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rien à redouter. Qu'un calviniste s'élève dans son temple contre le dogme de la présence réelle, le catholique pourra gémir d'un tel égarement, mais enfin il n'y verra pas un sacrilége, tel que la loi l'entend et le définit.

« Maintenant la profanation des choses saintes est-elle punissable par les lois humaines ?... Vous ne trouverez pas sur la terre un seul législateur, un seul peuple policé qui n'ait eu des peines plus ou moins forte contre la profanation des choses saintes...

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Mais, dira-t-on, le sacrilége est un péché, il n'attaque que Dieu, à Dieu seul il appartient de le punir... Il y a du vrai et du faux dans la distinction établie; sans doute il y a dans le péché quelque chose qui n'est pas criminel devant la loi, qui ne souille que la conscience, qui est puni par la justice divine, quand il n'est pas effacé par le repentir. Le péché consiste dans la volonté et non dans un acte extérieur. Dans le sacrilege, it y a bien un péché, dont le coupable répond devant Dien; mais il y a crime; ainsi toutes les nations l'ont jugé de cette sorte. Il y a attentat public à la religion, et cet attentat est du ressort de la justice des hommes. Si la religion est le premier besoin des peuples, le premier devoir des gouvernemens ést de la faire respecter; si la religion est la base des états, quiconque l'ébranle se rend coupable d'un crime de lèse-société humaine... La loi qui ne puuirait pas le sacrilege s'en ferait complice.

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Dira-t-on que l'Évangile est une loi de grace... L'Évangile est une loi de charité; il cominande l'amour des ennemis, il défend la vengeance aux particuliers; mais depuis quand a-t-il brisé le glaive de la justice dans les mains de l'autorité civile? Voyez, Messieurs, jusqu'où l'on pourrait être entraîné par cette belle interprétation de la charité évangélique? Il en résulterait qu'il n'y aurait plus de soldat chrétien, ni de juge chrétien; il faudrait que sur le champ de bataille, le soldat attendit la mort et ne la donnât jamais; il faudrait que le juge s'abstînt de condamner les coupables, c'est-à-dire en un mot qu'on serait lâche ou prévaricateur par charité... Laissons là, Messieurs, ces interprétations funestes qui ne feraient plus de l'Évangile qu'une loi de désordre...

« On nous a opposé d'illustres exemples pour nous rappeler que la religion ne pouvait prospérer par la violence. Mais ces exemples ne prouvent rien sinon que le règne de la religion ne s'établit ni par le fer, ni par la flamme. Ses armes sont la patience, la persuasion et la douceur; la violence, qui peut bien faire des hypocrites, ne saurait faire de vrais chrétiens. C'est dans ce sens que les pèrés de l'église ont parlé lorsqu'ils ont dit qu'il ne fallait pas persécuter les hérétiques, ni les emprisonner, ni les condamner à mort, et nous autres nous le disous après eux: mais il faut distinguer entre un particulier qui compatit au coupable et celui qui se trouverait élevé au rang de législateur: comme tel, il porterait des lois pour prévenir ou punir les crimes; comme chrétien, il viendrait peut-être solliciter la grace du malheux que ces mêmes lois auraient condamné... Un évêque qui siégerait au tribunal pour prononcer un arrêt de mort violerait la loi de l'église ; mais quelle loi défend à un ecclésiastique, prince de la terre, d'exercer les fonctions que cette dignité lui impose? S'il faut que la miséricorde soit daus le cœur du prêtre, il faut aussi que la justice soit dans la tête du législateur. « Venons à la dernière question : le sacrilége est-il punissable dans le système de protection commune accordée par la Charte à tous les cultes? Oui, Messieurs, répond le ministre-prélat; il est écrit dans la Charte que chacun professe sa religion avec une égale liberté, et obtient pour son culte la même protection. La loi veille à la porte des synagogues et des temples comme à celles des églises

catholiques. Le magistrat doit prévoir les désordres qui en troubleraient les exercices religieux; il doit punir celui qui, portant un pied téméraire dans les lieux consacrés au culte protestant, viendrait, je suppose, en imiter les chants ou les cérémonies d'une manière ridicule, on insulter du geste ou de la voix à ses sectateurs; c'est ainsi que la loi accorde la même protection à tous les cultes qui sont autorisés. Mais là se borne cette protection commune qui leur a été promise; car il n'est pas au pouvoir de la loi de changer la nature des choses... La Charte a dit que l'état professe la religion catholique, et quel est le peuple policé qui n'ait pas une religion particulière et définie?.. La religion de l'état est la religion catholique : done l'état professe le dogme de la présence réelle. Dès lors la question est résolue, dès lors la profanation des hosties consacrées n'est plas un simple péché; elle est du domaine de la politique; elle constitue un crime que les lois doivent réprimer. Il serait étrange que le plus énorme outrage qu'on puisse faire à la religion nationale échappât à la juste vengeance de la loi...»

