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m'exprimer de la sorte, et que du moins il n'est plus besoin de combattre en cette enceinte.

«

Voyant contre quel émigré ce reproche était principalement dirigé, le respect m'avait d'abord interdit de le relever et de le prévenir: mais pourquoi craindrai-je d'attaquer de front un sophisme facile à réfuter, pourquoi craindrai-je de motiver mon respect et mon admiration pour mon Roi?

<< Sans doute, Messieurs, l'invasion étrangère est une calamité; mais il en est de plus affreuses. Si en 1792 les alliés eussent rendu à Louis XVI le sceptre qu'en 1814 ils ont remis à Louis XVIII, que de maux et quel grand crime eût évités la France?

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Non, il ne fut pas plus coupable à MONSIEUR et à M le comte d'Artois d'espérer en 1792 finir la captivité de leur auguste frère à l'aide des armées d'Autriche et de Prusse, qu'il n'a été condamnable au baron d'Eroles et à ses nobles compagnons de s'être unis à l'armée de Louis XVIII pour rendre an roi d'Espagne son sceptre et sa liberté!!!

« Tous les rois durent croire leurs trônes menacés le jour ou le trône de Louis XVI fut ébranlé. Il fut donc permis à nos princes de croire que Lonis XVI serait secouru comme l'a été Ferdinand VII. Loin de lui faire un crime d'avoir alors sollicité le secours de l'étranger, nous leur devons une reconnaissance éternelle, nous qui avons gémi sur les maux de la patrie, de tout ce qu'ils tentèrent pour le lui épargner.

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Leur sollicitude prévit les dangers d'une contre-révolution opérée seulement par des troupes étrangères. Ces princes vraiment Français voulurent que leur auguste frère trouvât une petite armée française au milien d'une des armées qu'il devait attendre de toute l'Europe; que les Français demeurés fidèles dans l'intérieur, que ceux qui étaient déjà désabusés des erreurs si excusables du commencement de la révolution, pussent se rallier autour du drapeau blanc...

L'honorable orateur peignant alors les malheurs, le courage et la constance des émigrés, rendait un nouvel hommage au Roi qui avait voulu venir au secours de ses compagnons d'exil et de malheurs. On avait cru ne pouvoir consacrer à cette indemnité que 30,000,0000 de rente... ; les émigrés rendaient hommage au Roi de ce bienfait. Mais les moyens d'accorder cette indemnité avaient été combinés par les conseillers du monarque; on avait droit de les repousser. Aussi M. de Lezardière s'élevait-il fortement contre l'inégalité de répartition qui devait résulter des évaluations d'après le système de l'article 2... « Fonder la loi d'indemnité sur les bases a établies par la loi révolutionnaire; rechercher à cet effet les opéarations de ces épouvantables jours, disait-il, ce serait ajouter « l'insulte à tous les malheurs des émigrés : ce serait les faire juger encore aujourd'hui par les hommes qui les proscrivirent; l'arbi⚫ traire du parti c'est l'arbitraire des bureaux. »

Mais en prenant pour base des évaluations les actes révolution

naires du temps, on pouvait consulter les actes, les rôles de l'impôt encore existant, les évaluations, la notoriété publique. On s'était trop hâté de rédiger une loi qui demandait plus qu'aucune autre à être élaborée avec maturité. L'inégalité établie par l'article 2 dans l'une et l'autre catégorie était telle qu'il est des émigrés qui recevraient vingt-cinq fois leur revenu, et d'autres qui ne le recevraient pas deux fois.

L'orateur combattait également la disposition par laquelle une commission formée à Paris disposerait de la propriété de cent mille familles, comme un moyen de faire tourner une partie de l'indemnité au profit des agens d'affaires. La liquidation pour être faite devait être opérée sous les yeux des intéressés par des hommes connus d'eux, vivant au milieu d'eux, à l'abri de tout soupçon par leur caractère connu.

Aussi M. de Lezardière opinait pour le rejet de l'article 2 avec des modifications que ce rejet nécessiterait dans les articles réglementaires de la loi; amendement auquel toute l'opposition de droite vient s'appuyer.

M. le vicomte de Castelbajac dont on lut este un discours en faveur du projet, reconnaissait les inégalités qui devaient résulter des bases adoptées pour la répartition, il était prêt à se réunir à toute mesure qui présenterait une amélioration quelconque dans cette partie du projet de loi, en ne se dissimulant pas la difficulté de chercher une base d'ordre et d'équité dans des temps d'injustice et de désordre.

