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jurisprudence des tribunaux français... Si l'on voulait consulter les termes vrais et non commentés, interprétés et défigurés de l'ordonnance du 15 août, on y trouverait ce qu'on a trop oublié que, pas un seul mot ne peut avec bonne foi être interprété dans un sens injurieux par la magistrature française; pas un seul mot dans cette ordonnance qui n'indique un fait incontestable, et qui n'indique en même temps les conséquences et la nécessité des mesures qu'elle réclamait...

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Rien dans cette ordonnance n'était contraire à l'opinion émise par les tribunaux, mais à l'opinion qu'avait conçue le gouvernement lui-même, sur l'effet que devait avoir la loi de 1823. Le gouvernement n'a pas dit : Les tribunaux se sont trompés; il a dit : Je me suis trompé, mais mon devoir est d'obvier aux inconvéniens fàcheux que pourrait avoir cette erreur. Les tribunaux me la font connaître ; c'est à nous à empêcher ses conséquences; c'est à nous à assurer la tranquillité du pays; les garanties qui nous manquent ne seront pas rétablies, mais remplacées... Voilà quel a été notre conseil et notre langage. »

Après cette explication, utile à recueillir pour l'histoire de 1824, le chapitre 1er fut adopté, et tous ceux du budget de la justice sans réclamation autre que celle de M. Casimir Périer, sur des changemens trop récemment opérés dans l'Imprimerie royale, pour que les comptes eussent pu être présentés à la Chambre.

(10 mai.)- Affaires étrangères. Comme toutes les années précédentes, la discussion de ce budget devait donner lieu à soulever les questions les plus délicates. Le général Foy, prenant la parole, annonça qu'il se bornerait à deux faits politiques qui tenaient les esprits en suspens et compromettaient gravement les intérêts. du

pays.

Le premier était relatif à l'établissement de consulats dans l'Amérique méridionale. Le général Foy, se plaignait de ce que le gouvernement après avoir fait les plus brillantes promesses au commerce français, l'avait abandonné sans protection dans ces contrées lointaines.

« On assure, dit l'honorable orateur, que dans l'année 1814 plusieurs maisons de commerce avaient exporté pour les différentes parties de l'Amérique méridionale, en produits de notre agriculture et de notre industrie, le triple des quantités de même nature que consomment annuellement nos possessions coloniales... Ces rapports si rapidement saisis eussent été plus multiplies et surtout eussent donné des profits plus considérables, si notre commerce rencontrant partout une faveur égale à celle dont jouissent les autres étrangers, eût été assuré de la promptitude du débit et de la facilité des retours. Mais il en est arrivé antrement : la protection royale a manqué dans les contrées lointaines aux sujets du Roi en France. C'est tout au plus si de loin à loin on aperçoit une frégate française sur les mers de l'Amérique. Les consulats, pour

lesquels les fonds étaient votés depuis si long-temps n'ont pas été établis. Les relations que notre cabinet avait paru empressé de former avec des états naissans et combattans, il a dédaigné de les entretenir avec les mêmes états affermis par la victoire. Si des agens français y ont fait une courte apparition, on ignore avec quel caractère, on ignore avec quelles instructions ils ont été envoyés. Tout ce qu'on a su de leur mission, c'est par un des gouvernemens américains qu'on l'a appris, ce gouvernement ayant déclaré en dernier lieu, dans un document public, que la conduite de nos agens atait été suspecte et perfide. »

Ici, l'honorable orateur, rappelant la conduite de l'Angleterre qui venait de reconnaître l'indépendance des nouveaux états américains, demandait quelle était la volonté qui nous imposait cette absurde et ruineuse politique, avec laquelle la France courait le risque d'être mise hors du marché des nations. Serait-ce à l'Espagne qu'on sacrifiait les intérêts de notre agriculture et de notre industrie? Serait-ce à l'influence des puissances continentales?

