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Cette déclaration engagea les députés de Soleure et de Fribourg, comme étant les canton; catholiques les plus voisins de celui de Berne, à justifier leurs gouvernemens et les citoyens de leurs cantons contre les reproches du gouvernement bernois; mais les députés de Berne ne manquèrent pas de répondre et d'éclaircir ultérieurement les faits, dont ils n'avaient d'abord entretenu la diète que d'une manière fort vague. Ils déclarèrent donc hautement que c'était principalement des prêtres du canton de Fribourg que leur gouvernement avait à se plaindre; prêtres qui appartiennent au parti des jésuites, dont la prépondérance est établie depuis plusieurs années dans ce canton. Les députés entrèrent ensuite dans des détails circonstanciés sur les divers faits qui se sont passés dans le canton de Fribourg, et qui prouvaient les menées des prêtres de

ce canton.

La chose en est restée là, mais les déclarations des députés bernois n'en ont pas fait moins d'impression, et il s'est manifesté depuis une grande opposition au prosélytisme dont on accusait les prêtres catholiques, surtout dans les cantons de Zurich, d'Argovie et de Bâle.

Une cause criminelle, singulière dans ses détails, est venue ajouter à l'irritation des partis religieux de la Suisse.

Depuis plusieurs années, une bande de voleurs, dirigée par une femme perdue de débauches, nommée Clara Wendel, répandait la terreur dans les cantons. Cette femme, regardée comme un phénomène dans son genre, était âgée de vingt ans, douée de rares facultés intellectuelles et d'une grande beauté; on ne lui attribuait pas moins de vingt assassinats, quatorze incendies et quinze cent quatrevingt-huit vols. Quoi qu'on puisse penser de ces bruits sans doute fort exagérés, le tribunal de Lucerne allait lui faire son procès et à ses complices, lorsque la procédure fut retardée par une révélation inattendue.

Il y a quelques années (le 13 septembre 1816) que M. Keller, alors avoyer en charge de Lucerne, retournant de la ville à sa campagne par une nuit obscure et orageuse, et par un chemin étroit taillé dans le roc au bord de la Reuss, était tombé dans cette rivière et s'y

était noyé. Ses deux filles l'accompagnaient; mais comme elles s'en étaient séparées dans l'obscurité et à cause des dangers du chemin, elles avaient continué leur route jusqu'à leur maison sans s'apercevoir de la perte affreuse qu'elles venaient de faire. Le corps fut retrouvé peu de jours après; on en fit l'autopsie, on n'y reconnut aucun indice de mort violente. Ce fut l'objet d'un deuil général; mais on ne considérait cette mort que comme un accident, lorsque plusieurs des brigands traduits devant le tribunal de Lucerne firent séparément, presque dans les mêmes termes, l'étrange révélation qu'ils étaient les auteurs de la mort de M. Keller, et qu'ils avaient commis ce crime pour une somme de vingt francs, à l'instigation de deux citoyens des plus respectables de la ville, MM. Corragioni et Psyffer de Heidegg, tous deux membres des conseils quotidiens et d'état de Lucerne.

Au premier bruit de cette révélation, qui fit une sensation prodigieuse mais aisée à concevoir, MM. Psyffer et Corragioni, protestant de leur innocence, demandèrent eux-mêmes à être arrêtés et jugés. L'opinion publique vivement agitée ne savait comment expliquer les motifs du crime ou ceux de cette odieuse révélation. MM. Psyffer et Corragioni avaient été divisés d'opinion avec M. Keller, mais pouvait-on supposer que, pour satisfaire leur haine, deux vieillards de soixante-sept à soixante-huit ans, vénérés de leurs concitoyens, se fussent liés avec des brigands déjà chargés de tant de crimes? D'un autre côté, les brigands n'étaient-ils que les instrumens de la haine d'un autre parti qui voulait perdre MM. Psyffer et Corragioni? Quelques écrivains n'ont pas hésité à publier que c'était le résultat d'une intrigue abominable ourdie par des réfugiés pour perdre le parti catholique, auquel on attribuait la mort de M. Keller. Enfin, après six mois d'enquêtes, d'interrogatoires, d'accusations ou d'invectives de parti, la commission spéciale a déclaré que M. Keller n'avait point été assassiné, que les dépositions des brigands n'avaient aucun fondement. Ainsi l'innocence de MM. Psyffer et Corragioni était pleinement démontrée, mais on ignorait encore les motifs secrets de ce complot contre l'honneur et la vie de deux magistrats. Peut-être n'y avait-il pas d'autres motifs de la part des brigands

que de retarder le jugement ou d'obtenir la réduction de la peine due à leurs crimes.—C'est ce qu'on n'a point encore éclairci.

PIEMONT.

On a parlé au chapitre de l'Autriche du voyage de l'Empereur en Italie; c'est ce qu'il y a de plus important à dire des affaires du Piémont... Si le projet d'une réunion des souverains avait pour but d'organiser une fédération comme celle d'Allemagne, on peut, sans craindre de se tromper, faire honneur au roi de Sardaigne de la résistance que l'Autriche éprouva. Les Piémontais et les Gênois virent avec orgueil éluder le protectorat dont ils se croyaient menacés, et leur prince soutenir dignement l'indépendance et la dignité de sa couronne. Il reçut l'empereur d'Autriche dans sa ville de Gênes en ami, en égal, et ne fit pas le voyage de Milan. On a dû le remarquer, un grand parti regardait toujours l'unité politique de l'Italie comme le seul moyen de lui rendre le rang qu'elle devrait occuper en Europe, mais il ne se souciait pas d'y voir figurer un prince trop puissant... La raison en est trop évidente pour avoir besoin d'être développée.

