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les envahissemens de compagnies puissantes qui agissaient sans cesse contre l'intérêt public pour faire prévaloir leurs vues et les combinaisons de leur cupidité. Un autre objet essentiel était de pourvoir, par des mesures positives, à ce que le sel, livré à la consommation et au commerce, fùt dégagé (pour la prescription du raffinage) de tout mélange pernicieux, comme il l'avait quelquefois été en Lorraine et en Franche-Comté. Le parlement britannique avait pris cette précaution à l'égard des produits de la mine de sel de Norwich.

Telles étaient les considérations qui avaient forcé la majorité de la commission (5 contre 4) à proposer de supprimer dans l'article unique du projet les expressions qui tendent à en faire une conséquence de la loi du 21 avril 1810, et d'y ajouter un second article qui imposat à la concession proposée en faveur du soumissionnaire qui ferait la meilleure condition, l'obligation de ne livrer à la consommation intérieure que des sels épurés par le raffinage dit à gros grains.

La discussion qui s'ouvrit le 28 mars se prolongea durant trois jours. Le général Foy, qui parla le premier, commença par y reconnaître le caractère d'une loi de finances, accusa le ministre d'avoir usé d'un procédé inconvenant et illégal en portant à la chambre des pairs la première proposition de la loi.

Le gouvernement s'empare d'un trait de plume, dit-il ensuite, non pas sealement de la mine de Vic, mais encore de toutes les mines à découvrir à cinquante lienes à la ronde. Il se fait à lui-même la concession de dix départemens; et certes il ne peut pas exploiter ces dix départemens; mais il empêchera que d'autres ne les exploitent. C'est le monopole de la France souterraine qu'il va envahir. C'est une vaste interdiction lancée dans la huitième partie du royaume sur l'industrie et sur la propriété.

Ainsi ces beaux travaux que j'ai vu commencer et poursuivre dans les Vosges, pour trouver des charbons de terre que réclament les fabriques du pays, ces beaux travaux seront interrompus; et en supposant qu'on permette de les continuer, ce ne sera qu'avec les limitations et les gênes que prescrira l'intérêt du monopole. Le jour où un propriétaire, dans le département de la Meuse ou du Haut-Rhin, à quarante lieues de la mine de Vic, s'avisera de regarder dans son champ, accourront aussitôt les agens du fermier da fisc qui lai diront: Tu cherches du sel, et qui lui feront mille avanies. Et cependant les mêmes fermièrs, appuyés sur l'art. 43 de la loi de 1810, pourront, à toute beare, bouleverser son champ, sauf à lui payer une indemnité égale au double du produit annuel.

. Je sais qu'on m'objectera les plaintes intéressées des habitans de l'Onest et du Midi, La commission s'est rendae leur organe, en proposant d'augmenter

les frais de production des sels de l'Est, pour favoriser le débit du sel mario, Autant vandrait que le vigneron de Surêne ou d'Argenteuil vous demandât sérieusement de faire arracher les vignes du Languedoc ou de la Provence ; et encore sa prétention aurait-elle une apparence plus raisonnable; car enfin, les vins de Provence et de Languedoc viennent prendre chaque jour dans la consommation des cabarets de Paris la place des vins d'Argenteuil et de Surêne, tandis qu'à coup sûr on ne consommera jamais du sel gemme dans les pays situés à proximité des marais salans.

« Dans tous les cas, les motifs les plus impérieux commandent la réduction de l'impôt sur le sel. Quand même il y aurait diminution dans le revenn, l'humanité ne nous commande-t-elle pas de prendre en considération l'énormité d'une charge qui pèse presqu'en entier sur la classe la plus malheureuse ? Cet impôt du sel est, comme ailleurs l'impôt de mouture, le fléau du pauvre, parce que le pauvre mange beaucoup plus de pain et consomme beaucoup plus de sel que le riche. Les Anglais, dit-on, viennent de l'abolir en partie. Et nous, ne donnerons-nous pas aussi cette popularité an nouveau règne ? Paisqu'on nous dit chaque jour que l'état de nos finances est si prospère, faites, faites donc, Messieurs, que le peuple aussi ait son indemnité. »

Le général Foy terminait en proposant d'autoriser simplement le gouvernement à joindre à la concession de la mine de sel gemme existant à Vic, département de la Meurthe, l'exploitation ou la propriété des diverses salines de l'Est.

