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sible de faire au projet de loi des modifications pour en retirer les avantages qu'il signalait, soit de faire contribuer les acquéreurs en proportion des avantages que la loi est destinée à leur procurer, soit de faire souscrire à l'émigré, en recevant son indemnité, une vente de sa propriété envers l'état, une cession légale de ce droit de propriété qui existe toujours en lui, cession d'après laquelle l'état pourrait traiterà son tour avec l'acquéreur au moyen d'un supplément de prix égal à la différence de la valeur nationale à la valeur patrimoniale du bien...? Enfin comme le but constant du législateur devait être le retour des biens d'émigrés dans les mains des anciens propriétaires, l'opinant proposait encore de fixer un délai dans lequel les acquéreurs, qui prétendraient recevoir l'indemnité, pussent se présenter pour en faire la demande, en faisant l'abandon du bien que l'émigré aurait le droit de ne pas accepter; mais alors il ne pourrait pas refuser de lui consentir la vente pure et simple sans supplément de prix ni pour lui ni pour l'état.

A ce moyen M. de Beaumont voulait qu'on ajoutât que les rentes créées en faveur des émigrés leur conféreraient les droits d'élection et d'éligibilité que leur auraient donnés les propriétés qu'elles représenteront, et en votant pour le projet de loi, avec l'amendement de M. de Lezardière sur l'art. 2, il se réservait de proposer des amendemens aux divers articles, surtout d'ajouter au premier que l'indemnité de 30 millions était accordée aux émigrés pour tenir lieu de la restitution de ces mêmes biens.

Ici, quoique la Chambre eût arrêté, ou du moins manifesté l'intention de n'ordonner l'impression d'aucun des discours qui seraient prononcés dans cette discussion, M. Casimir Périer insista de nouveau contre cette décision; il motivait son avis sur ce que l'ordre d'impression ne donnait aucune approbation aux opinions prononcées, et sur la nécessité d'avoir dans une question si grave le texte des discours, afin de pouvoir comparer les différens argumens contre le projet ou pour sa défense. « L'impression était d'autant plus nécessaire, disait-il, que les deux derniers orateurs venaient de déplacer la question et d'attaquer l'inviolabilité des propriétés nationales dans l'art. 9 de la Charte, et que MM. les ministres avaient

gardé le silence. (M. le président du conseil venait de quitter la séance.)

Le ministre de l'intérieur (comte de Corbière) prenant alors la parole, moins pour combattre une demande d'impression qui ne paraissait pas sérieuse, que pour disculper les ministres de n'avoir pas interrompu les préopinans... S. Exc. ne dissimulait pas qu'il n'y ent en effet beaucoup de doctrines à redresser dans leurs discours; mais l'usage des ministres n'était pas d'interrompre une discussion générale. Ce n'était ordinairement qu'après avoir laissé marcher la discussion qu'ils se présentaient à la tribune pour répondre aux objections faites contre le projet de loi ou pour combattre des doctrines erronées. La séance était trop avancée pour le faire, et le silence du ministre n'était pas assez prolongé pour mériter le reproche du préopinant; observations qui firent tomber la demande de M. Casimir Perrier.

(19 février.) Le lendemain M. le baron Bacot de Romans, inscrit contre le projet, commença par en défendre le principe. Il déduisit, avec des développemens nouveaux, les motifs qui lui semblaient établir en faveur des émigrés et de la propriété foncière toute priorité de droit relativement à l'indemnité. L'honorable membrè aussi pensait qu'on ne saurait, sans bouleverser les bases de la société, reconnaître au pouvoir légitime lui-même la faculté d'opérer ou de consacrer l'expropriation gratuite d'une portion quelconque de la population de l'état; il approuvait donc le principe de la loi. Tous ses vœux tendaient à ce qu'elle fût adoptée, «non pas telle que les ministres l'avaient présentée; mais modifiée, améliorée comme « elle pouvait l'être par des dispositions propres à faire profiter « dans une égale proportion les émigrés et leurs familles de la part « qui était faite à leurs infortunes. »

C'était surtout l'article 2 et la discussion des deux catégories que réprouvait l'honorable orateur. Il admettait pour un certain nombre de localités l'évaluation du revenu de 1790; mais pour les ventes faites avant la loi de prairial an 3, il n'y avait rien que d'arbitraire et d'illusoire. Il importait avant tout d'apprécier l'égalité ou la disproportion résultant des bases proposées, 1o entre les biens de l'une et de Annuaire hist. pour 1825.