M. le comte de Thiars, qui termina la séance par un discours contre le projet, dit qu'il ne cherche pas à jeter de la défaveur sur une classe de Français qui avaient pu se tromper, mais qui pour la plupart étaient entraînés par des sentimens qui leur semblaient des devoirs. Il voudrait qu'on pût réparer l'injustice commise à leur égard. Mais pourquoi cette injustice aurait-elle seule le privilége d'obtenir une réparation? Le besoin le plus pressant des peuples c'était une réconciliation sincère et générale, l'oubli et le pardon. D'ailleurs, en consultant l'Almanach royal, l'honorable orateur y voyait des émigrés dans les emplois les plus lucratifs de la société;

et, si l'on excluait de l'indemnité tous ceux qui ont accepté des places sous le régime qu'ils proscrivent à présent, dit-il, le fardeau de l'indemnité en serait diminué des trois quarts.

(18 février) M. Sirieys de Mayrinhac, rappelant que Louis XVIII disait, en parlant de la loi en discussion, qu'il ne mourrait pas tout entier si son règne portait l'empreinte de cet acte solennel et réparateur, s'attache à faire voir que le projet a été médité suivant les intentions du Roi législateur, et dans l'esprit de la Charte. Il déplore les autres pertes causées pendant la révolution; mais à ses yeux il n'en est point de plus cruelle, de plus complète que celle qu'il s'agit de réparer.

De ce qu'on avait dit de la quantité des émigrés entrés dans les administrations publiques, dans les emplois les plus inférieurs, l'honorable orateur conclut qu'il fallait bien qu'ils fussent réduits à une extrême détresse ; — que s'ils étaient encore en grand nombre dans les colléges électoraux, c'est qu'ils étaient encore plus attachés à la propriété foncière; et M. Sirieys de Mayrinhac croit que ce serait un bien d'y attirer plus de capitalistes et d'industriels, et en total il votait pour le projet de loi amendé par la commission.

Vint ensuite à la tribune M. Basterrèche qui, considérant l'indemnité comme un acte de munificence nationale, n'admet point que nos vingt-cinq ans de révolutions aient été une continuation de désordres et de crimes.....

<< Sans doute, dit-il, il n'y eut dans cette longue période que trop de jours de malheur et de sang; mais ce n'est pas à ceux qui les virent de loin qu'appartient le droit exclusif de les déplorer sans cesse : c'est bien plutôt à ceux qui, demeurés en France, ont été en butte à tous ces excès et les ont réprimés. Les chefs révolutionnaires ont été punis par l'indignation nationale, et vouloir associer aujourd'hui la France entière à ces hommes odieux, c'est diminuer la portion d'horreur qui doit peser sur leur mémoire.

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Repoussons le dégoût de remuer sans cesse leur affreuse cendre et le tort de calomnier en masse tout le peuple français. Nos Rois l'ont retrouvée digne d'eux et d'elle-même. »

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On s'est trop accoutumé à croire et à répéter qu'à cette époque la vertu et le courage s'étoient réfugiés exclusivement dans les camps. Je suis loin de vouloir contester à nos militaires leurs droits à l'estime et à la reconnaissance nationales; leurs victoires furent notre salut et notre consolation. Mais ces hommes qui portaient sur l'échafaud la dignité de leur caractère d'honneur et de probité; qui, avant de sortir de la vie, lançaient sur leur

passage ce noble dédain, cette explosion de mépris qui finit par exciter une salutaire compassion, le remords et jusqu'à la terreur dans l'âme des terroristes eux-mêmes; c'est à cette classe de victimes, et à l'indignation que provoqua leur belle contenance parmi la multitude jusque-là trop indifférente, que l'on dut le châtiment des assassins, la fin des massacres, et le retour de l'ordre public.

Ce n'est pas le courage militaire qui a seul contribué à nous sauver; c'est bien plus le courage civil qui, au-dedans de la France, arrêta le torrent dévastateur, et qui le premier renversa le monstre. Honorons avant toutes choses cette indomptable fermeté de caractère qui a ses racines dans l'âme, et qui n'a pas besoin d'être excitée par la fermentation du sang et par la chaleur momentanée de quelque passion; le courage civil est si rare parmi les hommes de notre époque, même dans cette France féconde en toute autre espèce de courage et de dévoûment! Le courage civil n'est pas seulement une belle qualité; c'est une vertu dont les bons exemples propagent le plus grand bonheur des sociétés, en y faisant honorer sans partage le culte vénérable des devoirs et des droits. Ce ne sont pas des indemnités que réclame la mémoire de ces hommes de bien dont la mort héroïque traçait jusque sur l'échafaud la condamnation des assassins; ce sont des autels qu'il faut lui dédier dans nos cœurs, pour en fixer profondément le respect et en perpétuer le souvenir.

Les habitans de Lyon, ceux des communes de la Vendée, ont aussi le droit de prétendre à ce partage. Les premiers pourront justifier de la destruction de leurs maisons. Quant à la masse des cultivateurs vendéens, ils n'ont point eu de châteaux vendus; mais on brûla leurs chaumières, relevées depuis à la sueur de leurs fronts. Ne serait-il pas juste qu'ils participassent à l'indemnité?