La demande qu'on fit alors de l'impression du discours donna lieu de revenir sur la question de savoir s'il s'agissait ici d'une loi de finances. Le ministre des finances répondit que si c'était une loi de finances le gouvernement aurait commis une grave erreur; mais que la chambre des pairs avait partagé cette erreur, et qu'on n'avait eu d'autre objet, en la lui présentant d'abord, que de diviser entre les deux chambres les matières à soumettre à leurs discussions; mais qu'au fond il n'était pas ici question d'impôt, mais seulement d'autoriser la concession d'un bail emphyteotique.

D'autres orateurs combattirent le projet; les uns en contestant au gouvernement le droit de se rendre maître dés propriétés des mines de sel gemme (MM. le comte de La Bourdonnaye, de Berthier, Bourdeau); d'autres par des considérations tirées de la nécessité de sacrifier des intérêts de localité, si grands qu'ils fussent, à l'intérêt général,

"

Vous avez une mine de sel gemme qui va placer les marais salans dans une position fâcheuse, dit M. Casimir Perrier; cela est vrai, et il faut le dire; mais il ne faut pas pour cela que les intérêts généraux en souffrent; au con

traire, qu'ils profitent encore par une diminution d'impôt sur le sel, et les marais salans y gagneront aussi, parce qu'ils vendront davantage. Vous ferez surtout faire un grand pas à la partie de notre agriculture qui est le plus en souffrance, la nourriture et la vente des bestiaux.

La déconverte de la mine de Vic est une ère nonvelle pour ce genre d'exploitation; elle doit amener une révolution dans la fiscalité, par rapport à l'impôt sur le sel. Le fisc n'y perdra rien, parce que la consommation sera beaucoup plus grande.

Il n'est pas vrai que l'état ait le droit de se rendre concessionnaire des mines nouvellement découvertes. Dans un cas extraordinaire, et par suite de prévisions fondées sur l'intérêt général, il peut vous demander de prendre des précautions dont vous seriez juges. Mais s'emparer tout uniment de ces mines pour les concéder à une seule compagnie, pour lui abandonner, chose inouïe en Enrope! l'exploitation d'une si immense étendue de terrain, c'est ce qu'on ne peut, en vérité, ni comprendre, ni permettre. »

Quant au mode de concession, l'honorable orateur n'y voyait ni concurrence, ni publicité; il aurait désiré que le ministre soumît le cahier des charges à la Chambre, et il proposait de réduire à vingtsix ou vingt-sept ans au plus la durée du bail des concessionnaires.

A ces objections, à d'autres amendemens qui tendaient à borner l'émission des sels de la mine de Vic à deux cent cinquante mille quintaux métriques, le ministre des finances, et d'autres orateurs qui soutinrent le projet (MM. les conseillers d'état Becquey-Beaupré, directeur des mines, et le baron Cuvier) répondirent par des considérations déjà exposées, sur le droit de l'état, sur l'impossibilité de songer à la réduction des droits sur le sel sans avoir trouvé des équivalens, sur l'intérêt d'une partie importante de la population, sur la nécessité de donner une grande latitude à la durée de l'exploitation, pour en assurer les avantages et pour en éviter les inconvéniens. En définitive, après une discussion qui avait occupé trois séances, tous les amendemens proposés, même ceux de la commission, étant écartés, la loi fut adoptée (2 avril), telle qu'elle avait été proposée, à une majorité de 189 voix sur 269 votans.

CHAMBRE DES PAIRS.

Cet objet terminé, la chambre des pairs s'était occupée de l'établissement des communautés religieuses de femmes.

On se souvient que ce projet, sollicité du gouvernement par une proposition du comte Ferrand en 1823, avait été porté à la chambre

des pairs dans la session suivante, et qu'il y avait été rejeté, soit qu'il ne fût pas assez complet, comme le ministre s'en est excusé, soit, comme l'opposition l'a prétendu, qu'il ne satisfît pas à toutes les exigences, à tous les vœux du moment. Il faut se reporter à la discussion précédente pour mieux entendre celle-ci (voy. l'Annuaire hist. pour 1824, pag. 211-221)....

