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‹ exception, même de celles dites pénales : c'est une obligation que ■ leur impose leur qualité de pair, et ils sont dans l'intention de la ⚫ remplir. ▾

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CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

(17 mars.) M. le garde des sceaux ne porta ce projet que près d'un mois après à la chambre des députés, alors occupée de ceux de l'indemnité et de l'amortissement. « Il le leur présenta comme « étant en quelque sorte leur ouvrage et impatiemment attendu, « comme une expiation nécessaire après tant d'années d'indifférence ou d'impiété. » Ce sont les expressions de S. G., qui expliquait d'ailleurs par des motifs déjà exposés dans l'autre Chambre, pourquoi le projet de loi avait défini la profanation une voie de fait, pour exprimer un acte direct et matériel qui n'existe qu'autant que l'acte est consommé; pourquoi on avait mis les mots, volontairement, en haine et par mépris de la religion, parce que la profanation pouvait avoir lieu sans crime, comme dans le cas où des hommes non engagés dans les ordres sacrés porteraient leurs mains sur des vases sacrés, par ignorance, inadvertance, ou en cas d'incendie, etc.

Quant aux reproches faits au projet de loi relativement à la sévérité de la peine appliquée au crime de sacrilége et aux propositions faites pour en mitiger les dispositions, le ministre n'hésite pas à dire que le silence de la loi eût été préférable...

« L'objet de la loi, dit S. G., est d'assurer à la religion de l'état et à chacun des cultes légalement établis dans le royaume, une protection complète efficace, conforme à la nature de leurs dogmes, et par cela même conforme aux principes de la Charte constitutionnelle. Le principe de la loi, c'est-à-dire ce qui l'a faite telle qu'elle est, c'est la différence des cultes; car ne pouvant protéger avec égalité les croyances diverses par des dispositions uniformes, la nécessité même des choses contraignait à multiplier et à varier ses dispositions. »

(5 avril.) La commission chargée d'examiner le projet n'hésita point à proposer son adoption. Son rapporteur, M. Chifflet, en justifiant ses dispositions, la considérait comme un besoin du temps. La révolution dans son délire avait enlevé à la religion toutes les lois qui la protégeaient : le législateur devait lui rendre successivement toutes celles que n'exclut pas la forme actuelle de notre gouAnnuaire hist. pour 1825.

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dant à favoriser l'acquittement des coupables, l'impunité du crime. L'autre, (M. Chenevaz) soutenait le projet de loi, défendant sous le rapport des garanties qu'il laisse aux prévenus, il insistait surtout sur celle qui naîtra de la publicité de la profanation comme condition de la criminalité, condition qui, d'ailleurs, lui semblait tellement nécessaire, que sans elle il ne voterait pas pour la peine capitale.

(12 avril.) Il n'appartenait qu'à un grand talent de trouver de nouvelles argumentations sur un sujet si bien traité, quand M. Royer-Collard se présenta.

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Non-seulement, disait-il, le projet de loi introduit dans la législation un crime nouveau, mais il crée un nouveau principe de criminalité, un ordre de crimes pour ainsi dire surnaturels qui ne tombent pas sous nos sens, que la raison humaine ne saurait découvrir ni comprendre, et qui ne se manifestent qu'à la foi religieuse éclairée par la révélation.

