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nommés par le Roi, devaient diriger les études d'après les doctrines de l'ancienne Sorbonne, qu'elle rétablissait sous un nom nouveau. Mais la création de cet établissement ne rassura point sur les projets attribués au parti ultramontain.

De tous les écrits ou articles de journaux qui ne cessaient de signaler à l'opinion publique l'établissement clandestin des jésuites, et l'esprit d'intolérance ou d'envahissement du clergé, nul ne fit plus d'impression que des lettres publiées par M. le comte de Montlosier dans le Drapeau blanc, lettres où il dénonçait explicitement l'existence d'une société mystérieuse désignée sous le nom de Congrégation, le rétablissement des jésuites, et la non exécution des anciennes lois du royaume, relativement à l'enseignement des quatre articles de la célèbre déclaration de l'église de France en 1682... A la fin de ces lettres l'auteur annonçait un Mémoire à consulter dont la publication appartient à l'histoire de l'année prochaine.

Pour celle-ci, c'était un événement que cette levée de bouclier 'de la part d'un des champions les plus zélés des doctrines monarchiques, féodales même, et en opposition si constante avec les principes et les hommes de la révolution. Les libéraux en tirèrent grand parti, et l'ouverture des deux procès de tendance intentés au Constitutionnel et au Courrier Français vint bientôt donner à la querelle un nouvel intérêt.

Quoique confondus dans le réquisitoire du procureur général, du 31 juillet, les deux procès furent plaidés séparément devant la Cour royale de Paris, et occupèrent chacun trois andiences solennelles, présidées par M. le baron Séguier, et tenues avec le plus grand appareil, au milieu d'un auditoire où l'on remarquait, aux bancs réservés, des pairs de France, des députés, une foule de personnages et d'étrangers de distinction.

On trouvera dans la Chronique (1) les détails les plus piquans de cette cause, où l'avocat général (M. de Broë) chargé de soutenir l'accusation, déploya toutes les ressources de l'éloquence. Il rappelait les articles incriminés dans le réquisitoire, il niait la vérité

(1) Articles des 3 et 6 décembre.

de quelques faits, il en justifiait d'autres; il s'attachait surtout à démontrer que des diffamations répétées par les deux journaux contre les ministres de la religion de l'état portaient atteinte au respect dû à cette même religion; il les accusait de chercher à jeter de la division entre les protestans et les catholiques, toujours en haine du catholicisme.

De leur côté, les défenseurs des deux journaux, Me Dupin (pour le Constitutionel), et Me Mérilhou (pour le Courrier Français), examinant la masse de l'accusation, la trouvaient vague et sans application; les articles incriminés leur paraissaient avoir été tronqués, mutilés, isolés, de ce qui pouvaient les expliquer ou les justifier. Ils maintenaient la vérité des faits dénoncés, alléguant que ce n'était pas attaquer la religion que dénoncer les abus qui la deshonorent, et ils s'élevaient surtout contre l'introduction évidente d'ordres religieux dans l'état sans loi, ni ordonnance qui les autorisât, qu'ils trouvaient dangereux pour l'indépendance du trône et pour les libertés publiques...

Le premier arrêt, prononcé (le 3 décembre) par la Cour royale dans la cause du Constitutionnel, admettait que plusieurs des articles incriminés contenaient des expressions et même des phrases inconvenantes et répréhensibles; mais considérant que l'esprit résultant de l'ensemble de ces articles n'était pas de nature à porter atteinte au respect dû à la religion de l'état, et que ce n'était ni manquer à ce respect ni abuser de la liberté de la presse, que de discuter et combattre l'introduction et l'établissement, dans le royaume, de toute association non autorisée par les lois, que de signaler, soit des actes notoirement constans qui offensent la religion et même les mœurs, soit les dangers et les excès non moins certains d'une doctrine qui menacerait tout à la fois l'indépendance de la monarchie, la souveraineté du Roi et les libertés publiques garanties par la Charte constitutionnelle et par la déclaration du clergé de France de 1682, déclaration toujours reconnue et proclamée loi de l'état: disait «< qu'il n'y avait lieu de prononcer la suspension requise, et néanmoins enjoignait aux éditeurs et rédacteurs du Constitutionnel d'être plus circonspects. »

D'après cet arrêt reçu aux grands applaudissemens de l'auditoire, le rôle du ministère public était devenu plus difficile dans la seconde affaire: mais le courage de l'avocat-général (M. de Broë) n'en désespéra point; et après quelques précautions oratoires, il insista plus fortement sur la conviction intime qu'il avait de la tendance irréligieuse des articles incriminés, à quoi Me Mérilhou répliqua dans le même sens que sa défense; mais comme il voulait insister sur les principes consacrés par l'arrêt déjà rendu, M. le président déclara que la cause était suffisamment entendue.

