Page images
PDF
EPUB

priétaires. Plusieurs des orateurs inscrits pour parler sur la loi partageaient cette dernière opinion que ce devait être une loi purement politique; ils signalaient et déploraient les variations que le projet avait subies dans la discussion législative, le mélange qu'on y voyait du droit commun et du droit politique (M. le comte de Tournon, M. le baron de Montalembert). M. le comte de Tournon citait à ce sujet l'exemple du roi de Sardaigne, Victor Emmanuel, qui, voulant indemniser ceux de ses sujets dont les biens avaient été confisqués durant la révolution française, leur avait accordé par un édit du 22 septembre 1818, une indemnité qu'il qualifiait dans le préambule de juste libéralité, « montrant ainsi par le rapprochement de ces deux mots sa véritable nature, et déclarant qu'il entendait régir toute la question de l'indemnité par le droit politique. »>

D'un autre côté et dans une autre opinion, on ne repoussa pas avec moins de vigueur des reproches qu'on ne s'attendait pas à voir adresser dans la noble Chambre à l'émigration, et le principe de matérialisme politique qui mettait toute la patrie dans le sol (MM. le comte de Marcellus, les marquis de Maleville, de Villefranche, de de Bétizy et de Coislin). Le vicomte de Bonald, soutenant surtout le principe de l'introduction de l'art. 22, rétorquant une argumentation des opposans, voulait faire considérer l'indemnité comme une mesure de justice pour les propriétaires dépouillés, de grace pour les acquéreurs. Le marquis de Villefranche croyait qu'on aurait pu faire la restitution commandée par la justice en 1814 et 1815.

Au milieu de ces divergences d'opinion sur le principe de la loi, divers orateurs indiquaient de nouvelles modifications à faire relativement à la nature des rentes, en substituant des cinq pour cent aux trois pour cent (le comte de Kergorlay), à l'application du fonds de réserve à la première catégorie, (id.) à l'admission des légataires au préjudice des héritiers, à moins que le testament ne renfermât une clause expresse, à l'égard des biens dont la restitution n'était pas probable avant la restauration (M. le marquis de Coislin).

Il appartenait au ministre des finances, aux orateurs du gouvernement et au rapporteur de la commission de considérer l'ensemble

des objections élevées contre le projet; et ils le firent successivement avec des développemens nouveaux dont on regrette de ne pouvoir donner qu'une idée fort légère. M. le ministre des finances insista sur la nécessité de caractériser par une expression forte la nécessité de la réparation sociale faite au principe de la propriété; il défendit l'art. 22 parce qu'il ne contraignait en rien la volonté des acquéreurs, parce qu'il ne tendait qu'à favoriser des transactions (qu'on estimait déjà un tiers des ventes nationales), et qui, si elles pouvaient s'étendre à tous les biens, seraient le gage le plus sûr de l'union et de la paix publique... L'objet de S. Exc. étant surtout de répondre aux critiques de M. de Châteaubriand, elle s'attachait à prouver qu'il n'y avait point de fiction dans la loi; que l'indemnité était intégrale sans doute par rapport à l'état, parce qu'elle était tout ce qu'elle pouvait être; mais que par rapport aux propriétaires dépossédés, jamais on n'avait prétendu qu'ils retrouveraient tout ce qu'ils avaient perdu.

e

Toates les dispositions de la loi attestent que telle n'a pas été l'intention du gouvernement, dit S. Exc, et il suffit pour s'en convaincre de considérer quelles sont les bases d'évaluation de l'indemnité; ces hases évidemment ne fournissent pas à l'indemnité la valeur réelle de la propriété qu'il a perdue; mais ces bases étaient les seules possibles, et le gouvernement a dû les adopter. La valeur des biens vendus calculée sur ces bases donne un total d'environ 1,300 millions, sur quoi, déduisant environ 300 millions pour les dettes liquidées, il restait un capital d'un milliard, et c'est de ce capital seulement que l'état se constitue débiteur; et encore ne le paie-t-il qu'en rente à 3 pour cent, parce que telle est la mesure da sacrifice qu'il peut convenablement s'imposer. Jamais on n'a en. tendu autre chose ; il n'y a donc sur ce point aucune fiction dans le projet. Y en a-t-il davantage sous un second rapport, celui de l'égalité des bases d'évaluation? Non, sans doute; et quelles que soient les inégalités qui peuvent résulter dans la répartition du double mode dévaluation établi dans le projet, on ne peut dire qu'il y ait pour cela aucune fiction dont les indemnisés aient à se plaindre. Le gouvernement a long-temps cherché quelles étaient les bases possibles d'une semblable évaluatiou, et il n'en a point rencontré d'autres. La Chambre elle-même sentira combien il était difficile d'en trouver de certaines après trente années, et, loin de repousser les élémens qui lui sont offerts, elle sera heureuse de pouvoir se rattacher aux seuls jalons qui nous restent pour nous guider dans cette vaste opération. Le problème à résoudre était de constater la valeur des biens en 1790, sans remettre en contact l'ancien propriétaire avec le nouveau. Dans les ventes à l'occasion desquelles le revenu de 1790 avait été constaté, la connaissance de ce revenu était la meilleure base que l'on pût adopter; dans les autres il a bien fallu s'en rapporter au prix qu'avaient donné des adjudications publiques aux enchères, et pour réparer autant que possible les inégalités que ce double mode pouvait produire, il a été formé un

