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Quarante grands lustres de trente-six bougies, suspendus à la voûte aux tribunes, un grand nombre d'autres allumés dans l'intérieur, des luminaires gothiques chargés de cierges, des immenses candélabres placés à l'entrée du chœur et sur l'autel éclairaient cette scène magnifique, et faisaient jaillir de mille manières l'éclat des parures, des couleurs, des cristaux, des diamans dont l'œil était ébloui.

Il était sept heures et demie lorsque la cérémonie religieuse commença par l'hymne: Rector potens Deus qui temperas rerum vices. Les cardinaux de Clermont-Tonnerre et de La Fare assistant S. M., précédés du chapitre, allèrent alors chercher le Roi à son appartement qui communiquait à l'église par une grande galerie couverte, de 300 pieds, construite le long du côté droit de la cathédrale. Là s'étaient rendus, quelques instans auparavant, M. le Dauphin, M. le duc d'Orléans, M. le duc de Bourbon ainsi que les grands officiers de la couronne et les grands officiers de la maison du Roi. Arrivé à la porte de la chambre du Roi, le grand chantre de la cathédrale a frappé à la porte; le grand chambellan a dit à haute voix : Que demandez-vous?... Le cardinal de Clermont-Tonnerre, premier des deux cardinaux assistans, a répondu : Charles X que Dieu nous a donné pour Roi (1). Alors les huissiers ont ouvert les portes. Les cardinaux se sont approchés en saluant le Roi qui s'est levé de son fauteuil à leur entrée (2), et leur a rendu leur salut. Le même prélat présenta l'eau bénite à S. M., récita une oraison; et le Roi, conduit par les deux cardinaux, se mit en marche avec tout son cortège, où se distinguait d'abord le maréchal duc de Conegliano (Moncey) faisant fonctions de connétable, suivi des grands-officiers de la maison du Roi et des dignitaires qui devaient assister S. M. dans la cérémonie.

(1) D'après l'ancien cérémonial, les prélats envoyés pour conduire S. M. à T'église demandaient le Roi par trois fois... Le grand chambellan répondait anx deux premières : le Roi dort; réponse symbolique de la vacance du pouvoir avant la consécration divine. Ce n'était qu'à la troisième question que l'évêque de Laon, premier assistant, répondait : Nous demandons le Roi que Diea nous a donné.

(2) Au sacre de Louis XVI, le Roi était couché sur un lit de parade. Les deux évêques soulevèrent S. M. de dessus son lit.

Le Roi, revêtu d'une robe de satin blanc avec une toque de même étoffe enrichie de diamans, surmontée de plumes blanches et noires, fut d'abord conduit auprès du maître-autel où il s'agenouilla tandis que l'archevêque de Reims disait une oraison pour S. M., et ensuite au siége qui lui était préparé sous un dais auprès du sanctuaire, entouré de ses grands officiers et des quatre chevaliers des ordres, destinés à porter les offrandes.

Bientôt l'archevêque, qui s'était retiré derrière l'autel pour revêtir ses ornemens pontificaux, revint à l'autel apportant la sainte ampoule, entonna le Veni Creator.

Après le Veni Creator, l'archevêque s'est avancé vers le Roi, accompagné de ses deux assistans, portant, l'un le livre des Évangiles, et l'autre la relique de la vraie croix; il a repris le livre des Évangiles, sur lequel il a posé la vraie croix, et il l'a tenu ouvert devant S. M., à qui il a présenté les formules des sermens, placées aussi sur le livre des Évangiles. Le Roi, assis et couvert, la main posée sur le livre des Évangiles et sur la vraie croix, a prêté les sermens suivans:

Serment du Sacre.

En présence de Dieu, je promets à mon peuple de maintenir et d'honorer notre sainte religion, comme il appartient au Roi très-chrétien et au fils aimé de l'église de rendre bonne justice à tous mes sujets; enfin de gouverner conformément aux lois du royaume et à la Charte constitutionnelle, que je jure d'observer fidèlement; qu'ainsi, Dien me soit en aide, et ses saints Évangiles.

Serment du Roi comme chef et souverain grand-maître de l'ordre du

Saint-Esprit.

Nous jarons à Dieu le créateur de vivre et de mourir en sa sainte foi et religion catholique, apostolique et romaine; de maintenir l'ordre du Saint-Esprit, sans le laisser décheoir de ses glorieuses prérogatives; d'observer les statuts dudit ordre, et de les faire observer par tous ceux qui sont ou seront, nous réservant néanmoins de régler les conditions d'admission selon le bien de notre service.

