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geant les propriétaires actuels de biens nationaux à tenir compte à l'état des quatre cinquièmes de la plus value, dont le projet de loi proposé augmenterait nécessairement les biens dont ils sont détenteurs.

A cette proposition qui excita quelque rumeur dans l'assemblée, M. le président du conseil des ministres crut devoir faire observer qu'elle était contraire à l'article 9 de la Charte dont il donna lecture, qu'un tel amendement ne pouvait être discuté dans la Chambre, et qu'il espérait que sur cette observation le préopinant le retirerait. « Mais, dans tous les cas, ajoute S. Exc., nous devons déclarer que « l'introduction dans le projet de loi de dispositions qui pourraient « être en opposition avec le pacte fondamental, serait un motif qui << ne permettrait pas au gouvernement de porter plus loin le projet qu'il avait soumis à la délibération de la Chambre. >>

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Un grand tumulte suivit cette déclaration; des deux extrémités de la salle on s'écria que le ministre compromettait la liberté des délibérations. M. de La Bourdonnaye soutint que cette liberté ne pouvait être limitée par rien, que la réunion des trois pouvoirs avait le droit de faire des modifications, même dans les articles réglémentaires de la Charte, qu'il y en avait des exemples, et que la menace ministérielle qui venait d'être faite de retirer la loi partant d'un seul homme, blessait toutes les convenances et les droits de la Chambre. De son côté, M. le président du conseil n'en persista pas moins à justifier ce qu'il avait dit, et malgré les efforts faits par l'opposition pour prolonger le débat, l'ordre du jour y mit fin. On reprit la discussion du projet de loi où M. Devaux et M. de Gallard-Terraube furent encore entendus; celui-ci, en parlant en faveur du projet amendé par la commission, faisait une longue et brillante apologie de l'émigration; mais suivant celui-là, la contre-révolution émigrée ne pouvait imaginer rien de plus piquant, que de s'adjuger à elle-même le milliard voté naguères pour les défenseurs du sol de la patrie...

Nous avions résolu de nous borner à rappeler le nom des orateurs qui furent encore entendus dans la discussion générale, lorsque nous est apparu celui du général Foy, appelé par son tour d'inscrip

tion à la tribune. A ce nom célèbre qu'une mort prématurée a bientôt après rayé de la liste de nos orateurs et de nos gueriers, il nous est impossible de tenir à notre résolution, nous sentons le besoin de recueillir quelques-unes de ses dernières paroles.

Messieurs, dit l'illustre orateur, le droit et la force se disputent le monde; le droit qui institue et qui conserve la société; la force qui subjuge et pressure les nations. On nous propose un projet de loi qui a pour objet de verser l'argent de la France dans les mains des émigrés. Les émigrés ont-ils vaincu?... non. Combien sont-ils ? deux contre un dans cette Chambre; un sur mille dans la nation. (Murmures prolongés dans la partie droite.) Ce n'est donc pas la force, c'est le droit qu'ils peuvent invoquer.

Aussi, disent-ils, et les ministres avec eux, que le droit de propriété a été violé à leur égard... Le vendeur n'a pu transférer au premier acquéreur, ni celui-ci aux acquéreurs successifs ce qu'il ne possédait pas lui-même à titre légitime. Le contrat est passé de main en main entaché de son impureté originelle; le détenteur actuel, comme tous ceux qui l'ont précédé, n'est et ne fut jamais qu'un possesseur de mauvaise foi. Or, Messieurs, la condition du possesseur de mauvaise foi est écrite dans votre législation. Quelque amélioration, quelque métamorphose qu'il ait fait subir an sol, il n'a pas encore sur ce sol un droit légal; il n'a pu rendre siens les fruits de la terre et de son travail; il est tenu de restituer les produits avec la chose au propriétaire qui la revendique, et justement dépouillé de biens injustement acquis et injustement retenus, il ne lui reste qu'à subir le châtiment réservé aux complices d'une spoliation criminelle. (Agitation prolongée.)

« Ainsi parlerait le droit dans l'hypothèse ministérielle; ainsi il jugerait, dût la société être bouleversée jusque dans ses fondemens... Mais que les amis de l'ordre se rassurent le droit a parlé, et son langage est autre que celui des ministres ; le droit est évident, il est palpable; il met au néant les prétentions que formeraient les anciens propriétaires dépossédés. Le vendeur a bien venda, l'acquéreur a légalement acheté; il a acheté à un prix qui sera jugé exorbitant si on fait entrer en ligne de compte les chances d'avanie et de désastres qu'il a courues depuis trente-deux ans. (On rit à droite; interruption prolongée.) Oui, Messieurs, il est devenu non pas seulement possesseur, mais incontestable propriétaire...,

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Qu'est-ce en effet que le droit...? C'est pour les actes des gouvernemens comme ceux des particuliers, la conformité à ces lois positives et à ces principes d'éternelles raisons qui sont la base des lois de tous les pays. Ces lois, et je n'entends parler que des anciennes lois du royaume; ces lois, on les a citées à la tribune, et devant elle il n'y a que deux questions à résoudre... L'émigration fut-elle volontaire ou forcée? Qu'allèrent demander les émigrés aux étrangers?