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Il s'agit du crime de sacrilége. Qu'est-ce que le sacrilége ? c'est, selon le projet de loi, la profanation des vases sacrés et des hosties consacrées. Qu'est-ce que la profanation? c'est toute voie de fait commise volontairement et par haine ou mépris de la religion. Là s'arrêtent les définitions du projet de loi; il n'a pas voulu ou n'a pas osé les pousser plus loin, mais il devait poursuivre. Qu'est-ce que les hosties consacrées? Nous croyons, nous catholiques, nous savons par la foi que les hosties consacrées ne sont plus les hosties que nous voyons, mais Jésus-Christ, le saint des saints, Dieu et homme tout ensemble, invisible et présent dans le plus anguste de nos mystères. Ainsi la voie de fait se commet sur Jésus-Christ lui-même. L'irrévérence de ce langage est choquante, car la religion a aussi sa pudeur; mais c'est celui de la loi. Le sacrilege consiste donc, j'en prends la loi à témoin, dans une voie de fait commise sur Jésus-Christ. Je n'ai point parlé des voies de fait commises sur les vases sacrés, parce que cette espèce de sacrilége dérive de l'autre. En substituant Jésus-Christ, fils de Dieu, vrai Dien, aux hosties consacrées, qu'ai-je voulu, Messieurs, si ce n'est établir par le témoignage irrécusable de la loi d'une part, que le crime qu'elle punit sous le nom de sacrilége est l'outrage direct à la majesté divine, c'est-à-dire, selon les anciennes ordonnances, le crime de lèze-majesté divine; et, d'une autre part, que ce crime sort tout entier du dogme catholique de la présence réelle; tellement que si votre pensée sépare des hosties la présence réelle de Jésus-Christ et sa divinité, le sacrilége disparaît avec la peine qui lui est infligée ? C'est le dogme qui fait le crime, et c'est encore le dogme qui le qualifie....

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« J'ose avancer que toute l'habileté qui a été déployée dans la défense du projet de loi devant l'autre Chambre a consisté à confondre, avec un art qui n'a jamais été en défaut, l'outrage à Dieu avec l'outrage à la société, celui-ci punissable, celui-là inaccessible à la justice humaine, et à se servir de l'un pour fonder la pénalité, et de l'autre pour la justifier. La religion, vaguement invoquée, a merveilleusement prêté à cette confusion...

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Voilà le principe que la loi évoque des ténèbres du moyen âge et des monumens barbares de la persécution religieuse; principe absurde et impie, qui

fait descendre la religion au rang des institutions humaines; principe sanguinaire, qui arme l'ignorance et les passions du glaive terrible de l'autorité divine...

« Je sais bien que les gouvernemens ont un grand intérêt à s'allier à la religion, parce que, rendant les hommes meilleurs, elle concourt puissamment à l'ordre, à la paix et au bonheur des sociétés. Mais cette alliance ne saurait comprendre de la religion que ce qu'elle a d'extérieur et de visible, son culte et la condition de ses ministres dans l'état. La vérité n'y entre pas; elle ne tombe ni au pouvoir, ni sous la protection des hommes. De quelque manière donc que l'alliance soit conçue, elle est temporelle, rien de plus; et c'est pourquoi elle varie à l'infini, réglée par la prudence selon les temps et les lieux, ici très-étroite, là très-relâchée...

« Depuis trois siècles que la religion chrétienne est malheureusement déchirée en catholique et protestante, le dogme de la présence réelle n'est vrai qu'en deçà da détroit, il est faux et idolâtre au-delà. La vérité est bornée par les mers, les fleaves et les montagnes ; un méridien, comme l'a dit Pascal, en décide. Il y a autant de vérités que de religions d'état. Bien plus : si dans chaque état, et sous le même méridien, la loi politique change, la vérité, compagne docile, change avec elle. Et toutes ces vérités, contradictoires entre elles, sont la vérité au même titre, la vérité immuable et absolue, à laquelle, selon votre loi, il doit être satisfait par des supplices, qui, toujours et partout, seront égale. ment justes. On ne saurait pousser plus loin le mépris de Dieu et des hommes; et cependant, telles sont les conséquences naturelles et nécessaires du système de la vérité légale : il est impossible de s'en relever dès qu'on admet le principe. Dira-t-on encore que ce n'est pas le principe du projet de loi? Autant de fois qu'on le dira, je répéterai que le projet de loi admet le sacrilége légal, et qu'il n'y a point de sacrilége légal envers les hosties consacrées, si la présence réelle n'est pas une vérité légale.