Serment du Roi comme chef souverain et grand-maître de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis et de l'ordre royal de la Légion-d'Honneur.

Nous jarons solennellement à Dieu de maintenir à jamais, sans laisser décheoir leurs glorieuses prérogatives, l'ordre royal et militaire de Saint-Louis et l'ordre royal de la Légion-d'Honneur; de porter la croix desdits ordres, et d'en faire observer les statuts. Ainsi le jurons et promettons sur la sainte croix et sur les saints Évangiles.

Les sermens prêtés, S. M., ayant quitté sa robe blanche et sa toque, est restée avec une camisole de satin rouge ouverte aux endroits où les onctions saintes devaient être faites; elle a chaussé les bottines de velours violet, semées de fleurs de lis d'or, et M. le Dauphin lui a mis les éperons; M. l'archevêque a fait la bénédiction de l'épée de Charlemagne qu'il a remise nue entre les mains du Roi, en disant: Accipe hunc gladium, etc.

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Prenez cette épée, qui vous est donnée avec la bénédiction du Seigneur, « afin que par elle et par la force de l'esprit saint vous puissiez résister à tous « vos ennemis et les vaincre; protéger et défendre la sainte église et le royaume qui vous est confié. Prenez cette épée, afin que par son secours vous exerciez la justice, vous protégiez avec bonté les veuves et les orphelins; que vous « répariez les désordres, que vous conserviez ce qui a été rétabli, que vous << affermissiez tout ce qui a été mis dans l'ordre, afin que, vous couvrant de gloire par la pratique de toutes les vertus et faisant réguer la justice, vous méritiez de régner avec celui dont vous êtes l'image, et qui règne avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. »

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Le chœur chanta ensuite une antienne, après laquelle l'archevêque, debout et sans mître, dit une oraison sur le Roi qui était aussi debout et tenant l'épée la pointe élevée.

A la fin de l'oraison, S. M. monta à l'autel, baisa l'épée et la posa dessus en se mettant à genoux. Alors l'archevêque reprenant l'épée, la remit une seconde fois entre les mains du Roi, qui la reçut à genoux et la donna aussitôt à M. le maréchal duc de Conegliano.

Immédiatement après, M. l'archevêque dit sur le Roi, toujours à genoux, les oraisons suivantes en latin, comme toutes les autres :

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Jetez, Seigneur, des regards favorables sur votre serviteur Charles, qui est «<ici cnvironné de l'éclat de la royauté. Daignez le combler des bénédictions de • votre grâce spirituelle, et revêtez-le de la plénitude de votre puissance. Que, ■ sous sou règne, les peuples jouissent de la santé; que la paix règne dans le royaume, et que la splendeur de la puissance royale éclate dans le palais de nos rois; qu'il soit le puissant protecteur de la patrie, et le consolateur des églises; qu'il aime à répandre des grâces, et que, toujours ai«mable et bon pour les grands et les fidèles de son royaume, il soit craint « et aimé de tous, enfin qu'il soit digne de gouverner sagement ses états, et qu'après un règne glorieux, il mérite de jouir de la beatitude éternelle. Daignez lui accorder cette grâce, vous qui réguez, avec votre Fils Jésus« Christ et le Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. »

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Après ces oraisons, où l'ancien rituel avait éprouvé des changemens remarquables en ce qu'il offrait de contradictoire avec l'état

politique actuel (1), l'archevêque, ayant fait ouvrir le reliquaire renfermant la sainte ampoule, qui fut tirée d'un petit coffre d'or, en retira avec la pointe d'une aiguille d'or une parcelle qu'il mèla avec du saint chrème sur la patène. Le Roi fut conduit à l'autel où il s'agenouilla, et reçut, de la main de l'archevêque, les saintes onctions; la première sur la tête, la deuxième sur la poitrine, la troisième entre les épaules, la quatrième sur l'épaule droite, la cinquième sur l'épaule gauche, la sixième au pli du bras droit, la septième au pli du bras gauche. L'archevêque faisant à chaque onction le signe de la croix, en disant: Ungo te in regem de oleo sanctificato, in nomine Patris et Filii et Spiritu sancti.

Les saintes onctions faites au milieu des chants du chœur, S. M.

(1) Voici les deux oraisons précédentes telles qu'elles avaient été récitées en latin an sacre de Louis XVI.

