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Arrêtons-nous maintenant pour considérer ce gouvernement des stadthouders, définitivement constitué à l'époque où nous sommes parvenus.

Il est manifeste que la pensée dominante des rédacteurs de l'acte d'Utrecht avait été d'opposer avant tout une forte ligue aux efforts puissans du roi d'Espagne. Pour cela, on n'avait pu faire une constitution fédérative, régulière et uniforme; ce travail demandait un temps plus calme. Ce n'était pas alors qu'on avait besoin du concours énergique de toutes les provinces, qu'il fallait risquer de faire naître une foule d'oppositions locales aux besoins généraux de la communauté. Et cela n'eut pas manqué d'avoir lieu chez des peuples qui s'étaient toujours distingués par un attache ment scrupuleux à leurs usages constitutifs, si l'on eût tenté d'assimiler aux mêmes formes les gouvernemens respectifs de toutes les provinces. Il fut donc sage de se borner alors à créer un acte de fédération au lieu d'une constitution fédérative.

Le besoin le mieux senti, à cette époque, était que toutes les forces fussent activement dirigées vers un but unique; ce qui ne pouvait être réalisé qu'en réunissant une certainė masse de pouvoirs sur une seule tête. L'acte fondamental créa donc une grande influence dans la personne du stathouder cette influence fut telle, qu'il ne manqua quelquefois dans la suite que le titre de roi au premier magistrat de la république. L'acte fondamental renferme à ce sujet des contradictions manifestes, et l'on peut, dans le fait, dire qu'en Hollande les mœurs publiques ont toujours comprimé les institutions: le gouvernement était sans cesse sur le point de dégénérer en monarchie, mais le caractère national fortement trempé de républicanisme arrêtait toutes les tentatives de l'ambition. Le prince et le peuple avaient sans cesse présente à l'esprit cette déclaration de 181, où il était formellement exprimé que la volonté générale peut expulser le souverain quand il s'est fait l'ennemi du pays par ses vexations.

Quoi qu'il en soit, on pouvait s'attendre que cette magistrature élevée qu'on créait, tendrait continuellement à s'étendre, et qu'il y aurait dès-lors lutte perpétuelle entre ceux qui en seraient investis et les délégués de la nation', véritables souverains d'après les lois fondamentales. C'est aussi là, en effet, l'histoire du stathoudérat. On voit constamment les princes, décorés de ce titre, chercher à affaiblir l'influence des états-généraux pour accroître la leur; et cette marche donna lieu fréquemment, comme nous allons le voir, à de sanglans excès.

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« Pour peu qu'on réfléchisse sur la constitution des Pro» vinces-Unies, dit un écrivain (1), on n'a pas de peine à » se convaincre que toutes les autorités avaient leur source » dans les régences des villes, puisque leurs députations composaient les états provinciaux, comme les députations » de ceux-ci composaient les états-généraux. Il était donc » très-clair qu'en exerçant une puissante influence sur la » nomination des magistrats dans les villes, on pouvait avoir » des régences, et par conséquent des états provinciaux et » des états-généraux entièrement à sa disposition, c'est-àdire envahir le pouvoir législatif, après avoir été déjà » investi des parties les plus importantes du pouvoir exé>>cutif. Et telle fut, en effet, la politique constante des >> stathouders depuis Guillaume Ier jusqu'à Guillaume V, » sans exception.

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L'état des Provinces-Unies ne fut donc point, à proprement parler, une république, mais plutôt une union de plusieurs républiques, dont chacune conservait son gouvernement et sa portion de souveraineté (2). Cette souveraineté résidait individuellement dans chaque assemblée d'état des sept provinces, et sur les points d'un intérêt général

(1) Mémoire sur la révolution de Hollande, par M. Caillard, etc. dans l'Histoire de Frédéric-Guillaume 11, par M. le comte de Ségur, t. 1,

(2) Grotius, Apolog., chap. 1**.

dans le congrès national portant le titre d'états-généraux. Ce congrès, primitivement composé de la presque totalité des assemblées d'états provinciaux, changea de forme vers l'avénement de Maurice au stathoudérat. Il n'était rassemblé que rarement, parce que le nombre des députés (ils se montaient quelquefois à plus de huit cents) rendait les délibérations fort longues et fort confuses. Le conseil d'état représentait cette assemblée quand elle ne siégeait pas, et il surveillait l'exécution de ses décrets. Mais une telle disposition parut trop manifestement favoriser le despotisme. Les provinces demandèrent alors qu'on créât une députation permanente choisie au sein des états, et qui jouirait de la portion de pouvoir que la constitution déléguait à ces corps représentatifs. Cette proposition fut adoptée, et alors siégea à La Haye l'assemblée désignée sous le titre d'états-généraux, quoiqu'elle n'en fût véritablement qu'une représentation.

