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M. Benjamin Constant, se levant alors pour appuyer la proposition du général Foy, prétendit que le ministre avait éludé la question, et lui donna de nouveaux développemens. Il reprocha au gouvernement de ne pas user de l'influence qu'il devait avoir sur l'Europe, et puisqu'il acceptait le rôle de médiateur, de ne pas avoir voulu recevoir les envoyés des colonies et de les laisser insulter dans ses journaux. L'honorable orateur insistait particulièrement sur le motif déjà connu du voyage du prince de Metternich à Paris; il observait que ce prince venait d'obtenir, en passant dans les états de Bade, la suppression des discussions publiques, et il ne doutait pas que le gouvernement autrichien n'eût aussi l'intime désir « d'étouffer la tribune française qui est ou devrait être le centre des « lumières et de la civilisation continentale. »>

La discussion n'en demeura pas là. MM. Dudon et Casimir Périer prirent encore la parole, celui-là pour soutenir le système suivi par le gouvernement envers les colonies espagnoles; et à cette occasion il jeta quelques réflexions critiques, presque hostiles, sur la conduite de l'Angleterre; celui-ci pour la justifier et la donner en exemple à notre gouvernement : après quoi le 1er chapitre du budget des affaires étrangères fut adopté, et les deux autres passèrent sans discussion.

Affaires ecclésiastiques. M. l'évêque d'Hermopolis ouvrit la discussion sur le budget de son ministère par un discours où il fit sentir l'utilité de la religion, le premier devoir des peuples et le plus ferme soutien des états.

« La France compte 29 millions de catholiques, dit S. G., et cette immense population réclame, et a le droit de réclamer les secours de la religion chrétienne. Le nombre des établissemens religieux et des prêtres destinés à remplir cet honorable but n'est pas assez considérable. Pour satisfaire à ce service, non pas avec abondance, mais convenablement, il faudrait, d'après nos calculs, cinquante mille ouvriers évangéliques; ce nombre est indispensable; et nous n'en avons que trente-cinq mille seulement en activité, c'est-à-dire quinze mille de moins que le nombre indispensable. Encore, sur ces trente-cinq mille, en est-il beaucoup qui sont accablés d'infirmités, et quatorze mille ont dépassé l'âge de soixante-dix ans. »

Il y avait autrefois 40,000 églises ouvertes au culte paroissiale; leur nombre ne s'élève aujourd'hui qu'à 29,000, dont 4,000 sont vacantes faute de prêtres pour les desservir.

Ici le ministre exposait les besoins du clergé avec une sage modération, et après avoir cherché à dissiper les vagues inquiétudes, les craintes chimériques, les défiances sans fondement quelquefois répandues sur les entreprises et l'esprit du clergé, il arrivait à un objet qui mérite que nous nous y arrêtions.

«Hier à cette tribune, dit S. G., un orateur distingué de la Chambre (M. Bourdeau) a émis sur la juridiction ecclésiastique des maximes inexactes que je dois relever. Voici les seules véritables :

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Il existe sur la terre un corps de pasteurs qui ne doit son origine et son autorité qu'à Jésus-Christ, et dont la sublime vocation est d'être le gardien et le propagateur de la doctrine. Ainsi l'église chrétienne est sortie des mains de son divin auteur revêtue de tous les pouvoirs dont elle avait besoin pour s'étendre et se perpétuer sur la terre.

« Destinée dans l'origine à traverser trois siècles de persécution, à se propager successivement au milieu des peuples soumis à des princes païens, à se maintenir sous la domination de puissances hétérodoxes ses ennemies, que serait-elle devenue si elle n'avait porté dans son sein les principes de son existence et de sa durée ?

« Aussi veut-on savoir avec précision jusqu'où s'étend la puissance ecclésiastique, on n'a qu'à se transporter à ces premiers âges où, abandonnée à elle-même, persécutée, loin d'être protégée par les empereurs romains, l'église n'existait que par ses propres forces, et ne déployait que les seuls pouvoirs qu'elle avait reçus de Jésus-Christ. Or, à cette époque la plus glorieuse de son histoire, vous la voyez prononcer avec une autorité souveraine sur les matières de foi et les règles des mœurs, faire des lois de discipline, en supprimer ou les abroger, établir des pasteurs et des ministres dans les divers rangs de la hiérarchie, et de les destituer s'il était nécessaire; corriger les fidèles et même retrancher de son corps les membres corrompus. Ce sont là des faits que personne ne conteste. Certes, dans ces temps où les maîtres de l'empire étaient les redoutables persécuteurs de l'église, ce n'est pas de leur sanction que ses Jois et ses décrets tiraient leur autorité. Lorsque le grand Constantin embrassa la foi chrétienne, il ne devint pas l'esclave de l'église dans l'ordre temporel, mais aussi il n'en devint pas le maître dans l'ordre de la religion. Que les princes soient chrétiens ou ne le soient pas, leur autorité, par rapport à la religion, est exactement la même : par la profession de foi qu'ils font du christianisme, ils ne perdent rien de l'intégrité de leur couronne, et l'église ne perd rien de l'intégrité de sa puissance spirituelle. De tout temps on a parlé des deux puissances du sacerdoce et de l'empire, du pontife et du magistrat, de l'état et l'église, du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel, pour désigner ceux qu'exercent l'autorité suprême dans l'ordre religieux et politique. Ce langage est pris dans la nature même des choses, consacré dans tous les âges, puis le pape Gelase jusqu'à Bossuet, et depuis Justinien jusqu'à d'Aguesseau. « Cette doctrine sera toujours d'autant plus la nôtre que nous l'avons puisée dans l'école de Sorbonne, la première de l'univers.

