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gues médicinales, finissent par être avantageuses au corps politique, les vieillards ne doivent pas les confier aux jeunes gens; au lieu d'exposer leur inexpérience aux agitations d'une populace malintentionnée, qu'ils se chargent plutôt eux-mêmes des haines qui en sont toujours les suites; par là ils se les attacheront davantage, et leur inspireront plus d'ardeur pour les autres parties de l'administration.

Ils doivent encore se souvenir que le gouvernement d'un Etat ne consiste pas à commander, à aller en ambassade, à crier d'un ton véhément dans les assemblées publiques, à s'agiter dans la tribune, à parler ou à écrire. C'est là pourtant ce que la plupart des hommes appellent gouverner; comme ils font aussi consister la philosophie à disputer dans les écoles ou à composer des ouvrages, tandis qu'ils méconnaissent cette philosophie et cette politique véritables, qui, toujours en activité, se montrent dans une suite continuelle d'actions. Ils pensent, disait Dicéarque, que se promener, c'est faire plusieurs tours sous des portiques, et non aller à la campagne, ou chez un ami. Mais la politique et la philosophie se ressemblent. Socrate ne montait pas dans une chaire, il ne faisait pas asseoir ses auditeurs sur des bancs; ses disciples n'étaient pas assemblés dans une école ou dans une promenade publique. C'était en jouant avec eux, partout où il se trouvait, à table, dans les camps, et sur la place publique, enfin dans sa prison même, et en buvant la ciguë, qu'il leur donnait des leçons de philosophie. Il fit voir le premier, que la pratique de cette science avait lieu dans tout le cours de la vie, dans toutes les circonstances et toutes les situations où l'on peut se trouver. Il faut en dire autant de l'administration politique. Les ignorants ne gouvernent pas, lors même qu'ils commandent, qu'ils rendent la justice, qu'ils haranguent le peuple, ou qu'ils remplissent d'autres fonctions publiques; ils ne font que

flatter la multitude, se donner en spectacle dans les assemblées, former des partis, ou obéir à la nécessité dans les emplois qu'ils exercent. Mais un administrateur plein de zèle pour l'humanité, qui aime ses concitoyens et sa patrie, qui, en politique vertueux, s'occupe de leurs intérêts, quoiqu'il ne prenne jamais les marques de sa dignité, n'en gouverne pas moins la république, lorsqu'il excite ceux qui sont capables d'agir, qu'il sert de guide à ceux qui ont besoin d'être dirigés, qu'il aide de ses conseils ceux qui le consultent, qu'il arrête la mauvaise intention des uns, qu'il encourage la bonne volonté des autres, et qu'on voit dans toute sa conduite qu'il s'occupe du bien public, non par manière d'acquit et seulement quand il a occasion de se montrer au théâtre ou dans le Sénat pour y présider; qu'il n'y vient pas même par manière de délassement, comme on va à un spectacle ou à un concert; mais que dans les moments mêmes où il en est absent, il y assiste par l'influence de ses opinions, et instruit des résolutions qu'on y prend, il approuve les unes et condamne les autres.

Aristide, chez les Athéniens, et Caton à Rome, n'exercèrent pas souvent les premières magistratures; cependant, toute leur vie fut utilement consacrée au service de leur patrie. Epaminondas se signala par de grands exploits, à la tête des armées. Mais aucun ne surpassa celui qu'il fit en Thessalie, où il n'avait aucun commandement. Les généraux thébains avaient engagé l'armée dans un défilé très dangereux, et les troupes, harcelées par les ennemis, commençaient à se mettre en désordre, lorsque Epaminondas, tiré du rang de simple volontaire, et mis à la tête de l'armée, rassura d'abord les soldats par ses discours, rétablit l'ordre dans les rangs, les dégagea facilement de ce poste désavantageux, et les mit en bataille devant l'ennemi, qui n'osa point les attaquer, et se retira. Agis, roi de Sparte, avait rangé ses troupes en bataille, et

les conduisait déja contre les Arcadiens, lorsqu'un vieux Spartiate lui cria qu'il allait remédier à un mal par un autre, et qu'après sa retraite de devant Argos, qui, suivant Thucydide, avait été si fort blâmée, il risquait plus témérairement encore cette bataille. Agis eut égard à sa représentation, et fit sonner la retraite. Quelque temps après, il remporta la victoire, et dans la suite il faisait mettre tous les jours sa chaise devant la porte du Sénat, où les éphores allaient souvent le consulter sur les affaires les plus importantes; car il passait pour un homme sage et instruit. Quand enfin il eut perdu ses forces, et qu'il ne quittait presque plus son lit, appelé un jour au conseil par les éphores, il se leva avec la plus grande peine, et s'étant mis en chemin pour s'y rendre, il rencontra des jeunes gens à qui il demanda s'ils connaissaient de plus grande nécessité que d'obéir à ses maîtres : ils lui répondirent que l'impuissance en imposait encore une plus grande. Il regarda cette réponse comme un avis de mettre fin à ses services, et il rentra chez lui.