Nous devions à la nature du sujet, au talent, au caractère politique et religieux de l'orateur, de donner un extrait étendu de son discours; comme l'exposé des doctrines du corps ecclésiastique, dont le silence avait été remarqué dans l'autre Chambre, il eût manqué sans cela quelque chose à l'histoire de cette discussion. C'est à regret que nous en abrégeons le reste.

(13, 14, 15 avril.) Entre tous les orateurs encore entendus contre la loi, M. Bertin - Deveaux la combattit comme contraire à nos mœurs, à l'opinion publique, à l'esprit et au texte de la Charte, en ce que la loi ne pouvait intervenir dans l'appréciation des dogmes et des croyances, sans perdre le caractère d'universalité et d'impartialité qui fait son essence; en ce qu'elle appelait nécessairement le sacrifice de la plus solide garantie de nos libertés à la suppression du jury.

MM. Chabaud-Latour et Benjamin-Constant, tous deux de la religion réformée, s'élevèrent ensemble contre le titre premier, attendu les conséquences graves qui pouvaient en résulter dans les pays où la population est partagée sur les dogmes religieux.

D'un autre côté, MM. Dubourg, Boileau marquis de Lacase défendirent la loi telle qu'elle était proposée; mais M. le marquis Duplessis de Grenedan, tout en approuvant son principe, trouvait qu'elle donnait du sacrilege une définition incomplète et fausse, et qu'en y mêlant le système des preuves légales par les conditions qu'elle exige pour la condamnation, telles que le mépris, la haine et la publicité, on rendait tous les jugemens illusoirs, sacriléges,

dangereux... Le seul moyen d'arriver à une véritable restauration, c'était, selon l'honorable orateur, de fortifier la religion en rendant à l'église catholique de France son indépendance, son autorité et sa force.

Déjà dans les deux Chambres, M. le garde des sceaux avait répondu aux objections qui se reproduisaient incessamment sous des formes nouvelles; il crut pourtant devoir y revenir. Il répondit encore aux uns que la loi ne punissait que des actes matériels, qu'elle donnait à tous les cultes légalement établis la protection qui leur était nécessaire, qu'elle les mettait également à l'abri des persécutions, qu'elle était modérée; et il ajouta, pour ceux qui voulaient en aggraver les dispositions, qu'elle suffisait à la répression des outrages qu'elle avait dû prévoir.

Ici, comme à la chambre des pairs, le projet ne trouvait d'opposition que quant au tit. 1er, qui fut encore défendu par MM. Colomb et Clausel de Coussergues, M. Turckheim en demandait le rejet absolu; M. le marquis Duplessis de Grenedan voulait retrancher de l'art. 2 les mots par haine ou mépris de la religion; à l'art. 4 M. de Gères proposait de substituer à la peine de mort celle des travaux forcés à perpétuité; mais tous ces amendemens furent écartés à une immense majorité; les trois derniers titres passèrent sans discussion, et la loi soumise à l'épreuve du scrutin, fut, le 15 avril, adoptée à la majorité de 115 voix sur 305 votans (boules blanches, 210; boules noires, 95).

CHAMBRE DES PAIRS.

Loi sur la piraterie et la baraterie. La chambre des pairs s'était occupée, immédiatement après qu'elle eut adopté la loi du sacrilége, d'un autre projet pour la répression des crimes de piraterie et de baraterie, présenté par M. le garde des sceaux dans la séance du 4 janvier.

Les anciennes ordonnances rendues sur cette matière ne convenaient plus ni à l'état de la société, ni aux principes de législation qui nous régissent. D'un autre côté, les lois actuelles étaient sans force pour réprimer les fraudes multipliées dont les gens de

mer se rendent coupables envers les armateurs, les assureurs et les passagers. Le commerce maritime réclamait depuis long-tems des mesures plus efficaces, et le gouvernement n'avait pu les lui refuser. Tel était le but du projet de loi dont M. le garde-des-sceaux avait justifié les dispositions, et, où la commission chargée de l'examiner reconnaissant la justesse des principes n'avait fait que peu de changemens. Le plus important était de supprimer à l'art. 11, 3o paragraphe, qui comprenoitl es alliés et les neutres, le mot neutres, et le 3 paragraphe de l'art. 3, qui assimilait aux pirates et ordonnait de juger comme tels, tous individus qui, faisant partie de l'équipage d'un navire ou bâtiment de mer quelconque, commettraient à main armée des actes de déprédation ou de violence sur les côtes de France ou des possessions françaises : suppression motivée sur ce que ces actes pouvaient être soumis sans inconvéniens à la législation ordinaire de l'intérieur. La commission proposait d'ailleurs d'y ajouter un article (le 12o de la loi), sur le vol d'un navire par le capitaine, maître ou patron chargé de sa conduite. (Rapport fait le 10 février, par M. le baron Portal.)