- Mais voici d'autres conséquences du même principe: on ne se joue pas avec la religion comme avec les hommes; on ne lui fait point sa part; on ne lui dit pas avec empire qu'elle ira jusque-là, et pas plus loin. Le sacrilége résultant de la profanation des hosties consacrées est entré dans votre loi; pourquoi celuilà seal, quand il y en a autant que de manières d'outrager Dieu ? Et pourquoi seulement le sacrilége, quand, avec la même autorité, l'hérésie et le blasphème frappent à la porte? La vérité ne souffre point ces transactions partiales. De quel droit votre main profane scinde-t-elle la majesté divine, et la déclare-t-elle vulnérable sur un seul point, invulnérable sur tous les autres, sensibles aux voies de fait, insensible à toute autre espèce d'outrages? Il a raison, cet écrivain (M. l'abbé de La Mennais) qui trouve votre loi mesquine, frandaleuse et même athée. Dès qu'un seul des dogmes de la religion catholique passe dans la loi, cette religion tout entière doit être tenue pour vraie et les autres pour fausses; elle doit faire partie de la constitution de l'état, et de là se répandre dans les institutions politiques et civiles; autrement l'état professe l'indifférence des religions, il exclut Dieu de ses lois, il est athée.

Je rends grâces au célèbre écrivain d'avoir si bien dégagé le principe que les habiles restrictions et les ingénieuses combinaisons du projet de loi dissimulent. Le voilà au grand jour et dans toute sa fécondité. Après que la loi a tenu la vérité pour vraie, la vérité à son tour s'empare de la loi; elle fait les Mesconstitutions, elle fait les institutions politiques et civiles, c'est-à-dire, sieurs, qu'elle fait tout. Non-seulement son royaume est de ce monde, ce monde est son royaume; le sceptre a passé dans ses mains, et le prêtre est roi. Ainsi, de même que dans la politique, on nous resserre entre le pouvoir

mais

absolu et la sédition révolutionnaire, de même, dans la religion, nous sommes pressés entre la théocratie et l'athéisme. »

Mais l'honorable orateur est bien loin d'admettre cette odieuse alternative; il n'admet point qu'on ne puisse sortir de la théocratie que par l'athéisme. Il observe que la loi française est loin d'être athée, et qu'en consacrant la liberté des cultes, elle a déclaré que la religion catholique était la religion de l'état, et qu'elle lui avait signé une haute prééminence. Il s'attache ensuite à montrer que cette religion elle-même n'avait pas eu besoin du secours du gouvernement pour s'établir, et qu'elle avait surtout horreur de la protection abominable des cruautés et des supplices.

Ici l'honorable orateur cite des exemples tirés de l'établissement du christianisme.

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Je dépose ici, dit M. Royer-Collard en terminant son discours, le fardeau de cette terrible discussion; je n'aurais pas entrepris de le soulever, si je n'avais consulté que mes forces; mais une profonde conviction et le sentiment d'un grand devoir à remplir ont excité et soutenu ma faiblesse. J'ai voulu marquer, en rompant un long silence, ma vive opposition au principe theocratique qui menace à la fois la religion et la société, d'antant plus odieux que ce ne sont pas, comme aux jours de la barbarie et de l'ignorance, les fureurs sincères d'un zèle trop ardent qui rallument cette torche. Il n'y plus de Dominique, et nous ne sommes pas non plus des Albigeois.

La théocratie de notre temps est moins religieuse que politique; elle fait partie de ce système de réaction universelle qui nous emporte; ce qui la recommande, c'est qu'elle a un aspect contre-révolutionnaire. Sans doute, Messieurs, la révolution a été impie, jusqu'au fanatisme, jusqu'à la cruauté; mais qu'on y prenne garde, c'est ce crime-là surtout qui l'a perdue, et on peut prédire à la contre-révolution que des représailles de cruauté, ne fussent-elles qu'écrites, porteront témoignage contr'elle, et la flétriront à son tour.

