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sel de gemme dans toute son étendue, sauf une indemnité aux inventeurs. Si cette propriété était abandonnée aux particuliers, il ne resterait aucun moyen de garantir les propriétaires des marais salans de l'Ouest et du Midi des suites d'une concurrence ruineuse pour la population maritime. Tandis qu'au moyen d'une régie intéressée sous la direction du gouvernement propriétaire, la fabrication du sel se trouverait par le fait grevée d'une sorte de prime au profit du sel marin, comme sous l'empire du bail des salines. La nouvelle exploitation se trouverait dès lors maintenue dans les bornes que la force des choses avait assignées aux ventes de la compagnie, avec la seule différence qui peut résulter de la diminution dans les frais d'extraction comparés avec ceux d'évaporation, etc....

Tels étaient en substance les motifs qui avaient décidé le gouver nement à proposer de concéder pour quatre-vingt-dix-neuf ans, avec publicité et concurrence à titre de régie intéressée, et pour être réunie dans les mêmes mains, l'exploitation des salines, déjà exploitées dans les départemens de l'Est, et celle de sel gemme, qui venait d'être découverte à Vic.

Mais en passant un nouveau bail, le gouvernement se proposait de stipuler un maximum à la vente des sels, et il se flattait qu'une seule compagnie plus riche en capitaux et plus grande dans ses conceptions, parviendrait, plutôt que des compagnies isolées, à opérer graduellement dans les provinces voisines de la mine, suivant que l'entreprise s'avancerait vers des méthodes plus parfaites et plus économiques, une diminution si désirable dans les intérêts de l'agriculture et du commerce.

25 janvier. Le rapport qui fut fait le 25 janvier, par M. le comte Chaptal, au nom de la commission spéciale chargée d'examiner ce projet, contient une foule de faits intéressans, dont on ne peut donner ici que l'aperçu. Il exposait aussi que la découverte de riches mines de sel gemme dans le royaume de Wurtemberg et dans le grand duché de Bade, venait d'arrêter les exportations de nos salines de l'Est (elles étaient autrefois de 250,000 quintaux métriques), lorsqu'on découvrit à Vic et dans ses environs (département de la Meurthe), une mine aussi riche, plus

étendue et plus facile à exploiter, et le noble rapporteur y ajoutait les détails suivans :

Le premier banc de sel a été reconnu le 14 mai 1819, à une profondeur de cent quatre-vingt-quinze pieds. D'autres sondages opérés successivement ont découvert les mêmes conches de sel sur une étendue de trente lieues carrées. Onze couches de sel ont été traversées : leur épaisseur réunie forme une masse de deux cent quarante pieds. L'étendue de sa mine et sa profondeur ne sont pas encore constatées; mais ce qui a été connu suffirait pour fournir à l'extraction annuelle d'an million de quintaux métriques de sel pendant plus de cent mille ans.

« Une expérience de cinq années a appris, 1° que l'eau est très salubre dans la profondeur des puits qui ont été creusés; 2o qu'il ne se trouvait pas de sources au-dessous du premier banc de sel, et qu'il n'y avait aucune filtration dans les galeries qui ont été pratiquées; 3° que l'usage de ce sel est très sain.

L'analyse rigoureuse de ce sel, qui a été faite par l'administration des mines et par l'académie des sciences, a prouvé que les échantillons les plus impurs de ceux qui ont été réunis pour être analysés, ne contenaient que quatre pour cent de matières étrangères, dont aucune n'était nuisible à la santé, et qui, au reste, en seront séparées par un raffinage nécessaire pour opérer la vente des qualités qui sont plus ou moins colorées.

La découverte de la mine de sel gemme est donc un grand événement pour la France. »

Mais le gouvernement devait-il accorder une concession pour exploiter la mine de sel gemme?... » Le noble et savant rapporteur n'hésite pas à résoudre affirmativement cette question. Il ne pense pas que cette exploitation nuise essentiellement à celle des marais salans. La mise de fonds (de 3 à 4,000,000) qu'elle exigera, la répartition du prix de bail (qu'on peut supposer de 2,000,000) sur le sel qui sera vendu, en évaluant à 500,000 quintaux métriques la quantité livrée au commerce, occasionneront une surcharge de 4 fr. par quintal métrique, ce qui, ajouté aux 2 fr. que doit coûter l'extraction, porterait à 6 fr. le prix du sel qu'on peut avoir dans nos marais salans à i fr. Ainsi le bénéfice résultant de la proximité de la mine sur les frais de transport, ne se ferait sentir que dans un rayon très-rapproché de la mine. Le sel des marais salans pourrait soutenir la concurrence jusque dans le département de la Marne...

