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(11 février.) M. le duc de Broglie considérant les motifs du projet, croit voir dans l'inégalité des peines infligées aux profanations des objets consacrées aux divers cultes, l'intention de faire une proclamation solennelle du dogme fondamental de la religion de l'état...

« Cette énorme différence, dit S. S., n'a et ne peut avoir qu'un seul motif, le caractère sacré des choses qui sont l'objet de la profanation. Mais ce caractère sacré, d'où résulte-t-il? de la croyance seule. C'est elle qui constitue le crime; sans elle le délit est le même que pour tous les objets destinés au culte. Et puisque vous ne pouvez ni imposer aux citoyens cette croyance, ni même la leur supposer; vous ne pouvez non plus en faire la base d'une criminalité quelconque. En proclamant la liberté des cultes, la Charte n'a fait en quelque sorte autre chose que de reconnaître un fait elle a constaté qu'il existait en France des catholiques qui croyaient à la présence réelle; des luthériens qui ne l'admettent qu'au moment de la consécration; des calvinistes qui la repoussent entièrement; des juifs, enfin qui ne reconnaissent même pas le Sauveur du monde. Et sans tenir ces diverses religions pour également vraies, ce qui ne saurait être admis, elle a déclaré seulement qu'elles étaient également permises, et qu'à l'avenir, l'erreur en cette matière ne serait jamais imputée à crime. Or que proposet-on de punir, dans le titre Ier du projet, si ce n'est l'erreur sur la croyance, c'est-à-dire le péché et l'hérésie. Telle n'a pas été sans doute l'intention des rédacteurs de ce projet : mais tel est le résultat de leur système; et que l'on ne pense pas que là s'arrêtent les conceptions du principe qu'ils ont posé aujourd'hui. L'on ne présente l'article 4 que comme un hommage rendu à la religion catholique; mais si l'on institue des supplices pour le défaut de croyance, quels supplices nouveaux ne faudrait-il pas appliquer à ceux qui, non contens de ne pas croire, enseignent et professent hautement que nos croyances ne sont qu'une vaine idolâtrie? On vous demande aujourd'hui de trancher la main qui s'est levée contre les choses saintes; on vous demandera demain de percer d'un fer rouge la langue qui les a blasphémées, ou du moins de fermer ces chaires où l'erreur se fait entendre, d'interdire l'enseignement aux communions différentes, c'est-àdire de violer ouvertement le grand principe de la liberté des cultes. La Charte à voulu que la loi civile demeurât non pas indifférente, mais nentro entre les diverses croyances. Un seul acte en faveur de l'une d'elles vous conduit nécessairement au dernier terme de l'intolérance et à l'invasion de l'autorité civile par l'autorité religieuse. Telle est la véritable question que présente le projet, et devant cette importante question les autres doivent sabaisser et pâlir.

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Après ce noble duc, qui votait sans restriction le rejet de la loi proposée, M. le garde des sceaux demanda à être entendu pour la défense du projet. Il n'entendait rétracter aucune des propositions qu'il avait pu émettre l'année dernière à la même tribune; mais leur application à la question actuelle avait-elle quelque justesse ?

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De quoi s'agissait-il à la session dernière, dit S. G.; on avait pro

posé d'insérer dans le projet alors en discussion une disposition qui punît le sacrilége. Mais ce mot on celui de profanation, qu'on proposait aussi, n'était accompagné d'aucune définition qui en fixât le sens, qui distinguât les objets auxquels le sacrilége pourrait s'appliquer, qui indiquât à quels signes on pourrait le reconnaître. Dans cet état le ministre a dit et il a dû dire que la proposition était inadmissible. La loi qui prévoit un crime sans le définir, où qui le définit mal, est une loi dangereuse, et pour l'accusé qu'elle expose aux erreurs du juge, et pour la société à laquelle elle n'offre aucun moyen suffisant de répression. Le ministre en effet à dit alors et il en convient encore, que le sacrilége simple était un crime singulièrement rare. Mais que prouve cette circonstance? et peut-on en conclure que la loi soit inutile aujourd'hui ? La nécessité de la répression n'est pas la seule qui doive être considérée. N'existe-t-il pas à côté d'elle des nécessités morales, des nécessités politiques, des nécessités d'opinion publique? Or, n'y a-t-il pas un intérêt pressaut à ce que nos lois reçoivent enfin ce caractère religieux qui leur a manqué si long-temps? L'hommage solennel que la législation peut rendre à la dignité de la religion serait-il donc sans utilité? Ne présenterait-il plus aux peuples une grande et importante leçon? Peut-il d'ailleurs résister à l'opinion des hommes éclairés et des pouvoirs même de la société, lorsqu'elle se manifeste d'une manière positive sur un point aussi important? Qui ne se rappelle combien de voix s'élevèrent ici l'année dernière pour demander la répression spéciale du crime de sacrilege... Si ces propositions furent alors rejetées, au moins peut-on dire qu'une opinion puissante réclamait une disposition précise sur ces objets... L'opinion de la Chambre, loin de se la manisfester dans un sens contraire au projet, paraissait donc le rendre nécessaire. On sait que l'opinion de l'autre Chambre s'était manifestée avec plus de force encore, non pas dans une discussion publique, mais dans la commission dont les membres représentent et expriment l'opinion des bureaux qui les ont nommés. Hors des Chambres et sur divers points da royaume, plusieurs conseils généraux, organes du vœu de leurs départemens, ont expressément demandé une loi pour la répression du sacrilége simple. Plusieurs Cours royales ( celles de Toulouse, de Bordeaux, etc.) avaient consigné dans des arrêts l'insuffisance des lois pour la répression des attentats sacriléges, et la nécessité d'une loi nouvelle à ce sujet. Le ministère ne pouvait plus différer d'y pourvoir.