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Il y a des temps où les lois pénales en fait de religion rendent les ames atroces; Montesquieu le dit, et l'histoire des derniers siècles en fait foi nous pouvons juger qu'il y a d'autres temps où ces mêmes lois ne sont qu'une avilissante corruption. Souvenez-vous, Messieurs, de la vieillesse du grand roi et des jours qui l'ont suivie, de ces jours qui touchent de si près à la révolution. Consultez, sur cette triste époque, les plus pieux, les plus sages contemporains; Fénélon écrivait ces propres paroles le 15 mars 1712, trois ans avant la mort de Louis XIV: Les mœurs présentes de la nation jettent chacun dans la plus violente tentation de s'attacher au plus fort par toutes sortes de bassesses, de lâchetés, de noirceurs et de trahisons. Je vote le rejet du titre 1er de la loi. »

Après ce discours, qui excita souvent d'un côté des murmures, de l'autre des marques d'assentiment, et partout une vive sensation,

M. Miron d'Epinay défendit le projet de loi dans l'intérêt de l'état et de la religion; et M. de Figarol proposa de retrancher la question intentionnelle de l'art. 2, la circonstance de la publicité de l'art. 4, et d'appliquer la peine de mort au vol des vases sacrés suivi de profanation. Quoiqu'il se fût fait inscrire pour parler contre le projet, il terminait par voter en sa faveur, conclusion sur laquelle M. le président lui fit observer qu'il aurait dû se faire inscrire pour le défendre, aux termes du règlement qui veut que l'on parle alternativement pour et contre; mais la présence du ministre des affaires. ecclésiastiques, qui parut alors à la tribune, mit fin à cette contes

tation.

Le ministre prélat ne venait pas pour parler en criminaliste sur la loi pénale proposée; il se bornait à des observations générales, dont l'objet était de répondre aux argumentations religieuses des adversaires de la loi, et surtout de M. Royer-Collard.

« Qu'est-ce que le sacrilege, dit S. G.? Le sacrilége est-il punissable par les lois humaines? Le sacrilege est-il punissable d'après la Charte, qui accorde la même protection à tous les cultes autorisés dans l'état. Telles sont les propositions que je viens d'essayer d'éclaircir en peu de mots.

« Et d'abord, qu'est-ce que le sacrilége? Le sacrilége, tel qu'on l'entend ici, ne consiste ni dans une pensée, ni dans un désir, ni dans une parole, ni dans un écrit, ni dans les menaces vagues contre la religion. Le sacrilége est un acte positif, sensible, un attentat matériel commis contre les choses saintes et contre les objets consacrés au culte divin. Ainsi, qu'un homme soit assez impie pour nourrir dans son cœur des pensées d'athéisme, qu'il vomisse des imprécations contre la Divinité, qu'il manifeste ses pensées dans une église, dans une assemblée religieuse, qu'il donne un libre essor à son impiété, qu'il menace même de porter une main sacrilége sur les choses saintes : tout cela est grave sans doute, toat cela est criminel devant les hommes, criminel surtout devant Dieu; mais ce n'est pas là ce que la loi qualifie de sacrilege. Ces mots dont on se sert souvent, audace sacrilege, paroles sacriléges, sont plutôt du langage métaphorique que du langage légal.

« Il n'est donc question que d'un acte extérieur, sensible, d'une atteinte visible portée aux choses saintes; et, pour éviter tout arbitraire, on a restreint la loi dans des limites étroites; on l'a définie, caractérisée, de manière qu'il est impossible à l'homme le plus ignorant de se méprendre sur le sens de ses dispositions.

«On a été au-devant de toutes les vaines alarmes, de ces craintes chimériques qu'on affecte d'autant plus qu'on ne les a pas: la crainte, par exemple, qu'on ne passât des peines contre le sacrilege proprement dit, à des peines contre les discours, contre ce qu'on appelle hérésie. Nous savons qu'autrefois ces délits étaient réprimés; mais les temps sont changés, et la Charte garantit assez la liberté des cultes et des opinions religieuses pour qu'il n'y ait ici

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