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odieuse la force qui tranche le fil de ses jours.

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La loi d'ailleurs en punissant le silence, entraînera les conspirateurs à s'envelopper du secret le plus profond la confidence auroit pu amener de sages conseils, vous en tarissez imprudemment la source; vous fermez la bouche à l'amitié quand elle auroit pu faire de salutaires représentations.

« Ainsi, la loi détruit un obstacle puissant contre " le mal, dont elle eût pu se servir dans une foule er de circonstances et elle met à la place un er moyen qui ne préviendra le crime qu'une seule er fois; elle contrarie l'opinion publique, puisqu'elle er punit lorsque celle-ci absout, et qu'elle absout e lorsque celle-là condamne.

"

Telles sont, ajoute Filangieri en terminant, telles sont les raisons qui m'autorisent à croire " que la loi ne devroit jamais punir le silence sur cette matière. »

Ces motifs sont imposants sans doute : mais on peut répondre à Filangieri que tout doit céder à l'intérêt de la patrie, et que toutes les affections doivent se taire lorsqu'il s'agit de son salut; l'auteur de la science de la législation reproche à la loi qui punit le silence, de faire disparoître un obstacle au crime, en empêchant les représentations de l'amitié devenue confidente du complot; peut bien avoir raison à quelques égards; mais si les représentations, les supplications même de l'amitié sont inutiles, si le conspirateur forcené

il

sourd à la voix de l'amitié, comme au cri de son devoir, court à l'exécution de son forfait; quel sort réserverez-vous donc à celui qui d'un seul mot pouvoit prévenir tant de maux; forcerez-vous la patrie en deuil à le protéger encore; à lui dire: Je pleure mes enfans que tu aurois pu sauver; mais j'approuve ton silence, il est vertueux. Il faut, sans contredit, favoriser le développement des idées d'une saine et noble morale; créer des institutions qui fassent des mœurs d'une nation, non pas l'habitude de quelques actes, mais l'habitude du bien; il faut élever le coeur des citoyens à tous les sentimens généreux, leur rendre l'amitié, l'hospitalité sacrées; mais on ne doit point perdre de vue qu'il est quelque chose de plus sacré encore, c'est la patrie; c'est elle qui nous donne la première amitié; c'est elle qui nous recevant des mains de la nature, nous adopte pour ses enfans, et nous prodigue tant de bienfaits pour prix de quelques sacrifices. Il nous est impossible de ne pas croire que la loi sans être injuste puisse, dans certains cas, punir la non-revélation des crimes contre la sûreté de l'état; nous avouons cependant que cette matière est une des plus délicates de la législation criminelle.

Mais la loi du code pénal est-elle bonne? C'est ce que nous allons examiner. Nous y trouvons : 1o. L'obligation de révéler les complots formés ou les crimes projetés.

2o. La nécessité de faire cette révélation dans les 24 heures qui auront suivi la connoissance des faits.

3o. La non recevabilité à proposer pour excuse que les complots ont été désapprouvés, que le nonrévélateur s'y est opposé ou qu'il a cherché à en dissuader les auteurs.

4°. Peines. Réclusion pour le crime de lèsemajesté, emprisonnement pour les autres.

La loi a mis sur la même ligne l'obligation de révéler le projet du crime, et le complot formé pour parvenir à son exécution. C'est donner à la peine une extension que la justice désapprouve.

Le projet du crime n'est puni nulle part aussi long-temps qu'il ne sort point de l'esprit de celui qui l'a conçu; il est répréhensible suivant la morale et la religion; mais il n'est pas un crime, il ne tombe pas dans le domaine de la loi civile; (1) l'art. 103 du Code pénal prescrit donc la révélation d'une chose qui n'est point un crime, il punit la réticence d'un fait impuni, s'il étoit même révélé.

Chose étrange, l'auteur du projet n'est atteint par aucune disposition pénale, et celui qui, ayant connu le projet, ne l'a pas révélé, peut être frappé d'une peine afflictive et infamante!

Mais la sûreté de l'état!.....

C'est ici abuser des mots, et dénaturer les motifs de crainte.

(1) Cogitationis pœnam nemo patitur.

Un état seroit bien foible, si un simple projet alarmoit son repos, ou compromettoit son existence : et d'ailleurs qui définira le projet dont la révélation est commandée ?

Une pensée vague manifestée par quelques paroles inconsidérées, sera-t-elle assimilée au projet? Une plainte vivement exprimée, un mot de vengeance seront-ils un projet ? Non, s'empressera-t-on de dire.

Qui nous garantira que cette réponse sera celle d'une cour d'assises, composée de cinq juges et dans laquelle la majorité de trois voix contre deux envoie un homme à l'échafaud.

Un projet suppose une volonté; mais une volonté vague, pour l'exécution de laquelle rien n'est encore préparé; le projet différent en cela du dessein ne s'attache pas même au présent. De quelle anxiété cette disposition de la loi ne doit-elle pas remplir tout homme qui a entendu parler avec peu de mesure des affaires publiques? Dans leur inquiétude les âmes foibles, ou dans leurs odieux calculs, les âmes viles transformeront en projets les pensées les plus simples; vous vouliez avoir des sentinelles généreuses, vous n'aurez que des délateurs avilis.

L'obligation de révéler les projets devroit disparoître de la loi; une telle disposition est contraire à la dignité et à la morale publique.

Venons au complot; la loi l'a défini, elle en a. fait un crime égal à l'attentat.

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Le complot doit être révélé dans les vingt-quatre heures, qui en auront suivi la connoissance.

pour

résultat que

de

Cette loi ne peut avoir multiplier les condamnations et cependant la justice n'est point insatiable.

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Eh, quoi! peu de jours auroient suffi pour ramener les auteurs du complot ; et ces jours sont refusés au citoyen vertueux qui veut rendre à sa patrie le service de n'avoir pas de conspirateurs à punir; le bourreau est là qui compte les heures, et qui attend ses victimes.

Voyez dans quelle situation la loi place le conspirateur, et celui à qui il se confie, ou qui a surpris son secret. Ce dernier n'a pas d'intérêt à le dissuader d'exécuter sa résolution, puisque s'il ne la révèle pas, la justice ne lui tiendra pas compte de ses représentations; et s'il révèle le complot, il assure à l'auteur une peine capitale.

Ainsi la loi rend la délation nécessaire, et le crime indispensable, Cruelle erreur de notre législation, qui non-seulement interdit le remords au coupable ou plutôt à celui qui a résolu de l'être; mais encore qui glace la langue de celui qui voudroit lui parler au nom de sa patrie et le conjurer, par ce qu'il a de plus sacré d'abjurer ses noirs projets!

A Rome, on décernoit une couronne à celui qui sauvoit un citoyen, et notre loi récompense celui qui a sauvé l'état d'un malheur, et son ami

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