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capital et celui du nouveau système qu'on voulait substituer à l'institution actuelle de l'amortissement... Rien ne lui paraissait moins démontré que la baisse de l'intérêt de l'argent au taux de 4 pour 100. En réduisant d'un cinquième le revenu de la rente, on offrait en compensation d'augmenter son capital d'un tiers. Cette réduction ainsi compensée était-elle dans l'intérêt de l'état? le noble pair n'était pas de cet avis; il ne niait pas qu'en Angleterre on n'eût employé l'expédient des emprunts avec accroissement de capital; mais c'était dans les temps de la plus impérieuse nécessité : et quels avaient été les résultats de cette opération? La dette de l'Angleterre qui, au 1er janvier 1793, n'était que d'environ 5 milliards, s'élève aujourd'hui à 23, après qu'une partie importante a déjà été rachetée; et sur les divers emprunts faits pendant les 23 années de guerre, l'Angleterre a réellement reçu près de 9 milliards de moins que la somme dont elle s'est reconnue débitrice. On peut se faire une idée d'un pareil système en réfléchissant que cet accroissement de la dette n'a eu pour objet que de couvrir pendant vingt-trois années un déficit de moins de 150 millions: aussi tous les hommes éclairés de ce pays se sont-ils prononcés avec force contre ce système trompeur aussi le gouvernement lui-même, une fois échappé aux nécessités qui l'avaient dominé, s'est empressé de quitter cette route funeste et d'adopter un système tout contraire; celui de diminuer les fonds publics de manière à réduire le capital de la dette nationale à un fonds nominal moins considérable.

De ces considérations générales, le noble pair passe à l'examen des procédés et des effets de l'amortissement: il oppose de nouveaux calculs à ceux qui avaient été présentés en faveur du projet... et il en conclut ce qu'il avait en vue de prouver que la conversion avec accroissement de capital est un expédient funeste aux intérêts du pays; que l'arbitraire laissé à l'administration dans l'emploi du fonds d'amortissement compromettrait également la dignité de l'état et les intérêts du pays.

• Aujourd'hui et avec l'amortisement tel qu'il est, dit le noble pair en terminant, on peut encore espérer l'amortissement de la dette, mais avec le projet on ne le pourra plus, et l'augmentation du capital rendra le remboursement impossible. Toute réduction ultérieure deviendra impraticable; le crédit sera Annuaire hist.

pour

1825.

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dans la main des étrangers; nous n'aurons fait que fonder l'agiotage et qu'élever sur cette funeste base un crédit artificiel, qui, s'écroulant à la première secousse, compromettra au jour du danger la sûreté de la France.

M. le comte de Chastellux, qui prit ensuite la parole en faveur du projet, répondit à la plupart de ces objections en exposant les améliorations du projet actuel comparé avec celui de l'année dernière; les avantages résultant de la baisse de l'intérêt des capitaux, pour l'agriculture et l'industrie, et du dégrèvement de l'intérêt foncier.

Aux yeux de M. le comte de Kergorlay, qui fut ensuite entendu contre le projet, le projet en discussion avait pour unique base la licence systématique qu'on voulait introduire dans l'action de l'amortissement... Le refus constant d'apprendre aux possesseurs de rentes à 5 pour 100, si l'amortissement continuerait d'agir sur ce fonds, ne pouvait être considéré que comme une menace destinée à forcer de leur part cette conversion qu'on appelle facultative... En considérant l'effet de cette loi sur l'indemnité, le noble pair ne le croit pas plus favorable aux indemnisés qu'aux rentiers; les uns seront comme les autres à la merci du directeur de l'amortissement... Dans le cas le plus favorable, le projet n'apporterait qu'un bénéfice insignifiant; il ne pouvait avoir d'autre effet que d'enflammer la fureur de l'agiotage et de ruiner une foule de citoyens....

Le ministre de la marine (comte de Chabrol) termina la séance par un discours dans lequel il exposa sous de nouvelles formes les idées déjà produites sur l'amélioration du projet et sur le mode d'exécution. Puis, se livrant à des considérations plus détaillées sur le système et l'action de l'amortissement, il en déduisit la nécessité de le laisser tel qu'il est sous la garantie morale de la direction, contre laquelle il ne s'était jamais élevé aucune plainte...

