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mens, par ses fabriques, par son industrie, par la célébrité des vins de son territoire, n'est plus qu'une ville du troisième ordre, mais elle offrait alors l'aspect animé d'une capitale. A ses portes, était assis dans la plaine Saint-Léonard un camp de dix mille hommes de toutes armes, dont les tentes étaient dressées entre des pièces de gazon, à l'ombre des feuillages. Dans la ville, où des spéculateurs avaient déjà été retenir tous les logemens qu'ils purent trouver dans l'espérance de les louer à gros bénéfice, il arrivait de toutes parts des chariots chargés de meubles et de provisions de toutes espèces, les magasins en étaient encombrés; une foule d'ouvriers remplissaient la cathédrale, l'archevêché et l'abbaye de Saint-Remy pour y faire les réparations, les constructions ou les changemens nécessaires à la circonstance. Enfin, grâce aux soins des autorités de la ville et des architectes ou artistes chargés de conduire les travaux, tout se trouva prêt au temps prescrit pour recevoir le monarque, toute sa suite, toutes les autorités et la foule immense que cette grande fête nationale devait attirer...

Le 24 mai, à onze heures et demi du matin, le Roi et M. le Dauphin partirent des Tuileries pour se rendre à Compiègne, ou Madame la Dauphine les avait précédés d'une heure. S. M. n'avait point voulu recevoir ni honneurs, ni harangues sur sa route; mais la population était accourue de tous les environs; elle avait partout dressé des arcs de triomphe, et faisait entendre de vives acclamations sur son passage. S. M. arriva à Compiègne à quatre heures.

Tout y était préparé pour la réception; mais sans l'éclat et l'étiquette ordinaire de la cour. Le Roi y passa trois jours, comme au milieu de sa famille, admettant à sa table les grands-officiers de sa maison et ceux de M. le Dauphin et de Madame la Dauphine, et le maire de Compiègne, recevant les autorités, visitant les établissemens, prenant les plaisirs de la chasse, et se promenant sans escorte au milieu d'une foule toujours empressée de lui rendre ses hommages de respect et d'amour.

Le 27, le Roi prit la route de Reims; fut reçu sur la limite du département de la Marne, par les premières autorités, et coucha cette nuit à Fismes.

Le lendemain, jour de l'entrée solennelle à Reims, S. M. ayant assisté à la messe, s'était misé en route à dix heures et demie avec plusieurs voitures de suite. Elle sortait de la ville, lorsqu'un funesté accident vint interrompre ou du moins suspendre les transports de l'allégresse populaire que son passage avait excités.

A la descente de Fismes, au moment où les batteries de la garde royale, qui étaient placées dans un vallon sur la gauche de la route, firent feu pour saluer le Roi, la détonation, répétée par l'écho des montagnes, fut si terrible, que les chevaux de la voiture, où étaient MM. les dues d'Aumont et de Damas, les comtes de Cossé et Curial, en furent effrayés, prirent le mors aux dents et cassèrent l'avanttrain de la voiture qui fut brisée sur le pavé. Des quatre personnes qui étaient dedans, deux furent grièvement blessées, 'c'étaient M. le duc de Damas et M. le comte Curial.

Le Roi lui-même courut un grand danger. Les chevaux de sa voiture, épouvantés par la détonation, l'emportaient avec la plus terrible rapidité... Mais on eut la présence d'esprit de les tenir sur le pavé et de ne pas chercher à rallentir leur effrayante vitesse... A peine échappé à l'événement malheureux dont il avait été témoin et presque victime, le Roi voulut voir MM. de Cossé, de Damas et Curial; le premier n'avait qu'une forte contusion à la tête, et désira suivre S. M.; les deux autres furent remis aux soins de M. Dupuytren, premier chirurgien du Roi. S. M. leur témoigna le plus touchant intérêt, et ne consentit à se remettre en route qu'après s'être assurée qu'ils ne couraient point un imminent danger. Ils furent ramenés à Fismes où toutes les ressources de l'art, employées par leur habile chirurgien, opérèrent leur guérison plus heureusement qu'on ne l'avait espéré...

Le Roi, retardé par cet accident, n'arriva qu'à midi au village de Tinqueux, situé à une demie lieue de Reims.

Là se trouvaient LL. AA. RR. les ducs d'Orléans et de Bourbon, une foule de grands personnages qui s'étaient rendus de Paris à Reims, toutes les autorités de la ville, les gardes du corps, l'étatmajor de la garde royale, une légion de la garde nationale à cheval de Paris, etc. Là devait se former le cortége de l'entrée du Roi

dans la ville du sacre. Depuis ce village la route n'était plus qu'un berceau d'arcs de triomphe ornés de fleurs, de feuillages, de banderolles formées des plus belles étoffes des fabriques de Reims... C'est à Tinqueux que le Roi monta dans la magnifique voiture du sacre avec M. le dauphin, M. le duc d'Orléans et M. le duc de Bourbon.

On trouvera dans une autre partie de cet ouvrage (voy, la Chronique) une description plus détaillée de l'entrée royale où furent déployés le luxe des équipages, des costumes, l'appareil militaire le plus imposant... La matinée avait été pluvieuse, mais le soleil ayant enfin percé les nuages au moment où S. M. montait en voiture, ne cessa plus d'éclairer la marche de ce pompeux cortége qui entra dans la ville au bruit d'une salve d'artillerie de cent et un coups de canon, de toutes les cloches et des acclamations universelles d'un peuple ivre de joie... De là jusqu'à la cathédrale les rues étaient jonchées de fleurs, toutes les maisons ornées de tapis, de guirlandes de feuillages, les croisés, les balcons et les toits couverts d'une multitude innombrable.