« On insiste néammoins, on soutient, que ce n'est pas à la loi humaine de prononcer sur le sacrilége: la loi, dit-on, est l'expression des rapports des hommes entre eux et avec la société civile; elle ne doit pas s'étendre au-delà. Cette argumentation repose sur une erreur; la loi ne règle pas seulement les rapports des hommes entre eux et avec la société, mais encore leurs rapports avec Dieu, non pas dans le for intérieur sans doute, mais dans le for extérieur pour tout ce qui se rattache au culte public. Ainsi le sacrilége simple commis sans publicité ne saurait être l'objet d'une disposition pénale; c'est un péché dont la punition n'appartient qu'à Dieu. Mais si la publicité vient s'y joindre, si un acte matériel dirigé contre la religion et ses mystères trouble Fordre et inquiète la société, ce n'est plus un péché, c'est un délit ou un crime que la société a droit de réprimer par tous les moyens qui lui appartiennent...

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Si vous permettez aujourd'hui à l'impie de profaner les objets les plus saints, et si pour échapper à la peine il suffit de dire à la société, votre religion n'est pas la mienne, votre Dieu n'est pas mon Dieu; qu'op

posera-t-on à l'assassin qui vous dira tout à l'heure avec la même force: -Vos lois ne sont pas mes lois, votre roi n'est n'est pas mon roi ? » Il faut en revenir aux vrais principes. L'homme qui consent à vivre dans la société sous la protection de ses lois, accepte par cela même toutes les conditions que la société à mises à cette protection. Permettre au sacrilege de méconnaitre ces conditions ce serait adopter une doctrine subversive de toute société.

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On a parlé dans la dernière séance de l'égalité, aujourd'hui on s'en restreint à invoquer la liberté des cultes mais quelle est la signification de ces mots et quelles conséquences doit-on en tirer? Il ne faut pas dire qu'aux yeux du législateur toutes las religions sont égales: car comment assimilerait-on à une religion vraie des religions fausses et erronées? Ce qui est vrai, ce que la Charte a proclamé, c'est que tous les cultes étaient également permis et avaient droit à une égale protection. Mais que résulte-t-il de cette liberté, de cette égalité de protection? C'est que chacun doit obtenir toutes les garanties qui sont nécessaires pour la célébration de son culte; or le rejet du titre premier conduirait nécessairement à un résultat contraire à ce principe. Si la loi se borne en effet à punir d'une manière générale les infractions à l'ordre, commises dans les édifices religieux, sans doutes les différentes religions seront également protégées dans ce qu'elles ont de commun; mais la religion catholique n'at-elle pas des mystères qui lui sont particuliers, et l'éminente sainteté de ces mystères n'exige-t-elle pas des garanties spéciales? On peut donc dire que si la loi se borne à des dispositions générales, la religion catholique n'obtient pas en ce point capital une protection suffisante, et que si l'égalité se trouve violée, c'est à son préjudice et non en sa faveur. »

Enfin le ministre terminait son discours par une observation, que chez les peuples civilisés de l'antiquité, en Égypte, à Athènes, à Rome, le sacrilége était puni de mort. « La France voudrait-elle se montrer moins zélée pour la religion sainte qu'elle professe, que ne l'étaient les païens pour leurs fausses adorations? >>

M. le comte de Bastard, reprenant la question, exposait que les tribunaux ne l'avaient point entendue comme M. le garde des sceaux venait de la poser. Dans l'opinion du noble pair le sacrilége simple n'est point de la compétence des lois humaines, et en le caractérisant suivant l'ordre des idées anciennes, il faudrait punir aussi sévèrement le blasphème et l'hérésie, ce qui nous mènerait à des siècles de barbarie. En conclusion de son opinion il proposait de substituer pour le sacrilége, à la peine de mort, celle de la déportation ou de la réclusion dans une maison de fous, suivant la gravité des cas: proposition qui fut ensuite la base d'un amendement dont on verra bientôt le sort.