(26, 27 avril.) La question, déjà épuisée dans l'autre Chambre, ne semblait pas devoir fournir une discussion plus longue; elle se soutint pourtant encore deux jours. MM. de Châteaubriand et Pasquier s'élevaient contre le projet, qui fut défendu par MM. de Narbonne et Chapsal dans l'intérêt de l'état, de l'agriculture et de l'industrie; et par M. de Laplace, sous le rapport des résultats de

l'amortissement dans le système nouveau; et M. de Lévis termina la discussion générale par en faire le résumé.

De ces discours tous remarquables, mais dont nous ne pourrions donner qu'une analyse trop succincte pour ne pas être infidèle, celui de M. de Châteaubriand mérite une attention particulière, non pas seulement par l'éclat d'un talent qui sait embellir l'aridité des raisonnemens et des calculs les plus sévères par la magie d'un style riche de couleurs et d'expressions; mais pour l'éclaircissement de la situation politique où l'illustre pair s'était trouvé l'année dernière dans le conseil du Roi (voy. Ann. pour 1824, pag. 168)... Il attaquait le projet de loi dans les rapports qu'il lui paraissait avoir avec celui de l'année dernière, comme contraire à tous les intérêts; et terminait par une péroiraison dont il faut au moins recueillir quelques traits pour l'histoire:

Venille le ciel que mon opinion soit erronée! Mais je peuse que la loi actuelle, combinée avec la loi d'indemnité, peut ouvrir sous nos pas des abimes.

Certes, des ministres si sincèrement dévoués à leur auguste maître ont dû se faire une cruelle violence, ont dû étrangement souffrir de venir nous demander la conversion des rentes dans les circonstances où nous sommes. Au commencement d'un règne nouveau, à la première session de ce règne, étaitce bien le moment d'embrasser des mesures qui ébranlent le crédit, détruisent la confiance, alarment et divisent les citoyens?...

«Si, à l'intérieur de la France, le moment est mal choisi pour courir les terribles aventures du projet de loi, l'est-il mieux dans l'ordre de la société générale? On nous dit que rien ne menace notre tranquillité. Pent-être la politique du moment est-elle stagnante, et il serait facile d'assigner les causes de cet engourdissement; mais il y a une grande politique qui sort de l'esprit, des mœurs et des événemens du siècle; politique que doit comprendre un homme d'état, qui doit entrer dans tous ses calculs, s'il veut se rendre maitre des destinées de son pays.

• Jetez les yeux sur l'Europe, vous n'y verrez plus que des royaumes, des institutions, des hommes mutilés dans cette lutte à main armée entre les principes anciens et les principes modernes des gouvernemens. Les limites des états, le cercle des constitutions, la barrière des mœurs, les bornes des idées sont déplacées; rien n'est assis, rien n'est stable, rien n'est définitif; tous les peuples semblent attendre encore quelque chose. Il y a trève entre les principes, mais la paix n'est pas faite; ce qui se passe en Grèce et dans un autre univers augmente les embarras du traité. Les vieux soldats, fatigués d'une mêlée sanglante, veulent le repos; mais les générations nouvelles arrivent an camp, et sont impatientes de partir. La tranquillité du monde tient pent-être au plus petit événement.

Et lorsqu'en France tout recommence à peine, que chaque élément n'a pas encore repris sa place; lorsqu'au mouvement général qui entraîne la so

ciété nous joignons notre mouvement intérieur; lorsqu'entre les crimes da ⚫ passé et les fautes du présent, nous vacillons sur un terrain remué, labouré déchiré par le soc révolutionnaire; sans avoir égard à cette position, déjà si difficile, nous nous précipiterions tête baissée dans des projets qui sont à eux sculs des révolutions! La restauration a bâti sur les débris de notre antique monarchie le seul édifice qui puisse s'y maintenir, la Charte; il dépend de nous d'y vivre à l'abri de tout malheur; mais ce n'est pas en admettant les mesures qu'on nous propose. L'expérience, Messieurs, doit nous avoir appris que tout va vite dans ce pays, que beaucoup de siècles peuvent se renfermer dans peu d'années. Deux avenirs plus ou moins éloignés existent pour la France: l'un ou l'autre peut sortir de l'urne où vous déposerez bientôt vos suffrages.