Un seul orateur entendu dans la discussion générale (22 février), M. le comte de Sèze, en avait voté l'adoption, sous quelques réserves; mais il observait que le projet originaire avait sagement compris dans le 3 paragraphe du 2o article, les hostilités commises envers les sujets des puissances neutres, la commission les en avait retranchées, sous prétexte, que si nous devions protection à nos alliés nous n'avions point à nous mêler de celle des autres, ce en quoi le noble pair différait de l'avis de la commission.

Dans la discussion particulière des articies, il se manifesta plus d'opposition qu'on ne s'y était attendu. Suivant les uns, le projet de loi était contraire au droit des gens : le défaut de papier à bord ne constituait pas le crime de piraterie et ne pouvait être soumis à la même peine. On n'avait pas reconnu généralement le droit de visite qui pourrait entraîner des difficultés diplomatiques. Le crime de piraterie n'était autre chose qu'une hostilité commise contre le droit des gens (MM. le duc de Broglie, le comte de Ségur), opinion qui fut repoussée par M. le vicomte Lainé et par M. le garde

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des sceaux qui démontra que la piraterie existait, non seulement lorsqu'elle avait été consommée par une attaque hostile, mais encore lorsqu'elle avait été préparée par un armement non autorisé dans les formes convenues entre toutes les nations. « Quant au droit de vi« site, dit M. le vicomte Lainé, si les grandes questions de droit pu«blic qu'il peut faire naître, ne sont pas encore résolues, toujours est-il que dans l'usage, et en paix comme en guerre, tout navire qui rencontre un bâtiment suspect, a le droit et les moyens de vé<< rifier s'il est ou non régulièrement commissionné. C'est au ministre « à donner aux bâtimens du roi, les instructions ou les ordres nécessaires, pour que la visite n'ait lieu que conformément aux traités « et aux usages des nations... » Les mêmes pairs (le comte de Ségur et le duc de Broglie) trouvaient excessivement sévère d'assimiler aux pirates les Français qui, sans autorisation du Roi, prendraient commision d'une puissance étrangère, pour commander un navire ou bâtiment armé en course, disposition qui fut encore justifiée par M. le garde des sceaux et par M. le vicomte Lainé, qui fit remarquer que l'officier de marine n'était puni comme pirate que lorsqu'il faisait la course pour son compte, muni d'une commission étrangère: que s'il prenait une commmission en guerre, sans autorisation, il n'était exposé qu'à la punition réglée pour les militaires qui prennent, sans autorisation du Roi, du service à l'étranger. Par exemple, dit S. S., le marin ne serait pas, ainsi qu'on l'a cru d'abord, regardé comme pirate, s'il acceptait du gouvernement des Grecs, la commission de prendre part à la guerre qu'ils soutiennent.

Non, s'écrie le noble orateur, dans un élan qu'il ne peut contenir, le vent glacial qui, selon un éloquent écrivain, a soufflé sur la politique, n'a pas pénétré dans cette enceinte; les voix généreuses y trouvent des choses qui feront entendre le murmure de la conscience publique. Quelles que soient les causes d'une récente insurrection, le sang humain coule à grands flots depuis quatre années, et l'Europe reste silencieuse. Cependant la paix dont elle jouit est encore tout armée, et c'est malgré le pouvoir d'une alliance qui s'appelle sainte, que s'est donné en trois ans le spectacle de plus d'horreurs que l'histoire n'en recueillait autrefois dans plusieurs siècles... Qu'ont fait les Grecs pour être ainsi abandonnés au cimeterre d'une anarchie militaire? (Ici le noble pair retraçait leurs services, déplorait leurs malheurs, et célébrait leur héroïsme...) Les temps sont accomplis, les Turcs doivent lever leur camp, ou les Grecs s'ensevelir dans leur terre sacrée... Il s'agit donc d'éviter la dernière catastrophe; de toutes parts les peuples implorent l'union active des grandes puissances... La France seule

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