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Maintenant, il nous serait facile de prouver par l'autorité de ce que la France a de plus graves magistrats et de pontifes plus illustres, qu'à l'église appartient le droit de statuer non-seulement sur la foi, les mœurs et les sacremens, mais encore sur la discipline, de faire des lois et des réglemens, essentiel à toute société.

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Me sera-t-il permis, Messieurs, en finissant, de dire qu'il est dans l'esprit et en quelque sorte dans les attributions de mon ministère, de faire sentir la nécessité de l'étroite alliance qui doit exister toujours entre la religion et la sociéte? Nous sommes tous Français, tous amis de notre patrie, tous attachés à la religion de nos pères; nous voulons que les lois bannissent l'arbitraire, que de sages institutions s'affermissent pour notre bonheur et celui de nos neveux; que l'ordre règne dans l'état et la paix dans les familles; que chacun, sous une protection commune, puisse user tranquillement de ses biens, de ses facultés, de sa personne, ce qui constitue la véritable liberté. Hé bien! que le christianisme disparaisse, et tous ces avantages temporels disparaissent avec lui. Montesquieu l'a dit : « Moins la religion est réprimante, plus les lois doivent réprimer. Oui, pour contenir un peuple irréligieux il faudrait l'enchaîner : on ne pourrait le sauver des convulsious de l'anarchie que par les fers de la servitude. »

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Après ce discours, dont il fallait au moins recueillir des fragmens pour servir à l'histoire des querelles politiques et religieuses du temps, un seul orateur se leva pour parler sur le budget des affaires ecclésiastiques; il avait pour objet de renouveler le vœu déjà émis dans les sessions précédentes et dans celle-ci, d'affecter au clergé une dotation particulière comme à la Légion-d'Honneur, vœu qui parut bien accueilli de la majorité de la Chambre, mais qui ne fut suivi d'aucune proposition, et après lequel on vota sans observation les quatre chapitres du budget ecclésiastique.

Intérieur. - Il n'y a point de partie du budget où l'on ne dût s'arrêter davantage que sur celle-ci. « Si le ministère de l'intérieur n'est pas le premier, comme l'a dit M. Agier, il est au moins le plus important, car il embrasse toutes les sources de notre richesse, de notre splendeur, tous les moyens d'action du gouvernement, tout le matériel et tout le moral de l'administration. » Mais ce serait faire un livre que d'entrer dans les détails d'une discussion qui reproduisit d'ailleurs plus d'une fois des plaintes et des reproches déjà faits à l'administration actuelle...

Ainsi M. Bacot de Romans et d'autres orateurs revinrent, à l'occasion du chapitre administration centrale, sur les inconvéniens de la centralisation et sur les abus de la police centrale. M. Agier, qui monta après lui à la tribune, ne partageait pas entièrement cet avis. La centralisation lui paraissait utile et nécessaire comme unité d'ac tion et direction, unité sans laquelle chaque administration ayant son esprit, ses idées, ses systèmes, l'administration ne serait plus

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qu'une anarchie; mais quand on arrivait aux détails, aux intérêts des localités, il fallait repousser la centralisation comme l'ennemie déclarée du bien et de la vérité; c'est alors qu'il fallait affranchir les communes du despotisme de la bureaucratie. D'ailleurs, M. Agier adressait quelques reproches au ministère sur son système d'administration, sur la lenteur des travaux publics, sur les retranchemens qu'on voulait opérer dans les secours accordés aux lettres, sur la suppression des places créées pour traduire les vieilles chartes, sur la réduction du temps affecté à la durée des études à l'École polytechnique, etc.

MM. Leclerc de Beaulieu et Duhamel, qui prirent la parole sur le premier chapitre, s'attachèrent, le premier à réfuter ce que le garde des sceaux avait dit la veille des motifs de l'ordonnance du 15 août 1824; le second à déplorer la détresse de l'agriculture, et pour y remédier il proposait de réduire les frais de l'administration et d'appliquer le produit des économies au dégrèvement de l'impôt foncier.

M. de Girardin, qui fut ensuite entendu, considéra la question de la centralisation comme soulevée dans l'intérêt d'un parti.

