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ment des affaires de crédit en Europe, ne manquera pas de coordonner son activité, avec la marche des événemens. »

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D'après l'exposé que S. Exc. faisait ensuite de l'état de la dette publique, la dette de Hollande, les dettes à terme n'avaient subi aucun changement depuis le rapport fait l'année dernière. (V. l'Ann. pour 1824, p. 382, 383.) Mais la dette à rentes perpétuelles à 6 pour cent en assignation, avait été réduite à 226,096,411 fr., et la dette à rente perpétuelle à cinq pour cent en argent, à 77,476,500 fr. La masse des billets de la banque d'assignation était, au 1er janvier 1825, comme l'année précédente, de 595,776,310 roubles...,

Il était alors question d'un voyage que l'empereur devait faire dans les provinces méridionales avec l'impératrice régnante dont la santé exigeait un climat plus doux. Suivant les uns, la cour devait aller s'établir pour une année à Moscou; suivant d'autres, l'empereur, peu satisfait de la lenteur du divan à exécuter la promesse tant de fois répétée de l'entière évacuation des deux principautés de Moldavie et de Valachie, ou inquiet des dispositions des armées stationnées dans les provinces méridionales, voulait en faire luimême l'inspection, et observer de plus près la marche des affaires de la Grèce. Quelques écrivains annoncèrent dès lors un changement de système dans le cabinet russe; et les événemens survenus depuis ont donné quelque vraisemblance à leurs conjectures.

Quoi qu'on en puisse penser aujourd'hui, après quelques modifications arrêtées sur ce voyage, l'empereur partit de sa résidence d'été (Czarkojeselo) le 13 septembre, avec une suite peu nombreuse composée d'officiers généraux entre lesquels il faut distinguer le major-général Dicbitsch, et avec son premier médecin le docteur Wylie. L'Impératrice régnante se mit en route deux jours après pour Taganrog. S. M., voyageant à petites journées à raison de la faiblesse de sa santé, n'arriva dans cette ville que plusieurs jours après son auguste époux, qui alla la recevoir, et fit avec elle (le 5 octobre) son entrée au milieu des transports de joie de la population de cette même ville, qui devait être, moins de deux mois après, un théâtre de douleurs.

Taganrog, située dans le climat le plus doux de la Russie, sur un

territoire fertile et dans la plus heureuse situation, à l'entrée de la mer d'Azow, et près de l'embouchure du Don et du Wolga, n'était dans l'origine qu'une vaste forteresse destinée à défendre les provinces méridionales des incursions des Turcs et des Tartares. Mais la conquête de la Crimée avait diminué l'importance de sa position militaire et ajouté au prix de sa position commerciale; elle était devenue le siége d'un commerce considérable en blés, en laines, en fer, en cuirs, en toiles, en caviar, en suifs, en toutes sortes de produits du sol russe; et (1) en peu d'années cette ville qui n'avait encore, il y a vingt ans, qu'un millier de petites maisons bâties pour la plupart de bois et de boue, en offrait maintenant un grand nombre construites en brique et en pierre, et l'empereur se proposait de l'augmenter encore en lui accordant les franchises d'Odessa.

Le séjour de cette ville paraissait fort agréable à LL. MM., elles faisaient tous les jours aux environs des promenades à pied et à cheval. Entouré d'une petite partie de sa cour, le prince, constamment occupé des soins de son vaste empire, se délassait de ses travaux en faisant des excursions sur les côtes de la mer d'Azow et dans les stanitzas des cosaques du Don.

A son retour de New-Tscherkask, la beauté de la saison paraissant se prolonger au-delà du terme ordinaire pour qu'il pût jouir de la douceur du climat, l'empereur Alexandre voulut en profiter pour visiter les établissemens de Crimée, de cette fameuse Tauride que la grande Catherine se plaisait à regarder comme une station militaire devant Byzance.