Jusqu'ici les marais salans avaient fourni au moins 1,800,000 quintaux métriques à la consommation de l'intérieur, tandis que les salines de l'Est n'en ont livré que 200,000. Il était donc plus que probable que les marais salans conserveraient toujours les sept huitièmes de la consommation intérieure.

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En considérant la question sous des rapports plus étendus, le

noble rapporteur pense que le sel étant d'un usage général et d'un besoin presque absolu pour tous le gouvernement, doit en procurer et faciliter la consommation, au plus bas prix possible.

Si le gouvernement s'écartait de ces principes, dit S. S., aucune amélioration ne serait possible, ni dans l'agriculture, ni dans les arts : toute ambition serait éteinte, et la plus belle faculté qui ait été donnée à l'homme, celle d'inventer et de perfectionner, serait stérile pour la société.

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Il est reconnu que les marais salans sont devenus depuis quelques années presqu'une charge pour les propriétaires. Mais leur état de souffrance tient à des causes qui, en apparence, étrangères et indépendantes de l'objet qui nous occupe, doivent cependant être connues.

La première de ces causes, c'est que pendant les dix années où le sel a été affranchi de l'impôt, les bords des deux mers ont été converts de marais salans; alors la consommation du sel est devenue prodigieuse. La vente s'est élevée pendant plusieurs années à 20 et 25 millions de francs. Mais du moment que la loi a frappé le sel d'une taxe énorme, la vente a diminué d'ane manière effrayante; il suffit aujourd'hui d'une vente de 2 millions de quintaux métriques de sel, qui, à raison d'un franc par quintal, forme une modique somme de 2 millions de francs, pour produire 60 millions au trésor.

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Ainsi, d'un côté, la multiplication des marais salans a porté lá production du sel au-delà de ses limites fixées par la consommation actuelle; de l'autre, le fisc qui perçoit 30 fr. sur une valeur d'un franc, a diminué la consommation des neuf dixièmes.

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Ne cherchons pas ailleurs l'état de souffrance où sont réduits les marais salans.

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Lorsque la vente du sel était libre d'impôt, l'agriculture en étendait les usages à l'infini. Dans les montagnes de l'Auvergne, de la Corèze, du Cantal, da Vivarais, du Danphiné, des Cévennes, du Tarn, de l'Aveyron, etc, ou l'ou élève une si grande quantité de bestiaux, on regarde le sel comme étant de premier besoin pour ces animaux; et on sait par expérience qu'on n'y a ni santé, ni engrais, et presque pas de toisons, lorsqu'on ne leur donne pas une bonne ration de sel par semaine.

On mêlait le sel aux engrais pour en augmenter l'action; on le répandait sur la terre et au pied des arbres, pour exciter ou ranimer la végétation. On multipliait les salaisong dans les ménages pour conserver les alimens.

L'impôt a presque tari toutes ces sources de prospérité agricole ; et ce serait le plus grand des bienfaits pour l'agriculture, le commerce et les propriétaires des marais salans, que de pouvoir rendre le sel à ses nombreux usages par la diminution ou la suppression de l'impôt. »

Quant à la deuxième question, celle de savoir si le mode de concession proposé par le gouvernement était avantageux à l'État, à la bonne exploitation de la mine, aux propriétaires des marais salans et aux départemens; la commission adoptant les motifs du gouvernement reconnaissait que le projet de loi paraissait concilier autant que possible tous les intérêts; mais pour donner une fixité plus légale à la principale condition, elle proposait de stipuler par un

article additionnel, qu'aucune réduction ne pourrait être faite dans le prix du bail que par une loi...