Le roi de Sardaigne donna encore une autre preuve de sa fermeté à maintenir les droits de sa couronne envers les Barbaresques. Le bey de Tripoli avait voulu renouveler, à l'égard du pavillon sarde, les prétentions anciennes de tribut, en violation du traité de paix et d'alliance conclu il y a quelques années par lord Exmouth. Déjà les corsaires tripolitains avaient commis quelques hostilités, lorsque le Roi fit équiper une escadre composée de deux frégates, d'une corvette et d'un brick, dont il donna le commandement au chevalier Sivori, avec la mission d'exiger du bey l'exécution pleine et entière des traités. Le chevalier de Sivori, arrivé devant Tripoli le 25 septembre, essaya d'abord la voie des négociations par l'intermédiaire du consul général d'Angleterre (M. le chevalier Washington), mais ne pouvant avoir satisfaction, il se mit en devoir de l'obtenir par la force... Dans la nuit du 26 au 27, au milieu d'une mer houleuse, il s'avança vers le port, et malgré le feu des batteries, sous une grêle de boulets et de mitrailles, il brûla la flottille armée du bey, composée d'un brick de douze canons et de deux goëlettes de six, tandis

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qu'une autre division de marins déjà débarquée à terre menaçait le chantier et l'arsenal du même sort. Cette attaque, exécutée avec intrépidité, devait être suivie de celle de la ville : le bey ne jugea pas à propos de l'attendre, il offrit la satisfaction qu'on demandait, l'exécution franche des traités, rendit hommage à la valeur des marins sardes, et une convention nouvelle fut conclue entre les deux puissances pour assurer l'honneur du pavillon sarde, qui fut arboré de nouveau sur la maison du consul, et salué de vingt-neuf coups de canon. L'escadre victorieuse revint à Gênes où plusieurs de ses officiers et soldats reçurent des récompenses.

ÉTATS ROMAINS.

Cette année fameuse dans les annales ecclésiastiques, par la célébration d'un grand jubilé, n'est pas moins remarquable dans les fastes civils par les procédures politiques. Il n'était bruit au mois de décembre dernier que de la découverte d'une conjuration dont les ramifications s'étendaient dans toute l'Italie. Un grand nombre d'individus soupçonnés d'avoir fait partie des associations secrètes, entre lesquels on distinguait le comte Fabbry de Céséne auteur de plusieurs tragédies estimées, furent arrêtés et conduits à Ravenne, où le cardinal légat à latere Rivarola forma une commission pour les juger; quelques-uns d'entr'eux étaient en outre accusés d'assassinats attribués à tort ou à raison à des motifs politiques. Tous furent compris dans la même procédure.

Après huit mois de recherches, d'interrogatoires ou de plaidoiries secrètes, le jugement a été prononcé le 31 août par le cardinal Rivarola. D'après la sentence, dont on n'a tiré qu'un petit nombre d'exemplaires pour les cardinaux, les principaux fonctionnaires de l'état et le corps diplomatique, il ne se trouvait pas moins de trois cents personnes impliqués dans cette conjuration; elle avait pris naissance dans une association secrète composée de Francs-Maçons et de Carbonari qui s'étaient réunis vers 1820. Cette secte avait été dès lors partagée en diverses sociétés des Frères du devoir, des Défenseurs de la patrie, des Frères artistes, des Fils de Mars, des

Maçons réformateurs, etc. etc., elles se divisaient en ventes, sections et cercles à divers degrés. Les membres contribuaient en proportion de leurs moyens et de leurs grade dans l'association. En résultat la sentence condamnait à mort sept individus dont la peine à ensuite été commuée en vingt-cinq ans de réclusion dans une forteresse, à l'exception de deux assassins contumaces; douze étaient condamnés aux galères à vie, six à une détention perpétuelle : une centaine d'autres à un emprisonnement ou aux galères de cinq à vingt ans, suivant la gravité de leur crime, deux au bannissement.

Cette procédure n'était pas terminée lorsqu'on en commença une autre à Rome, pendant le voyage de l'empereur d'Autriche; il s'agissait encore d'une association secrète (des pèlerins blancs ) dont les membres étaient liés entre eux par un serment terrible; quiconque l'abandonnait ou en révélait l'existence, devait être puni de mort. Mais cette fois la procédure fut séparée en deux : l'une concernant les accusés de meurtre, l'autre ceux qui n'étaient prévenus que de simple carbonarisme...

La première sentence, rendue le 21 novembre, porte que Targhini devenu chef des carbonaris à Rome, coupable d'un premier meurtre en 1819, voulant rappeler, dans le sein de la secte ceux qui l'avaient abandonnée, avait résolu de leur en imposer par l'horrible exemple d'un assassinat commis le 4 juin, sur l'un d'entre eux (Pontini) à l'aide de Montanari et de quatre autres carbonari. Targhini ( Angelo et Montanari (Léonida), furent condamnés à mort; deux de leurs complices aux galères perpétuelles, et les deux autres aux galères pour dix ans (sentence du 21 novembre).

Targhini était fils d'un cuisinier du Pape. Montanari exerçait la profession de chirurgien : ils ont subi leur peine le 23 novembre, sur la place del Popolo, après avoir refusé les secours de la religion et en criant qu'ils mouraient en carbonari.

On avait distingué dans la seconde classe des prévenus de carboranisme, le prince Louis Spada, ancien garde-noble de S. S. et plusieurs jeunes gens de familles distinguées. Le premier fut condamné à trois ans de détention dans le château Saint-Ange (il a été relâché ensuite à la sollicitation d'une cour étrangère), M. Achille

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