Le gouverneur civil de la Tauride (M. de Naryschkin) n'avait été informé que huit jours auparavant de ce projet, en recevant l'ordre de faire tenir prêts aux stations indiquées sur l'itinéraire les chevaux nécessaires pour neuf calèches et un britsche de la suite de S. M. Le temps et les chemins étaient beaux : l'empereur arriva le jour marqué, 5 novembre, au soleil couchant à Sympheropol, siége du gouvernement; se rendit d'abord à l'église comme il avait cou

(1) De 1810 à 1820, les importations se sont élevées à 47,500,000 roubles, et les exportations à 67,500,000. En 1823, sa population était d'environ

14,000 habitans, la plupart grecs.

tume de faire dans ses voyages; il ne voulut passer qu'une nuit dans cette ville, et partit dès le lendemain matin au grand regret de la population, pour visiter les côtes et les villages tartares dont plusieurs étaient devenus des villes. Le principal but de son voyage était de voir par lui-même une terre connue sous le nom d'Urjanda, située près d'Aloupka, non loin des terres que le comte de Woronzoff possède sur cette côte, contrée que Pallas et le docteur Clarke regardent comme l'Eden de l'empire russe. L'Empereur, après avoir passé plusieurs heures à Urjanda, avait été charmé des avantages de la position, et il avait accepté l'offre faite par écrit par M. le comte de Kouschelew-Besborodko, transmise par M. de Woronzow, de céder cette terre à S. M., en laissant entièrement à sa disposition de lui donner en échange sur cette côte une propriété équivalente.

Sans l'événement fatal dont nous avons bientôt à rendre compte, on aurait vu sous peu s'élever à Urjanda un château impérial entouré de magnifiques jardins. Un jeune architecte, élève de l'académie des arts, habitant de la Crimée (M. Elson), était déjà chargé de présenter un plan d'après les idées que S. M. avait elle-même tracées de sa main. Déjà le directeur des bâtimens et l'inspecteur des jardins étaient nommés : il n'est pas douteux que bientôt toute cette côte de la Tauride ne se fût couverte de maisons de campagne et de magnifiques jardins qui en eussent fait un séjour délicieux, comparable à celui des villas d'Italie...

Après quelques visites rendues au comte Woronzow, à la princesse Gotilzin à Alupka, l'Empereur alla successivement à Sebastopol, où l'attendait le vice-amiral Greig, commandant de la flotte de la mer Noire, à Baktschi-Seray, ancienne capitale des kans de Crimée, où il admit à sa table le muphti et huit murses tartares, à Kloslow dont les habitans lui présentèrent une supplique pour demander le rétablissement de l'ancienne franchise de commerce qui, depuis six ans, était extrêmement restreinte pour favoriser Theodossa.

Dans les derniers jours de son voyage, quoique la température se fût refroidie, l'Empereur voulût faire à cheval un long trajet sur

la côte de cette mer putride, si souvent fatale aux Russes: il fut pris d'un refroidissement, et revint, le 18 novembre, à Taganrog avec un accès de fièvre. Il écrivit le même jour à l'Impératrice mère qu'il ne se sentait pas bien, mais qu'il se ménageait et qu'il n'y avait rien à craindre. Malheureusement il se faisait lui-même illusion sur son état. Comme il ne croyait avoir besoin que de repos, de calme et de ménagemens, il refusait de prendre dans le principe les remèdes prescrits par son médecin (1); mais dès le 24 novembre, la fièvre qui n'avait été qu'intermittente avait dégénéré en une fièvre bilieuse inflammatoire et continue. L'érésypèle que l'auguste malade avait à la jambe rentra, accident dont il fut si frappé qu'il s'écria : « Je mourrai comme ma sœur. » Ce n'est qu'alors, le 27 novembre, qu'il se détermina à prendre les remèdes qu'on lui prescrivait. Les sangsues qu'on lui appliqua calmèrent l'inflammation pendant quelques heures; mais la fièvre reprit bientôt un nouveau degré d'intensité, un caractère nerveux et les synapismes réitérés n'ont pu la faire cesser. L'état du malade empira d'heure en heure... Le docteur Wylie avait appelé les plus habiles médecins des environs et même de la Crimée pour consulter avec eux; ils épuisèrent tout ce que l'art et le talent leur offraient de ressources, mais il était trop tard... L'Empereur sentant alors son état voulut recevoir la sainte communion. Il passa la journée du 28 presque sans connaissance, sans parole et dans un état de léthargie ou de convulsions nerveuses continuelles. Le 29, on eut une lueur d'espoir de voir son état s'améliorer. On allait chanter le Te Deum dans l'église de Taganrog, où toute la population se rendait pour demander au Ciel la conservation de ce monarque adoré. M. Wylie fit part de ses espérances à l'Impératrice Élisabeth, qui se hâta de