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On a comparé l'assemblée des états-généraux à un conseil d'ambassadeurs, dont les stipulations doivent être ratifiées par leurs souverains respectifs. Cette comparaison est assez juste. Chaque province avait en effet le droit, en vertu de sa portion de souveraineté, de refuser par ses états son consentement aux mesures adoptées par ses députés aux étatsgénéraux, de concert avec ceux des autres provinces. On voit dans cette disposition, cette ombrageuse inquiétude d'un peuple qui veut préserver ses libertés particulières, même en compromettant par des lenteurs l'action des mesures d'un intérêt général.

On doit comprendre maintenant que, de même que les rapports des députations de chaque province aux étatsgénéraux avec leurs états respectifs, étaient modifiés par la constitution particulière des provinces, la situation politique du stathouder, par la même raison, n'était pas partout la même. Il y avait en effet en lui le capitaine et l'amiral général de la république, et le dépositaire de la portion de pouvoir exécutif que déférait chacune des cons

titutions à ce chef de l'état. Cette distinction est importante," et c'est parce qu'un très-grand nombre d'écrivains ne l'ont pas établie que les faits sont fort souvent mal éclaircis dans leurs relations. Lagl trob

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Maurice prêta le serment qui suit : « Je promets et jure >> aux états confédérés des Pays-Bas qui demeureront dans' >> l'alliance et la défense de la religion réformée, et noin» mément à la haute et basse noblesse, et aux magistrats des' villes de Hollande et de Westfrise, qui représentent les » états de ces nations, de leur être fidèle et obéissant; et que j'obéirai et ferai en sorte que les officiers de Farmée, les » capitaines, et les autres qui sont soumis à notre commandement, obéissent aux lois et aux ordres des états » confédérés en général, et particulièrement de ceux de Hol» lande >> (1).

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Reprenons la narration.

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Cependant les destinées de la république étaient fixées : » la bravoure heureuse de Maurice avait achevé l'ouvrage » du profond génie de Guillaume. Les sept Provinces-Unies florissaient sous un gouvernement libre et fortement constitué; des mœurs simples et pures, une patience active et industrieuse, une volonté forte et opiniâtre, caractérisaient la population du nouvel état, et promettaient des » miracles pour l'avenir. Déjà le pavillon de la république flottait sur toutes les mers; déjà quelques villes avaient reçu par le commerce de rapides accroissemens, et s'étaient » élevées à une haute importance; déjà l'on méditait d'ad>> mirables travaux dans l'intérieur, et d'utiles conquêtes » dans les deux hémisphères. On reste frappé d'étonnement quand on considère cette époque de l'histoire de la Hollande; elle avait commencé comme Vénise; mais en

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(1) Ces observations suffisent; on trouvera ci-après de plus amples déve◄. loppemens sur la constitution des Provinces-Unies.

quelques années elle avait franchi l'espace que la répúblique italienne avait mis plusieurs siècles à parcourir. (1) » Nous n'avons pas à suivre ici ces guerres mémorables dont les Pays-Bas furent le théâtre après la mort de Guillaume, et où se signalèrent les talens rivaux de Maurice et de Spinola; nous devons arriver rapidement au premier résultat important obtenu par la constance des Hollandais, c'est-à-dire à la trève de 1609.

Tout se réunissait pour amener ce résultat. Philippe II n'était plus, et son fils paraissait disposé à consumer dans `e pratiques d'un minutieux et indolent bigotisme les années de domination que le Ciel promettait à son sceptre. L'Espagne était épuisée par les longs efforts qu'elle avait faits pour entretenir ces désastreuses guerres civiles de France et des Pays-Bas. La France et l'Angleterre voyaient chaque jour ajouter à leurs prospérités, et leur union solide avec la nouvelle république 'pouvait inquiéter le conseil de Castille, sur le sort futur des provinces où l'Espagne dominait encore. Dans ces provinces aussi, tous les vœux se réunissaient vers le terme d'une guerre qui ne semblait plus être soutenue que pour satisfaire un vain orgueil; et les archiducs eux-mêmes voulaient enfin y faire succéder à toutes les calamités de la guerre un règne doux et protecteur. Les adversaires de la république se trouvèrent donc ainsi amenés insensiblement à d'autres dispositions, et dès 1607 il y eut quelques pourparlers relatifs à une pacification générale.

On avait déjà vu naître en Hollande le germe de ces divisions qui, plus tard, se terminèrent par de sanglans arrêts. Dès cette époque, ceux qui avaient si vaillamment concouru à la délivrance de la patrie se trouvaient rangés sous deux bannières. Le célèbre Olden Barneveld, grand pensionnaire de Hollande, était regardé comme le chef des

(1) Continuation de l'llistoire de France de Vely. --- Henri IV, t. 111.

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