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CHAPITRE III.

DE LA SUPPRESSION DES LETTRES.

Une ordonnance de 1742 statuoit en France la peine de mort, contre tout employé des postes qui seroit convaincu d'avoir frauduleusement décacheté des lettres, et d'en avoir détourné, à son profit, les effets qu'elles contenoient. L'employé coupable de suppression ou d'interception simple étoit puni, suivant la gravité des faits, des galères à perpétuité ou à tems, du bannissement ou du blâme.

Le Code pénal de 1791 punissoit la violation simple du secret des lettres, de la dégradation civique contre tout particulier. Et si le crime étoit commis, soit en vertu d'un ordre émané du pouvoir exécutif, soit par un agent du service des postes, le ministre qui en avoit donné ou contresigné l'ordre, quiconque l'avoit exécuté ou l'agent du service des postes qui, sans ordre, avoit commis ce crime, étoit puni de deux années de gêne.

Avant de publier cette loi, l'assemblée constituante avait rendu deux décrets, qui ne peuvent jamais être rappelés sans fruit, parce qu'ils proclament des principes sacrés.

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Le premier est du 10 Août 1790. « L'assemblée r considérant que le secret des lettres est invio

lable et que, sous aucun prétexte, il ne peut y être " porté atteinte, ni par les individus ni par les " corps, improuve la conduite de la municipalité de St.- Aubin, pour avoir ouvert un paquet adressé à Mr. Dogny intendant-général des postes, et plus encore pour avoir ouvert ceux adressés au ministre des affaires étrangères, et aux ministres de la cour de Madrid. »

Le second, du 10 Juillet 1791, a pour objet la répression de mesures illégales prises par plusieurs corps administratifs contre l'inviolabilité du secret des lettres; l'assemblée considérant que ces mesures ne peuvent qu'entraver les relations commerciales, et sont autant d'abus qu'il est indispensable d'arrêter, décrète qu'il est enjoint aux corps administratifs de surveiller l'exécution du décret du 10 Août 1790 concernant le secret et l'inviolabilité des lettres, et de se conformer aux lóis qui défendent aux corps administratifs de faire aucun changement dans le service des postes.

La loi de 1791 a été maintenue dans l'art. 638 du Code du 3 brumaire au 4, mais avec une addition remarquable.

« Il n'est porté, par le présent article, aucune " atteinte à la surveillance que le gouvernement " peut exercer sur les lettres venant des pays étran»gers, ou destinées pour ces mêmes pays.

Dans cette étrange réserve, qui faisoit de la loi pénale une loi de circonstance, le législateur avoit au

moins le mérite de la franchise : il avertissoit la nation française et les autres nations, que le secret des lettres pouvoit ne pas être respecté, et à force de scandale on diminuoit peut-être le mal même. Le Code pénal de 1810 est rédigé dans un autre système.

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er Toute suppression, toute ouverture de lettres confiées à la poste commise ou facilitée par un fonctionnaire ou un agent du gouvernement ou de e l'administration, sera punie d'une amende de seize francs, à trois cents francs. Le coupable sera, de plus, interdit de toute fonction ou emploi public pendant cinq ans au moins, et dix ans au plus. Il résulte de la rédaction de cet article, que l'individu, qui n'est ni fonctionnaire public ni agent du gouvernement ou des postes, peut impunément supprimer, ouvrir une lettre, en violer le secret.

Nulle part le code pénal ne prononce de peine contre le simple particulier, qui se permettroit un semblable attentat.

Il seroit absurde de recourir dans ce cas à la loi du 3 Brumaire an 4. Elle est abrogée; et si l'on vouloit en forcer l'application, il en résulteroit une autre absurdité, ce seroit de punir plus sévèrement (par la dégradation civique) le simple particulier que le fonctionnaire public ou l'agent de l'administration des postes.

Cette lacune dans la loi doit être remplie; la violation du secret des lettres est un délit qui at

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teint directement le respect dû à la foi publique. Celui qui confie une lettre à la poste, met les secrets qu'elle renferme sous la sauvegarde de l'honneur non pas d'une administration isolée, mais de la nation tout entière. Quelle sera la sécurité des citoyens, quelle sera la confiance des étrangers, si la suppression ou l'ouverture des lettres, faite par un individu sans caractère, est pour ainsi dire protégée par le silence de la loi?

Quelle immense ressource pour l'espionnage, et ce qu'on appelle la police secrète! si l'on vivoit sous un gouvernement assez malheureux, et assez ennemi des citoyens pour les organiser.

Les familles, le commerce, l'amitié n'auroient plus de secrets, l'étranger se détourneroit d'un tel pays avec une horreur mêlée de pitié.

Il faut donc rétablir des peines, et des peines trèsfortes contre ce genre de délit ; il faudroit les augmenter contre les fonctionnaires publics, ou les agents du gouvernement et de la poste. Une simple amende ne suffit point, et l'interdiction temporaire de toute fonction ou emploi public peut être trop facilement rendue illusoire.

Le médecin, la sage-femme, toute autre personne, dépositaire par état du secret qu'on lui confie et qui l'aurait révélé, seroit puni d'un emprisonnement d'un mois à six mois, et d'une amende de 100 francs à 500 francs. (1) Ceux-là cependant

(1) Art 378.

ne compromettent que leur caractère particulier, ils ne commettent qu'un délit individuel si on peut le dire; mais celui qui viole le secret des lettres se rend coupable d'un délit public, son action intéresse non-seulement la tranquillité intérieure ; mais elle peut dans certains cas être un outrage direct au droit des gens.

Nous avons recherché les motifs de l'impunité accordée aux simples particuliers dans ce genre de délit les orateurs du gouvernement ont là-dessus gardé le silence. Et quant aux fonctionnaires publics, on a considéré que cet effet d'un zèle malentendu devoit disposer à l'indulgence: nous pensons au contraire que ce crime n'en mérite aucune, et que, par cent raisons que nous pourrions développer, l'inviolabilité du secret des lettres doit faire partie du droit public d'une nation.

Nous venons de voir comment la loi pénale protège l'exercice des droits civiques, la liberté individuelle, celle du domicile, comment elle assure le secret des correspondances. Presque partout la peine est au-dessous de l'attentat, le citoyen ne trouve presque aucune garantie contre l'abus du pouvoir.

La législation va se présenter sous un autre point de vue; nous l'envisagerons sous le rapport des obligations que le gouvernement impose aux fonctionnaires publics quant à lui-même.

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