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l'autre catégorie ; 2o entre les départemens; 3o cutre les biens aliénés du même département.....

Selon l'honorable orateur, le ministre avait choisi le mode le plus expéditif pour faire aller la liquidation en masse, vaille que vaille, sans grande peine, sans interroger autre chose que la poussière des archives révolutionnaires; mais la Chambre pouvait-elle être guidée par les mêmes motifs, et approuver ce qui peut être le plus court alors que ce n'est pas le plus juste? La Chambre, quand les droits sont égaux, pouvait-elle consentir à ce que le dédommagement d'un grand nombre de Français dépouillés ne s'élevât qu'à deux, trois ou quatre années du revenu de leurs biens, lorsque d'autres recevront vingt et jusqu'à vingt-cinq années de ce même revenu?

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Que l'on mette sur la même ligne, dit l'honorable orateur, toutes les confiscations quelle que soit l'époque de l'aliénation des biens, qu'on leur applique le même mode d'évaluation...

Que la base des estimations soit le revenu de 1790 pour lequel les opérations postérieures au mois de prairial an 111 offriraient, dans beaucoup de localités, des approximations utiles, des moyens de comparaison plus ou moins exacts, et qu'on supplée au reste par les baux, les contrats de ventes, les rôles de contributions, ou de toute autre manière; ou bien encore :

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Que la contribution foncière actuelle soit prise pour base unique de l'évaluation du prix principal des biens confisqués, et que les maires des communes assistés des répartiteurs, dirigés par les agens des contributions directes, soient chargés de faire cette application;

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Que dans l'hypothèse de l'un ou l'autre mode d'estimation, il soit formé dans chaque département, sous la présidence du préfet, une commission cbargée d'examiner les opérations, de recevoir les réclamations et d'arrêter les liquidations..."

Avec ces moyens, il n'y aurait plus à réformer que l'inégalité de la répartition de département à département. M. de Romans proposait de le faire au moyen d'une retenue ou au taux réservé de portion quelconque de l'indemnité affectée, non comme la commission le proposait, à faire face aux réclamations particulières, mais à rétablir le niveau départemental, et il concluait à la réformation radicale des articles 2 et 8.

C'est après ce discours que M. de Martignac qui, dans l'exposé des motifs du projet en avait si bien établi le but et les moyens, prit la parole pour répondre aux reproches si différens qu'il venait de

subir. Il les rappela tour à tour avec autant de franchise que d'évidence; à ceux de l'opposition libérale sur ce que le projet paraissait établir un privilége en faveur de l'émigration, il répondit que la disposition de la loi était commune aux confiscations immobiliaires de toute espèce; que la base du projet qui s'appliquait aux déportés, aux condamnés comme aux émigrés, n'avait rien de relatif, rien de personnel, rien d'individuel, qu'elle était absolue; que son objet était le respect dû à la propriété, le besoin de dédommager ceux à qui elle avait été violemment enlevée, et d'effacer des traces dont la durée serait dangereuse et funeste.

Quant à ce qu'on avait dit que la confiscation n'était point une chose nouvelle, fallait-il invoquer des actes de douloureuse mémoire, comme un exemple à suivre? La confiscation avait été abolie en 1790. Voilà quelle était alors la loi de la monarchie, et lorsque des voix imprudentes s'élevèrent en 1815, après la seconde restauration, pour faire supporter les frais de la guerre par ceux qui l'avaient provoquée; on y répondit en en appelant à la Charte qui avait aboli la confiscation.

