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dans l'air, qui, étant brisé avec effort, cède à cette impulsion, et se rapprochant ensuite au-dessus de la foudre, la pousse violemment, et la force de descendre contre sa nature 1.

Quant à l'ambre, il n'attire, non plus que l'aimant ; aucun des corps qu'on lui présente, ni ceux qui sont dans leur voisinage, ne s'élancent sur eux spontanément; mais la pierre d'aimant jette hors d'elle des émanations flatueuses et fortes, par lesquelles l'air contigu étant pressé, pousse l'air qui est devant lui: celui-ci, agité circulairement, et revenant toujours occuper la place qu'il trouve vide, pousse fortement le fer et l'entraîne avec lui. L'ambre contient une matière ignée et flatueuse qui s'exhale, quand on le frotte à la surface, parceque ses pores sont plus ouverts par ce frottement, et ces exhalaisons, en se répandant au dehors, font le même effet que la pierre d'aimant; elles attirent les plus légers et les plus secs des corps qui se trouvent auprès de l'ambre, et qui, faibles et minces, cèdent facilement à son action; car il n'a ni assez de force, ni assez de poids et d'impétuosité pour pousser une grande quantité d'air, avec laquelle il puisse, comme l'aimant, agir sur de plus grands corps et les entraîner.

Mais pourquoi l'air ne pousse-t-il ni la pierre ni le bois, et qu'il n'amène à l'aimant que le fer seul? Cette objection est commune, et à ceux qui croient que la réunion de ces deux corps a pour cause l'attraction de la pierre, et à ceux qui l'attribuent au mouvement naturel du fer. Ce métal n'est pas d'une contexture rare comme le bois; il n'est pas non plus aussi compacte que l'or et la pierre ; mais il a des pores, des ouvertures et des aspérités, qui, par leurs inégalités, sont propres à donner entrée à l'air; de manière qu'au lieu de glisser sur la surface du fer, il

1 La nature et la cause de la gravité ne sont guère plus connues aujourd'hui que du temps de Plutarque.

est retenu dans les vides du fer, qui ne lui oppose qu'une résistance médiocre : et ainsi en retournant vers la pierre d'aimant, il pousse et entraîne le fer avec lui. Voilà les causes de ce double phénomène 1.

Par rapport au mouvement des liquides le long des terres, il n'est pas aussi facile d'expliquer comment l'action de l'air ambiant le leur imprime. Mais il faut savoir que les eaux des lacs sont stagnantes et sans mouvement, parceque l'air qui les environne et les presse de tous côtés est immobile, et ne laisse aucun espace vide. Ainsi, l'eau qui occupe la surface des lacs et des mers, se soulève et tourbillonne quand l'air est agité, parcequ'elle suit son mouvement, et qu'à cause de ses inégalités elle coule avec lui. Quand l'air frappe l'eau par-dessus, la vague se creuse lorsque c'est en dessous, elle s'enfle jusqu'à ce que l'air soit redevenu calme, et que l'espace qui renferme l'eau, soit tranquille. Ainsi, les eaux suivant toujours le mouvement de l'air qui leur cède, et poussées par les eaux qui surviennent, s'écoulent continuellement et ne s'arrêtent jamais. Voilà pourquoi les fleuves grossis par des eaux abondantes ont un cours plus rapide; mais quand leur lit est bas, ils coulent plus lentement, parceque étant plus faibles, l'air cède moins à leur impulsion, et que son mouvement n'accélère pas leur cours. Il faut nécessairement aussi que les eaux de source jaillissent à la surface de la terre, parceque l'air extérieur pénétrant dans les espaces vides qui sont dans son sein, en chasse l'eau au dehors. Si dans une maison ombragée et où l'air soit parfaitement tranquille, on arrose le plancher, il en résulte un courant d'air, parcequ'il est chassé de sa place par la chute de l'eau qui le frappe. Car il est de la nature de ces deux substances de se presser mutuellement et de céder

1 Les connaissances des anciens étaient bornées sur les effets de ce phénomène, qui, entre les mains des modernes, a produit des expériences si belles, si variées et si importantes.

l'une à l'autre, d'autant qu'il n'y a point de vide dans lequel l'une se trouvant placée, ne se ressente pas du changement que l'autre éprouve 1.

Quant à l'harmonie, Platon lui-même a expliqué comment se font les accords des sons. Un son rapide est aigu, et un son lent est grave. Voilà pourquoi les sons aigus affectent les premiers l'oreille. Lorsqu'ils commencent à s'affaiblir et à se perdre, si les sons graves viennent à s'y mêler, l'union des uns et des autres, et l'accord qui en résulte, causent un plaisir agréable qu'on appelle harmonie. Ce que nous avons dit précédemment prouve que l'air est l'instrument et le canal de cette sensation; car la voix est l'impression que l'organe de l'ouïe reçoit de l'air, qui, frappé et mis en mouvement par un corps quelconque, frappe à son tour le tympan de l'oreille. Si le coup qu'il donne est fort, le son est aigu; si le mouvement est faible, le son est plus doux. L'air frappé avec force et avec roideur arrive le premier à l'oreille, et pendant qu'il revient sur lui-même, il rencontre l'air dont l'action est plus lente, et qui lui communique son impression, qu'il porte avec lui jusqu'à notre organe.

