Page images
PDF
EPUB

balance constamment avec les facultés... Dans les détails statistiques à l'appui de son opinion, l'honorable membre évaluait la consommation individuelle à 75 c. par jour, ce qui offrait pour trente millions d'habitans, une consommation générale de 8,212,500,000 fr., et en ne tenant pas compte de ce que la fraude pourrait dérober aux recherches du fisc, il resterait au moins sept milliards sur lesquels on pourrait prélever 15 pour cent de la valeur des consommations... La loi de finances, quant aux recettes, n'exigerait alors que ce peu de mots : « Toutes les consommations paieront en 182... 15 pour cent de leur valeur; » s'il survenait l'année suivante un besoin extraordinaire de 70 millions, on porterait la taxe à 16 c.; si la dépense diminuait de cette même somme, le droit ne serait que de 14 c. »

Il ne restait plus, après M. de Lastours, d'orateur inscrit contre le projet de loi: ainsi, après avoir encore entendu M. de Boisclaireau qui rendit hommage aux perfectionnemens introduits dans la comptabilité de l'état, la discussion générale se trouva fermée.

On a remarqué, comme une singularité, qu'aucun des ministres ne s'était levé pour répondre aux attaques dirigées contre eux. Ils attendaient la discussion des articles, où la lutte fut en effet fort vive, quelquefois pénible, et presque toujours intéressante.

(9 mai.) A l'art. 1er (dépenses de la dette consolidée et de l'amortissement), M. Casimir Périer demanda au ministre des finances quelques explications dans l'intérêt des porteurs de 5 pour cent appelés à faire convertir leurs rentes... Dans l'état des choses, il n'existait encore de 3 pour cent que ceux qui provenaient de conversions journalières.

« Jusqu'à présent, dit-il, on n'avait rien appris du montant de ces conversions, et cependant nous voyons afficher à la bourse que la caisse d'amortissement achète chaque jour pour 250,000 fr. de 3 pour cent. Mais si en réalité il n'avait pas été opéré de conversions pour cette somme, comment la caisse d'amortissement ferait-elle pour opérer ces rachats? Dans tous les cas, il est évident que, par le mode adopté, l'amortissement doit tenir les 3 pour cent à un prix très-élevé, parce que ces fonds ne sont pas en grande quantité, et que par conséquent la caisse rachètera les fonds beaucoup plus cher qu'il n'est juste et convenable. »

Ainsi l'honorable membre demandait dans l'intérêt du trésor et

des porteurs de rentes, que l'on publiât périodiquement la quotité des conversions qui auraient été faites.

Le ministre répondit à cette demande que la publicité périodique des conversions ne pouvait être désirée que dans l'intérêt des agioteurs; que la loi ayant fixé un délai de trois mois pour les options, il était probable que la plupart des rentiers attendraient jusqu'au dernier délai pour opérer leur conversion; que cependant il y avait eu dans les deux premiers jours une conversion de 375,000 fr. de rentes; qu'au surplus l'avantage de l'amortissement ne tournait pas exclusivement au profit de ceux qui avaient converti; car les porteurs de 5 pour cent, disposés à vendre, pouvaient en faire des 3... M. Casimir Périer insista, le ministre répliqua de nouveau, et la question en resta là.

M. Bazire prit occasion de cet article pour renouveler la proposition qu'il avait déjà faite d'augmenter le nombre des agens de change ou la quotité de leur cautionnement, motivée d'une part sur l'accroissement de la dette publique et des négociations de bourse; de l'autre sur la nécessité d'augmenter les garanties du public dans un moment où les énormes profits des agens de change n'empêchaient pas que plusieurs n'eussent fait des faillites scandaleuses. Les propo sitions de M. Bazire, combattues par le ministre des finances et par M. Leroy, n'eurent pas plus de succès que la demande de M. Casimir Périer, et l'art. 1er passa sans opposition.

Ministère de la justice. Ici s'ouvrit une discussion plus importante. M. Bourdeau s'éleva d'abord contre le dessein plusieurs fois manifesté de réduire le nombre des cours royales et des tribunaux de première instance.