« Toutes les guerres traînent à leur suite des calamités; mais la guerre civile a cela de plus désastreax et de plus affligeant, que l'étranger n'entre point en partage des maux qu'elle entraîne. Cependant, il faut l'avouer, la guerre civile est la guerre des hommes forts, et souvent celle des hommes de bonne foi, même lorsqu'ils se trompent. Si les Français d'outre-Rhin ne nous avaient fait la guerre que par eux seals, et uniquement pour leur Roi, je les trouverais excusables.

Les habitans de la Vendée défendaient sur le sol natal leurs croyances et leurs libertés, telles qu'ils les avaient reçues de leurs pères. Ils n'ont pas eu besoin, pour dévouer leurs biens et leurs vies, de l'alliance intéressée des soldats étrangers; ils n'eussent pas permis qu'on traçât sous leurs yeux le démembrement de la France. De nombreux écrits et même des voix élevées dans cette enceinte, n'ont pas hésité à se prononcer pour l'émigration. Bien libre aux émigrés de tirer vanité de leur émigration, mais cette immense portion de Français qui n'abandonnèrent point leur patrie dans ses malheurs et dans ses combats, ceux qui terrassèrent les factieux du dedans, ceux qui ont vaincu les ennemis du dehors, ne sont point disposés à céder à d'autres le mérite de ce qu'ils ont fait et souffert.

« On peut s'armer et combattre pour les intérêts et les opinions de telle ou telle localité, contre un ordre de choses quelconque. De pareilles luttes sont funestes, sans être cependant autre chose que des dissidences parmi des nationaux, qui amènent des décisions par les armes entre des citoyens du même nom, ayant vécu sous le même gouvernement. Avant la victoire, chacun des deux partis peat soutenir qu'il ne fait pas la guerre à son pays.

Mais aller sur la terre étrangère pour y forger des armes, et enlacer sa co

lère, sa vengeance avec celle de l'ennemi du dehors, avide de nos dépouilles, c'est l'action d'un fils dénaturé. Quels élémens de malheurs et de dissolution ne fermenteraient pas sans cesse dans un pays où l'on aurait effacé dans les cœurs le respect pour la terre natale, où l'on bannirait du souvenir et de la langue le doux nom de patrie! Que deviendrait notre France, si nous pactisions ouvertement avec l'oubli d'un tel devoir; si, non contens d'excuser cet oubli, nous le récompensions expressément ? Soyons indulgens pour les individus, mais absolus sur le principe; tenons compte, s'il le faut, des circonstances et des engagemens d'affection et de famille, qui entraînent les hommes presqu'à leur insu dans un parti ou dans un autre; mais c'est là qu'il faut s'arrêter. Rien au monde ne doit faire consentir à fouler aux pieds un principe sacré, un dogme saint que nous devons transmettre intact à nos derniers neveux. Ce dogme saint, c'est le devoir d'amour et de respect envers la patrie. (Voix nombreuses, et le Roi! le Roi!) C'est l'horreur pour la guerre faite avec l'ennemi du dehors. (Les mêmes voix avec le Roi! avec le Roi! Le renom tragique de Coriolan traverse les siècles entouré de réprobation et de blâme, et la magnanimité de Camille déchirant sans hésiter son décret d'exil, pour voler au secours de la patrie, pour chasser les Gaulois de Rome, vient consoler les grandes âmes... »

Sous l'aspect et avec les développemens dont on l'a revêtu, le projet de loi n'est autre chose aux yeux de l'orateur, qu'une mesure de châtiment contre tous les Français qui sont restés dans leur patrie et qui l'ont défendue. Il n'y trouve qu'un remède, ce serait de réduire le projet à un article unique énonçant la somme totale des indemnités que la France consent à payer, en réparation des maux causés par la révolution à toutes les classes de citoyens que cette révolution a manifestement et personnellement lésées.....

Ici l'un des commissaires du Roi, chargé de la défense du projet, M. le comte de Vaublanc, prit la parole.-Il commença par donner des explications sur ses opinions politiques antérieures, et en prit occasion de relever, comme M. Basterrèche venait de le faire, le courage montré par des citoyens pour arrêter les progrès de la tourmente révolutionnaire, et venant à la défense de la loi; il fit voir qu'elle avait été désirée, demandée par un sentiment de justice nationale manifestée en plusieurs occasions; qu'elle était juste, utile, conforme à la saine politique, et que quant aux difficultés inséparables de la matière, aux inégalités qu'il était impossible d'éviter, il fallait en juger l'ensemble dont le résultat serait une réparation générale, une réparation demandée depuis dix ans, une réparation digne des Rois qui l'ont proposée et des Chambres qui l'adopteraient.

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