La délibération de la Cour ne fut pas plus longue que la précédente, et l'arrêt eut le même résultat, avec cette différence dans le considérant, qu'il admettait comme un fait et comme circonstance atténuante « l'introduction en France de corporations re◄ligieuses défendues par les lois, ainsi que des doctrines ultramon<< taines hautement professées depuis quelque temps par une partie « du clergé français, et dont la propagation pourrait mettre en péril « les libertés civiles et religieuses de la France. »

La sensation que firent ces deux arrêts dans le public fut grande, mais bien diverse, suivant les opinions qu'ils affectaient. Aux yeux des uns, la magistrature venait de sauver la liberté des cultes et celle de la presse et la France elle-même de la domination cléricale: aux yeux des autres la Cour royale avait outre-passé ses droits et ses pouvoirs; elle affectait les prétentions des anciens parlemens; elle avait rendu ces deux arrêts en haine de cet ordre religieux dont l'expulsion avait été l'origine, le prélude et peut-être la cause la plus réelle de la révolution; elle avait rallumé des querelles assoupies, outragé le clergé français, encouragé la licence, l'esprit de révolte et d'impiété. Quelques prélats adressèrent au Roi lui-même des lettres dans lesquelles ils se plaignaient des attaques renouvelées contre eux, comme des préludes d'une persécution nouvelle; et désavouaient d'ailleurs les doctrines qu'on leur supposait sur la confusion des puissances temporelle et spirituelle, en protestant de leur dévouement au Roi : maximes qui furent ensuite rédigées en forme de déclaration signée par la plupart des prélats comme un exposé des doctrines de la nouvelle église gallicane.

Il arriva, dans l'intervalle des plaidoiries de ces deux causes, un événement qui contribua encore à remuer les passions des partis; c'est la mort du général Foy (28 novembre). Il revenait des eaux des Pyrénées; et malgré la célébrité de son nom, le public apprenait la nouvelle de sa mort avant de savoir la gravité de sa maladie; c'était un anévrysme au cœur occasioné et sans doute aggravé par les travaux, les fatigues et les irritations de la tribune.

Il n'est pas besoin de rappeler au lecteur les titres du général Foy à la renommée : ce recueil en fournira. Jamais on n'oubliera cette éloquence impétueuse, souvent passionnée, mais pleine de lumière et de chaleur; elle partait du cœur, et de là venaient le charme et l'intérêt avec lesquels il était toujours entendu, même par ses adversaires, et jusque dans les écarts de ses brillantes improvisations.

Cette perte inattendue fut d'abord vivement sentie dans tous les rangs, dans toutes les opinions; des personnages distingués dans l'état, dans l'armée, dans les lettres, dans le commerce, dans toutes les classes de la société, et une foule immense, assistèrent à ces funérailles. Des jeunes gens se disputèrent l'honneur de porter le cercueil à l'église et jusqu'au cimetière de l'Est où, après plusieurs discours funèbres, entre lesquels on distinguera celui de M. Casimir Périer, la dépouille mortelle du guerrier orateur fut déposée entre celles de tant d'hommes célèbres que cette terre sépulcrale a déjà dévorées.

Après ce convoi, auquel la religion et l'autorité militaire avaient prêté toutes leurs pompes, et qui ne fut troublé par aucun désordre, il se répandit un bruit « que l'illustre défenseur des libertés publiques ne laissait à ses enfans d'autre fortune que la célébrité de son nom. » Une souscription fut ouverte pour lui ériger un monument et pour faire une existence convenable à ses enfans; et à l'instant des pairs de France, des députés, des banquiers, toutes les notabilités du parti libéral s'inscrivirent pour des sommes considérables (1): ses journaux firent un appel dans tous les rangs; on y

(1) S. A. R. Mgr. le duc d'Orléans a souscrit pour 10,000 fr.; M. J. Lafitte pour 50, 000 fr.; M. Casimir Perrier pour 10, 000 etc.

reçut jusqu'aux plus faibles sommes, et au bout de six mois la souscription avait produit près d'un million.

Il faut observer cela comme le premier exemple donné en France d'une munificence de parti dont l'histoire appréciera les motifs.

(17 décembre) Paris était encore occupé de ces événemens lorsqu'on y apprit une nouvelle qui fit tout oublier, c'est-à-dire la mort de l'empereur Alexandre, arrivée à Taganrog le 1er décembre.

Ce malheur, dont les détails appartiennent à l'histoire de la Russie, doit être cité dans toutes les autres; car il n'est pas une nation dont il ne dût affecter les sentimens et les intérêts. Il influa partout sur les fonds publics d'une manière défavorable : à Londres, les 3 pour cent consolidés tombèrent le 19 décembre à 79 ÷; à Paris les 5 pour cent à 93 fr. et les trois à 59 fr. 90 c., mais pour se relever bientôt au taux de 96 et de 64, 65 où ils sont restés tout le semestre suivant. Ici comme en Angleterre, la mort de l'empereur Alexandre excita les plus étranges soupçons et des inquiétudes longtemps prolongées par des nouvelles contradictoires, par l'incertitude de la succession impériale et par la révélation des conspirations sur lesquelles nous reviendrons au chapitre de la Russie.

Quelques jours après furent publiées l'ordonnance qui convoquait les deux Chambres au 31 janvier 1826, et celle qui renvoyait devant la chambre des pairs l'affaire des marchés Ouvrard, d'après l'arrêt de la Cour royale de Paris qui s'était déclarée incompétente; nouveaux objets d'attente et de curiosité pour les partis.

Si l'on ne jugeait de l'état de la France que par les querelles, les agitations et les secousses qui signalèrent la fin de l'année, on serait peu satisfait de son état présent et inquiet de son avenir... Cependant la tranquillité publique était mieux affermie que jamais; il ne faut que lire les journaux du temps pour voir qu'à aucune époque et dans aucun pays la presse n'avait été plus libre dans le contrôle des actes de l'administration; et pour donner une idée de l'état politique du pays, il suffit de remarquer qu'il ne restait plus, après l'amnistie du sacre, que dix-huit détenus pour crimes ou délits politiques.

L'agriculture s'était un peu relevée par une récolte de grains dont

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