« Ce n'est pas sans de puissans motifs d'ordre et de sécurité, dit-il, que la Charte a consacré, article 58, l'inamovibilité des juges, garantie certaine et efficace de la juste considération dont la magistrature doit jouir, et aussi de la liberté et de l'impartialité de la justice qui émane du Roi. Mais que deviendrait cet utile et salutaire privilége, si chaque année et à chaque cession législative, l'ordre judiciaire est menacé de désorganisation et de réorganisation, et l'existence des cours et tribunaux mise en doute périodique? C'est alors que l'inamovibilité du magistrat fait place à l'amovibilité des institutions, et que l'incertitude des établissemens cause autant de maux à l'administration de la justice que pourrait lui en faire l'amovibilité des personnes.

[ocr errors]

Le magistrat révocable placé chaque jour dans l'exercice de ses fonctions,

entre sa conscience et les exigences ou la colère du pouvoir, sans fixité, sans stabilité dans son sort, est avili dans l'opinion s'il est faible et docile, persécuté s'il est indépendant, et toujours, injustement sans doute, soupçonné de bassesse ou d'intérêt dans les actes les plus libres de son ministère. L'instabilité des établissemens produit les mêmes effets; le corps s'individualise, chacun redoute la suppression, la confiance s'éteint, et la considération est dédaignée par celui qui se croit menacé dans son avenir, trop lié à celui de l'autorité dont il fait partie pour ne pas les confondre. Dans cette situation, l'esprit de la compagnie est altéré ; les affaires domestiques sont préférées aux affaires publiques, les magistrats ne songent qu'à eux seuls, et la distribution de la justice n'est plus un devoir, mais un fardeau. Le mal devient bien plus grand si la menace de réorganisation, commentée par la malveillance, prend la couleur d'une purification politique qui doive à la fois affecter le personnel et les localités...

Pour quel motif renouvelle-t-on sans cesse ces craintes qui ne se réalisent jamais qu'en dénonçant de plus graves atteintes réservées au système politique? Vainement les réformateurs mettent-ils en avant le besoin d'environner la magistrature d'une plus grande considération. Agrandir les corps de magistrature, augmenter leurs ressorts, ne sera faire qu'un changement inutile tant que leur attribution sera réduite comme elle doit l'être, comme il est bon qu'elle le soit, au pouvoir judiciaire. La réorganisation qu'on désire sera impraticable, tant que l'admissibilité aux emplois civils et militaires existera, tant que la loi n'accordera pas plus d'avantages aux familles patriciennes pour la transmisison des biens, qu'au plus petit cultivateur de la Sologne, tant que dans nos mœurs, la richesse due si souvent à l'agiotage sera une source de considération personnelle...

« C'est par les mêmes motifs qui doivent éloigner les corps judiciaires de toute participation à la puissance politique, qu'il conviendrait de leur rendre des attributions dont le clergé lai-même, en 1585, avait reconnu l'équité. Un exemple récent, et qui, sous divers rapports, a produit une aussi fâcheuse impression dans l'église que dans l'état, serait déjà réprimé, si la loi du 18 germinal an 10, faite pour un gouvernement tyrannique, n'avait réservé à l'autorité la plus dépendante (le conseil d'état) la connaissance de ces matières et les appels comme d'abus.

« L'administration spirituelle attachée au pouvoir des clefs, pour parler comme les ultramontains, comprend les sacremens et l'espèce de juridiction unie au droit de les conférer; espèce de juridiction intérieure et secrète, d'où est crééé cette juridiction ecclésiastique qui si long-temps absorba tout. Les évêques et les curés sont comptables de leur administration, d'abord et principalement à Dieu dont ils sont les ministres ; ils le sont encore à l'assemblée des chrétiens qui les choisit par elle ou par ses chefs; par conséquent ils sont comptables à la souveraineté qui gouverne cette assemblée, an magistrat dépositaire des lois faites pour le maintien de l'ordre et de la paix publique; et comme ils pouvaient abuser de ce droit d'administrer, l'église gallicane et les tribunaux avaient adopté des maximes, des règles et une jurisprudence qu'on ne saurait rétablir trop tôt, si l'on veut préserver la France d'une domination qui lui répugne, et la puissance temporelle de l'envahissement dont elle est menacée. »

L'honorable membre pensait que cette considération qu'on veut rendre à la magistrature, lui serait plus facilement acquise si l'on dégageait les fonctions judiciaires de toute alliance avec d'autres

fonctions salariées. Il opposait à cet abus, devenu trop commun aujourd'hui, le désintéressement de l'ancienne magistrature des parlemens; il signalait les inconvéniens de cette accumulation de fonctions et de traitemens pour la dignité de magistrat et dans l'intérêt de la société; et terminait son discours par une vive apostrophe sur l'ordonnance du 15 août 1824, qui avait suspendu la liberté de la presse, sur le motif que la jurisprudence des cours rendait insuffisans les moyens de répression établis par la loi du 17 mars 1822; motif que l'honorable membre regardait comme une grave imputation à la magistrature française.