« Prenez de nos mains consacrées par l'autorité des saints apôtres, cette épée dont nous vous avons ceint, ainsi qu'on a ceint les rois, et qui, bénite par ⚫ notre ministère, est destinée de Dieu pour la défense de sa sainte église. Sou- venez-vous de celui dont le prophète David a parlé ainsi dans ses psaumes: "O vous qui étes le fort d'Israël, prenez votre épée et disposez-vous au combat, afin que par son secours vous exerciez la justice, vous brisiez la mâchoire « des injustes, que vous protégiez et défendiez la sainte église de Dieu et ses enfans; que vous n'ayez pas moins d'horreur pour les ennemis secrets du - nom chrétien que pour ceux qui le sont ouvertement, et que vous travailliez à les perdre, etc. »>

« Jetez, Seigneur, des regards favorables sur votre serviteur Charles qui est ⚫ici environné de l'éclat de la royauté; et comme vous avez béni Abraham, ▾ Isaac et Jacob, daignez le combler des bénédictions de votre grâce spirituelle, - et revêtez-le de la plénitude de votre puissance; que la rosée du ciel et la «graisse de la terre procurent dans ses états une abondance de blé, de vin et « d'huile, et que, par vos divines largesses, la terre soit toute couverte de fruits ▪ pendant de longues années, afin que, sous son règne, les peuples jouissent de - la santé; que la paix règne dans son royaume; que la splendeur de la puis« sance royale éclate dans le palais de nos rois ; qu'elle brille aux yeux de tous « avec la vivacité éblouissante des éclairs. Faites qu'il soit le puissant protecteur de la patrie, le consolateur des églises et des saints monastères, qu'ils se ressentent de sa piété et de ses libéralités royales: qu'il soit le plus puissant des «rois; qu'il triomphe de ses ennemis; qu'il assujetisse les nations rebelles et - idolâtres ; que la force de sa puissance royale le rende la terreur de ses enne« mis ; qu'il se plaise à répandre ses grâces sur les grands de son royaume, etc.» Il y avait encore dans l'oraison récitée au sacre de Louis XVI, avant la consécration, quelques mots très-remarquables que M. l'archevêque n'a point prononcés cette fois, Les voici : «Votre serviteur Louis, que nous élisons pour le roi - de ce royaume au milien des prières que nous vous adressons. (Quem supplici « devotione in hujus regni regem eligimus. ) »

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fut revêtue par le grand chambelian de la tunique et de la dalmatique de satin violet cramoisi semée de fleurs de lis d'or, et du manteau royal de velours violet semé de fleurs de lis d'or, doublé et bordé d'hermine que le grand-maître des cérémonies avait été prendre sur l'autel...

Le Roi, revêtu des habits royaux, s'étant remis à genoux, l'archevêque, assis et la mître en tête, fit les deux dernières onctions aux paumes des deux mains; la bénédiction des gants qu'il mit aux mains du Roi, celle de l'anneau à son quatrième doigt, puis celle du sceptre et de la main de justice qu'il remit également à S. M.; le premier dans la main droite, en disant : Accipe sceptrum regiæ potestatis insigne...; la seconde dans la main gauche, en disant: Accipe virgam virtutis atque æquitatis...

Ensuite eut lieu la cérémonie du couronnement. Les princes furent invités à prendre place à la droite et à la gauche du Roi, selon leur rang. L'archevêque, la mître en tête, prit à deux mains sur l'autel la couronne de Charlemagne et la tint au-dessus de la tête du Roi, sans qu'elle y touchât. Aussitôt les princes y portèrent la main pour la soutenir. L'archevêque, ne la tenant que de la main gauche, dit, en faisant la bénédiction de la main droite, Coronat te Deus, corona gloriæ atque justitiæ; après quoi il posa la couronne sur la tête du Roi en disant la prière, dont voici la traduction :

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• Recevez la couronne de votre royaume, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, afin que, rejetant les prestiges de l'ancien ennemi des hommes, « et vous gardant de tous les vices, vous soyez si zélé pour la justice, si accessible à la compassion et si équitable dans vos jugemens, que vous méritiez de « notre seigneur Jésus-Christ la couronne du royaume éternel dans la société des saints, etc. »

La cérémonie du couronnement étant finie, l'archevêque officiant a soulevé le Roi par le bras droit. S. M. a été conduite à son trône, et dans le même cortége avec lequel elle était entrée dans l'église...

Le silence religieux qu'on avait gardé jusqu'à ce moment, fut alors interrompu : des cris de Vive le Roi! partirent de tous les points de la basilique; se renouvelèrent à plusieurs reprises pendant la marche de S. M. au son d'un musique militaire qui exécutait la marche du couronnement, de la composition de M. Lesueur.

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