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ni un accident d'un mouvement quelconque, mais la cause, la puissance et le principe de la proportion et de l'ordre qui conservent tous les êtres créés, qui font mouvoir la nature animée de l'univers, ou plutôt cette proportion et cet ordre même en mouvement s'appellent le temps,

Qui sans bruit s'avançant dans sa marche paisible,
Règle avec équité tout ce monde visible.

Car la substance de l'ame, suivant les anciens, est un nombre qui se meut lui-même.

C'est pourquoi Platon a dit que le temps avait été produit avec le ciel, mais que le mouvement avait précédé la naissance du ciel lorsque le temps n'existait pas encore, qu'il n'y avait ni ordre, ni mesure, ni distinction, mais seulement un mouvement déterminé, qui était comme la matière du temps privée encore de forme et de figure. Quand enfin la nature eut formé la matière, en lui donnant la couleur et la figure, et qu'elle eut assigné au mouvement ses révolutions, elle fit de l'une le monde et de l'autre le temps, qui sont tous deux les images de Dieu, le premier celle de sa substance, et l'autre, par son mouvement, l'est de son éternité, comme dans la génération le monde est un dieu créé. Ce philosophe croit donc que le monde et le temps ont commencé et finiront ensemble, si toutefois ils doivent jamais périr. Il est impossible que ce qui a été produit existe séparément du temps, comme ce qui est intelligible ne peut exister sans l'éternité, s'il doit toujours durer, et que ce qui a été engendré ne doive jamais se dissoudre. Le temps donc ayant une connexion et une affinité nécessaires avec le ciel, il n'est pas

on a vu dans la seconde de ces questions, que Dieu ayant placé l'ame au centre du monde, l'avait distribuée dans toute son étendue, de manière qu'elle enveloppe au dehors tout l'univers. Aussi quelques interprètes substituent-ils ici le nom de monde à celui du ciel.

simplement un mouvement, mais, comme je l'ai déja dit, un mouvement accompagné d'ordre qui a sa mesure, ses termes et ses révolutions, dont le soleil est comme l'inspecteur et le surveillant; il les détermine, les dirige, rend sensibles les changements qu'ils éprouvent, et distingue les saisons de l'année, qui, suivant Héraclite, produisent toutes choses. Ainsi cet astre est le coopérateur du premier et du maitre de tous les dieux, non dans les choses ordinaires et communes, mais dans les opérations les plus grandes et les plus importantes.

VIII.

Platon, dans sa République, en discourant sur les facultés de l'ame, ayant très bien comparé l'accord de ces trois facultés, la raisonnable, l'irascible et la concupiscible, à la connaissance de l'octave, dont l'intervalle est rempli par la mèse, l'hypate et la nète, on peut demander s'il a placé au milieu la faculté raisonnable ou l'irascible, car il ne s'est pas bien expliqué là-dessus 1.

L'ordre dans lequel ces facultés sont placées semble exiger que la partie irascible soit dans le lieu le plus élevé, désigné par l'hypate, nom que les anciens donnaient à tout ce qui était le premier et au-dessus de tout. Aussi Xénocrate appelle-t-il Jupiter Hypate celui qui réside parmi les substances dont la nature est toujours la même, et Jupiter Néate celui qui préside aux êtres sublunaires 2. Avant lui Homère avait nommé le dieu suprême

1 Voyez le IVe livre de la République.

2 Par Jupiter, les anciens désignaient souvent l'air. Ainsi le Jupiter Hypate signifiait l'air le plus élevé, ou l'éther, et le Jupiter inférieur marquait l'air sublunaire. Les philosophes divisaient l'univers en deux parties, dont l'une s'étendait depuis la dernière circonférence extérieure du monde jusqu'à la lune; elle contenait les sphères célestes, dont la nature est toujours la même, c'est-à-dire qui ne sont sujettes à aucun changement, et qui sont environnées d'un fluide très léger nommé éther. L'autre allait de la lune jusqu'à la terre, et les ètres qu'elle renfermait étaient sujets à beau

l'hypate des rois. C'est avec sagesse que la nature a donné la place la plus élevée à la faculté la plus parfaite, et qu'elle a mis le siége de la raison dans la tête pour y être comme le guide et le conducteur de l'homme; qu'au contraire elle a relégué au loin dans le lieu le plus bas la faculté concupiscible. Les lieux inférieurs s'appellent néates, comme le prouvent les dénominations qu'on donne aux morts. Quelques uns même veulent que le vent qui souffle des lieux bas et obscurs de la terre soit, pour cette raison, appelé Notus. Puis donc que la partie raisonnable de l'ame est autant opposée à la partie concupiscible que le premier l'est au dernier et le plus haut au plus bas, il n'est pas possible que la raison, qui est la première et la plus élevée de nos facultés, soit autre chose que l'hypate. Car ceux qui lui attribuent la mèse (ou le milieu), comme à la faculté principale, ne voient pas qu'ils ôtent à l'hypate le droit d'occuper la place la plus distinguée, laquelle ne saurait convenir ni à la colère ni à la cupidité; car ces deux facultés sont faites pour obéir à la raison et pour la suivre, non pour la commander ou pour la précéder. D'ailleurs la place la plus naturelle de la colère est au milieu des deux autres, puisque la raison ne doit que commander, et que le partage de la colère est tout à la fois d'obéir à la raison et de commander à la cupidité, de la châtier même lorsqu'elle se révolte contre la raison. Comme dans la grammaire les semi-voyelles tiennent le milieu entre les consonnes et les voyelles, parcequ'elles rendent plus de son que les premières et moins que les secondes, de même dans l'ame humaine la faculté irascible n'est pas uniquement livrée à la passion, mais elle a souvent la perception du bien, qui se joint en elle au desir de réprimer et de punir la cupidité. Platon lui-même, en comparant l'ame à un attelage de