(12 Jévrier.) Malgré ce qu'on avait dit sur la qualification de déi

cide, donnée à la profanation des hosties consacrées, M. le marquis de Villefranche n'hésite pas à regarder le sacrilége, tel qu'il est défini dans le projet, comme méritant un châtiment aussi rigoureux que le régicide. Mais le but de la loi lui paraîtrait mieux atteint, si l'exécution en était confiée aux Cours royales, au lieu de l'être aux Cours d'assises, où la question intentionnelle soumise aux jurés, pourrait laisser au coupable trop de chances d'impunité.

M. le comte Lanjuinais, qui vint ensuite à la tribune, s'attacha particulièrement à répliquer à M. le garde des sceaux sur l'explication qu'il avait donnée de l'opinion de la Chambre et des Cours royales, relativement à la question agitée. Selon le noble pair la loi ne pouvait nommer le sacrilége sans sortir de ses limites, sans s'occuper ensuite de punir toute infraction aux préceptes religieux. Le projet lui paraissait violer le principe constitutionnel de la liberté des cultes et contraire au but religieux qu'on se proposait.

Tel n'était point l'avis de M. le vicomte de Bonald, partisan du sévère dans les lois comme dans les arts; il observait, comme un des opposans l'avait fait, la tendance générale du siècle vers les idées religieuses, mais pour en conclure la nécessité de s'opposer aux efforts de l'impiété pour se fortifier et se maintenir dans les conquêtes qu'elle avait faites pendant le 18° siècle. Il était d'avis qu'on substituât l'amende-honorable à la mutilation, mais l'application de la peine de mort au sacrilége lui semblait nécessaire.

«Si les bons doivent leur vie à la société comme service, ajoute le noble pair, les méchans la lui doivent comme exemple. Le sacrilege, a-t-on dit, n'est pas un crime, c'est un péché que la religion seule doit punir. Mais le décalogue dont on recherche l'empreinte dans la loi criminelle de tous les peuples n'a-t-il pas été donné pour règle aux sociétés comme aux individus ? l'homicide, l'adultère, le vol, qui sont autant de péchés, cessent-ils pour cela d'être des crimes? Un orateur a observé que la religion ordonnait à l'homme de pardonner; mais en prescrivant au pouvoir de punir, car, dit l'apôtre, ce n'est pas sans cause qu'il porte le glaive, le Sauveur a demandé grâce pour ses bourreaux; mais son père ne l'a pas exaucé. Il a même étendu le châtiment sur tout un peuple, qui, eans chef, sans territoire et sans autel, traine partout l'anathème dont il est frappé. »

Un neuvième orateur (M. le comte Le Mercier), adoptant le principe du projet, proposait comme M. le comte de Bastard des adoucissemens à la peine infligée au sacrilége. Mais M. le baron de

Barante qui termina la séance, demandait la suppression entière du titre Ier. Il donna de nouveaux développemens à cette idée déjà émise, que le projet de l'année dernière était conçu dans l'intérêt de la société, et celui-ci dans l'intérêt de la religion.

( 14 février.) La discussion générale paraissait toucher à sa fin; les orateurs qui se firent encore entendre n'y traitèrent que des questions partielles. M. le comte de Chastellux soutint que la loi devait considérer le sacrilége comme un attentat qui trouble l'exercice du culte catholique par le plus affreux scandale qu'on puisse lui donner. M. le baron Pasquier pour répondre à l'allégation faite par M. le garde des sceaux qu'il avait provoqué lui-même dans sa discussion de l'année dernière l'insertion d'une peine pour la profanation des vases sacrés, etc., dit que sa pensée était alors bien opposée à l'esprit de la loi nouvelle, puisqu'il ne voulait atteindre que des actes, auxquels il n'entendait pas d'ailleurs appliquer la peine de mort. M. le duc de Fitz-James convaincu de la nécessité d'une loi sévère pour prévenir les tentatives de l'impiété, voit encore dans l'état actuel de la société, la révolution tout entière, non avec ses orgies, ses échafauds, mais avec ses doctrines et ses principes.

« La corruption a quitté les salons, dit le noble pair, mais elle est descendue dans les boutiques; elle se maintient dans les rues et menace d'innonder les campagnes. A quelle autre fin seraient destinées ces éditions complètes de Voltaire et de tous les auteurs impies du dernier siècle? Voltaire, pendant quarante ans, commanda le sacrilége. La révolution, après avoir fidèlement obéi, a laissé des adeptes qui le commandent à leur tour. »

On demandait la clôture de la discussion générale épuisée pour tout le monde; la question ne paraissait pas encore éclaircie an dernier orateur qui s'y fit entendre (M. le comte de Pontécoulant). Il n'était d'accord que sur un petit nombre de points, soit avec ceux qui défendaient le projet, soit avec ses adversaires. Dans son opinion le crime de sacrilége non accompagné de vol et tel que la loi le définit, ne pouvait être que l'œuvre de la démence, et la raison l'intérêt de la société ne demandaient dans ce cas que la détention perpétuelle du coupable. On verra tout à l'heure quel fut le sort de cet amendement. Le rapporteur de la commission (M. le comte de Breteuil), faisant alors le résumé de la discussion annonça qu'elle per

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