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Nous n'avons découvert que trois exemples d'une augmentation du prix des baux de dimes par contre-lettre, ou engagement clandestin du fermier; il s'agissait de dîmes de l'abbaye de Rillé, dont le prix de fermage se trouvait ainsi accru de 30 %.

Partout où les dîmes étaient affermées séparément et où nous connaissons le produit des pots de vin, nous savons avec certitude ce qu'elles rapportaient à leurs possesseurs. Il est plus difficile de savoir ce qu'elles coûtaient aux décimables. Il faudrait tenir compte, en effet, des frais de récolte et du bénéfice des fermiers. Il est bien difficile d'apprécier le second. Lebouc de la Bouteillère gardait 6,08 % du produit de ses sous-fermages de Saint-Georges-de-Reintembault; ce n'est pas là un taux exagéré, et il est probable qu'en présence des risques que leur faisaient courir l'incertitude des récoltes et les variations du prix des grains, les fermiers s'assuraient toujours au moins pareil bénéfice.

Sur les frais de récolte, les comptes de gestion fournis par les recteurs, pour l'année 1790, nous apportent des données précises; mais nous nous sommes étonnés du taux considérable auquel ces frais sont évalués le plus souvent. En voici le montant et le taux moyen dans tous les cas où nous les connaissons, c'est-à-dire pour 33 de nos 103 recteurs décimateurs :

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Beaucoup de recteurs se sont contentés de donner, sans plus de détail, le produit de leurs grosses dîmes, en ajoutant que celui des menues dîmes a couvert leurs frais.

Le taux des frais était, d'ailleurs, suivant les paroisses, fort inégal. Dans certains comptes, il approche, ou même dépasse, 25 % (à Broons, 23,5 %, à Saint-Gondran, 26,7 %).

A Montreuil-sous-Pérouse, à Aubigné, à Liffré, à Poilley, il descend, au contraire, aux environs de 10 %. Certains recteurs n'auraient-ils pas exagéré leurs dépenses? Nos documents témoignent plutôt en faveur de leur sincérité; les administrations de district et certaines municipalités paraissent, en effet, avoir examiné de très près le détail des frais, et elles étaient capables d'en apprécier au moins la vraisemblance. Or, elles n'ont contesté, nous l'avons vu, que trois comptes; encore le recteur de Chauméré, seul, fut-il nettement accusé de fraude; sa municipalité lui reprocha d'avoir dissimulé 407 1. de recettes et « enflé » la note de ses frais de 120 1.

En réduisant à 15 % du produit net le taux moyen des frais de récolte et à 5 % le bénéfice ordinaire des fermiers, c'est de 20% au moins qu'il faudrait augmenter le prix des fermages pour évaluer la charge réelle des contribuables. Cette majoration, s'appliquant à 250.000 1. au moins, donnerait une charge totale de 300.000 1. Les 200.000 1. de dîmes récoltées directement par les recteurs ayant, d'autre part, coûté 230.000 1. aux contribuables, l'imposition totale aurait atteint 530.000 1. C'est là, certainement, une évaluation trop modérée. Le produit des dîmes devait naturellement refléter les fluctuations du prix des denrées, et, comme celui des terres, il s'accrut, depuis 1760, dans de notables proportions. Nous ne pouvons malheureusement suivre les variations des dimes directement exploitées, les grands établissements et les gros bénéficiaires nous ayant seuls laissé quelques données sur leurs revenus antérieurs. Les exemples suivants prouvent un accroissement de 100 % environ depuis 1770; mais le prix de certains baux tripla (1).

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(1) Voir, en particulier, les notes jointes aux états des revenus des abbayes de Saint-Georges et de Saint-Sulpice.

Il n'est nullement besoin d'invoquer les progrès de l'agriculture, ni les défrichements, pour expliquer pareille augmentation; l'accroissement du prix des denrées y suffit. Les terres nouvellement défrichées n'étaient pas alors décimables et il est à remarquer que les apprécis portés dans les baux qui stipulent des paiements en grains et en argent ont subi une progression plus rapide et plus considérable encore que les fermages exclusivement payables en argent.

Tout progrès dans la production agricole devait, néanmoins, profiter aux décimateurs. Priver le clergé de la dîme, c'était non seulement lui enlever le plus considérable de ses revenus, mais encore le plus précieux, grâce à l'équilibre qu'il établissait tout naturellement entre ses ressources et le prix des denrées agricoles.

II. La propriété foncière (1).

Tous les auteurs qui ont cherché à évaluer, avec quelque précision, l'étendue ou la valeur de la propriété ecclésiastique sous l'ancien régime, ont été unanimes pour en reconnaître la médiocre importance. Ils en ont signalé, d'autre part, le morcellement extrême et l'inégale répartition, suivant les différentes régions du royaume et suivant les paroisses, à l'intérieur d'une même région (2).

Nulle part ailleurs, sans doute, elle n'a été moins importante, plus morcelée et plus inégalement répartie qu'en Bretagne. M. L. Dubreuil avait déjà reconnu, pour une partie de la province, ces caractères de la propriété ecclésiastique (3). Nous arrivons, pour nos trois districts, aux mêmes conclusions, et l'étude des autres districts de l'Ille-et-Vilaine,

(1) Il s'agit évidemment de toutes les propriétés ecclésiastiques situées dans les limites de nos trois districts, y compris celles des établissements étrangers à la région; mais nous ne tenons aucun compte des possessions des établissements de la région, situées au dehors.