« Sur la première question, ils diront que la grande émigration de 1790 et de 1791, celle qui forme à elle seule les neuf dixièmes de l'émigration totale a été volontaire : ils le diront parce que c'est la vérité, et parce que déclarer que l'émigration aurait été forcée, ce serait enlever à leur cause le mérite du sacrifice. A la seconde question : Qu'allaient demander les émigrés aux étrangers? ils répondraient: La guerre! la guerre à la suite des envahissemens de la France! la guerre sous des chefs et avec des soldats dont après la victoire ils n'eussent pu maintenir l'ambition et la colère.

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Messieurs, il est dans ma nature de chercher des motifs généreux à la plupart des mouvemens qui se font d'entraînement et d'enthousiasme ; mais les nations ont aussi l'instinct et le devoir de leur conservation : les nations veulent croire à leur éternité. Toutes et toujours, anjourd'hui comme autrefois, elles ont combattu, elles combattent encore l'émigration ennemie des peines les plus terribles dont leurs codes soient armés. Ainsi le veut la loi de la nature, la loi de nécessité; et si cette loi n'existait pas, il faudrait l'inventer au jour des calamités de la patrie, et la nation qui dérogerait la première à ce principe de durée et de vie, ne serait plus une nation, elle abdiquerait l'indépendance, elle accepterait l'ignominie, elle consommerait sur elle-même un détestable suicide. (Vive adhésion à gauche.)

<< Parmi les peines terribles dont sont armés les Codes des nations, se présente des premières la confiscation des biens, peine atroce et parfaitement en harmonie avec les idées féodales, qui, ne voulant voir dans l'état que des familles, tantôt les grandissent outre mesure en mémoire des services d'un individu, et tantôt punissent l'innocence des enfans en réparation du crime de leur pèré. La confiscation était de droit commun en France, non pas seulement la confiscation prononcée par les jugemens des tribunaux, mais encore celle que fulminaient des actes politiques contre des masses de Français... Les premières familles du royaume, les Luynes, les Beanvilliers et tant d'autres; des noms vénérés dans la magistrature, des Letellier, des Lamoignon, même des dignitaires et des princes de l'église, comme le cardinal de Polignac, n'ont pas tenu à des honneur de réunir à leurs vastes domaines, les dépouilles des condamnés et des proscrits. C'était alors l'usage d'en faire des largesses aux courtisans et aux hommes du pouvoir. Il eût été plus régulier et plus moral de les vendre aux enchères publiques, et d'en employer le produit à réparer le dommage qu'avait supporté le corps social.

Ainsi ont fait les assemblées nationales. Mais on objecte que la confiscation fut supprimée en 1790. Oui, Messieurs, elle fut supprimée alors, non par un édit du Roi, comme vous l'a dit à la dernière séance M. le commissaire du gouvernement; mais par un décret de l'assemblée constituante: l'assemblée législative a rétabli la confiscation en 1792, et sous le rapport de la légalité, l'autorité des deux assemblées était de même nature...

« La Charte a aboli à toujours la confiscation, et graces éternelles en soient rendues à la mémoire de son anguste auteur ! Mais en créant sur ce point une législation nouvelle, elle n'est pas revenue sur les effets de l'ancienne, pas plus pour les émigrés de la révolution que pour les religionnaires de la révocation de l'édit de Nantes... Elle a dans son art. 9 frappé d'anathème toutes les prétentions possibles des anciens propriétaires, à ce qui fut autrefois leur propriété. Elle les a frappés sans même leur permettre l'espoir d'une compensation éventuelle. En effet, et pour les empêcher de réclamer le bénéfice de l'art. 1o, qui assure des indemnités à ceux dont la propriété est prise pour cause d'utilité publique; elle a eu soin de déclarer que les indemnités devront toujours être préalables: et comment serait-elle préalable et conforme à la Charte, l'indemnité qu'on accorderait aujourd'hui pour un sacrifice consommé depuis trente

ans? »

Ici, rappelant des comparaisons faites des droits de la propriété privée aux droits du trône, l'illustre orateur ajoute :

Vous repousserez, Messieurs, ces doctrines subversives de la monarchie et de la Charte. Vous ne permettrez pas que des prétentions factieuses établissent

parité et solidarité entre la famille de nos Rois et d'autres familles. C'est le dogme fondamental de la monarchie héréditaire que le trône appartient à la nation, qu'il est confondu, identifié avec elle, que pour elle et à son seul profit, il est occupé par une race et non par une autre race, par un prince et non par un autre prince. Les propriétés particulières passent de main en main; se vendent et se morcellent pour les jouissances du plus grand nombre, et au milieu de cet heureux mouvement, le trône reste indivisible et immobile pour la sûreté et la tranquillité de tous. S'il arrive un jour qu'une tourmente extraordinaire sépare le monarquede la monarchie, la tourmente a passé, le prince est rendu au pays; ceuxlà calomnieraient la majesté royale, qui la feraient l'auxiliaire d'une opinion on d'un parti, et qui placeraient le Roi de France ailleurs qu'à la tête des affections et des gloires de l'universalité du peuple français. (Mouvement d'adhésion générale.) »