Hier encore, dit l'illustre orateur, le ministre principal d'une puissance étrangère était à Paris (1). Que de mouvemens sa présence a excités dans les esprits! comme ses démarches ont été observées! avec quelle avidité ses moindres paroles ont été recueillies !... Ce fut d'abord le bruit courant qu'il venait, non pas demander, mais commander notre neutralité lors de l'exécution des projets hostiles de sa cour contre la Grèce; et la France en a frémi, parce que les victoires des Grecs sont nos victoires; parce que leur désastre serait notre désastre; parce que tous les cœurs français palpitent pour la cause sacrée de la religion, de la liberté et des beaux souvenirs.

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On a dit ensuite que le voyage du ministre autrichien avait un objet moins spécial, moins diplomatique, et qui attaquait d'une manière plus directe nos droits et nos libertés. Suivant cette version, les rois de la saintealliance ne pourraient supporter plus long-temps chez un de leurs confédérés l'existence d'un gouvernement discordant avec les principes qui les unissent. Ardens comme ils le sont à étouffer dans leurs états tout ce qui ressemble à la publicité, se résigneraient-ils à endurer l'éclat de ces tribunes législatives qui retentissent jusqu'aux extrémités du monde ? C'était donc contre notre tribune que le ministre serait venu protester! et comme un pareil bouleversement n'est pas de nature à être opéré en un jour, il se serait contenté, en attendant mieux, d'emporter la promesse que la liberté de la presse sera bientôt suspendue, et plus tard anéantie.

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Ce sont là, dira-t-on, de vaines et calomnieuses rumeurs. Je veux bien le croire, Messieurs; et en vérité elles sont par trop injurieuses à la dignité de

(1) M. le prince de Metternich était arrivé à Paris le 15 mars, et n'en est parti que le 21 avril. Suivant les uns, le voyage n'était motivé que par le désir de voir son épouse qui était malade, et qui mourut en effet quatre jours après son arrivée (19 mars); mais dans l'opinion du parti libéral, il avait un objet politique que le général Foy signale, et que le président du conseil repousse ensuite assez clairement pour nous dispenser d'autres détails à cet égard.

la France, et d'ailleurs elles portent en elles-mêmes une empreinte de ridicule propre à frapper vivement ceux qui ont eu l'occasion d'apprécier l'incontes table supériorité de la puissance française sur celle du pays auquel appartient le haut personnage diplomatique. Mais enfin les bruits que je rapporte ont circulé dans Paris; ils ont gagné les provinces; ils sont écrits dans les gazettes étrangères; ils reçoivent même une certaine consistance des opinions émises par les organes du gouvernement, et hier encore par M. le garde des sceaux, sur la prétendue insuffisance de notre législation daus la matière. Je ne doute donc pas que M. le président du conseil ne juge convenable de les démentir d'une manière formelle, en déclarant que la liberté de la presse sera conservée à la France, à la France qui la chérit, et comme une de ses plus précieuses institutions, et comme le premier bienfait du règne de son auguste monarque,

Je crois, Messieurs, que cette garantie est nécessaire, ne fût-ce que pour abattre l'insolence des étrangers qui affecteraient la domination dans nos conseils. Je crois aussi qu'il importe à la prospérité de notre pays que de promptes et efficaces mesures soient prises par le gouvernement du Roi pour que le commerce français trouve sur le continent de l'Amérique et partout ailleurs les avantages auxquels il a droit de prétendre. Ce n'est qu'autant que satisfaction complète sera donnée aux intérêts nationaux sur ces deux points que je me déciderai à voter l'allocation supplémentaire de 585,000 fr., demandée cette année pour le ministère des affaires étrangères. »

M. le président du conseil, qui venait d'être interpellé si chaudement, ne fit pas attendre sa réponse.

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Messieurs, dit S. Exc., on met deux conditions à l'adoption du budget dont un des chapitres est soumis à votre délibération; l'une que, par une déclaration faite à cette tribune, les ministres du Roi repousseront ce qu'on vient de nommer l'insolence des étrangers; et l'autre, quils donneront la garantie que les intérêts commerciaux de la France seront protégés par le gouvernement du Roi. Notre réponse sera brève. Nous n'apercevons pas ces prétentions étrangères dont nous parlait l'orateur; et si quelque chose était capable de donner une preuve contraire à ses assertions, ce serait le fait même qu'il a présenté.