(2) Voir en particulier, Ch. PORÉE, La Vente des biens nationaux dans le district de Sens (Collection des documents inédits sur l'Histoire économique de la Révolution), et J. LOUTCHISKY, Quelques remarques sur la Vente des biens nationaux, pp. 129 et sq., La propriété paysanne en France, à la veille de la Révolution, chap. III, et L'Etat des classes agricoles en France, à la veille de la Révolution, pp. 42 et 43.

(3) Léon DUBREUIL, La Vente des biens nationaux dans le département des Côtesdu-Nord, chap. III.

de ceux du sud et de l'est surtout, ne pourrait que les

renforcer.

A vrai dire, nous ne pouvons connaître exactement l'étendue des terres ecclésiastiques; nous avons signalé l'insuffisance de nos documents sur ce point. Nous avons, cependant, tenté de suppléer à leurs lacunes, en évaluant les superficies qu'ils ne donnent pas, d'après le revenu moyen à l'hectare des terres de la même catégorie, et, d'autre part, à raison d'un revenu fixe de 24 1. à l'hectare. La première méthode permet d'approcher probablement la vérité de plus près; la seconde, fondée sur un revenu très bas, au-dessous duquel ne descendaient que les très mauvaises terres, les landes, les marais et les bois, aboutit à une évaluation maxima qui justifiera plus fortement encore nos conclusions (1).

Les deux tableaux suivants (2) donnent l'état de la propriété foncière de l'Eglise : 1° par catégorie de propriétaires et de propriétés, avec la superficie probable et la superficie maxima des terres; 2° par commune, avec la superficie maxima des terres ecclésiastiques et leur pourcentage dans la superficie totale de la commune.

La carte jointe à cet ouvrage a été dressée d'après les données de ce dernier tableau. Nous avons exclu du premier les presbytères, maisons d'école, couvents, hôpitaux et autres immeubles occupés par le clergé lui-même; nous avons dû renoncer aussi à y tenir compte des immeubles dont nous ignorions à la fois la contenance et le prix, et dont les revenus ont été comptés, dans les tableaux précédents, parmi les revenus de nature indéterminée.

Nos districts viennent donc s'ajouter à la liste des nombreuses régions où M. Loutchisky signale une proportion de la propriété ecclésiastique inférieure, en étendue, à 5 %. Nos statistiques confirment ainsi l'opinion de cet auteur, trop prudent encore, sans doute, quand il élève jusqu'à 12 % la proportion possible de la propriété foncière du clergé, dans la superficie totale du royaume (3).

(1) On remarquera que nous comprenons dans nos calculs les biens des établissements d'éducation et d'assistance.

(2) Cf. infra, pp. LIV et LVI.

(3) LOUTCHISKY, Quelques remarques sur la Vente des biens nationaux, p. 20.

Les immeubles urbains comptaient, dans le revenu total de la propriété foncière, pour 95.000 1., soit pour 30 %, si l'on y comprend les dépendances des cures, fabriques et fondations, et pour plus de 80.000 1., soit pour 25 %, si l'on ne considère que ceux des principaux établissements. Ces immeubles consistaient le plus souvent en maisons de construction ancienne et de très médiocre valeur. On sait qu'à Rennes les propriétés du clergé s'étendaient surtout dans les faubourgs et les vieux quartiers. Ses maisons n'étaient guère que des masures, vieilles souvent de plusieurs siècles, bàties en bois et en terre, et louées à de petites gens. Quelques-unes des maisons du chapitre, les immeubles récemment construits par les Cordeliers sur la place du Palais, une maison appartenant aux Ursulines, sur le Pré-Botté, et une autre aux Carmes, dans la rue de la Monnaie, faisaient seules exception. A Fougères et à Vitré, il ne s'agit jamais que de maisons anciennes et peu importantes. Les loyers étaient pourtant productifs et paraissent aussi élevés qu'aujourd'hui, dans les mêmes immeubles, si l'on tient compte de la valeur de l'argent en ce temps-là.

Il était rare que les immeubles ruraux formassent de vastes domaines d'un seul tenant. Nous n'en voyons pas d'autres à citer, en tout cas, que la terre de Houzillé, en Vergéal, et les dépendances de l'abbaye de Clermont, en Argentré. Les terres d'un même établissement étaient ordinairement partagées entre diverses métairies, closeries, parcelles, isolées les unes des autres, et souvent dispersées en différentes paroisses. Tout au plus peut-on remarquer une certaine concentration de la propriété ecclésiastique autour des villes où les principaux établissements avaient leur siège.

On aura jugé, par notre premier tableau, de la médiocre importance des exploitations que le clergé donnait à ferme. Les closeries, louées 300 1. au plus, et couvrant en général moins de 10 hectares, l'emportent de beaucoup en nombre sur les métairies d'un prix supérieur. Celles-ci ne couvraient elles-mêmes, en moyenne, que 26 hectares chacune, pour un prix de fermage de 685 1.; 28 seulement sur 153 (1) étaient

(1) Nous ne faisons pas entrer en compte les métairies dépendant des terres de Houzillé, de Champfleury et des Vaux, dont nous ignorons le revenu particulier.

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