A l'égard des argumens tirés contre les émigrés, des ordres donnés au nom du Roi pour les faire rentrer en France, l'honorable commissaire du Roi rappelait les événemens, la fuite du Roi, la proclamation qui devait la suivre, et mille autres preuves irrécusables que l'infortuné monarque avait cessé d'être libre longtemps avant les premières lois rendues sur l'émigration. Dans les reproches reproduits tant de fois et sous tant de formes d'avoir porté les armes contre leur pays, on avait dit que récompenser les émigrés c'était flétrir la gloire de l'armée française; mais il ne s'agissait point de récompense, mais de dédommagement, et lorsque le jour de l'ordre et de la réconciliation était arrivé, nul parti n'avait de reproche à faire à l'autre.

Quant aux objections si différentes de l'opposition royaliste, M. le commissaire du Roi en aurait bien voulu remettre l'examen à la discussion des articles, mais les discours entendus à la séance d'hier ne lui en laissaient pas la possibilité; il ne pouvait éviter de répondre à des doctrines erronées.

« Oui, dit l'honorable commissaire, les émigrés ont été privés de leurs biens pendant des temps de trouble et de désordre. Oui, la propriété a été transmise à d'autres par des lois de confiscation, par des ventes. Ces ventes existaient par le fait lorsque la Charte a été publiée, et la Charte les a ratifiées; il n'est pas possible aujourd'hui de révoquer en doute ce qui est notoire et incontestable, de remettre en question ce qui est souverainement et irrévocablement jagé... L'état rendu à la légitimité a maintenu les ventes...

«La disposition de la Charte est aussi claire qu'elle est impérative et absolue; elle n'admet aucune différence entre les propriétés; toutes sont soumises aux mêmes règles, et placées sous la même garantie.

Ainsi toute proposition qui tendrait à dépouiller les possesseurs actuels ou à imposer à leur possession des charges particulières dont les autres biens seraient affranchis, seraient une violation directe et formelle de la Charte. Cela suffit, Messieurs, et pour nous et pour vous.

« Il n'est ni utile, ni prudent d'examiner aujourd'hui ce qui aurait pu être fait en 1814. Le monarque législateur a pesé les droits de chacun et les intérêts de tous, et il a prononcé. Ce n'est pas par ceux qui avaient fait à son autorité le sacrifice de leur repos, de leur fortune et de leur vie que l'étendue de son pouvoir sera contestée.

« Ce n'est pas à ceux qui furent victimes de la foi due au serment que nous aurons besoin de rappeler qu'ils ont juré, comme nous, obéissance et respect à la Charte.

« Ils se sont résignés dès long-temps à un sacrifice imposé à leur fidélité et à leur patriotisme, et cette résignation, garantie d'ordre et de paix, est un de leur plus beaux titres à l'estime et la reconnaissance publique.

Nous nous sommes étendus peut-être au-delà des bornes imposées à la nature de cet ouvrage pour faire bien connaître une discussion si importante par les intérêts qu'elle traitait, et par les questions politiques et morales qui s'y rattachent; c'était le grand procès de la révolution porté à la barre législative; et dans le progrès de l'irritation des esprits, la plaidoirie menaçait à chaque instant les intérêts acquis et les principes consacrés par la Charte. Mais quel que soit pour nos lecteurs l'attrait de cette scène vraiment historique, il faut en réserrer les détails, et sacrifier les morceaux les plus éloquens à l'exposition matérielle de ce qu'ils offrent de neuf et des incidens nécessaires à mentionner pour l'histoire de la session.

Ainsi nous nous contenterons de rappeler que MM. Leclerc de Beaulieu et de Laurencin, dans des opinions analogues à celles de MM. de La Bourdonnaye et de Beaumont, approuvaient le principe du projet de loi, en rejetant les moyens d'exécution. Le dernier (M. de Laurencin) proposait d'ailleurs un amendement qui tendait à grossir le fonds de réserve proposé par la commission, en obli

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