de faire l'adjudication, en déclarant à leur tour qu'ils ne pouvaient y consentir qu'au minimum de go fr. Ce

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