« Un personnage éminent par la position qu'il occupe dans un autre pays a fait, dit-il, dans le nôtre un séjour qui a donné lieu aux plus fàcheuses interprétations; il me semble, au contraire, que ce voyage s'est passé comme la chose auroit eu lieu il y a quarante ou cinquante ans. Ainsi, la prenve opposée à ses prétentions dont parlait le préopinant peut être précisément tirée des faits mêmes qu'il a exposés à la Chambre.

Cependant, dit-il, des alarmes se sont répandues: on craint pour nos formes de gouvernement, on craint pour la liberté de la presse; et l'on ajoute qu'un discours prononcé hier par un ministre du Roi a semblé autoriser ces craintes, Rien dans le discours dont il s'agit n'a pu être propre à les propager. Le ministre, si je m'en souviens bien, a dit qu'une circonstance extraordinaire, une opinion qui n'était pas conforme à celle du gouvernement sur une loi dont il s'agissait, lui avait fait reconnaitre la nécessité de suspendre la liberté de la presse : cette disposition, dont il est inutile de parler en ce mo ment, a eu cinq ou six semaines de durée, à une époque que les orateurs qui s'en sont inquiétés auraient pn se rappeler, et immédiatement après la me

sure a cessé.

Y aurait-il des inquiétudes plus fondées à concevoir sous le rapport des formes de notre gouvernement? Mais, Messieurs, je vous le demande avec confiance, à quelle époque les formes de notre gouvernement ont-elles été plas respectées par tout le monde, et ont-elles reçu de plus grands développemens? A quelle époque, dirai-je à un autre orateur qui rappelait que nous avions sans cesseréclamé comme députés la liberté de la presse, à quelle autre époque que depuis le ministère qui existe aujourd'hui, la France a-t-elle joui de cette liberté avec la latitude que nous voyons, latitude que certainement personne ne sera tenté de regarder comme insuffisante... (Voix nombreuses : Personne assurément... Et puisqu'à cette tribune il nous est permis comme à nos antagonistes de dire notre opinion tout entière, je dirai que ceux qui réclament le plus la liberté de la presse sont ceux qui semblent travailler avec le plus d'ardeur à la faire craindre de la société entière! Quant au gouvernement, non-seulement il ne redonte pas la liberté de la presse, mais il ne partage pas les alarmes qu'ont pu concevoir quelques personnes. Les membres du gouver nement sont convaincus que le mal dans ce genre porte avec lui le remède, et que l'abus de la liberté, la licence même de la presse, sont en eux-mêmes un remède qu'il est inutile de chercher ailleurs...

« Si le gouvernement avait pensé le contraire, vous êtes réunis, il vous aurait fait connaitre le mal, et vous aurait proposé le remède. A-t-il été dit un seul mot capable d'autoriser les craintes avec lesquelles on voudrait nous amener à des engagemens qui seraient contraires à notre devoir? Non, Messieurs; et la présence du personnage dont on a parlé a été au contraire un témoignage honorable pour le gouvernement français et pour le gouvernement dont ce personnage a la confiance; ce voyage honorable, je le répète, pour les deux puissances, n'était pas de nature à inspirer des inquiétudes du genre de celles dont a parlé l'orateur. »

Ici le ministre, abordant la première question relative au commerce, remarque ou relève une sorte de contradiction de l'orateur, en ce qu'il a dit que le commerce avait fait avec l'Amérique méridionale un commerce triple de celui qu'il fait avec nos possessions coloniales, malgré le défaut de protection du gouvernement; et quant à la préférence que l'Angleterre a obtenue dans les colonies espagnoles, il observe que c'est l'effet de l'invasion de l'Espagne par Buonaparte.

Hé quoi! dit S. Exc., c'est au gouvernement de Roi qu'on vient reprocher aujourd'hui de n'avoir pas retiré, de l'expédition d'Espagne en 1823, l'avantage de remplacer dans les colonies espagnoles, séparées de la métropole, la puissance qui, depuis 1808, est en possession et de les protéger et de commercer avec elles.