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Le système de Law et les réductions de l'abbé Terray contribuèrent à la ruine de la monarchie; les assignats en tombant précipitèrent la république ; les banqueroutes de Bonaparte préparèrent la chute de l'empire. Que tant d'exemples nous avertissent. Qui bouleverse les fortunes bouleverse les mœurs; qui attaque les mœurs ébranle la religion, qui ébranle la religion perd les états.

« Il nous importe, Messieurs, de sauver le gouvernement d'une grande méprise dans laquelle les dépositaires de l'autorité ne sont tombés sans doute que par le louable désir d'accroître la prospérité publique. Qu'ils ne dédaignent pas, dans l'illusion du pouvoir, des prévoyances salutaires, parce qu'elles leur sembleraient sortir d'une bouche suspecte; qu'ils rendent justice à ceux qui, en évitant de blesser, et respectant toutes les convenances, expriment avec ménagement, mais avec sincérité, des choses qu'ils croient utiles au Roi et à la patrie... »

Le ministre des finances crut devoir à ce discours une réponse toute particulière. D'abord quant aux tristes présages que le noble pair avait tirés d'un projet conçu pour le bien de l'état, S. Ex. rappelle ce qu'elle avait dit tant de fois sur les différences essentielles du projet nouveau avec celui de l'année dernière, sur la baisse des capitaux, sur les effets de l'amortissement, surtout dans l'intérêt des indemnisés et des rentiers. « La loi, dit S. Exc. en finissant, n'a donc pas le caractère de violence et d'injustice qu'on lui suppose; c'est au contraire une loi de bienfaisance et pour les rentiers eux-mêmes et surtout pour les contribuables. C'est en vain qu'on la signale comme une cause de bouleversement, la Chambre en l'adoptant ne ne compromettra ni la paix intérieure, ni la sûreté de la France.

Dans la discussion particulière des articles, un seul amendement proposé à l'art. 3, par M. le comte Mollien, arrêta pendant deux séances la délibération de la haute Chambre. Il avait pour objet de donner des règles fixes à l'action de l'amortissement. L'arbitraire que le projet lui laissait était une des fortes objections des opposans.

On le considérait comme défavorable au crédit public, contraire aux engagemens pris par l'état envers les possesseurs des 5 pour cent, comme devant favoriser l'agiotage et les spéculations des capitalistes propriétaires de la rente déclassée... Ainsi on craignait que le fonds d'amortissement ne fût exclusivement employé à racheter les 3 pour cent au bénéfice des premiers qui convertiraient... Le ministre et les défenseurs du projet avaient plusieurs fois dit que dans le cas où les 5 pour cent tomberaient au-dessous de leur pair, il serait du devoir de l'amortissement d'aller à leur secours, à moins qu'il ne se présentât une circonstance bien extraordinaire et qui n'était pas à prévoir, c'est-à-dire que les 3 pour cent en fussent affectés hors de proportion (discours du ministre des finances, du 23 mars). Les opposans n'étaient point rassurés : c'était pour donner à tous les créanciers de l'état cette sécurité, pour éviter à la direction de l'amortissement toute incertitude, que M. le comte Mollien proposait que le fonds d'amortissement dans sa consistance actuelle fût divisé entre les fonds publics constitués en 5, en 4 et demi et en 3 pour cent, et employé à l'amortissement de chacun de ces fonds proportionnellement à la portion du capital qu'il représenterait dans le capital total de la dette publique...

Le ministre des finances était d'accord avec l'auteur de l'amendement, dans l'intention de faire du fonds d'amortissement le meilleur emploi possible dans l'intérêt de l'état; mais il croyait que le but était atteint plus complètement dans la disposition du projet... Elle ne contenait aucune exclusion, elle permettait d'appliquer indistinctement le fonds d'amortissement à l'une ou l'autre des diverses natures de rentes et de choisir celle dont le rachat serait le plus avantageux au trésor; et l'indépendance de la direction de l'amortissement ne permettait pas de soupçonner qu'elle pût favoriser l'agiotage ou les spéculations de quelques maisons de banque dont on avait parlé.

■ On insiste, dit S. Exc., on soutient que les petites rentes jetées sur la place sans acheteur produiront du désordre et feront tomber les 5 pour cent. Si cela était vrai, le remède serait à côté du mal, puisqu'aussitôt que les 5 pour cent tomberaient au-dessous du pair, le devoir de l'amortissement serait de reporter ses achats, ce qui, dans le système de l'amendement, ne pourrait

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