(29 janvier.) Le projet de loi soumis à la discussion éprouva des objections dont plusieurs avaient été prévues par le ministre et par le rapporteur. M. le marquis de Chasseloup, la regardant comme une loi de finances qui aurait dù être portée d'abord à la Chambre des Députés, l'attaqua sous le rapport de la durée du bail par lequel le gouvernement se liait pour un siècle; du préjudice qu'il devait apporter à la vente des sels de l'Ouest où l'abandon des marais salans rendrait à cette côte son ancienne insalubrité; et au cabotage qui formait pour la France une pépinière d'excellens matelots. M. le comte Roy, contestant au gouvernement la propriété des miues de sel gemme, s'éleva surtout contre la création d'un monopole contraire à toute espèce d'industrie, qui restreindrait l'exportation par la surcharge du prix du bail et des droits, et qui affecterait sensiblement la prospérité des départemens de l'Est. Plusieurs autres pairs (le marquis de Pange, le comte de Saint-Roman, le duc de Choiseul, le comte de la Villegontier) avaient soutenu le principe et la rédaction de la loi : mais le ministre des finances n'en crut pas moins devoir répondre à des objections présentées avec de nouveaux développemens. Son Exc. démontra qu'une compagnie riche de capitaux était seule capable de donner à cette branche d'industrie tout le développement dont elle était susceptible par des moyens d'exploitation, tels que l'ouverture de nouveaux canaux ou la construction de chemins en fer, et par des sacrifices qu'elle ne pourrait faire, en limitant la durée de son bail. :

31 janvier. Enfin, après une discussion qui ne laissait rien à dire sur le fond de la question, tous les amendemens, celui de M. de Chasseloup, qui tendait à soumettre tous les dix ans aux Chambres la question de la quantité des sels à émettre; celui de M. de Marbois, qui bornait à cinquante ans la durée du bail; celui de M. de Coislin, qui voulait qu'on ne pût changer aucune des conditions du bail que par une loi; et même celui de la commission, furent écartés; le projet, soumis à l'épreuve du scrutin, réunit 143 suffrages sur 176

votans.

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CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

Ce projet, présenté à la chambre des députés le 4 février, fut l'objet d'une discussion sévère et de graves dissentimens dans le sein de la commission chargée de l'examiner. D'abord cette commission, le considérant comme une loi de finances, puisqu'il s'agissait de créer un revenu nouveau, avait pensé que c'était à la chambre des députés qu'il appartenait d'en recevoir la première proposition, et, dans le rapport qu'il en fit le 17 mars (M. le comte de Bruyeis Chalabre), signala le procédé du ministère en cette circonstance comme une atteinte au privilége de la Chambre.

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En examinant le projet de loi tel qu'il était sorti de la chambre des pairs, il avait paru à la majorité de la commission qu'il n'y avait 'rien dans la loi de 1810 qui pût autoriser le gouvernement à se concéder à lui-même la propriété de la mine de Vic; car dans la nomenclature des matières soumises à la législation des mines, il n'y était nullement mention des mines de sel gemme, ni d'aucune des sub stances salifères qui peuvent s'extraire des entrailles de la terre... et dans le conseil d'état d'alors, la proposition en avait été repoussée. Ainsi la commission ne pensait pas qu'on dût chercher dans la loi de 1810 un droit qu'elle ne donne pas, mais bien dans l'intérêt de l'état et dans le besoin des circonstances.

Ici l'honorable rapporteur reproduisait, avec une force nouvelle, la nécessité de protéger une antique industrie, la propriété commune, les marais salans de l'Ouest et du Midi dont les établissemens, déjà réduits par la diminution de la consommation, seraient inévitablement abandonnés, et la population maritime exposée à une 'ruine complète, au fléau des maladies contagieuses, si la loi et la sagesse du gouvernement ne mettaient des bornes à la concurrence, à l'exploitation illimitée, à la discrétion d'une seule compagnie, de la mine de sel gemme nouvellement découverte. La commission avait considéré qu'un bail de quatre-vingt-dix-neuf ans était une véritable 'aliénation : elle avait regretté que les conditions n'en eussent pas été annexées au projet de loi et soumises à la discussion; c'était le plus efficace moyen de pourvoir à défendre de si grands intérêts contre

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