« Les espérances de la contre-révolution n'ont point été déguisées; toutes ont été énoncées à cette tribune avec une franchise qualifiée de rovaliste. Messieurs, les contre-révolutionnaires, il faut l'avouer, jouent maintenant à jeu découvert; leurs projets ont cessé d'être considérés comme des chimères : parmi les députés qui siégent au centre, les plus incrédules commencent à s'avouer que l'opposi tion de gauche, qui n'a d'analogie avec la contre-opposition de droite qu'une antipathie commune contre le ministère actuel, n'avait point été exagérée lors qu'elle signala à la France entière les projets des contre-révolutionnaires, Le succès en est devenu probable depuis que l'exécution en a été confiée au généralissime de 1815 et à son digne lieutenant.

« C'est aux manœuvres corruptrices employées à l'époque des dernières élections qu'ils doivent attribuer, bien plus encore qu'au double vote, la réunion dans cette enceinte de leur troupe d'élite... »

Ici M. de Girardin rappelant le triomphe obtenu par l'ancienne opposition, les élections faites en majorité dans la noblesse, les lois proposées par le ministère pour satisfaire aux exigences du parti, signale les vœux émis contre la centralisation comme l'espérance d'envahir les administrations locales.

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Oui, Messieurs, ajoutait l'honorable membre, on veut déplacer la centralisation, l'enlever au gouvernement pour la replacer dans les chefs-lieux de

nos départemens et la conférer à ceux qui dirigent ces mêmes départemens depuis peu d'années...

Je ne vous rappellerai point ici les résistances que firent éprouver si souvent à l'autorité royale les états provinciaux de la Bretagne, du Dauphiné, de la Bourgogne, etc.; je ne vous citerai pas les passages les plus marquans des remontrances des cours souveraines, parce que ces passages vous paraîtraient peut-être par trop libéraux. Si la tranquillité subsiste en France, si les contributions s'y acquittent avec régularité, si le pouvoir constitutionnel du Roi n'est méconnu nulle part; c'est à la centralisation que l'on doit d'aussi importans résultats. La centralisation a été établie en France pour y terrasser l'anarchie; ce serait la déchaîner de nouveau que d'y détruire la centralisation.

« Je ne conçois pas, je vous l'avoùrai, comment ceux qui se prétendent royalistes par excellence proposent et soutiennent un système dont le résultat infaillible serait d'énerver la puissance royale.

Comment se fait-il, Messieurs, que ce soit les mêmes députés que nous avons vus, à l'ouverture de cette session, consentir, sans réclamation aucune, à grever les contribuables de 30 millions de rentes annuelles, et à augmenter d'un milliard le capital de la dette, qui viennent vous parler aujourd'hui de la détresse de ces mêmes contribuables, tandis qu'alors ils ne cessaient de vous entretenir de la prospérité des finances? Les contributions ne se sont-elles pas accrues de leur propre consentement? La dette n'a-t-elle pas été augmentée parce qu'ils y ont également consenti? Ont-ils pris alors la défense des contribuables? non, Messieurs ; et cependant ils viennent aujoud'hui s'appitoyer sur l'état de la France, vous peindre des couleurs les plus sombres la détresse de l'agriculture et les malheurs de la propriété. Ces malheurs sont tels que, s'il fallait les en croire, les propriétaires seraient bientôt dans l'impossibilité d'acquitter lears contributions, et condamnés à la douloureuse nécessité d'abandouner la culture de leurs propres héritages. Ils représentent la France comme prête à étouffer sous le poids de ses charges, et offrent, comme le remède à tant de maux le rétablissement complet de l'ancien régime...

Mais la France ne veut pas le retour de ces abus contre lesquels elle s'est élevée pendant des siècles, et que les progrès de la civilisation sont parvenus à détruire.

▾ Cessez donc, Messieurs, de miner, d'ébranler toutes nos institutions, d'inquiéter toutes les existences, de menacer l'industrie du retour des corporations; le commerce, de celui du monopole; l'égalité, du rétablissement des ordres privilégiés et des ordres monastiques; la liberté civile, des détentions arbitraires; la propriété, de la résurrection de la féodalité et de la dime; les biens nationaux, de la proscription; les familles, du droit d'ainesse; la liberté des cultes, de la suppression des actes de l'état civil.

Cessez, Messieurs de tourmenter la France de vos efforts impuissans, et croyez que vous ne parviendrez jamais à la priver en totalité des bienfaits dont elle est redevable à la révolution.

• Gardez-vous cependant de penser, malgré tout ce que je viens de vous dire relativement aux dangers de supprimer la centralisation, que je ne sois pas du nombre de ceux qui appellent de tous leurs vœux une bonne organisation municipale et départementale; mais je veux une organisation qui consolide nos institutions constitutionnelles, et non celle qui coopérerait à les détruire; je veux une organisation dans laquelle la puissance royale exerce l'influence qu'elle doit avoir dans une monarchie modérée; elle doit apparaître partout, parce qu'elle doit se montrer partout où il y a du bien à faire et du mal à em pêcher.

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