Après avoir ainsi combattu le principe de la loi, en admettant que la réparation fût toute de munificence, toute de patriotisme, le général Foy croit qu'elle devrait être demandée à la nation et non pas imposée par ceux qui sont juges et partie dans leur propre cause, sagement mesurée sur les ressources du pays, étendue à tous les malheurs, appiquée aux descendans directs ou aux frères et sœurs, aux fortunes modérées, et non s'étendre aux lignes collatérales, à des étrangers, peut-être « à des généraux de l'Autriche et « de la Russie, qui déjà ont eu leur part du butin fait sur la France. »

D'ailleurs l'orateur prévoit qu'on ne s'arrêtera pas au milliard demandé, qu'on ne fait qu'entrer dans la carrière des indemnités : la loi va constituer les émigrés créanciers du pays pour la valeur de leurs biens vendus; mais cette valeur ne leur est pas payée intégralement; cette créance demeurera donc toujours exigible, du moins toujours menaçante, et d'autant plus menaçante que les créanciers sont fortifiés sur les sommités sociales et dans les postes du pouvoir.

« Où est ? dit l'orateur en terminant, où est l'hypothèque naturelle de la créance? où est-elle ailleurs que sur les domaines eux-mêmes qui en sont la cause permanente? je vous le demande? quel propriétaire dormira en paix sous le poids de pareilles hypothèques et vis-à-vis de pareils créanciers? Ainsi en même temps qu'elle accablera l'état de charges monstrueuses, cette grande mesure de l'indemnité ne procurera aucun des biens que l'esprit de conciliation en attendait. Je n'y vois que désordre dans le présent et trouble dans l'avenir... Ce n'est pas moi qui m'associerai à cette œuvre de malheur. Je vote contre le projet de loi.

L'orateur descendant de la tribune, au milieu de l'agitation trèsvive que son discours avait causée, le ministre des finances se hâta d'y monter.

■ C'est en vain, dit S. Exc., après avoir établi par des argumens déja connus, mais mis dans un nouveau jour; c'est en vain qu'on voudrait par des sophimes imposer silence à la raison et à la conscience; elles répondent que la confiscation fat injuste, que la réparation en tant qu'elle ne compromettra ni le repos, ni les intérêts généraux du pays, est un acte de justice, de sagesse et de politique.

La Charte et la présentation de la loi actuelle ont posé la limite devant laquelle la tranquillité publique, imposait aux prétentions particulières, l'obligation de s'arrêter l'une et l'autre, ont reconnu comme inviolable la possession des propriétaires actuels.

Ainsi, toute tentative contraire serait inadmissible; ceux qui chercheraient à le faire, ceux qui voudraient s'en servir pour semer des inquiétudes échoueraient également devant vous, Messieurs, devant l'autre Chambre, devant la puissance et la volonté royale. (Adhésion générale.) »

Venant aux objections faites sur les autres réclamations qui pourraient s'élever, le ministre répond que les pertes mobilières se réparent, s'effacent et s'oublient; que les confiscations, au contraire, enlèvent avec le fonds toute possibilité de réparation et d'oubli; qu'elles conservent à jamais dans le pays le genre de division qu'il est dans l'intérêt de tous de faire disparaître.

« Le milliard promis à l'armée devait être payé en biens d'émigrés ; qu'ont fait de ces biens ceux qui avaient promis le milliard? Ils les ont vendus et en ont dispersé le prix. Plût à Dieu qu'ils en eussent réservé la possession gratuite aux braves! le courage et la générosité sont inséparables: au retour du Roi l'armée eût reçu l'indemnité et les propriétés eussent été volontairement rendues aux anciens propriétaires. Nous n'aurions plus aujourd'hui à nous occuper de cette question. »

A ce qu'on avait dit que l'indemnité était conçue toute au profit d'une classe, le ministre répond que cette classe se compose indistinctement de tous ceux qui ont perdu leurs biens, et il fait voir qu'après en avoir été privés trente ans, ils ne recevront qu'une somme souvent inférieure à la valeur réelle du capital qu'ils ont perdu, et en rentes à 3 pour 100...

L'indemnité, ajoute S. Exc., n'est ni une punition infligée aux uns, ni une récompense décernée aux autres; c'est une mesure indispensable au complé ment de la restauration, à la réunion de tous les Français, à la sécurité et à la force du pays; c'est une garantie donnée à tous contre le retour de la confiscation et des discordes civiles dont elle est souvent le but et toujours l'aliment le plus actif.

« On a fait remonter son origine jusqu'aux temps les plus reculés de la monarchie; mais on a oublié de remarquer qu'à ces époques elle était restreinte aux grands; elle ne frappait que sur des classes peu nombreuses, elle suivait la destruction, ou l'expulsion du royaume de ceux qui en étaient atteints; la

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