Il appartenait au ministre des affaires ecclésiastiques et de l'instruction publique (comte Frayssinous), de présenter et de défendre le nouveau projet de loi... S. G. fit valoir, dans le développement des motifs qu'elle en donna (4 janvier), que ce projet, jugé incomplet et insuffisant l'année dernière, prévenait toutes les difficultés élevées dans les délibérations d'alors. Il avait paru conforme au principe monarchique, principe vital de notre gouvernement, de donner à la couronne toutes les attributions que la charte n'avait pas expressément mis hors de son pouvoir, et de laisser aux ordonnances ce qui n'était pas évidemment le domaine de la loi. Telle était la faculté d'autoriser l'établissement des communautés religieuses de femmes, que le gouvernement avait possédée avant la restauration jusqu'au moment où la loi du 2 janvier 1817 avait statué que tout établissement ecclésiastique reconnu par la loi serait capable des effets civils, sous certaines conditions; disposition générale dont l'application ne s'étendait pas nécessairement au cas particulier des congrégations religieuses de femmes, que l'on pouvait considérer comme toute autre association industrielle, scientifique, bienfaisante: la loi en traçait les règles générales, et le Roi les appliquait. Ainsi le projet actuel laissait au Roi le soin et le droit d'accorder l'autorisation d'établissement de congrégation religieuse de femmes suivant des formes et des conditions déterminées, après que ses statuts, dûment approuvés par l'évêque diocésain, auraient été vérifiés et enregistrés au conseil d'état dans la forme requise par les bulles d'institution canonique, et autant que ces statuts contiendraient la clause que la congrégation est soumise dans les choses spirituelles à la juridiction de l'ordinaire (art. 1 et 2). Les congrégations ne pourraient former d'établissement sans le consentement de l'évêque diocésain et l'avis du conseil municipal de la commune où il devrait être

formé; et l'autorisation spéciale ne pourrait être accordée que par ordonnance du Roi (art. 3).

Après avoir fixé les conditions essentielles de l'autorisation, dit S. G., le projet de loi traite de la capacité des établissemens, relativement à la jouissance et à l'exercice des droits civils. On a généralement senti qu'il fallait leur laisser une certaine liberté d'acquérir et de posséder, parcequ'il fallait bien leur laisser les moyens d'exister et de se perpétuer; mais on a semblé craindre que les libéralités de la piété ne fussent dirigées vers eux avec trop d'abondance, et qu'un zèle peu éclairé ne les enrichît en dépouillant les familles... Le projet aura de quoi calmer les alarmes à ce sujet. D'un côté il porte qu'aucun établissement no pourra recevoir à quelque titre que ce soit, sans la permission du Roi; et de l'autre, qu'aucune religieuse ne pourra disposer en faveur de sa congrégation, ni en faveur d'une de ses compagnes, au-delà du quart de ses biens. Si par les lois civiles il est permis à un père de famille de disposer du quart, quelquefois du tiers, et même de la moitié de ses biens en faveur d'un étranger, au détriment de ses propres enfans, comment cette faculté ne serait-elle pas laissée, du moins en partie, à toute religieuse, à l'égard d'une pieuse association à laquelle elle aura dù son bonheur dans la vie présente, et ses plus douces espérances en la quiltant; d'une association si précieuse pour l'état... N'est-ce pas servir la société que de favoriser des institutions si utiles à la société ? »

On avait prévu le cas où une congrégation devrait être supprimée. Elle ne pouvait l'être que dans les formes rigoureuses et solennelles voulues pour son autorisation; et la loi proposée voulait que les biens acquis à titre gratuit par la congrégation fissent retour aux familles ; et que les autres genres de biens tournassent au profit d'établissemens utiles (art. 6 et 7). Quant aux congrégations autorisées avant la loi du 2 janvier 1817, rien n'était changé à leur égard en ce qui concerne l'autorisation; mais elles devaient être régies par la loi nouvelle, en cas de formation de quelque nouvel établissement ou dans leur capacité civile.

Tel est, disait S. G. en terminant, l'ensemble et l'esprit du projet de loi qui vous est soumis. Il nous semble qu'en l'adoptant l'état ne fera ni trop, ni trop peu; il protégera, il favorisera des établissemens dignes de tout son intérêt; il leur assaie dans une juste mesure les moyens de s'étendre et de se conserver pour le bien de tous, et cela sans porter aucun trouble dans le système de nos lois civiles.

Que les membres de ces associations fassent des vœux pour un temps ou pour toujours, l'état ne s'en mêlera pas. Il respectera ces liens sacrés, mais il n'y prendra aucune part. Il ne prêtera pas son appui et sa force coactive pour leur exécution. Ce sont là des choses d'un ordre plus élevé qui se passerout entre la conscience et Dien, mais qui ne sauraient être soustraites à l'autorité et à la surveillance des évêques respectifs.

- Je suis loin d'être ennemi des vœux perpétuels et de ce qui s'appelait an

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