fonds commun destiné à compléter les portions afférentes des anciens proprié. taires qui se trouveraient lésés par le second mode d'évaluation. Assurément on ne voit encore dans ce mode de répartition rien que de franc et loyal: on ne sait où y chercher la fiction, et la meilleure défense contre l'attaque dont cette disposition a été l'objet, est de remarquer qu'après la longue discussion à laquelle le projet a été soumis depuis trois mois, aucun autre mode qui pût soutenir un examen sérieux n'a été proposé vi dans les Chambres ni hors des Chambres. La troisième fiction est, dit-on, dans le mode de paiement, et d'abord dans le défaut d'hypothèque pour les 30 millions de rentes affectées au service de l'indemnité. Et depuis quand donc, lorsque la France reconnait une dette, lorsqu'elle émet des rentes pour y satisfaire, depuis quand imaginet-on de demander une hypothèque pour ces rentes? la garantie des nouveaux 3 pour cent comme celles de toutes les autres dépenses n'est-elle pas dans l'engagement pris par l'état et dans ses revenus généraux? Mais, dira-t-on, vous créez une valeur nouvelle des rentes à 3 pour cent qui n'ont jusqu'à présent qu'une valeur fictive. Cela est vrai; mais dès que la loi sera adoptée, les 3 pour cent prendront une existence réelle, et ils ne sont aujourd'hui ni plus ni moins que ne sont toutes les rentes avant que leur émission ait été ordonnée. Enfin on se rejette sur les voies et moyens, on prétend que les rachats de l'amortissement pourront être suspendus dans des circonstances extraordinaires, et que la plus value sur les impôts est éventuelle; qu'ainsi le service des rentes nouvelles n'est pas suffisamment assuré, Peut-être a-t-on déjà suffisamment répondu à cette observation en disant que les 3 pour cent seraient affectés, comme les autres parties de la dette publique, sur les revenus généraux, et qu'ainsi leur garantie était la même que celle de toutes les autres dépenses.

[ocr errors]

Ici le ministre, entrant dans les détails du projet, fait observer que l'émission d'une quantité de rentes aussi considérable que celle qui doit représenter un capital d'un milliard exigeant évidemment des combinaisons nouvelles dans notre système de finances, le gouvernement avait pensé que le meilleur moyen d'éviter tout embarras était de créer pour ce service un effet d'une espèce différente; et pour en accélérer le remboursement sans augmenter outre mesure les charges des contribuables, il avait cru qu'il convenait de diriger de ce côté les rachats de l'amortissement en lui conservant toute sa puissance, mais sans lui permettre de s'accroître. Par ce moyen, sans rien ajouter à l'impôt, sans nuire à la force du crédit, on parviendrait à racheter, dans le cours de cinq années que durera l'opération, la moitié des rentes émises; que si pendant ce temps des circonstances extraordinaires amenaient d'autres besoins, en rendant à l'amortissement la faculté de s'accroître, on trouverait à l'instant même dans le crédit toutes les ressources nécessaires, sans que l'opération fût en rien compromise.

Après avoir démontré qu'avec du crédit la France, en cas de guerre, était en état de lutter avec des nations accoutumées à se servir de cette arme puissante, le ministre développait ce qu'il avait dit de l'accroissement successif des revenus. Quant aux critiques faites sur le mode de l'opération, il en reconnaissait les difficultés, mais il en espérait le succès.

Enfin, prévoyant l'idée qu'on avait annoncée de substituer des 5 pour cent aux 3 pour cent, et d'affecter au paiement de l'indemnité 30 millions pris sur la dotation actuelle de l'amortissement, le ministre annonce que si ce projet était présenté, il ne balancerait pas à faire tous ses efforts pour qu'il fût repoussé par la Chambre. Il croit qu'il lui serait facile de démontrer qu'une pareille mesure altèrerait le crédit, ferait tomber en même temps et les rentes à 5 pour cent et les 3 pour cent de l'indemnité à un cours qui réduirait de beaucoup le capital accordé aux indemnisés; qu'en rendant désormais tout emprunt impossible, elle condamnerait les contribuables à supporter directement toutes les charges que des circonstances extraordinaires pourraient désormais leur imposer, et qu'en forçant la France à renoncer pour l'avenir à toute réduction d'intérêt, elle la placerait dans une fâcheuse infériorité à l'égard des autres puissances.