coup de vicissitudes; et le fluide qui les entourait était l'air, beaucoup moins subtil que l'éther, et qu'ils appelaient Jupiter Néate, ou inférieur.

deux chevaux et au cocher qui les guide, désigne évidemment par le cocher la faculté raisonnable. Entre les deux chevaux, celui qui représente la cupidité, naturellement indocile et revêche, a les oreilles velues, il est sourd à la voix du cocher et n'obéit qu'avec peine au fouet et à l'aiguillon. Celui qui est l'image de la colère obéit le plus souvent à la raison, et quelquefois même il la seconde 1. Comme dans cet attelage ce n'est pas le cocher qui tient le milieu en vertu et en puissance, mais l'un des chevaux, qui vaut moins que le conducteur et qui est meilleur que son compagnon, de même dans l'ame, Platon n'a pas assigné la place du milieu à la faculté principale, mais à celle qui est plus sujette aux passions que la première, et qui est plus raisonnable que la troisième. Cet ordre conserve la proportion de la consonnance que la partie irascible a avec la partie raisonnable, qui est l'accord de l'hypate au diatessaron (ou la quarte), et avec la partie concupiscible, qui est l'accord de la nète au diapente (ou la quinte). Mais la proportion de la faculté raisonnable à la concupiscible est de l'hypate à la nète, c'est-à-dire le diapason (ou l'octave.) Mais si on place la raison au milieu, la colère sera trop éloignée de la cupidité; et cependant quelques philosophes, fondés sur une sorte de ressemblance, ont cru que ces deux facultés étaient une seule et même chose 2. Combien n'estil pas ridicule de vouloir attribuer aux places mêmes le premier rang, le milieu et le dernier, lorsque nous voyons que dans la lyre l'hypate occupe la première et la plus haute place, et que dans la flûte, elle est à la plus basse et à la dernière? D'ailleurs en quelque endroit de la lyre que la mèse soit placée, elle rend toujours un même son qui est plus aigu que l'hypate et plus grave que la nète.

1 Voyez le Phedre de Platon, où cette comparaison est très développée. 2 Les mots mêmes qui expriment en grec ces deux facultés ont une racine commune, parcequ'en effet elles ont un rapport naturel.

Les yeux ne sont pas situés de même dans tous les animaux, mais, en quelque lieu qu'ils soient placés, ils sont l'organe naturel de la vue.

Un pédagogue, soit qu'il marche devant ou derrière son enfant, le conduit toujours; et ce chef des Troyens,

Qui tantôt conduisait les premiers combattants,
Et tantôt se plaçait parmi les derniers rangs,

dans l'un et l'autre cas, était toujours le premier et avait la principale puissance. De même il ne faut pas fixer le rang des facultés de l'ame par la place qu'elles occupent ni par les noms qu'elles portent, mais par leur puissance et par la proportion qu'elles ont entre elles. En effet, que la raison occupe dans le corps humain la première place, c'est une chose accidentelle; mais elle a la première et la principale puissance, et elle est à l'égard de la partie concupiscible dans le rapport de la mèse à l'hypate, et avec la partie irascible dans la proportion de la nète. Elle tend et relâche tour à tour leurs ressorts, elle établit entre elles l'accord et l'harmonie, en retranchant l'excès de l'un et de l'autre, et en empêchant aussi qu'elles ne s'appesantissent et ne tombent dans l'engourdissement; car c'est dans un juste milieu que consistent la modération et la symétrie. Ou plutôt c'est une imperfection que de mettre dans les passions ces milieux de la faculté raisonnable qui sont appelés les substances sacrées qui lient les extrêmes avec la raison, et sont liées entre elles par le moyen même de la raison; car dans l'attelage de Platon, le meilleur des deux chevaux n'est pas placé au milieu, et le cocher ne conduit pas le char de la place la plus élevée; mais le milieu est plutôt dans l'inégalité de la vitesse et de la lenteur des deux chevaux. De même la force de la raison, quand elle résiste aux passions qui se laissent emporter à des mouvements immodérés et qu'elle les range, pour ainsi dire, autour d'elle-même dans une juste propor

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