(1) On lit dans le journal de la maladie, écrit en latin par le docteur Wylie, que l'Empereur, en revenant de la Crimée, était frappé d'un abattement d'esprit et de corps qui n'offrit d'abord que les symptômes d'une fièvre ordinaire. Les causes de cette maladie, dit M. Wylie, sont quelquefois un travail trop assidu, des affections morales, la crainte et l'inquiétude. Une cause secondaire est le séjour ou le voyage dans des contrées marécageuses et nonvellement cultivées. L'Empereur refusa d'employer aucun des remèdes efficaces qu'on lui prescrivit, et, en peu de jours, la fièvre devint un typhus violent accompagné quelquefois de délire. »

communiquer ces heureux pressentimens à l'Impératrice mère dans une lettre écrite de sa propre main, au chevet de son lit, que la pieuse épouse ne quittait presque point. l'Empereur s'endormit ce jour là peu avant le crépuscule du matin, et ne se reveilla que vers neuf heures. Quelques momens avant son réveil, le soleil s'était levé avec éclat, et promettait un beau jour d'automne; l'Empereur en fut frappé, il fit ouvrir ses stores, et s'écria d'une voix très-intelligible, avec un air de satisfaction: «< Comme il fait beau ! » Il demanda l'Impératrice, et lui dit en lui baisant la main : « Vous devez être bien fatiguée ? » et il retomba dans un affaisement effrayant. Le même soir encore plusieurs symptômes favorables survenus dans son état entretinrent l'espérance qu'on avait eue de sa guérison. Un vésicatoire avait opéré, l'estomac était dégagé, on attendait avec assurance une crise et les heureux effets qu'elle devait avoir sur la marche de la maladie. Mais le 30, tout espoir s'évanouit. L'état de l'auguste malade empira d'heure en heure. Le soir, il éprouva une faiblesse telle qu'il ne pouvait plus avaler les remèdes qu'on lui administrait. Le 1er décembre, une demi-heure avant sa fin, sortant de l'état de léthargie qui n'avait eu depuis le 24 que de courts intervalles marqués par le délire (1), souvent l'Empereur ouvrit les yeux, vit toutes les personnes qui étaient autour de son lit, son auguste épouse, le baron de Diebilsch, le prince de Wolkonsky, le docteur Wylie... Il ne pouvait plus parler, mais il

(1) Le même journal du docteur Wylie, que nous avons cité, rapporte ces détails :

Le Monarque dit un jour à M. Wylie : « Laissez-moi, je sais moi même ce qu'il me faut, du repos, de la solitude, de la tranquillité... » Un autre jour, il lui disait : « Mon ami, ce sont mes nerfs qu'il faut soigner; ils sont dans un désordre épouvantable. C'est un mal, répliqua Wylie, dont les rois sont plus souvent atteints que les particuliers. Surtout dans les temps actuels, reprit vivement Alexandre... Ah! j'ai bien sujet d'être malade. »

Enfin, étant en apparence sans aucune fièvre, l'Empereur se tourna brusquement vers le docteur qui était seul présent : « Mon ami, s'écria-t-il, quelle action, quelle épouvantable action! » Et il fixa sur le médecin un regard terrible et incompréhensible. M. Wylie dit qu'il croit que ces mots commencèrent le délire, mais il déclare plus haut, « qu'il ne peut pas se permettre d'entrer dans d'autres détails sur l'origine des affections morales qu'éprouvait l'Empe

reur. *

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