D'autres membres (MM. de Ricard (du Gard), Jacquinot-Pampelune et Bazire), se prononcèrent aussi contre la réduction du nombre des tribunaux, soit parce qu'en agrandissant le ressort des nouvelles cours on semblerait vouloir en refaire des parlemens, soit dans l'intérêt des justiciables qu'on éloignerait des tribunaux, soit par respect pour la législation qui en serait toute bouleversée; car alors il faudrait changer toutes les attributions, à commencer par la justice de paix, soit par ménagement pour des localités pour l'existence de plusieurs milliers de familles respectables qui serait compromise sans qu'il en résultât une économie réelle pour l'état.

Un des membres de la commission (M. Descordes), essaya de jus tifier le vœu qu'elle avait exprimé à cet égard, par ceux que plusieurs conseils généraux avaient fait entendre; elle était persuadée que les cours royales recevraient plus de dignité si elles étaient moins nombreuses... Elle pensait aussi que moins il y aurait de tribunaux, plus ils seraient éloignés des plaideurs, moins il y aurait de procès. D'ailleurs elle n'avait émis ce vœu qu'en termes fort mesurés, laissant à la sagesse du gouvernement le soin de mùrir et d'exécuter cette pensée.

M. Mestadier aussi repoussait la réduction des tribunaux, comme inutile et dangereuse pour le trône et pour la France, mais il demandait pour ajouter à la juste considération de la magistrature qu'on augmentat ses attributions, qu'on l'affranchît des restes de la servitude impériale; surtout qu'on fit cesser « le scandale législatif

de l'institution actuelle des auditeurs qui, au mépris de l'art. 58 de la Charte, sont juges avec voix délibérative, sans être inamovibles... »

M. le garde des sceaux, montant après cet orateur à la tribune, commença par faire observer que de plusieurs questions délicates soulevées tout à l'heure, les unes avaient été discutées prématuré ment et sans fruit, les autres décidées avec autant d'inexactitude que d'injustice. Quant à la réduction du nombre des cours et des tribunaux, la question lui semblait avoir été mal posée.

. Il ne pourra jamais être question, dit S. G., de réduire, à proprement parler, le nombre des Cours et des tribunaux, mais plutôt de les réunir. Mais réanion ou réduction, quoique je sois fort éloigné de considérer comme entièrement dépourvue de fondement l'opinion de ceux qui croient que notre organisation judiciaire n'est pas complétement parfaite dans toutes ses parties; que, par exemple, le nombre ou des Chambres ou des conseillers de Cours royales n'est peut-être pas assez étendu, il résulte de là que ces Cours n'ont ni assez de consistance, ni assez d'influence, ni assez d'autorité morale. Quoique je sois aussi enclin à penser qu'il serait peut-être désirable que la juridiction des juges de paix fût aussi étendue, non pas en matière criminelle, mais en matiere civile; que peut-être aussi celle des tribunaux de première instance établis dans les chefs-lieux de départemens, recussent une extension relative au nombre des magistrats qui les composent... Malgré toutes ces idées dont la plupart, je l'avoue, me paraissent justes, je suis fort éloigné de croire qu'il faille les étendre autant qu'on le fait aux tribunaux d'arrondissement... »

Quant à la deuxième question des appels comme d'abus portés au conseil-d'état, M. le garde des sceaux, reprenant les motifs allégués par M. Bourdeau pour lui contester cette attribution, faisait observer que les renvois pour cause d'abus, dans des actes émanés de l'autorité ecclésiastique, devant s'exercer à la fois sur des matières civiles et politiques, l'orateur ayant reconnu qu'on ne pouvait attribuer aux cours de justice, une participation aux pouvoirs politiques, il y avait un esprit d'inconséquence à demander que les recours pour cause d'abus leur fussent attribués d'une manière générale et indéfinie...

Venant au dernier reproche fait au gouvernement du Roi d'avoir insulté la magistrature française par l'ordonnance du 15 août 1824, (voy. l'Annuaire hist. de cette année, page 604), M. le garde des sceaux en rejetait l'idée avec indignation.

Non, Mossieurs, dit S. G., ce n'est pas nous qui ferons la censure de la Annuaire hist. pour 1825.

15

« PreviousContinue »