VII.

Pourquoi Platon dit-il, dans son Timée, que les ames ont été formées sur la terre, sur la lune et les autres instruments du temps?

Croyait-il que la terre avait le mêine mouvement que le soleil, la lune et les cinq autres planètes qu'il appelle les instruments du temps, à cause de leurs révolutions, et pensait-il qu'il ne faut pas se figurer que la terre soit immobile, et comme attachée sur l'axe du monde, mais qu'elle fait une révolution entière autour de cet axe,

1 La théorie du mouvement des liquides était peu connue du temps de Plutarque.

comme Aristarque et Séleucus l'ont depuis montré 1? II est vrai que le premier de ces philosophes l'a seulement supposé, et que l'autre l'a affirmé d'une manière positive. Au reste, Théophraste raconte que Platon, dans sa vieillesse, se repentit d'avoir placé la terre au centre du monde, place qui ne lui convenait pas. Ou comme ce sentiment est contraire à plusieurs opinions ouvertement soutenues par Platon, faut-il, par un léger changement dans le texte, substituer le datif au génitif; lire au temps, au lieu du temps, et entendre par les instruments du temps, non les astres eux-mêmes, mais les corps des animaux; ainsi Aristote a défini l'ame, l'acte d'un corps naturel organisé, et qui a la vie en puissance? Alors le sens du passage de Platon serait, que les ames ont été semées en un espace de temps, dans des corps organisés d'une manière convenable. Mais cette interprétation est encore contraire à son opinion; car il a dit, et en plus d'un endroit, que les astres sont les instruments du temps, et que le soleil lui-même a été fait avec les autres planètes pour distinguer et conserver les intervalles du temps. Il est donc plus conforme au sentiment de Platon, d'entendre que la terre est l'instrument du temps, non qu'elle soit en mouvement, comme les astres, mais parceque étant fixée à la même place, elle marque le lever, le coucher des astres qui font leur révolution autour d'elle; et c'est par leur lever et leur coucher que sont déterminées les premières mesures du temps, c'est-à-dire le jour et la nuit; voilà pourquoi il appelle la terre la gardienne et l'auteur véritable de la nuit et du jour. Ainsi les styles des cadrans solaires qui, toujours immobiles, ne suivent pas la progression de l'ombre, sont néanmoins les instruments et les mesures du temps; ils représentent la terre, dont l'ombre

1 Aristarque de Samos fut un des plus célèbres astronomes de l'école d'Alexandrie. Il vivait vers la cent trentième olympiade.

nous dérobe la lumière du soleil, qui se meut autour d'elle, comme le dit Empédocle :

La terre en s'opposant à l'astre qui nous luit
Couvre notre horizon des ombres de la nuit.

Voilà comme on peut expliquer ce passage de Platon. Peut-être aussi qu'il paraîtra ridicule et absurde de dire que le soleil, la lune et les planètes aient été faits pour distinguer les temps. Car le soleil est l'astre le plus grand en dignité, et Platon lui-même, dans sa Républi– que, l'appelle le seigneur et le roi de l'univers sensible, comme le bien essentiel l'est du monde intelligible. Le soleil est sa production, il fait exister et paraître les choses visibles, comme le souverain bien fait exister et connaître les substances intelligibles. Or, il ne paraît ni raisonnable ni décent de prétendre qu'un dieu qui a une telle nature et une si grande puissance, soit un instrument du temps et qu'il mesure sensiblement la différence de lenteur et de vitesse qu'ont entre elles les huit sphères célestes. Ceux donc que troublent ces considérations croient par erreur que le temps, suivant la définition qu'en donne Aristote, est la mesure du mouvement et qu'il est le nombre à raison de l'antériorité et de la postériorité, ou qu'il est la quantité dans le mouvement, comme l'a défini Speusippe, ou l'intervalle du mouvement et rien autre chose, comme le disent les stoïciens, qui le définissent par un de ses accidents, sans considérer ni son essence ni sa faculté, que Pindare semble avoir assez bien comprises lorsqu'il dit :

Le temps surpasse seul tous les êtres célestes.

Pythagore, interrogé sur la nature du temps, dit qu'il était l'ame du ciel1; car le temps n'est ni une affection

1 Pythagore disait que le temps est la sphère qui environne le monde, et par cette sphère, il entendait vraisemblablement l'ame du monde; car

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