Il ne faut ni perdre sa bonne volonté avant ses forces, ni se faire violence quand elles nous abandonnent. Scipion prit toujours, soit dans la guerre, soit dans la paix, les conseils de Lélius; ce qui faisait dire que Lélius était l'auteur des exploits de Scipion, et que celui-ci n'en était que l'acteur. Cicéron avoue lui-même que ces résolutions si sages et si vigoureuses qui, pendant son consulat, sauvèrent la république, avaient été concertées avec le philosophe Nigidius 2. Ainsi, les vieillards ont plusieurs

1 Ce passage de Plutarque est copié mot à mot du cinquième livre de Thucydide.

2 Nigidius Figulus était, après Varron, suivant Aulu-Gelle, le plus savant des Romains. Cicéron avait pour lui la plus grande estime, au rapport du même Aulu-Gelle; il avait composé plusieurs ouvrages, l'un sur les animaux, un autre très étendu qui contenait des principes de grammaire, mais qui, par son obscurité et les observations subtiles qu'il renfermait, était très peu lu.

moyens de rendre à leur patrie les services les plus importants, par leurs discours, par leurs conseils, et, comme disent les poëtes, par leur prudence et leur liberté de tout dire. Ce ne sont pas seulement nos mains, nos pieds et nos facultés corporelles qui appartiennent à la république; elle a principalement droit sur notre ame et sur tout ce qui en fait la beauté; je veux dire la tempérance, la justice et la prudence. Mais comme ces qualités sont le fruit d'une longue expérience, il serait absurde de la faire jouir, dans notre vieillesse, de nos maisons, de nos terres et de nos autres richesses, et de n'être nous-mêmes d'aucune utilité à la patrie et à nos concitoyens, tandis que la vieillesse nous ôte moins de nos facultés actives qu'elle n'ajoute à nos connaissances politiques. On représente les statues de Mercure sous la figure d'un vieillard sans mains et sans pieds, avec le signe de la virilité, pour désigner que les vieillards n'ont pas besoin de remplir les fonctions qui exigent les forces du corps, et qu'il suffit que leur raison soit active et féconde.

PRÉCEPTES D'ADMINISTRATION PUBLIQUE 1.

Il n'est personne, mon cher Ménémachus, à qui l'on puisse mieux appliquer ces vers d'Homère :

A vos sages discours on applaudit sans peine ;
Mais ils laissent encor beaucoup à desirer,

qu'à ces philosophes qui savent bien nous exhorter à agir, mais qui ne nous donnent ni conseils, ni préceptes pour le faire avec fruit; semblables à ces esclaves qui mouchent bien les lampes, mais qui n'y mettent point d'huile. Je vois que c'est par les motifs les plus louables que vous avez conçu le desir d'entrer dans l'administration des affaires publiques, et que, par une ambition digne de votre naissance, vous voulez, pour servir votre patrie, vous rendre

De parler et d'agir également capable.

Mais comme votre âge ne vous a pas encore permis de suivre, dans des discussions politiques, un philosophe chargé du gouvernement, et d'étudier sa conduite dans ses actions bien plus que dans ses préceptes, vous m'avez demandé quelques principes sur cette matière importante. Je n'ai pas cru pouvoir me refuser à cette prière; je souhaite seulement que mon travail réponde à votre zèle et à ma bonne volonté. J'ai joint aux préceptes, comme vous l'avez desiré, un grand nombre d'exemples.

La première disposition que j'exige comme le fonde

1 Les préceptes pleins de sagesse que ce traité contient sont continuellement appuyés d'exemples qui leur donnent un plus grand poids. Ménémachus les avait demandés à Plutarque, qui, en satisfaisant au desir de ce jeune homme, a augmenté l'intérêt de son ouvrage par la variété qu'il y a semée. Ces traits d'histoire, répandus dans un traité dont l'objet est assez sérieux, ont le double avantage d'instruire et de plaire, et de soutenir l'attention, qu'une longue suite de préceptes aurait pu fatiguer.

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