Reportons donc à chacun ce qui lai est dû: le gouvernement usurpateur par ses fautes a fait passer le commerce de ses colonies dans les mains de l'Angleterre. La restauration a amené la France dans cette position, que déjà elle y participe avec avantage, et que d'année en année elle y prendra une part plus grande voilà la vérité des faits... On nous a dit : « Missionnaires de la sainte-alliance, pour aller faire la guerre en Espagne, vous deviez stipuler

avec vos alliés la restitution des places fortes situées sur nos frontières et d'au/ tres avantages commerciaux relativement à ces colonies. En un mot, vous deviez exiger des alliés, puisque vous n'étiez là que pour leur compte, des avantages en votre faveur.

Je commence par nier la mission dont on nous parle. La France, dans ces circonstances, a agi de sa libre volonté; elle n'a été dirigée que par le soin de sa sûreté et de son honneur. Elle n'a point de dédommagement à demander à personne pour un sacrifice qui lui était commandé par ces deux grandes con

sidérations.

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Quant à l'Espagne, elle nous a accordé tout ce qui dépendait d'elle ; la liberté du commerce avec les colonies, sur un tarif égal à celui de toutes les autres nations; mais, comme ces pays étaient sortis de sa dépendance, nous n'avons pu obtenir qu'une chose, c'était la légitimité du commerce...

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Fallait-il aller plus loin? Ici, Messieurs, je ne crains pas d'entrer dans des questions qui peuvent être difficiles. Je les aborderai franchement. Fallait-il imiter l'exemple donné par l'Angleterre ? reconnaître l'indépendance des colonies espagnoles? A cet égard, je demanderai à l'orateur si nous sommes dans la même situation qu'elle ? Considérons la question sous deux rapports, sous celui des intérêts du commerce et sous celui de la politique.

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L'Angleterre est, sous le premier de ces rapports, en possession de ce commerce depuis 1808. L'orateur sait aussi bien que moi que l'Angleterre a, je je ne dirai pas des millions, mais des milliards engagés dans ces pays. Or, la France commerce avec eux depuis très-peu d'années. Ses exportations ont été l'année dernière de 30 millions et ses importations de 16 millions. Voilà nos relations avec ces pays sous le rapport des intérêts commerciaux, et vous voyez que jusqu'à ce moment il y a une grande et inévitable différence entre l'intérêt de la France et celui de l'Angleterre.

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Quant à la différence sous les rapports politiques, un Bourbon règne sur l'Espagne, ce pays dont l'union avec la France a toujours été si utile aux deux nations. L'expédition glorieuse de 1823 vient de raffermir ce trône et de resserrer encore les liens qui unissent les deux pays. Était-ce, sous aucun rapport, le moment de faire contre les intérêts de l'Espagne, et malgré ses protestations, un acte qu'elle eût considéré comme une violation de ses droits et un abus de notre position. Ici, j'ose le dire, les principes étaient d'accord avec la politique.

« Le rôle que la France est appelée à remplir dans l'intérêt de l'Espagne et celui de l'Amérique est le rôle de médiatrice : son vou constant est d'opérer entre ces pays un rapprochement utile à tous. C'est vers ce but que tous ses efforts ont tendu et qu'ils tendent encore... On parlait tout-à-l'heure d'agens français qui avaient inspiré des soupçons. Je le déclare ici: ces agens n'ont jamais été chargés de faire autre chose que ce que je viens de déclarer; c'està-dire de chercher à amener une réconciliation entre l'Espagne et ses colonies; comme d'un autre côté la France n'a cessé d'agir à Madrid pour atteindre le même but... On vous disait tout-à-l'heure qu'une frégate, de loin à lɔin, protégeait notre commerce... La vérité est que sur presque toutes les mers, et notamment dans la mer du Sud, nous avons eu une force navale supérieure à celle des autres nations. Depuis que le commerce français se fait avec les colonies dont il s'agit, son pavilion y a été respecté à l'égal de celui de toutes les autres nations... Ainsi aucun intérêt n'est en souffrance par suite de la marche qu'a prise le gouvernement du Roi. Quant à sa conduite politique, elle est ce qu'elle devait être, ce qu'elle sera toujours, c'est-à-dire conforme à l'honneur et aux intérêts du pays.

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