Les discours que prononcèrent encore dans les deux séances suivantes (13 et 14 avril) MM. de Martignac, commissaire du Roi, et le comte Portalis, rapporteur de la commission, achevèrent d'éclaircir la question, et préparèrent la solution des difficultés que souleva la discussion particulière des articles.

(15 avril.) Le premier des amendemens était présenté par M. le duc de Choiseul, et avait pour but de diviser la somme affectée à l'indemnité en deux parties de 15 millions chacune en 5 pour cent, dont l'une serait destinée à indemniser, dans la proportion du tiers, les anciens propriétaires d'immeubles vendus ou de rentes confisquées révolutionnairement; et l'autre à indemniser les Français qui, par suite de la révolution, ont éprouvé des pertes dans la Vendée, à Lyon, à Toulon, et dans d'autres lieux, au prorata des pertes de chacun. Il fut rejeté quant à la division qu'il proposait,

[ocr errors]

Depuis que le trésor de l'état a été confié aux ministres actuels, dit S. Exc., ils ont banni de leurs combinaisons financières un genre d'opération que leurs prédécesseurs avaient été contraints d'appeler à leur secours : aucune négociation n'a eu lieu sans concurrence, sans publicité; tout abus est devenu impossible..., et loin d'avoir favorisé l'agiotage, l'administration actuelle l'a fait cesser autant que possible... C'est une illusion que de croire que l'élévation probable du cours des 3 soit plus favorable à l'agiotage que l'émission de la rente à 5. Il en avait été ainsi des 5 pour cent lorsqu'ils s'étaient élevés da cours de 50 jusqu'à celui de 104 et 105, auquel ils ne s'arrêteraient point s'il était une fois décidé qu'ils ne sont pas remboursables... D'ailleurs l'administration s'est expliquée avec franchise sur la valeur en capital des rentes qu'il proposait d'affecter à l'indemnité... On prétend d'une autre part que la création des 3 pour cent n'est qu'un moyen de préparer et contraindre même l'adoption du projet de conversion. C'est une erreur; l'indemnité une fois allouée devient une charge de l'état, et ne se distingue en aucune façon des autres charges qu'il a à supporter...

«...Dans le système de l'amendement, au bout de cinq années que doit durer l'opération, la dotation de l'amortissement sera réduite de 77 millions à moins de 53; les charges imposées au contribuable seront les mêmes, et aucune partie de la rente affectée à l'indemnité n'aura été rachetée. Dans le système du gouvernement, au contraire, la dotation de l'amortissement sera encore ce qu'elle est aujourd'hui, et la moitié des rentes aura été rachetée. L'amendement porte la plus funeste atteinte au crédit en diminuant l'amortissement; le projet, au contraire, laisse le crédit dans toute sa puissance. On voit facilement de quel côté est l'avantage... L'Angleterre n'a diminué son amortissement qu'après en avoir tiré tous les fruits qu'elle pouvait en attendre ; aujourd'hui que sa dette est réduite à 3 pour cent et que son crédit est solidement fondé sur cette base, elle pouvait sans inconvénient restreindre un moyen d'action qui avait produit tout son effet; mais la France n'en est pas encore au même point, et si elle réduit aujourd'hui la dotation de la caisse d'amortisse ment, elle fixe pour toujours l'intérêt de sa dette à 5 pour cent; elle se condamne à ne jamais emprunter à un taux plus modéré; elle s'expose à en faire dans les circonstances gênées à un intérêt plus considérable encore.

D'ailleurs pouvait-on considérer comme un simple amendement et introduire par cette voie dans le projet une disposition qui ne tendrait à rien moins qu'à imposer aux contribuables une charge de 7,500,000 fr. de plus que celle que le Roi avait cru pénible de faire peser sur eux. Sur quels documens l'auteur de cette proposition pourrait-il donc établir que cette nouvelle fixation est en harmonie avec les ressources de l'état, et comment la chambre des pairs se croirait-elle fonder à prendre l'initiative sur une pareille matière ?

par

(16 avril.) La discussion n'en demeura pas là; M. le comte Mollien et M. le vicomte de Châteaubriand appuyèrent l'amendement des considérations tirées de l'intérêt des indemnisés et du trésor; l'un et l'autre regardant l'exubérance du fonds d'amortissement comme trop favorable aux spéculations de l'agiotage et réprouvant la connexion du projet actuel avec celui de la conversion des rentes. M. le baron Pasquier, qui soutint aussi l'amendement,

« PreviousContinue »