Arrivée à la porte de l'église métropolitaine, S. M. y fut reçue sous le dais par l'archevêque de Reims, vêtu pontificalement, et accompagné des évêques de Soissons, de Beauvais, de Châlons et d'Amiens, ses suffragans, et après la présentation de l'eau bénite, suivie d'une courte prière, S. M. fut conduite processionnellement daus le sanctuaire jusqu'à son prie-dieu, placé sur une estrade élevée sous un dais magnifique suspendu à la voûte de l'église.

Madame la Dauphine s'était déjà rendue dans sa tribune avec MADAME, duchesse de Berry, et LL. AA. RR. les princesses du sang. Le corps diplomatique était dans la tribune en face.

L'archevêque de Reims, après des oraisons, entonna les vêpres à la suite desquelles Mgr le cardinal de La Fare prononça un sermon dont l'objet était de montrer l'actiou tutélaire de la religion sur les obligations et les devoirs réciproques du monarque et des peuples; il le termina par implorer les bénédictions du ciel sur le monarque et sur ses augustes enfans, péroraison touchante, après laquelle on

entonna le Te Deum qui termina la cérémonie appelée les vépres du

sacre...

Retiré dans les appartemens qu'on lui avait préparés dans le lais de l'archevêché, le Roi y reçut le chapitre de la cathédrale et toutes les autorités et les présens de la ville, consistant, d'après l'antique usage, en vins de Champagne, et poires de rousselet.

On n'a pas encore fait mention des honneurs, des décorations, des promotions, des grâces de toute espèce que la munificence royale avait déjà répandues à l'occasion du sacre dans sa cour, dans l'administration publique, dans l'armée, dans les cours de justice; mais avant ces largesses ordinaires à tous les souverains dans les circonstances, l'histoire mettra ces actes de clémence et de générosité vraiment royales qui furent signées en sortant des vêpres du sacre; telles que l'amnistie générale accordée aux déserteurs de la marine (1); à tous les individus condamnés pour délits politiques à des peines correctionnelles en vertu des lois du 17 mai 1819, et 25 mars 1822 (pour la répression des crimes et délits commis par la voie de la presse et pour la police des journaux ); à un grand nombre de condamnés, la plupart impliqués dans la conspiration de Berton, et des transfuges dans les temps de l'expédition d'Espagne.

( 29 mai. ) Il était enfin arrivé ce grand jour objet de tant de soins, de vœux et d'espérances. Il faut recourir aux journaux et aux écrits du temps pour y trouver la description détaillée des dispositions et des embellissemens faits dans la basilique de Saint-Remy, des cérémonies de cette solennité royale et religieuse, qui remonte au berceau de la monarchie; mais ce que nous voulons surtout y considérer, c'est le renouvellement solennel de l'alliance faite, sous la foi du serment, entre le souverain et son peuple dont la représentation bornée dans l'origine et pendant une longue suite de siècles, aux premiers ordres, s'était enfin étendue sous le régime de la Charte à toutes les classes de ses sujets, à la masse entière

(1) L'amnistie pour les déserteurs de l'armée de terre avait été signée le 4 mai.

de la nation. C'est sous ce rapport que l'histoire doit s'attacher aux circonstances du cérémonial, auxquelles l'esprit du temps et la Charte elle-même demandaient des changemens.

Dès l'aurore, les rues de la ville étaient remplies d'une foule de peuple, et de toutes parts les personnes invitées ou appelées à la cérémonie, les autorités et les corporations assiégeaient les portes de la métropole pour aller prendre les places qui leur étaient destinées, les hommes en habits à la française ou en uniformes; les dames en grande parure avec des barbes pendantes à leur chevelure... Un instant après l'ouverture des portes de l'église, les tribunes étaient toutes garnies, et les deux premiers gradins occupés par des femmes...

Les ministres d'état, les lieutenans-généraux, les grands dignitaires, les membres des députations de la chambre des pairs et de celle des députés, les présidens et procureurs généraux des cours royales; les préfets, les maires des bonnes villes, et le clergé où l'on comptait plus de trente évêques, arrivèrent successivement et prirent place sur les gradins disposés en amphithéâtre à droite et à gauche de la nef et du choeur. Le corps diplomatique, où l'on remar-quait Sidi-Mahmoud, envoyé de Tunis, ayant à sa tête le nonce du pape, fut conduit, vers sept heures, par le maître des cérémonies, à la tribune du côté gauche du chœur, en face de celle de Madame la Dauphine qui entra un instant après avec MADAME, chesse de Berry, Madame la duchesse d'Orléans et Mademoiselle d'Orléans. LL. AA. RR. étaient resplendissantes de diamans.

du

L'imagination la plus brillante ne peut donner l'idée de l'imposant spectacle qu'offrait alors cette immense basilique... Des tentures magnifiques et les portraits des rois de France ornaient les travées au milieu de la nef : entre le choeur et le portail s'élevait le trône formé par un arc de triomphe orné de figures arabesques, des armes et des insignes des différens ordres de France, surmonté d'un baldaquin en velours cramoisi semé de fleurs de lys d'or sur l'autel, couvert des présens de la munificence royale, se distinguait la couronne en diamans du Roi, surmontée du Régent avec les autres attributs de la royauté disposés pour la cérémonie.

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